Déshérence territoriale et écologie
Camille Mançon

Diplômée du Master Recherche « Design, Arts et Médias », Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2020.
Doctorante en Arts et Sciences de l’art, spécialité « Design, Arts, Médias », Institut ACTE

Résumé
Cet article se penche sur la manière dont les territoires en déshérence peuvent inspirer au designer une révolution écologique à travers les pratiques croisées du design et de l’anthropologie. La jonction de ces deux disciplines permet d'identifier des principes écologiques dans des régions aussi bien développées qu’en déshérence, afin de les associer, les faire évoluer et les adapter à d'autres territoires, concevant de nouveaux dispositifs, hybrides. Le design devient alors un créateur de liens entre des techniques, des personnes, des compétences, et façons de penser issues de cultures différentes du monde, retournant les idéologies qui le manœuvraient jusqu’ici.

Abstract
This article examines how dormant territories can inspire an ecological revolution to the designer through the intersecting practices of design and anthropology. The junction of these two disciplines allows to identify ecological principles in regions that are both well developed and dormant, in order to associate them, develop them and adapt them to other territories, designing new, hybrid devices. Design then becomes a creator of links between techniques, people, skills, and ways of thinking from different cultures of the world, overturning the ideologies that have maneuvered it until now.

1. De l'ethnocentrisme du design à un intérêt international

Ces dernières années d’études en design m’ont permis de développer et de préciser un intérêt pour les différentes natures de territoires existants, l’identité qui leur est conférée, leur culture, ou encore leurs productions. Or, en Occident nous exerçons dans un milieu où le design est en constante évolution, il a plusieurs teintes et se trouve presque partout où notre regard se porte. Ce qui m’a rapidement intéressée, ce sont alors toutes ces autres pratiques qui existent dans le monde et qui n’appartiennent pas officiellement au champ du design. En effet, s’il se développe et s’étend de manière exponentielle dans nos territoires, il est totalement absent dans d’autres. De nombreuses personnes à travers le monde ont très certainement une multitude d’aptitudes à faire valoir et leur découverte pourrait bouleverser le sens que l’on prête à la notion de design, voire la manière dont on le pratique. Le design ne devrait pas être restreint qu’aux pays du Nord économique et englué dans une image de discipline élitiste qui produit des objets finis, de luxe et accessibles seulement aux plus riches avec une visée décorative. Si la discipline est bien plus authentique et complexe que cela, c’est pourtant l’image qui prédomine dans l’esprit du grand public. Pour moi, le lien avec le territoire d’origine est indéniable, la conception s’inscrit nécessairement dans un lieu, une histoire, un contexte, une culture, une époque, un environnement et bien évidemment des personnes. Cet ensemble d’éléments est déterminant et constitue la nature même du projet, sa raison de voir le jour. J’ai retrouvé toutes ces questions dans l’ouvrage de Victor Papanek Design pour un monde réel1 qui soulève des sujets tels que le ré-emploi et la culture du jetable ou encore l’enseignement dans les pays en voie de développement. Dans ses écrits, je me suis d’ailleurs attardée sur les appellations de ces pays : le Tiers Monde. Son propos cible et englobe donc toute une partie de la population et des territoires dans leur ensemble. Cependant, quand on les étudie plus précisément, on se rend compte que l’entièreté d’un pays en développement n’est pas forcément « pauvre » et que la totalité d’un pays développé ne l’est pas automatiquement non plus, c’est plus complexe que cela. En effet, chaque pays est composé d'une grande diversité de territoires qui sont souvent dans des situations économiques, sociales ou écologiques différentes, qui ont des modes de pensée, des pratiques et des cultures distinctes, aboutissant à des styles de vie hétéroclites. C'est pourquoi il est important de s'intéresser plus précisément à chacun d'entre eux afin d'y déceler les potentiels créatifs et innovants, de comprendre que les concepteurs et productions méritant une mise en avant peuvent se situer dans n'importe quelle région du monde. C’est ce qui m’intéresse le plus et qui a influencé l’étude de cas de cet article, car je me suis concentrée sur un territoire occidental et plus spécifiquement Suédois, qui est le Sápmi, terre du dernier peuple autochtone d’Europe : Les Sâmes. Pour ce faire, je me suis rendue au mois de décembre 2019 à Kiruna, en Suède, afin de mieux comprendre ce que je questionnais, d'expérimenter ce territoire, de rencontrer sa culture, son peuple.

En regardant plus précisément les localisations de tous les territoires similaires et en identifiant les raisons pour lesquelles il me semble intéressant d’en parler, je décide d’emprunter le terme de déshérence pour les qualifier. Je précise « territoires en déshérence » et non pas « pays en voie de développement » car il est important de ne pas généraliser le propos à des régions non concernées, mais aussi de suffisamment le cibler pour englober des territoires auxquels on ne penserait pas spontanément, comme en Occident par exemple. La déshérence ne renvoie pas tant à la pauvreté ou à la précarité qu’à l’absence de légataire, d’héritier. On ne peut pas prédire à qui reviendra l’héritage de ce territoire ni ce qui en sera fait, tant au point de vue social, territorial ou même traditionnel, ce qui alerte quant à la perte possible de ces comportements culturels que l’on devrait valoriser. C’est une situation qui peut potentiellement mener à la disparition ou à l’oubli de ce territoire, de son peuple et de ses valeurs. On ressent donc une certaine urgence à parler d’eux et avec eux, à s’y intéresser, les révéler à nouveau. Or, si la déshérence alerte de par son incertitude, ce doute peut aussi se révéler très fécond comme ont pu le souligner les empiristes ou les sceptiques pour qui le doute est source de nouveauté et peut être tout à fait positif. En fait, la déshérence est un état si extrême que si elle ne mène pas à la disparition ou à la perte, elle ne peut mener qu’à une forme de révolution pour renverser cette situation.

Le point commun à ces territoires réside alors dans le fait qu’ils peuvent participer autant au design qu’à l’écologie grâce à leur culture. C’est la raison pour laquelle je me suis demandé, dans mon mémoire de recherche, en quoi les territoires en déshérence inspireraient aux designers une révolution écologique. J’ai alors développé trois hypothèses où je m'appuie tout d'abord sur la vision la plus immédiate et évidente qui vient à l'esprit à l'égard de cette question, à savoir que les territoires en déshérence produisent des objets, utilisent des techniques de construction particulières, ont parfois un artisanat singulier, mais ils ne peuvent fonctionner comme les pays développés, ce qui les laisse en marge du progrès mondial. Le rôle du designer est donc dans ce cas d'analyser, de s'inspirer du lieu et de proposer des dispositifs, des objets, ou encore des bâtiments adaptés au mode de vie de leurs habitants. Il contribue alors à l’amélioration de leur qualité de vie, cependant aucune leçon n'en est retirée concernant la production et la création occidentale. Cet apport étant à sens unique, on ne laisse en fait pas le choix à ces territoires. Il faut donc aussi considérer tout ce qu’ils font sur place et pas seulement ce dont ils disposent d’un point de vue matériel. Leur activité a, elle aussi, une légitimité et le designer se doit de faire pour, mais aussi avec ces populations. La création devient donc collaborative et le projet ressemble alors à un échange où les territoires en déshérence sont toujours les uniques bénéficiaires, mais la conception est partagée avec eux. Seulement, la place faite aux idées venant de ces territoires n’est que minime, elle est insérée au milieu d’un projet mené par les designers venant de pays développés. Il y a alors un semblant d’intégration de ces propositions locales sur place, mais cela reste local, ce n’est en aucun cas exporté et donc encore moins universel. Finalement, il faut se rendre compte que le développement sur lequel nous prenons modèle a en partie causé la détresse écologique actuelle. Celle-ci nous concerne tout autant que ces régions, auxquelles nous apportons notre aide régulièrement à travers ces projets mais desquelles nous n'acceptons rarement de conseils. Nous leur apportons trop peu de crédit et les rabaissons alors que nombre de solutions se trouvent depuis très longtemps dans ces territoires que nous refusons de voir. Il faut donc s’inspirer réellement de ces modes de vie, ces techniques, ces solutions présentes, que cela devienne un vrai double échange où l’inspiration vient des populations issues des territoires en déshérence car ils permettraient de nous réguler. Nous n’abandonnerions pas la totalité de nos techniques et technologies pour autant, seulement une place serait faite pour des techniques recueillies partout ailleurs et adaptées. Une place centrale serait donnée dans l’innovation durable aux territoires que l’on pense aujourd’hui en déshérence. Ce renversement du classement des pays agirait alors tel un nouveau souffle sur les techniques de création.

2. De l'apprentissage unidirectionnel à l'hybridation des compétences

Ces territoires ont une culture, une manière d’être habités et une intégration de la population singulières, de même que des techniques spécifiques pour produire ce dont ces personnes ont besoin. Cependant, au regard du niveau mondial et surtout occidental, on y observe un « retard de développement » principalement économique, industriel et technologique qui est imparable et qui risque de devenir problématique s’ils reproduisent les mêmes étapes polluantes de développement que les pays développés. Nous devrions donc leur apporter notre aide, nos connaissances et nos techniques pour les intégrer au monde contemporain que nous connaissons. En allant plus loin, je me dis que ce type d’approche, unidirectionnelle, est trop rigide et hermétique et qu’il faudrait donc privilégier un échange sur place entre les locaux et les designers. Nous ne devrions pas avoir à intervenir en pensant tout devoir leur apprendre, car ce n’est tout simplement pas le cas ! La mise en place d’une collaboration serait alors pertinente car ces projets concernent les habitants de ces territoires plus que le designer lui-même, ce sont eux qui en auront l’usage dans leur propre contexte de vie. Or, en prenant du recul, le problème se situe précisément sur ce point puisque l’on est souvent resté dans la position du designer occidental qui se rend en territoire en déshérence pour y agir sans rien apporter au sien en retour, sans en retirer d’enseignement. Il faudrait alors penser une manière d’apprendre de ces territoires au moins autant qu’ils apprennent des nôtres, instaurer un réel échange où en hybridant nos techniques et connaissances, nous nous approchons de nous-mêmes de leur rythme et techniques de production et vice versa. Il n’y a pas qu’une direction dans laquelle aller, il n’y a pas qu’une manière de faire.

2.1 Des territoires en déshérence inspirants

Les territoires en déshérence produisent des objets, utilisent des techniques de construction particulières, et ont parfois un artisanat singulier, cependant les occidentaux estiment qu'ils subissent un retard de développement que l'on associe au manque de moyens économiques, à ce que l'on nomme la pauvreté matérielle, à une technologie parfois inexistante ou à un mode de vie que l'on juge inférieur au notre. C’est ce que l’on pense le plus directement à leur sujet, ce que l’on nous inculque le plus inconsciemment dans notre société et depuis notre enfance. En effet, nous apprenons très tôt à l'école, dans notre quotidien, dans les médias une hiérarchie mondiale où les pays sont classés en fonction de leur développement, où les noms qu'on leur attribue passent de « pays en voie de développement » à « pays pauvres » ou encore « Tiers Monde », tant de termes dévalorisants que l'on assimile. Les pays occidentaux comme la France sont positionnés dans les premières catégories de ce classement, et nous intégrons donc que tout ce qui nous entoure sans exception, toutes nos habitudes dans leur globalité correspondent à une norme qui est la seule à suivre. Les territoires en déshérence ne semblent donc pouvoir fonctionner de la même manière que les pays développés, ce qui les laisse en marge du progrès mondial. Leur retard technologique caractérisé par un accès à l'Internet encore insuffisant ou encore par des industries où le travail manuel prédomine sur l'automatique et le numérique, paraît insurmontable du fait de leur manque de moyens économiques et techniques, et nous pensons continuer de l’accentuer si nous ne faisons rien. En effet, notre rythme de progression est tel que si nous ne nous intéressons pas à ces territoires en leur apportant une aide, un savoir ou encore des systèmes technologiques, ils resteront toujours plus à l’écart. Par exemple, le studio de design et d'architecture multidisciplinaire KVA MATx a proposé aux habitants de la région de Sierra Madre au Mexique qui ne bénéficiaient pas de l'électricité un dispositif leur permettant d'avoir accès à la lumière à tout moment de la journée ou de la nuit. Portable Light2 est une lampe portable fabriquée à partir d’éléments de récupération comme d’anciennes LED de feux rouges, des boutons de machines à laver, un panneau solaire, l’ensemble étant solidarisé par un tissage traditionnel sur un tissu mexicain. Ce genre de dispositifs fonctionne à l’endroit où ils ont été conçus mais ils sont aussi transportables et adaptables à d’autres localités ayant le même besoin. À l’aide des connaissances et des performances que les designers occidentaux sont en mesure de produire, il est donc possible d’intervenir et de conjuguer leur expertise à des territoires et des populations qui la nécessitent.

Une première analyse est alors faite, où par exemple dans le cadre de l'action de Victor Papanek à Bali, le designer se rend sur place afin de prendre contact avec les populations locales, de comprendre leurs habitudes, leur fonctionnement au quotidien, les objets qu'ils utilisent le plus, les gestes qu'ils répètent. Cette approche lui permet également de recueillir leurs avis, leurs demandes quant à ce qu'ils estiment avoir besoin, comme un mode de communication à distance par exemple, qui sera résolu avec la radio que proposera Papanek. L'analyse décèle alors ce dont les personnes disposent sur place, les matériaux les plus abondants, ceux qui pourraient être réutilisés, pouvant ainsi élaborer le projet en conséquence et compléter avec des matériaux, dispositifs, ou techniques, propres à l’occident produisant un objet adapté à leur mode de vie. Le projet Tin Can Radio, créé et expliqué par Victor Papanek dans Design pour un monde réel3 offre aux pays en voie de développement la possibilité d’avoir accès à un canal de radio, de pouvoir communiquer par un biais nouveau, tout comme c’est le cas dans les pays développés. Elle est composée exclusivement de matériaux issus du réemploi provenant du territoire-même, telle une nouvelle forme de production vernaculaire. Plus qu’un objet de communication, la Tin Can Radio devient donc également un outil d’insertion, elle relie ces territoires au monde développé, et c’est ce lien invisible qui les raccroche un peu plus au modèle de développement de ces pays. Cette sensation peut d’ailleurs être amplifiée auprès de chacun des habitants qui en bénéficient car ils peuvent eux-mêmes agir sur l’objet. En effet, la Tin Can Radio étant entièrement constituée de matériaux de récupération pour une esthétique minimale de l’objet, elle laisse place à une personnalisation potentielle de la part de l’utilisateur. L’objet peut alors prendre une apparence différente en fonction des pays dans lesquels il est distribué et les utilisateurs peuvent alors avoir un réel sentiment de contribution à l’élaboration de l’objet, fut-il simplement esthétique, et d’un réel ancrage de ce dispositif dans leur culture et dans leur quotidien. De plus, ils peuvent contribuer à sa pérennité car chaque constituant de la radio est changeable lorsqu’il ne fonctionne plus, de la boîte de conserve à la paraffine qui est notamment remplaçable par de la bouse de vache. Cette démarche de projet permet de créer un lien et de joindre l’inventivité et la créativité occidentales à la culture et aux habitudes de vie de différents territoires ainsi que leurs habitants dans le monde. Le designer contribue alors à l’amélioration de leur qualité de vie en agissant en faveur de l’écologie car la majorité des productions relèvent du réemploi et du vernaculaire. Le territoire, les habitants et le contexte global agissent comme une inspiration nécessaire et orientée, pour les designers qui produiront des dispositifs plus soutenables que ceux fabriqués en occident, spécialement pour ces personnes, pour ce contexte. C’est un moyen de rééquilibrer cette culture du jetable qui est si présente en occident qu’elle semble être un exemple pour les territoires en voie de développement qui souhaitent suivre cette voie.

Ce point de vue exposé à travers les travaux de Victor Papanek a bien sûr été novateur dans les années 1970. Cependant, cinquante ans plus tard, certains aspects de sa démarche entrent en contradiction avec l’évolution de notre culture et des savoirs actuels. En effet, on s’aperçoit que rendre ce service aux territoires en déshérence n’est finalement qu’un pas de côté dans notre grande course à l’innovation occidentale, que nous ne remettons pas en question dans le type d’approche proposé par Victor Papanek, mais dont nous n'avons pas su tirer d'enseignement par la suite en Occident. De plus, le fait de concevoir des objets spécialement pour ces populations, différents des nôtres, renforce d’autant plus la domination occidentale existante. Le designer apporte les idées, les concepts, parfois même du matériel et dicte les mouvements à adopter pour faire fonctionner le nouvel objet ou le comportement du corps à avoir pour déambuler dans le nouvel espace lorsqu'il est question de la conception d'un espace comme un habitat ou un bâtiment tel qu'une école par exemple. Il n’y a presque pas d’apport de la part des locaux dans cette approche. On sent également que l’artisanat est valorisé au dépend de la technologie, qui est diabolisée au même titre que l’industrie et écartée des moyens d’action possibles. Nous – par les designers interposés – aidons des territoires et des personnes, mais de manière condescendante et nous n’en retirons aucune leçon à appliquer à notre production et à notre mode de vie. Même si les productions qui ont été proposées s’inscrivent dans une fabrication durable et respectueuse de l’écologie, cela reste un apport dominant et à sens unique.

2.2 Une action collaborative

Il faut donc aller plus loin que les idées préconçues qui peuvent guider le designer dans une démarche de projet à sens unique. Bien que les projets insérés par Victor Papanek aient pu rendre de grands services aux populations du « Tiers Monde », elles ont été conçues et intégrées dans différentes régions du monde par sa propre initiative. Même lorsqu’il a fait participer ses étudiants, la démarche reste celle d’un groupe de personnes qui apportent quelque chose à d’autres en supposant qu’elles ne savent rien faire. Il faut donc aussi considérer tout ce que les habitants produisent sur place, et pas seulement ce dont ils disposent d’un point de vue matériel. Leur activité a, elle aussi, une légitimité qu’il faut prendre en compte. Même si rien de ce qu’ils font ne s’appelle « design », certaines de leurs productions pourraient être qualifiées comme telles si elles avaient lieu en Occident. Il est important de saisir ce point et de comprendre que la valeur d’un savoir-faire ne dépend pas de sa provenance. Il serait donc pertinent d’intégrer aux interventions des designers, des pratiques locales, et donc de faire pour et avec ces populations. La création devient collaborative car les habitants ont eux aussi des savoir-faire à partager et des connaissances exclusives à transmettre sur leur territoire. Les designers occidentaux ne sont pas les seuls à avoir de la connaissance à apporter. Le projet commence alors à ressembler à un échange où les territoires en déshérence sont toujours bénéficiaires d’un apport de la part des designers, mais ils partagent cette conception avec eux, telle une double conception. On retrouve notamment ce point de vue dans le projet Polyfloss4 mené par Emile de Visscher. Il le détaille dans sa thèse5 et explique qu’il est le résultat d’une relation d’échange entre communauté malgache et designers français. En effet, l’initiative provient d’un projet culturel malgache qui a contacté les designers, permettant de développer ce projet de réemploi du plastique au sein d’un territoire, d’une communauté. La machine, fabriquée sur le principe du réemploi, permet de transformer les plastiques superflus présents dans l’environnement pour générer une nouvelle matière sous forme de filaments. Ce produit peut alors avoir un nouveau cycle de vie et être utilisé comme une matière première pour de nombreux usages locaux (tissage ou conception de vêtements par exemple). Il y a donc eu des échanges et une collaboration afin de mener à bien ce projet, formant chacune des personnes au fonctionnement de la machine et aux coutumes locales d’usage. Emile de Visscher explique que l’objectif du projet est d’unir les matériaux locaux à une nouvelle machine co-produite sur place, afin de recycler les matériaux tout en produisant une nouvelle matière. Polyfloss fait alors l’intermédiaire entre matériaux déjà présents sur place et nouvelle matière première qui sera re-employée dans les productions locales. Cette machine co-conçue est donc vectrice d’une pratique intégrée car, sans elle, les différentes parties du projet, designers et locaux, ne se lieraient pas. Une formation a d’ailleurs été mise en place visant autant à apprendre à se servir de cette machine, qu’à apprendre à concevoir et diversifier les propositions d’objets qui découlent de la nouvelle matière première. On comprend donc que pour créer des dispositifs issus du réemploi, et donc bénéfiques pour l’environnement, contribuant à la résolution de problématiques écologiques, les pratiques venant des territoires en déshérences ont un apport majeur à procurer aux designers. Il est donc intéressant de voir comment un territoire et ses habitants peuvent contribuer au projet de design, en y associant aussi bien la technique que l’artisanat ou encore les traditions respectueuses de l’écologie.


Figure 1. Projet Polyfloss à Madagascar, Site internet d’Emile de Visscher rubrique « Polyfloss »

Dans ces démarches contemporaines, une attention réelle est portée aux populations locales, aux futurs bénéficiaires, qui sont même acteurs du projet aux côtés des designers. Ces derniers intègrent les savoir-faire, connaissances, artisanats, légendes et même symboles locaux, ils collaborent avec les personnes qu’ils rencontrent. Il ne s’agit même plus nécessairement d’insérer un nouvel élément dans leur quotidien, parfois il n’est que question de lier des choses existantes sur le territoire afin de mieux le révéler et le dynamiser. Cependant, lorsque l’on remet en perspective cette démarche, la place faite aux idées venant des habitants de ces territoires n’est que minime. Introduite au sein d’un projet mené par les designers venant de pays développés, elle n’a aucune résonance en dehors de ce territoire. L’initiative et la réalisation à laquelle elle conduit restent locales et ne sont pas exportées et reconnues comme une situation adaptable à l’occident. Une fois de plus, rien n'est remis en cause en dehors de ces régions en déshérence, qu'il s'agisse de notre modèle industriel de production massive qui expulse des quantités colossales de plastique polluant et envahissant le monde, ou même simplement de la manière dont le designer aborde le projet visant à répondre à des besoins qui ne sont pas les siens. La moindre des choses serait de rendre grâce à ces opportunités que nous font ces territoires et ces personnes en faisant appel à nos compétences de designers en pensant au-delà du projet et du lieu en lui-même, en étendant les leçons apprises sur place à nos régions d'origine. Le risque est aussi que ces populations rencontrées veuillent se conformer, consciemment ou non, au modèle occidental implicitement présenté par les designers. En effet, ces derniers sont perçus comme des représentants de pays « qui ont réussi » et ce qui va intéresser les habitants dans leur venue ne va pas être d'apprendre à concevoir des dispositifs ou des lieux de vie avec ce qu'ils ont et de les valoriser, mais d'apprendre à s'en éloigner pour mieux se rapprocher des habitudes qui ont permis le développement des pays occidentaux. Il est donc nécessaire d’abolir ce caractère unidirectionnel du projet afin de ne pas influencer encore plus les territoires sur lesquels ils interviennent. En restant focalisés sur la volonté d'apporter de la modernité à ces territoires, les designers restent alors souvent dans une approche à sens unique qui ne permet pas de les comprendre entièrement, ni leur population, leur culture et tout ce qui existe sur place. De plus, un simple voyage d'immersion ne pourra jamais faire du designer un local omniscient. J’en ai par exemple fait l’expérience en discutant avec Káren-Ann Hurri6, une habitante d’un village Sami. J’ai vu que malgré toute ma volonté et mon intérêt pour ce sujet et pour la communauté Sami, nous avions des différences de point de vue, car elle a grandi dans cette communauté autochtone et j’ai été façonnée par la société occidentale. Par exemple, nous considérons l’écologie comme la mise en place d’un équilibre entre l’homme et son environnement, tandis que pour cette population il n’y a même pas besoin de parler d’écologie : ils sont la nature autant que tout le reste. Même en m’étant rendue sur place, cela ne m’a pas rendue plus autochtone que n’importe quel designer français. Il est donc impératif qu’il y ait au moins une prise en compte des paroles des habitants du territoire sur lequel on agit, mais également un respect de leur point de vue. Et que nous comprenions que nous ne pouvons proposer seuls des solutions à des problèmes qui ne sont pas les nôtres. Mieux, en acceptant une collaboration intègre avec eux, nous pourrions aussi en retirer des leçons adaptables à nos propres contextes de vie.

2.3 Partage mutuel des connaissances

Il faut alors reconsidérer ces limites, approfondir l’approche. Les projets contemporains menés sur les territoires en déshérence tenant désormais compte de leurs populations, des savoir-faire, connaissances ou encore traditions, une avancée majeure est faite dans la considération des bénéficiaires du projet de design. Ces derniers deviennent d’ailleurs tout autant détenteurs qu’acteurs du dispositif élaboré. Cependant, cet apport à sens unique continue de communiquer une image d’occident omniscient, traitant inégalement les régions du monde différentes des siennes, et provoquant souvent chez elles un désir inconscient de conformité, de mimétisme. Je me suis par exemple entretenue avec Louise-Éline7, une designer en mission humanitaire dans un village au Togo qui n'a de cesse d'expliquer aux habitants avec qui elle vit que l'Europe n'est pas un modèle total, que les erreurs commises pendant son développement pourraient être évitées pendant le leur. Cependant, ces personnes voient les choses à une échelle plus restreinte et si, cultiver avec des pesticides leur rapporte plus de récoltes et donc d'argent que sans, ils continueront pour tenter de s'enrichir plus rapidement. Les habitants de ces territoires finissent par ne désirer qu’une ressemblance aux pays occidentaux, qu’ils pensent par conséquent, preuve d'un développement exemplaire.

Le prisme anthropologique permettrait-il alors de saisir ces contextes différents et incomparables dans lesquels nous vivons, abolissant toute hiérarchie ? La détresse écologique globale qu’il y a dans le monde nous concerne tout autant que chacun de ces territoires. Pire : cette avance technologique que nous prétendons avoir, et que nous confondons avec l’idée même de progrès, nous empêche d’accepter que des solutions aux problèmes que nous rencontrons puissent venir d’ailleurs. Le problème ne vient pas seulement du fait que ces territoires manquent de moyens, mais aussi du manque de considération dont nous faisons preuve à leur égard, alors que nombre de solutions que nous refusons de voir ou d’adapter à notre contexte se trouvent depuis longtemps dans ces régions. Il faut donc s’inspirer réellement de ces modes de vie, ces techniques, ces solutions présentes, que cela devienne un vrai double échange où l’inspiration vient aussi des populations issues des territoires en déshérence car ils permettraient de nous réguler. Nous n’abandonnerions pas la totalité de nos techniques et technologies pour autant, seulement une place serait faite pour des techniques recueillies partout ailleurs et adaptées. Elles prendraient la place de celles qui étaient inutiles, superflues, de l’ordre du gadget. C’est exactement ce qu’a mis en place le Low Tech Lab avec l’expédition Nomade des mers8. Lors de l’entretien que j’ai pu mener avec Pierre-Alain Lévêque9, co-fondateur de l’association éponyme, il explique que ce projet vise à collecter les procédés que les membres du Low Tech Lab rencontrent au cours de leurs expéditions au sein de la ceinture tropicale afin de les diffuser par la suite, répondant concrètement et de manière écologique aux problématiques locales. Il s’agit de donner une voix à des solutions existantes dans les endroits les moins entendus de la planète et pourtant très ingénieux ; solutions qu’il sera ensuite possible de se réapproprier en fonction du milieu de vie. Dans ce même projet, il y a également la mise en place de laboratoires d’étude et d’expérimentation mobiles, car à bord du bateau, et qui visent à la diversification et à l’adaptation de ces low tech à d’autres milieux. Il s’agit donc de collecter pour adapter, diversifier et répandre. On comprend par exemple comment un frigo peut cesser de consommer de l’électricité et devenir totalement autonome en s’inspirant des techniques traditionnelles repérées dans le désert. Le concept du frigo du désert10 résidant en la construction d’un récipient fait de pots en terre, de sable, d’eau et d’un linge humide afin de conserver la basse température. Bien-sûr, il ne s'agit pas d'inciter à remplacer entièrement et définitivement les réfrigérateurs que nous connaissons, mais de présenter une alternative, de montrer qu'en cas de besoin d'autres solutions sont possibles. Des projets comme celui-ci ouvrent le regard des personnes qui en prennent connaissance et montrent que même si des dispositifs emblématiques comme le frigo sont ancrés dans notre quotidien, nous pouvons toujours les remettre en question et tendre vers une évolution plus respectueuse de l'environnement.

C’est d’ailleurs cet aspect de diffusion qui m’a beaucoup intéressée et que j’ai pu mettre en place dans mon projet de diplôme. Il agit comme un répertoire des techniques inspirantes de Laponie suédoise, qui peuvent être réemployées, réadaptées en fonction du territoire en question. On y retrouve par exemple le principe de la maison de tourbe qui est une cabane surélevée constituée de trois couches successives d’écorces de bouleau, de rondins de bois et également de tourbe, ce qui lui donne son nom. L’isolation est donc entièrement vernaculaire et intégrale car elle recouvre la totalité de l’habitat sans comporter aucun pont thermique. Ce dispositif peut s’avérer essentiel dans des régions similaires où les saisons révèlent des températures extrêmes afin de combler les écarts entre l'extérieur et l'intérieur d'un logement. Au-delà de cette technique en particulier, ce type de découverte invite à chercher dans chaque contexte et culture les systèmes ancestraux qui ont permis de résoudre les difficultés majeures historiquement rencontrées afin de revenir dessus, les faire évoluer et voir si elles pourraient être pertinentes et re-intégrées de manière contemporaine. Dans ce cas, les pays « développés » ne seraient plus donneurs de leçon mais au contraire, ils en recevraient aussi dans le sens où nous apprendrions à non pas toujours regarder vers les productions à venir, associant l'avenir technologique au progrès ultime, mais en prenant le temps de s'intéresser à tout ce qui a déjà été produit par nos ancêtres. En avançant rapidement pour toujours obtenir quelque chose de plus performant, nouveau, meilleur, nous ne sommes jamais revenus sur des techniques ou savoir-faire qui pourraient être aussi des alternatives ou solutions à des problèmes que nous rencontrons actuellement. Ainsi, l'échange avec ces régions en déshérence pourrait également agir comme une conversion du regard sur nos propres territoires, ouvrant un ensemble de nouvelles possibilités quant aux contributions possibles au développement durable. Ces territoires en déshérence seraient à la fois sources de propositions inspirantes et innovantes bien qu'ancestrales, mais ils inciteraient aussi à révéler la culture séculaire de nos propres régions et ce que nous ne voyions plus en elles jusqu'alors. Nous pourrions donc ensemble contribuer à la résolution de cette détresse écologique par les différentes techniques, idées, ou encore traditions provenant de régions aussi bien urbaines que rurales, à la nature aussi bien préservée que profondément touchée.


Figure 2. Projet Frigo du désert à bord du Nomade des mers, Site internet du Low Tech Lab rubrique « Les tutos »


Figure 3. Schéma du projet Frigo du désert, Site internet du Low Tech Lab rubrique « Les tutos »


Figure 4. Maison de tourbe Samie ou « Goahti », Photo personnelle prise à Jukkasjärvi

3. Pour un nouveau rapport aux territoires et à leurs populations

Finalement, en regardant l’ensemble des écrits et projets menés autour de cette thématique, on se rend compte de son évolution chronologique et des perspectives qui en découlent. Grâce à des pionniers comme Victor Papanek, le design a pu devenir une discipline associable à l’écologie et aux pays en voie de développement et non plus seulement au capitalisme qui aggrave en partie les difficultés écologiques. Comprendre que le design n’est pas associé à cet ethnocentrisme qui divise, c’est aussi comprendre que la techno-industrie n’est pas qu’une machine massive qui pollue et fonctionne à un rythme effréné. On ne peut plus se permettre de faire une telle dichotomie entre l’artisanat et la technologie étant donné que notre quotidien est façonné de cet environnement dual, l’un n’est pas à diaboliser au profit de l’autre. Tous ces termes sont nuancés et n’ont pas qu’une définition, ne sous-entendent pas qu'une manière de faire, c’est beaucoup plus complexe.

Il y a désormais un lien nouveau qui se crée entre le design, un territoire et ses habitants puisque le design est nourri d’expériences inédites et singulières, ancrées dans une réalité et un contexte différent des habitudes propres à l’occident. C’est donc un apport et un apprentissage qui s’opèrent dans les deux sens de la démarche puisque le design se fait porteur de ces nouvelles leçons retenues sur place mais il apporte également au territoire et ses habitants une nouvelle cohésion comme par exemple dans le projet Polyfloss d'Emile de Visscher, cité précédemment. En introduisant un esprit d'équipe pluridisciplinaire dans le projet, comprenant aussi bien les designers que les locaux, la démarche de projet lie désormais toutes ces personnes et invite à une communication nouvelle, à des comportements solidaires et sources d'innovation. Le design génère une connexion différente entre eux et une vision tout à fait inédite de la créativité. En effet, être ouverts, reconnaître et incorporer les leçons que peuvent nous donner les peuples issus des territoires en déshérence dans le projet revient à les inclure également dans le milieu du design. Le projet se fait passerelle entre une pratique quotidienne et une pratique désormais liée au design.

En s’ouvrant à ces autres cultures et principalement à des cultures qui fonctionnent de façon frugale, on apprend à faire preuve de discernement11 dans tout ce qui nous entoure. Les territoires en déshérence, comme par exemple ceux où vivent les peuples autochtones, sont de véritables régulateurs qui pourraient être la clé d’un équilibre dans la création occidentale. Il y a une alliance indéniable et une collaboration évidente entre nos territoires car nous sommes mutuellement les solutions aux problèmes de l’autre lorsque nous avons besoin par exemple de ne pas nous engager dans les voies superficielles du projet de design. En fait, l’hybridation entre la créativité et les productions de deux territoires différents est source de soulèvement des problématiques et potentielles solutions écologiques et donc de nouveauté par l’existant. Cette alliance valorise et encourage la double conception et production. Or, ce mémoire et le voyage d’étude qui l’a accompagné m’ont permis de me rendre compte que cette ouverture aux autres cultures peut se faire de manières multiples et que chacune d’entre elle influence le type de travail qui pourra y être mené. Un voyage d’observation, comme celui que j’ai effectué auprès des Samis en Laponie suédoise peut être très intéressant dans la démarche car il permet de se confronter à la découverte d’un territoire et de ses habitants, mais il ne constitue pas une mission anthropologique pour autant. C’est exactement cette précision qui aide à comprendre les différentes nuances qui définissent le rapport au territoire. Il peut être abordé de manières radicalement différentes, et pourtant ce sont ces approches qui vont donner la teinte du projet et du récit retranscrit. L’action et les observations retenues ne sont absolument pas similaires entre un projet commandé auquel il faut apporter une réponse et un voyage d’observation duquel on trouvera l’inspiration pour un projet annexe. Ce qui est regardé sur place, les échanges menés avec les locaux, l’investissement, tout diffère et il est important d’en avoir conscience.

Ce qui me semble intéressant dans le propos c’est justement de pouvoir comprendre profondément les peuples qui participent à ce type de projet ainsi que leurs coutumes, l’essence de leur territoire plutôt que leurs habitudes de façade. C’est l’approche anthropologique du design qui donnera cette épaisseur et cette réalité au projet de design. D’ailleurs, c’est en ayant mêlé progressivement l’anthropologie et parfois même l’ethnologie au design dans cette recherche, que le mémoire dans lequel j’ai étayé ces propos m’a permis de me rendre compte de ce qui m’intéressait vraiment. Lorsque j’oscille entre ces deux disciplines, je m’aperçois que finalement ce ne sont pas tant les objets qui m’intéressent que les personnes elles-mêmes et leur territoire, ce qui les mène à la production de ces objets, ces dispositifs, et donc l’anthropologie. Lorsque l’on parle alors d’hybridation entre les pratiques, entre des principes créatifs multiculturels, cela revient inévitablement à parler d’hybridation entre l’anthropologie et le design. C’est grâce à cette alliance que la pratique de design peut aussi devenir un travail de recherche et de création de liens entre des éléments existants plutôt que de création de nouveauté générée aléatoirement. On peut donc tout à fait s’intéresser à des pratiques ancestrales, traditionnelles, ou même contemporaines, espérer une révolution dans le sens d’un retour à un lien réel à notre environnement tout en n’ayant pas une posture passéiste, tout cela peut s’inscrire dans une nouveauté redéfinie.

C'est à partir de ces limites et réflexions rencontrées à la suite du mémoire que j'ai fondé mon sujet de doctorat où je me concentre principalement sur la rencontre transdisciplinaire du design et de l'anthropologie et sur ce que cette association peut apporter d'un point de vue territorial et écologique. Cette thèse est un moyen de faire converger les différents points de vue d’anthropologues qui traitent du design ainsi que de designers traitant d’anthropologie pour en faire émerger un terrain commun, le noyau de la discipline. L'objectif est d’étudier et d’analyser conjointement les points de vue des théoriciens, praticiens, designers et anthropologues qui tentent de définir le fonctionnement de l’alliance de l’anthropologie à la pratique de design. C’est en entrant précisément dans cette enquête qu’il sera possible de saisir l’essence de cette association mais aussi de définir la nature exacte de leur relation. Or, aujourd’hui, on remarque qu’il y a beaucoup plus d’anthropologues qui questionnent les effets du design sur l’anthropologie que l’inverse, il serait donc intéressant de s’y attacher plus précisément. De plus, les premiers ouvrages où les noms d’anthropodesign, anthropologie du design ou encore design anthropologique sont clairement mentionnés ne remontent qu’au début des années 2010 pour la plupart. C’est donc un domaine naissant qui n’est encore pas entièrement délimité. En comprenant le fonctionnement de la discipline-même, il est également pertinent de s’intéresser à la manière dont l’anthropodesign agit sur le territoire auprès de ces designers et anthropologues qui le pratiquent. Réduire le champ d’étude au développement territorial et à l’écologie permettra ainsi de déceler les effets de cette pratique, les méthodes mises en place pour l’exercer mais aussi les conclusions qui ont été émises. Cette alliance disciplinaire pourrait alors en partie être le moyen de montrer et d’assumer la singularité de localités qui composent notre monde global, de faire de cette hétérogénéité une richesse. Finalement, ce domaine naissant peut être à l’origine de connaissances et de manières de procéder inédites qui se doivent d’être par la suite diffusées. Il me semble que cette dimension est d’autant plus importante à traiter que, selon Tim Ingold12, le point commun majeur autour duquel convergent l’anthropologie et le design est la mission d’éducation, de médiation. Le monde entier devient alors lui-même un terrain d’apprentissage singulier qui offre à ses visiteurs la possibilité d’apprendre de ses localités.

Bibliographie

Ouvrages

Papanek, Victor, Design for the Real World : Human Ecology and Social, New York, Ed. Pantheon Books, 1971.

Article

Fétro, Sophie, « Le design comme lieu possible d’une fabrique poétique » dans Objectiver, Saint-Étienne : Cité du design Éditions, 2017

Catalogue d’exposition

Vitra Design Museum, 2018, Victor Papanek : The Politics of Design, Catalogue d’exposition (Weil am Rhein, 29 septembre 2018 au 10 mars 2019), Vienna : Victor J. Papanek Foundation

Thèse & Mémoire

De Visscher Emile, Manufactures Technophaniques, Art et histoire de l’art, PSL Research University, 2018

Mançon Camille, Déshérence Territoriale et Écologie : un retournement des idées préconçues par le design, [Mémoire de master, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne], 2020, Disponible sur :
https://ecm.univ-paris1.fr/nuxeo/nxpath/default/memoires/2020/U04/MRD504/2020\_cmancon%40univ-paris1.fr@view\_documents?tabIds=%3ATAB\_VIEW&conversationId=0NXMAIN1\

Sites Internet

LOW TECH LAB, Frigo du désert, 2019, Disponible sur : https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Frigo\_du\_désert\ (consulté en novembre 2019)

LOW TECH LAB, Nomade des mers, Concarneau, 2015-2021, Disponible sur : https://lowtechlab.org\ (consulté en novembre 2019)

EMILE DE VISSCHER, Polyfloss, Paris, 2018, Disponible sur : https://www.edevisscher.com/poly—-machines.html> (consulté en novembre 2019)

KVA MATx, Portable light, Mexique, 2017, Disponible sur : https://inhabitat.com/design-for-the-other-90- portable-light/?variation=d> (consulté en janvier 2019)

Vidéo

Ingold, Tim, Art and anthropology for a living World [conférence en ligne], Ensad Lab, 29/03/2018 [consultée le 10 février 2020], 1 vidéo, 1h45min
https://www.ensadlab.fr/fr/francais-conference-de-tim-ingold-art-and-anthropology-for-a-living-world-le-29-mars-2018-a-lensad/

Crédit et légendes

Figure 1. Projet Polyfloss à Madagascar, Site internet d’Emile de Visscher rubrique « Polyfloss » © Laboratoire NDAO HANAVAO, The Polyfloss Factory à Antananarivo, avec le soutien de Rubis Mécénat Cultural Funds et Vitogaz Madagascar, crédits photo : Christophe Machet

Figure 2. Projet Frigo du désert à bord du Nomade des mers, Site internet du Low Tech Lab rubrique « Les tutos » © Low Tech Lab

Figure 3. Schéma du projet Frigo du désert, Site internet du Low Tech Lab rubrique « Les tutos » © Low Tech Lab

Figure 4. Maison de tourbe Samie ou « Goahti », Photo personnelle prise à Jukkasjärvi © Camille Mançon


  1. Papanek, Victor, Design pour un monde réel, Paris, Ed. Mercure de France, 1974. 

  2. KVA MATx, Portable light, Mexique, 2017, Disponible sur : https://inhabitat.com/design-for-the-other-90- portable-light/?variation=d>, consulté le 20 octobre 2020. 

  3. Papanek, Victor, Design pour un monde réel, op. cit., p. 208-209. 

  4. Emile de Visscher, Polyfloss, Paris, 2018, Disponible sur :
    https://www.edevisscher.com/>poly—-machines.html> (consulté en novembre 2019) 

  5. Emile de Visscher, Manufactures Technophaniques, thèse en Art et histoire de l’art, PSL Research University, 2018 (non publiée). 

  6. Entretien vidéo mené auprès de Káren-Ann Hurri le 24/03/2020 dans le cadre de mon mémoire, après avoir pris contact avec elle pendant le voyage d’observation à Kiruna, en Laponie suédoise. 

  7. Entretien écrit mené auprès de Louise-Éline Uzu le 20/03/2020 dans le cadre de mon mémoire 

  8. LOW TECH LAB, Nomade des mers, Concarneau, 2015-2021, Disponible sur :
    https://lowtechl lab.org, consulté le 20 octobre 2020. 

  9. Entretien téléphonique mené auprès de Pierre-Alain Lévêque le 30/03/2020 dans le cadre du mémoire 

  10. LOW TECH LAB, Frigo du désert, 2019, Disponible sur :
    https://wiki.lowtechlab.org/wiki/Frigo\_du\_désert, consulté le 20 octobre 2020. 

  11. Voir à ce sujet la contribution de Sophie Fétro à l'ouvrage Objectiver où elle soutient l’arrêt de l’injonction à produire, Fétro, Sophie. « Le design comme lieu possible d’une fabrique poétique » dans Objectiver, 2017, p. 149-150. 

  12. Ingold, Tim, Art and anthropology for a living World [conférence en ligne], Ensad Lab, 29/03/2018 [consultée le 10 février 2020], 1 vidéo, 1h45min