Vers des usages dégradés désirables : nouveaux imaginaires du design d’interaction
Marie-Julie Catoir Brisson, Nicolas Chauveau

Marie-Julie CATOIR-BRISSON, professeure associée, département communication et culture, Audencia BS, Nantes. mjcatoirbrisson@audencia.com

Nicolas CHAUVEAU, designer, agence Entreautre, Montpellier. nc@entreautre.fr

Résumé
La sobriété numérique se déploie dans de nombreux projets qui s'appuient sur l'éco-conception ou la réutilisation de déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE). Ces projets ouvrent la voie à un imaginaire de la technologie qui questionne l'acceptabilité d'objets de moindre confort. Ainsi, dans quelles mesures se transforme notre relation aux objets et services numériques ? Comment continuer à faire du design et cultiver la désirabilité avec des ressources limitées ? Qu'est ce qui constitue un usage dégradé désirable – où le peu s'envisage comme une contrainte créative ? Pour répondre à ce questionnement, notre analyse du corpus de projets démontre la contribution du design pour faire émerger d'autres trajectoires culturelles de la technologie par la pratique, nous conduisant à définir des usages dégradés désirables.

Abstract
Digital sobriety is deployed in many projects that rely on eco-design or reuse of e-waste (wasted electrical and electronic equipment). These projects pave the way for an imaginary of technology that questions the acceptability of less comfortable objects. So, how is our relationship to digital objects and services transformed ? How do we continue to design and cultivate desirability with limited resources ? What constitutes desirable degradation – where little is seen as a creative constraint ? To answer this question, our analysis of the corpus of projects demonstrates the contribution of design to bringing out other cultural trajectories of technology through practice, leading us to define desirable degraded uses.

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1. Introduction

Dans le contexte actuel des crises économiques, sociales et environnementales, de nombreux travaux de recherche et projets de design d'objets et services numériques promeuvent une sobriété de consommation et de production. Ces projets s'appuient sur des pratiques telles que l'éco-conception ou la réutilisation de déchets. En même temps, une réflexion critique sur la low-tech émerge1 pour penser un champ de réflexion et de conception qui cherche à se différencier du design industriel2. Il cherche aussi à se questionner sur l'acceptabilité d'objets de moindre confort encouragée par l'industrie3 : en cela, il développe une perspective critique sur une vision de la technologie orientée vers un progrès infini, pour en imaginer une autre, ancrée dans un futur plus contraignant sur le plan des ressources4.

Dans le champ du design numérique, l'heure est à la prise de conscience : l'impact de nos usages numériques est grandissant, et la production des équipements physiques (hardware) est une des sources majeures de la pollution engendrée par cette industrie5. La collecte et le recyclage des déchets d'équipements électriques et électroniques (DEEE), très majoritairement ménagers et non professionnels, se développe. Mais les broyats, fruits du recyclage ne seront pas injectables dans une nouvelle production : à de multiples niveaux, l'industrie high-tech n'est pas encore à la hauteur des enjeux écologiques.

Selon nous, ces enjeux imposent des limitations aux concepteurs (sobriété numérique, moyens technologiques réduits et basés sur le déjà-là), et chacune de nos interactions quotidiennes correspond à un niveau de confort et de plaisir esthétique qui peut se voir amoindri ou déplacé. Nous nous intéressons au confort d'usage en particulier, c'est-à-dire au confort tel qu'il peut être perçu par l'usager. Dans cette perspective, le confort peut se définir à partir de quatre caractéristiques6, à savoir : « (1) le confort matériel, lié à la satisfaction des besoins primaires et matériels ; (2) le confort esthétique, subjectif et qui dépend des perceptions individuelles ; (3) le confort social qui correspond à un équilibre entre le besoin d'être avec les autres et le besoin d'intimité ; et (4) le confort de conformité qui marque l'appartenance à un groupe social donné7. » Nous proposons ainsi de questionner les impératifs de confort promus pour les équipements électriques et électroniques de grande consommation pour envisager d'autres pratiques de conception.

En considérant les limites de ressources et de matériaux, on peut s'intéresser aux pratiques du design du peu comme choix de conception, qui invitent à mettre en perspective les pratiques contemporaines de la sobriété numérique avec celles de l'innovation frugale8 et de l'innovation sociale9.

Au regard de ces enjeux, notre problématique est la suivante : dans quelles mesures se transforme notre relation aux objets et services numériques, lorsqu'ils sont ancrés dans la sobriété et basés sur la réutilisation ? Comment continuer à faire du design et cultiver la désirabilité avec des ressources limitées ? Qu'est ce qui constitue un usage dégradé acceptable, souhaitable, voire désirable – où le peu s'envisage comme une contrainte créative ?

Nous proposons tout d'abord de traiter ce questionnement sur la manière dont on peut passer du design du peu subi à un design du peu choisi et assumé : nous partirons d'une réflexion théorique mettant en perspective les concepts de low-tech10 et de sobriété numérique avec ceux de « numériques situés11 » et de « contre-faire12 » numérique, en les resituant plus globalement dans les travaux sur les imaginaires des innovations techniques13. Nous proposons ensuite d'analyser un corpus de créations manifestes en art et design et d'explorer des projets réalisés avec des étudiants pour démontrer la contribution du design à la recherche sur les techno-médias alternatifs14. Cette analyse montrera la possibilité d'autres trajectoires culturelles de la technologie par la pratique, l'expérimentation de situations d'usage, dont les livrables et objets intermédiaires peuvent être analysés comme des données probantes de recherche. Les propositions alternatives contribuent aussi à développer de nouveaux imaginaires du design d'interaction et de la relation aux objets et services numériques. D'autre part, il s'agit aussi de proposer des pistes de recherche sur des usages dégradés, liés en particulier à la pratique de l'écoute de musique en streaming, et incarnés dans des situations d'usage par le design fiction. Dans la troisième partie, la discussion se focalise sur les thèmes saillants de l'analyse, à savoir : le confort d'usage, la confiance ou encore la désirabilité de ces objets et services issus du design du peu.

2. Design low-tech et sobriété numérique : nouveaux imaginaires et cultures de conception

Présentons tout d'abord le cadre théorique de notre réflexion sur le design numérique low-tech, en particulier les concepts de contre-faire numérique15 et de numériques situés16 au regard des travaux sur les imaginaires des innovations techniques17. Ces différents concepts mobilisés ont été articulés à une pratique de projet que nous développerons dans la deuxième partie.

2.1 Low-tech et sobriété numérique

De nombreuses réalisations en design numérique se réclament d'une démarche dite low-tech, malgré la diversité des pratiques qu'elle regroupe. C'est pourquoi il semble pertinent de le resituer dans une réflexion sur les imaginaires des techno-médias alternatifs18. S'il existe plusieurs définitions du terme, on peut distinguer deux définitions. La low-tech désigne des « technologies sobres, agiles, durables, résilientes 19.» Mais le terme est aussi utilisé pour qualifier une méthode de « conception raisonnée, résiliente et accessible de la technologie20. » Trois principes caractérisent cette approche, qui concerne à la fois la conception d'objets, systèmes, services : une économie à la source, une conception durable et une production respectueuse de l'humain et de l'environnement. En ce sens, la low-tech ouvre la voie à un changement de culture technique, et de rapport entre humain, machine et environnement : elle implique de modifier la stratégie de production à partir de ressources plus durables et d'envisager dès la conception la maintenance de l'objet ou du service, en mettant à disposition en libre accès les outils et connaissances nécessaires21.

C'est aussi un paradigme de conception qui passe de l'expert au citoyen, de la logique de cycle de vie court du produit à une logique de conception qui anticipe la réparation en autonomie et le recyclage avec tout un écosystème de services et acteurs en réseau22 (de la production à la consommation, en passant par le transport, la distribution et le recyclage avec de multiples acteurs de la chaîne de vie du produit ou service). D'un point de vue interculturel, ce mouvement naissant dans les pays occidentaux s'inspire aussi de pratiques d'innovation frugale23 développées dans les pays émergents comme des formes de négociations avec la modernité capitaliste.

Au-delà de ces éléments contemporains de définition, le terme low-tech renvoie à d'autres concepts plus anciens, comme ceux d'outils conviviaux24 ou encore de technologies appropriées25. Et les pratiques de conception qu'il promeut s'inscrivent dans le prolongement des courants de l'open source et du DIY26. Elles sont associées à la culture individuelle du libre, de la fabrique « faite-maison ». Dans le contexte de la culture des fablabs et des makers, la low-tech propose un rapport à la technologie visant à ouvrir la boîte noire27 en faisant par soi-même des objets pour comprendre comment ils fonctionnent, offrant ainsi un pouvoir d'action et de contre-culture aux citoyens par rapport aux spécialistes des technologies numériques (ingénieurs, informaticiens, industriels). Enfin, elle est souvent associée à des usages singuliers, ancrés dans des pratiques locales, en opposition à l'uniformisation de la culture de la conception industrielle. C'est à ce niveau qu'il semble pertinent de s'interroger sur ce que signifie le terme « tech », en resituant la technologie dans une réflexion plus large sur la technique comme fait culturel28 ou encore une expression culturelle intégrant une vision du monde dès sa genèse29 pour démontrer que le développement des low-techs s'inscrit dans des valeurs, qu'il faut identifier dans chaque projet. En effet, chaque innovation technique s'inscrit dans des trajectoires, et est soumise à des choix culturels30 : la multiplicité des types de projets qui relèvent des low-techs demande une étude approfondie visant à classer les différentes initiatives pour les catégoriser selon leurs objectifs. La trajectoire sociale qui se dessine avec cette approche, c'est-à-dire la vision du monde et du rapport à l'autre qui est proposée, doit être finement étudiée pour comprendre les imaginaires du design d'interaction qui y sont rattachés. C'est pourquoi le terme low-tech nous semble imprécis, l'usage d'un anglicisme participant de la dilution de ce concept assez flou31.

Un autre terme souvent mobilisé est celui de « sobriété numérique », mentionné pour la première fois en 2008 dans la communauté GreenIT.fr32, pour questionner les dimensions sociale, sociétale et environnementale du numérique, dans l'objectif de concevoir des services numériques plus sobres et modérer les usages.

La sobriété numérique concerne à la fois les composants, la consommation d'énergie nécessaire, l'impact carbone ou encore celui des data centers dans l'environnement dans lesquels ils s'inscrivent. C'est aussi dans le contexte de la transition énergétique que la réflexion sur la sobriété numérique se développe, faisant apparaître une contradiction entre la trajectoire des technologies numériques aujourd'hui – responsables de 3,7% des émissions de CO2 mondiales33 – et les accords internationaux sur le climat, notamment en Europe (accord de Paris sur le climat en 2015). La sobriété numérique est liée à une réflexion plus large sur la responsabilité et la soutenabilité en matière de conception, mais elle concerne aussi les usages et particulièrement les usagers du numérique : « La sobriété numérique vise à rendre le système numérique résilient : le but est de créer un cadre qui génère des usages compatibles avec les limites et les ressources34. » Deux moyens d'action sont mobilisés : la réglementation légale et le design de systèmes qui génèrent des usages sobres. Ce qui signifie qu'au-delà des efforts individuels de chaque usager, c'est aussi tout le champ du design qu'il faut repenser. Cela implique donc un changement de paradigme dans la conception numérique, impliquant de prendre en compte les ressources nécessaires et disponibles ainsi que la pérennité des systèmes dès le début de la conception. Ce changement concerne à la fois un système technique comme un système d'usage, impliquant un changement dans les comportements individuels et collectifs. La sobriété numérique s'inscrit ainsi dans la démarche du numérique responsable qui concerne à la fois l'empreinte économique, écologique, sociale et sociétale. Si cette appellation est plus précise, elle correspond surtout à une dimension technique prenant la forme d'une liste de recommandations. Par exemple, dans le manifeste polémique d'UbuWeb35, cette notion est incarnée dans une série de principes de conception que chaque concepteur peut s'approprier pour les intégrer dans sa démarche.

Néanmoins, cette sobriété de la conception est potentiellement en contradiction avec le confort d'usage visé par les concepteurs (designers, architectes, ingénieurs...) ou recherché par les usagers. Dans les discours promotionnels qui accompagnent les objets techniques, électroniques ou numériques, l'idée dominante de ce qui constitue un confort d'usage optimal correspond souvent à une grande connectivité, de nombreux automatismes, des systèmes de détection, une grande portabilité et autonomie... voire tout en même temps. Ces discours sous-tendent une conceptualisation particulière de l'affordance dans laquelle l'objet technique ne nécessite pas d'apprentissage par l'usager. Sur le plan esthétique, la miniaturisation, la personnalisation et une esthétique attractive sont fréquemment cités comme des critères de désirabilité à la base du design émotionnel36 (Norman, 2012). Or ces fonctionnalités et qualités nécessitent des technologies et des matériaux coûteux en énergie et en ressources (par exemple, la production de composants miniaturisés utilise des terres rares garantissant leur performance, aujourd'hui impossibles à séparer en fin de vie).

En 1996, l'informatique ubiquitaire annonçait déjà une « technologie calme37» où les machines autonomes réaliseraient des actions sans qu'aucun opérateur humain n'ait à actionner des commandes, en s'appuyant sur la programmation et la captation de données. Par la programmation, la machine peut déclencher des actions sans commande de l'utilisateur. La technologie rendrait donc l'usage plus « simple », ce qui est présenté comme un confort dans les discours accompagnateurs. Si certains utilisateurs accueillent cette simplicité, d'autres sont face à des machines autonomes réalisant les actions « seules », et ne comprennent pas pourquoi ces processus s'enclenchent ni comment les stopper. Ils peuvent se sentir dépossédés et dans une position d'inconfort.

C'est par exemple ce que les designers du Collectif BAM38 entendent traiter en priorité : « les situations cruciales où l'on se laisse faire non par choix mais par défaut ou par manque de moyen de se conduire de façon autonome. Ainsi des pratiques numériques et écologiques sont globalement incontrôlables par manque d'outils, d'options et d'informations. »

Les objets électriques et électroniques ont cela de particulier que la vision dominante du progrès39 les envisage comme devant devenir de plus en plus automatiques : les usagers leur donnent et attendent d'eux une capacité d'action grandissante, pour plus de confort ou de commodité. Ce mouvement a pour conséquence de dissimuler des connaissances, d'enlever de la compétence, et de déresponsabiliser : « L'automatisme équivaut à une fermeture, à une sorte d'autosuffisance fonctionnelle qui exile l'homme dans l'irresponsabilité du simple spectateur40.» Cette déresponsabilisation s'accompagne d'une forme de capacité amoindrie à comprendre comment ces objets fonctionnent, limitant de fait leur potentiel de réparabilité.

Dans ce contexte, la sobriété numérique est une alternative technique ouvrant la voie à un changement de paradigme dans le design d'interaction, pour proposer une autre expérience que celle des technologies actuelles basées sur l'automatisation, la connectivité, ou encore la performance technique.

Deux concepts, celui de « contre-faire numérique » et celui de « numérique situé », nous ont semblé particulièrement pertinents pour englober les multiples dimensions du changement culturel dans les cultures de conception numérique et déployer de nouveaux imaginaires du design d'interaction.

2.2 Du contre-faire numérique aux numériques situés

Le premier est celui de contre-faire numérique41. Il désigne une orientation de la conception qui émerge en réaction à l'hégémonie des GAFAM et à leur vision du monde, incarnée par le développement des objets connectés, de l'informatique ubiquitaire et du transhumanisme, qui offrent la promesse d'une mutation de l'humain. Il semble pertinent de « pointer l'anthropologie compétitive qui sous-tend le techno-récit du transhumanisme entre les humains et les non-humains » pour proposer un contre-faire numérique, « au sens de faire autrement un nouveau monde connecté »42. Cette pratique est liée à un « engagement associatif qui, plutôt que d'abonder sous un jour critique dans la description de controverses, cherche à forger sur le terrain des formes de vie acceptables suivant une anthropologie symétrique entre humains et non-humains en réseau43 ». Cette perspective de recherche en action située dans la cité nous semble particulièrement pertinente à mobiliser pour développer des formes d'encapacitation, entendue comme la mise en capacité des citoyens de traiter leurs propres données, et d'émancipation des citoyens, usagers du numérique, impliqués dans des recherches participatives.

Le deuxième est celui de numérique situé44 qui a l'avantage de ne pas opposer de manière binaire low-tech et high-tech pour décrire plus justement le « continuum multiples » de matériaux, composants ou techniques provenant de différentes périodes de l'histoire des médias numériques. Ce concept décrit ainsi « les phénomènes et les enjeux traversant la pratique du design dans le cadre de la crise environnementale au travers de trois dimensions » qui sont : la « matérialisation » des matériaux et infrastructures mobilisés, la « territorialisation », correspondant aux territoires dans lesquels s'inscrivent les services numériques, et la « terrestrialisation », incluant les impacts écologiques globaux de ces services. L'intérêt du cadre théorique que propose le numérique situé est que « l'imaginaire de la sobriété numérique ne se cantonne pas à une absence de considérations symboliques ou esthétiques45.» De cette manière, les enjeux contemporains du design d'interaction croisent ceux du transition design46 en positionnant des impératifs de conception qui anticipent des usages de réparabilité et durabilité.

Dans une perspective de réflexion prospective, le design fiction nous semble aussi pertinent pour développer de nouveaux imaginaires et cultures de la conception47 permettant d'envisager un futur souhaitable à défaut d'être désirable. Au-delà d'une approche binaire entre anciens et nouveaux médias, il est intéressant d'étudier, dans une perspective intermédiale48 (Catoir, 2011), la diversité des imaginaires et pratiques low-tech qui ne cessent de se réinventer en s'inspirant « du passé et de ses mondes techniques, pour le revisiter et le réinterpréter au gré de la créativité des acteurs et de modes de réappropriation plus sophistiqués49.» Ces technologies zombies50 et pratiques hybrides de conception, portées par des acteurs aux compétences diversifiées (artistes, artisans électroniques, makers, amateurs, designers etc.) ouvrent la voie à des formes multiples d'inventions51 qui permettent d'entrevoir un autre monde connecté. Elles répondent à un impératif d'« élargissement des imaginaires et des paradigmes de conception [qui] doit être opéré de façon urgente face à la crise environnementale, par-delà les ordres de discours, les dépendances de sentiers et les jeux de pouvoir52. »

La force du design réside justement dans la capacité d'imaginer d'autres trajectoires de la relation entre les objets numériques, les usagers et leurs environnements écologiques, sociaux et informationnels. Par la pratique du projet basée sur des expériences d'usage et le recours à la narration, notamment dans sa dimension prospective, le design permet de projeter la conception de services numériques dans une optique de durabilité et/ou de réparabilité. De plus, en proposant aux usagers une réparabilité anticipée dès la conception, le design peut aussi rendre tangible le fonctionnement et les interactions avec ces objets et services.

Nous proposons dans la deuxième partie d'explorer davantage ces pratiques à travers l'analyse de quelques projets, et d'ouvrir la réflexion sur les questions de désirabilité, de confort et d'esthétique.

3. Explorer le design du peu en action : analyse de corpus en art et design

L'art et le design contribuent à développer de nouveaux imaginaires de la relation aux objets numériques et technologiques, ancrés dans la sobriété et basés sur le réemploi, mais quel niveau de radicalité et quel niveau de désirabilité sont envisagés ? Nous proposons de traiter ce questionnement à partir de l'analyse de différentes initiatives contemporaines, catégorisées en deux corpus distincts.

3.1 Présentation des projets sélectionnés

Le premier corpus comprend des projets ou des œuvres incarnant l'esprit du temps53 de notre époque contemporaine, qui ont notamment marqué l'actualité dans leur domaine. Cet ensemble de réalisations d'artistes et designers promeut la sobriété numérique de multiples façons et intègre parfois des pratiques de réutilisation. Le second corpus regroupe des projets basés sur la réutilisation et réalisés par une communauté de makers, designers, amateurs, étudiants en design, visant tous des objets fonctionnels et éventuellement reproductibles par chacun grâce à des ressources en libre accès.

Ces deux corpus ont en commun de proposer des interactions, des caractéristiques esthétiques et/ou de confort d'usage différentes de ceux des objets issus de l'industrie actuelle. Ils se présentent comme des propositions de nouvelles trajectoires culturelles de la relation avec les objets technologiques, dans lesquels le design du peu est une démarche assumée.

Notre analyse vise à mettre en relief la manière dont la relation aux objets se transforme quand leur conception s'appuie sur la réutilisation comme contrainte créative, et qu'ils proposent une esthétique de l'assemblage, de la réparabilité et un autre rapport à l'idée dominante du confort. Une analyse approfondie du deuxième corpus sera réalisée, visant à identifier ce qui est dégradé et ce qui est amélioré, selon les concepteurs, en termes d'expérience d'usage et d'autonomie.

3.2 Des projets manifestes d'une sobriété technologique : analyses de corpus

Le corpus #1 met en lumière les impératifs environnementaux qui émergent pour les concepteurs d'objets électriques et électroniques, les artistes et les usagers de ces technologies. Les projets sélectionnés, résultant d'une mise en commun de nos veilles respectives, ont été choisis pour leur saillance au regard de notre problématique.

Dans le domaine de la création artistique et musicale, deux artistes nous ont interpellé en particulier : Filipe Vilas-Boas et Pantha Du Prince. Le premier est un artiste franco-portuguais vivant à Paris, dont la démarche s'appuie sur la récupération, le détournement d'anciens et de nouveaux médias. Son œuvre se présente comme une critique des nouvelles technologies devenues omniprésentes et des géants du numérique. Par exemple, l'installation Casino Las Datas, réalisée en collaboration avec Sylvia Fredriksson et Albertine Meunier en 2017, est proposée comme support d'une « prise de conscience collective54 » et s'incarne dans un dispositif ludique : une machine à sous. Plus le joueur accepte de livrer ses données personnelles, plus il gagne de jetons, sans pouvoir les transformer en argent.


Fig. 1 : Projet Casino Las Datas, Albertine Meunier, Filipe Vilas-Boas, Sylvia Fredriksson, 201755.

En rendant tangible l'espace du web par ce dispositif ludique emprunté à l'univers du casino, l'installation constitue un manifeste interrogeant le traitement des données personnelles. Dans le domaine de la création musicale, certains artistes s'inscrivent aussi dans l'art du peu, comme Pantha Du Prince, artiste allemand issu de la scène électronique minimaliste. Il recourt à des sons mixtes, électroniques mais aussi organiques, dont l'enregistrement s'est fait de manière analogique, et non numérique, comme dans son album Conference of Trees, sorti en 2020. Au-delà de la dimension matérielle de la sobriété numérique, la dimension symbolique de la low-tech est inspirante au plan esthétique pour cet artiste. Elle est associée dans sa vie quotidienne à une démarche d'auto-production, basée sur une vie en communauté en auto-suffisance.

Ces deux exemples ont une valeur heuristique : ils cristallisent une sensibilité artistique à la problématique de la sobriété numérique, qui interpelle aussi de plus en plus les spectateurs et usagers de notre monde contemporain.

Dans le domaine du design de mobilier et du design numérique, notre sélection se focalise sur la manifestation d'une volonté commune de s'appuyer sur la réutilisation. Dans le champ du design de mobilier, Ore Streams56 (Studio FormaFantasma57) vise à souligner les qualités esthétiques d'éléments considérés comme déchets. Les designers ont créé un ensemble de pièces (chaises, bureau, casiers, etc.) inscrit dans les codes du mobilier de standing, mais constitués d'éléments issus de DEEE58 Les surfaces sont formées d'anciens carénages usinés, et certains détails soulignent l'origine de ces matériaux (grilles d'aérations, composants, boutons). Le projet se veut manifeste, afin de sensibiliser à la question des ressources, des métaux rares. Même s'il s'appuie sur des techniques de mise en œuvre artisanales et n'est pas destiné à une production en série, il démontre le rôle du design dans la transformation des DEEE en produits désirables.

Dans une démarche proche, le projet Mahjouba Initiative59, porté par Eric Van Hove et soutenu par l'atelier Luma à Arles, se caractérise par la volonté d'hybrider l'artisanat et l'industrie moderne pour créer des véhicules électriques légers. En développant un prototype à partir du châssis open source du Renault Twizy60, et d'une carrosserie en métal réalisée selon des techniques artisanales marocaines, Mahjouba Initiative questionne les modèles de production centralisés : il donne à voir ce que seraient des objets considérées comme « technologiques » (ici, un véhicule électrique) fabriqués autant par des artisans que par des imprimantes 3D.

Dans le design numérique, des smartphones minimaux ont vu le jour, et constituent des propositions alternatives aux modes de production et de consommation hégémoniques au sens de la théorie gramscienne61. Par exemple, ils proposent d'alléger la charge cognitive, par des graphismes minimaux et des fonctions réduites, comme dans les interfaces de Lightphone62 et de Mudita Pure63, affichées en bichromie via des écrans e-ink. Cette sobriété doit permettre à l'utilisateur de se concentrer sur l'essentiel, de ne pas gaspiller son attention – une promesse clarifiée par Mudita sur son site : Minimalistic design for simple living. Dans d'autres cas, comme ceux du Fairphone64 ou du Projet ARA65, leur conception technique et leur modularité les rendent réparables et augmentables facilement, en interchangeant des blocs fonctionnels plutôt que de remplacer l'objet entier – l'autonomie de l'utilisateur dans ce processus étant visée. Cette conception de la réparabilité induit des spécificités formelles qui ne sont cependant pas considérées de façon égale : d'un côté, le fait d'avoir des blocs fonctionnels séparés est accentué par la coque transparente du Fairphone 3, et forme un jeu graphique emblématique pour le Projet ARA. D'un autre côté, les volumes plus importants à gérer sont considérés comme un inconfort – les concepteurs visant un encombrement similaire à celui d'un smartphone classique.


Fig. 2 : Projet ARA, Google ATAP, 201666.

En s'appuyant sur les qualités esthétiques de leurs composants physiques (Fairphone, Mudita, Lightphone, Ore Streams) ou en faisant ressortir le processus de leur fabrication (Mahjouba) et la dimension modulaire et personnalisable (Projet ARA, Fairphone), ces projets ont en commun de valoriser la matérialité de leur fabrication, et de l'ériger en idéal de désirabilité. Les matériaux et formes soulignant ces caractéristiques sont des marges de manœuvre pour le design.

En revanche, la taille réduite des objets, leur capacité de mobilité sont considérés comme des conforts primordiaux à maintenir. Ils peuvent faire « moins de choses » (Mudita, Lightphone, Mahjouba) et voir leur confort d'usage réduit en termes de fonctions, mais ne sont pas envisagés plus gros, encombrants : or si le volume d'un objet peut sembler proportionnel à sa simplicité, à sa sobriété, c'est en réalité l'inverse en terme de bilan énergétique (la miniaturisation étant plus impactante).

Le corpus #2 regroupe des projets pour lesquels la réutilisation de DEEE est au cœur de la démarche. Ils s'inscrivent dans une démarche de design, non associée à une échelle industrielle. Les objets sont envisagés comme étant reproductibles par chacun grâce à des ressources en libre accès. Nous nous intéresserons tout d'abord aux projets de designers et amateurs, avant de focaliser notre analyse sur ceux réalisés par des étudiants en design dans un cadre universitaire.

Trois projets de designers français nous semblent pertinents à mettre en perspective autour de la réutilisation de DEEE pour créer de nouveaux objets. La cafetière conçue en 2020 par les designers de l'agence Entreautre67, en collaboration avec Bold68 et le 8Fablab69, est un objet manifeste d'une exploration plus large visant à valoriser les objets jetés, considérés obsolètes bien que la plupart des éléments qu'ils contiennent fonctionnent encore. Les designers s\'attachent à la réutilisation de ces éléments, initialement destinés au recyclage. Avec l'hétérogénéité de ces composants, un langage formel se développe, basé sur une architecture produit modulable et évolutive. Les solutions trouvées sont envisagées à l'échelle locale et de manière à pouvoir être répliquées : la fabrication additive et la découpe de plaques de plastique recyclé composent les parties structurantes et la coque. La production pourrait ainsi s'appuyer sur la Fab Unit70 (http://www.fabunit.fr/) un atelier de fabrication de petites séries principalement destiné au local et basé sur un modèle d'économie circulaire, auquel l'agence est associée.


Fig. 3 : Cafetière, Désirer ce qui est jeté, Agence Entreautre, 202071.

Dans la même dynamique, le designer Tom Hébrard soulevait en 2016, à travers une cafetière en kit, de « faire savoir » les enjeux liés aux DEEE (production, interopérabilité, réparation, distribution, entretien) afin d'invoquer « de nouvelles manières de vivre avec nos objets72 ». Ici, aucun carénage ne vient masquer ou protéger les mécanismes, dont chaque pièce est visible.

Last rescue (Étrange Ordinaire)73 avait lui aussi pour objectif, en 2012, de s'emparer de cette ressource afin de concevoir de nouveaux objets. Les designers ont mis au point un kit permettant de construire soi-même un poste audio nomade et rechargeable sur USB, où l'ensemble des éléments sont issus de la réutilisation. Pour cela, Last rescue sollicite deux services déjà existants chez Emmaüs : les compagnons en charge du tri des déchets et l'atelier électrotechnique qui s'occupe de la réparation des machines. Le packaging, lui aussi issu de la réutilisation de matériaux a un double usage. Il contient les composants et la notice de montage, et à la suite de découpes et de pliages pré-tracés, sert de boîtier à l'enceinte.


Fig. 4 : Last Rescue, Étrange Ordinaire, 201774.

Ensuite, plusieurs initiatives, inscrites davantage dans la pratique de makers, font le choix de privilégier la low-tech, en cherchant des débouchés à de vieux ordinateurs, câbles, moteurs pas-à-pas, etc. Ces projets, fréquemment amateurs, s'inscrivent dans une communauté mondiale de ressources en réseaux. Au Togo, Kodjo Afate Gnikou a conçu l'imprimante 3D W.Afate75, à partir de matériaux disponibles sur le territoire togolais : les DEEE issus des décharges de Lomé. Au Royaume-Uni, Neil Lambeth propose de réutiliser les ordinateurs portables d'une école, fréquemment abîmés, en les démantelant et en les réinstallant au sein d'une configuration fixe, le X-PC76. Cette nouvelle machine adaptée aux usages de l'école, est entièrement documentée et disponible en open source.

Plus massivement, des centaines de vidéos, parfois issues de chaînes Youtube de makers comme celles DIY Perks77 ou de Daniele Tartaglia78, ont pour but de faire la preuve de la faisabilité technique de la réutilisation d'éléments issus des déchets. En cela ils soulignent la valeur d'usage qui réside dans les DEEE. Les vidéos produites sont généralement sans trucage, le pas à pas est la preuve de cette faisabilité. Les objets présentés n'ont pas vocation à être développés en série – les contraintes de temps, de prix n'étant pas intégrées. La production envisagée est nécessairement décentralisée (appuyée sur le DIY, le réseau, les fablabs, etc.) et se diffuse aussi sur les chaînes YouTube pour être largement partagée à l'international.

Pour les objets de ce corpus, les processus de fabrication et d'assemblage sont généralement apparents et même soulignés : l'objet invite à être ouvert, démonté – il a d'ailleurs souvent été assemblé par l'utilisateur. Selon la formule de Tom Hébrard, ce sont « des objets qui se racontent79 ». Ils promeuvent le passage d'un design du peu par nécessité à un design du peu comme choix de conception. Ils sont initiés par des amateurs qui valorisent, par ce biais, leur créativité ordinaire80 au sens de Michel De Certeau, en s'appuyant sur leur propre inventivité dans leur vie quotidienne, pour participer à une communauté de valeurs et de pratiques à l'échelle locale et globale, notamment via la diffusion sur le web.

Dans une perspective comparable visant à explorer le champ des possibles, nous nous intéressons enfin à des objets conçus en 2020 par des étudiants en design, lors d'un atelier s'inscrivant dans le cadre d'une recherche au sein du Laboratoire PROJEKT de l'université de Nîmes. Le sujet était le suivant : « En 2030, l'extraction de métaux rares a été limitée, et fabriquer de nouveaux composants électroniques est devenu trop coûteux. Les écrans high-tech et fragiles, fabriqués dans les années 2010-2020, sont hors d'usage. Malgré ces contraintes, vous concevrez un dispositif permettant d'écouter, de partager de la musique au format numérique81. » Il s'agissait donc d'amener les étudiants à se questionner sur l'acceptabilité d'objets « de moindre confort », et à développer une réflexion critique sur la vision hégémonique fondée sur l'idée d'un progrès linéaire. Les limitations imposées (conception sans écrans, moyens technologiques réduits, et basés sur le déjà-là) constituaient un défi pour les étudiants, contrastant avec l'usage proposé – les aidant à se projeter à partir d'une pratique quotidienne liée au plaisir esthétique.

À partir de ces contraintes, plusieurs intentions de conception ont été proposées par six équipes d'étudiants.

Le premier projet, intitulé Streamix82 correspond à une machine connectée à un flux de musique en streaming. Les seuls contrôles proposés sont une série de potentiomètres analogiques, correspondant chacun à un style musical. En réglant un potentiomètre, on module le dosage de titres du style correspondant dans le flux. Quelques boutons physiques permettent de skipper (passer) un morceau, de liker (aimer) et d'indiquer au système une préférence.

Stopwatch83 réutilise un chronomètre électronique, objet emblématique des années 90. Son statut d'objet mobile et son boîtier résistant sont les points de départ d'une conception contrainte : sa coque va accueillir des composants communs (connexion réseau, mémoire flash) permettant de diffuser de la musique en streaming. Ici aussi, les fonctions sont limitées au skip et au like. Des composants de connexion locale (Bluetooth) sont réutilisés, permettant de partager des morceaux dans un rayon d'une dizaine de mètres.


Fig. 5 : Projet Streamix, par Claire-Marie Bachelez, Victoire Bruna, Jeannette Guerin, Anissa Sahli, 202084.

Avec Shakesong85, des vibreurs et des potentiomètres sont utilisés conjointement afin de fabriquer une enceinte vibrante. En tournant les sections de l'objet, les différentes pistes d'un morceau peuvent être jouées plus ou moins fort, offrant la possibilité de comprendre les composantes instrumentales dans une dimension tactile et sensible.

La dimension sociale est présente, et même centrale, dans le projet d'enceinte connectée BIOM86 : les utilisateurs peuvent se connecter en même temps à l'enceinte, jouer tour à tour des morceaux à partir de leur appareil personnel (lecteur MP3, etc.), dans une forme de battle incarnée graphiquement via une matrice de LED. Chacun peut aussi liker les morceaux joués par les autres – ce qui aura pour effet d'ajouter ce morceau à leur propre appareil – et piloter l'appareil via une click wheel (molette cliquable) glanée sur un iPod.

La musique est moins centrale dans MusicoLED87, appuyé sur un système de LEDs connectées, dont les couleurs seraient mappées sur celles mesurées au fil des clips vidéos des morceaux. Il s'agira à la fois d'affirmer son identité musicale, à travers un objet de mode, et de redonner à voir, dans une forme très synthétique, des clips difficiles à revoir étant donné la pénurie d'écrans.

Enfin, Maker Pod88 reprend à son compte les principes du DIY, en imaginant un système d'objets en open source pour un monde où le partage de musique s'affranchirait du réseau mobile – les échanges s'appuyant sur des clés USB, des cartes SD, de la mémoire flash, et des écrans LCD réutilisés au niveau local.


Fig. 6 : Projet Maker Pod, par Sarra Badi, Selen Canales-Vasquez, Oussama Fatmi, Joseph Mbetiyanga, 202089.

Pour synthétiser notre analyse et mettre en perspective ces six réalisations, nous proposons de reprendre les trois niveaux d'analyse du concept de numérique situé90 qui a été mobilisé pendant l'atelier avec les étudiants en design, pour les amener à approfondir leurs choix de conception.


Tableau 1 : Les trois niveaux du numérique situé (matérialisation, territorialisation, terrestrialisation) adaptés de Nova, Roussilhe (2020) intégrant les dimensions esthétique et symbolique.

Bien que l'ensemble du corpus #2 s'appuie sur la réutilisation d'éléments issus de déchets, des positionnements différents émergent : les premiers ont pour objectif de revendiquer l'origine « non noble » de leur composants, en les rendant visibles, réparables, procurant à l'objet une dimension critique vis-à-vis du modèle industriel dominant (Cafetières, Last Rescue, Maker Pod). Pour les autres projets, la réutilisation de composants issus de déchets n'est pas soulignée de façon explicite, elle ne constitue pas un aspect singulier de l'histoire de l'objet. Cela ouvre la perspective d'une forme de normalité pour la réutilisation, et pour en mesurer les enjeux, nous proposons dans la troisième partie une discussion sur le design du peu comme une pratique de conception alternative. L'analyse approfondie de ces projets servira de base à la discussion, proposée dans cette troisième et dernière partie.

4. Vers des usages dégradés : le design du peu comme culture alternative de conception

Nous proposons maintenant de dégager les thèmes transversaux aux différents corpus, en particulier à partir des projets analysés dans le deuxième corpus. Il s'agira de montrer en quoi la contrainte créative du design du peu correspond à des trajectoires culturelles alternatives. Ces thèmes transversaux portent à la fois sur la fiabilité et la réparabilité des objets, les usages dégradés et gagnés qui y sont associés, ainsi que sur la désirabilité de ces objets et services de moindre confort, selon la définition que nous en avons faite en introduction de notre propos.

Avant tout, définissons ce que nous entendons par usages dégradés : la notion de dégradation se lit vis à vis d'un état nominal, idéal : celui d'un objet considéré dans un état parfait (axe esthétique) et proposant des fonctions indispensables (axe fonctionnel). Un usage dégradé peut donc correspondre soit à un objet unique dégradé (qui, usé, ne propose plus le même confort que lorsqu'il était neuf), soit se lire à travers plusieurs objets successifs, proposant de moins en moins de 'confort' – du moins, en deçà de l'objet nominal. Il est important de souligner que le point de référence, l'état idéal, est de facto posé par la majorité des acteurs de l'industrie actuelle (concepteurs, designers, industriels, revendeurs, publicitaires, etc.) : dans ce paradigme, un objet est fonctionnellement à 100% de ses capacités au moment de sa sortie d'usine, lorsqu'il n'a encore jamais été utilisé. Sur le plan esthétique, ce sont même des images de synthèse, immaculées et correspondant à un état fantasmé, qui servent à le présenter et à le vendre.

Dans le champ de l'électronique et du numérique, les objets usés ou de moindre confort ne sont pas forcément dégradés de façon homogène sur le plan esthétique et fonctionnel : par exemple, une tablette datant de 2011 mais sortie de sa boîte dix ans plus tard dans un état neuf ne permettra pas de naviguer efficacement sur le web de 2021 – ses composants datés ne permettant pas d'installer les dernières mises à jour logicielles, etc. À l'inverse, un synthétiseur datant des années 70 et fréquemment utilisé portera des traces d'usure et de salissure, voire des parties brisées empêchant certaines de ses utilisations, mais ses composants robustes seront potentiellement encore fonctionnels et recherchés.

Ce concept d'usage dégradé nous invite à le penser en relation avec les thématiques de la confiance et de la désirabilité, au cœur de la relation entre les interfaces, leurs usagers et leurs concepteurs. La discussion se focalise sur ce qui est dégradé et gagné dans ces trois niveaux du design d'interaction.

4.1 Confiance dégradée et gagnée

Comparativement à un objet technologique neuf, la probabilité pour qu\'un objet fabriqué à partir d\'éléments réutilisés soit utilisé sans défaillance pendant une période de temps déterminée, dans des conditions opérationnelles spécifiées, est réduite : cette fiabilité ne s'appuie plus sur des composants testés industriellement et dont la durée de vie est prévisible. En effet, avec un produit neuf, toute l'infrastructure dont il est issu essaie de convaincre de sa robustesse et de sa longévité. L'objet vient parfois avec des garanties, ses composants sont en principe traçables. Cela pose un cadre de confiance. Dans le cas d'un objet fabriqué avec des éléments issus de déchets, il est impossible de connaître la longévité des composants, ne connaissant pas leur temps d'utilisation passé. La confiance qu'on a l'habitude d'avoir dans le système industriel est nécessairement abandonnée. Les concepteurs des objets recensés proposent de s'inscrire dans un autre modèle de confiance, celui de la confiance en l'objet lui-même et en sa capacité à se rendre accessible, réparable. En grandissant, l'écosystème des acteurs de la réparation, du réemploi, de la réutilisation pourrait à terme permettre de construire un cadre de confiance comparable, notamment par la promesse de réappropriation.

4.2 Usages dégradés et gagnés

Pour les premiers objets du corpus #2 (cafetières, enceintes connectées, imprimante 3D, PC, projets DIY), les usages proposés sont comparables voire identiques à ceux permis par les produits équivalents sur le marché industriel. Qu'il s'agisse de faire du café, de brancher une enceinte, d'imprimer en 3D, ou de lancer des logiciels, chacune de ces réalisations démontre que les usages peuvent ne pas être dégradés même si l'on s'appuie sur des composants de seconde main.

Dans le cas des projets d'étudiants autour de la musique au format numérique, les usages sont à comparer à la pratique actuelle d'écoute de musique, puisque le point de départ était le streaming. L'intitulé interdisait de réemployer des écrans tactiles (coûteux à produire en ressources et peu durables). Cette contrainte dans la conception, a été prise en compte en réduisant la liberté d'usage : plutôt que de rechercher des solutions techniques complexes pour tenter de s'aligner sur les possibilités offertes par nos écrans de smartphones équipés d'application de streaming, les concepteurs ont abandonné la possibilité de rechercher par titre, par artiste ou par album. Dans une perspective intermédiale, l'expérience de l'usager se rapproche ainsi de celle de la radio portable avec une programmation individuelle limitée. Mais ce n'est pas un abandon triste : l'impératif de sobriété devient le point de départ d'usages didactiques, ou sociaux. Les boutons physiques rotatifs, permettant de moduler et de voir le réglage de l'algorithme, seront les éléments principaux de la façade (Streamix). Le réemploi d'un chronomètre définit un usage portable, devenant le moyen privilégié de découvrir de nouveaux morceaux (Stopwatch). Le streaming est abandonné pour laisser l'espace à la rencontre physique et à l'échange de fichiers en direct (Stopwatch, MakerPod, BIOM).

4.3 Désirabilité dégradée et gagnée

Les utilisateurs peuvent se sentir exclus d'un certain confort, quand ils sont contraints d'utiliser du matériel ancien, et que cela se voit. L'objet garde-t-il trace de son utilisation passée, est-il souillé ? Les objets dont les composants ne sont pas carénés (W.Afate) ou bien qui le sont avec des matériaux réutilisés sans transformation (Last Rescue) peuvent présenter des traces. En utilisant des matériaux recyclés, c'est-à-dire repassés par un stade de matière première secondaire puis travaillés comme des matières neuves, des objets partiellement issus de la réutilisation peuvent présenter un aspect extérieur immaculé, augmentant leur valeur symbolique pour certains utilisateurs. Pour d'autres usagers, c'est justement l'aspect usé qui donnera une valeur ajoutée vintage et augmentera la désirabilité de l'objet recyclé. Des formes inscrites dans une certaine histoire esthétique (le chronomètre de Stopwatch), assument leurs spécificités (les potentiomètres hétéroclites de Streamix, les leds de BIOM) et peuvent également nourrir l'esthétique de ces néo-objets. Comme auparavant avec le Fairphone, révéler les composants donne à l'objet une esthétique technique qui peut contribuer à la désirabilité de l'objet pour certains utilisateurs, selon leurs concepteurs (Cafetière T. Hébrard, Maker Pod). Cette dimension esthétique et symbolique forte est aussi une manière pour les concepteurs d'ouvrir la boîte noire.

Outre la dimension esthétique et l'histoire qu'ils racontent, chacun pose également la question de l'acceptabilité d'un moindre confort, qui pourrait a priori les rendre moins désirables. En réduisant le nombre de fonctions de recherche (usage simplifié, sans écran), et en accentuant les actions pouvant mener à des interactions sociales « réelles », les projets du corpus #2 proposent un confort lié à la sobriété et à la simplicité, en écho aux valeurs véhiculées par les marques Mudita et Lightphone (corpus #1).

4.4 Conception et consommation alternatives

À partir de cette expérience et des résultats, quel apport pour la conception et la recherche en design numérique ? Ce corpus et son analyse montrent qu'une autre manière de concevoir et de consommer les objets technologiques est possible, inscrite dans une trajectoire culturelle des technologies91 qui se veut alternative. Des processus de conception singuliers émergent en prenant comme point de départ le déjà là. Plutôt que de rechercher tous azimuts des solutions techniques à un usage (quelle technologie pourra résoudre tel problème ?), les solutions techniques sont le matériau de départ (avec telle technologie à disposition, quel problème résoudre ?).

Les propositions présentées se veulent accessibles au plus grand nombre d'utilisateurs et consommateurs. Pour autant, elles proposent des alternatives questionnant les impératifs de confort et d'automatisation promus pour les équipements électriques et électroniques de grande consommation. Bien que l'automatisation ait pour but de gagner en confort – celui de ne rien faire en déléguant à la machine – la dés-encapacitation qu'elle induit peut générer une sensation d'inconfort de même que l'en-capacitation induite par l'action manuelle peut générer une sensation de confort. Ainsi, les valeurs associées à la démarche du contre-faire numérique92 se retrouvent aussi dans les projets, invitant à découvrir un autre confort d'usage que celui des technologies existantes aujourd'hui, puisqu'elles offrent des possibilités de gain en autonomie et le système de pair à pair, d'encapacitation par la mise en capacitation sur des principes de réparabilité et maintenance dans une dynamique de co-construction et d'engagement à la fois individuel et collectif sur une partie du service. En ce sens, elles contribuent à la diffusion de nouveaux imaginaires du design d'interaction, qui se veulent alternatifs aux technologies actuelles et à la vision de l'interaction humain-interface qui y est associée. Ainsi, des objets sobres, mettant en jeu moins de fonctions (moins complexes et coûteux en matériaux et énergie), pourront nécessiter plus d'actions de la part de l'utilisateur (et développer sa capacité de compréhension et son autonomie d'action).

Le simple fait de proposer des objets nouveaux (de faire du design) mettant en jeu des actions toujours manuelles correspond à une réflexion critique sur une certaine vision de la technologie orientée vers un progrès infini. Pour en cultiver une autre, ancrée dans un futur simple, plus contraignant sur le plan des ressources, il s'agira de concevoir des objets électriques et électroniques en définissant ce qui, dans ses fonctions, serait automatisé et ce qui ne le serait pas : par exemple, dans l'activité « écouter de la musique en streaming » potentiellement automatisable à 100%, qu'est ce que l'on propose de laisser faire à l'utilisateur ? Un arbitrage sur l'intégration de fonctions automatiques (nécessitant plus de techniques, calculateurs, réseaux, métaux rares) pourrait être réalisé en fonction du coût en ressources – ou en attention de l'utilisateur. C'est à ce niveau que les initiatives développées par des designers croisent les enjeux de l'innovation frugale93 où le design du peu est un choix assumé de conception, dans le champ particulier du design d'interaction(s).

Ce sont notamment les projets analysés dans le deuxième corpus qui démontrent la contribution du design à la recherche sur les techno-médias alternatifs94 et sa capacité à proposer d'autres trajectoires culturelles de la technologie par la pratique du projet. Comme discuté dans la deuxième partie, l\'expérience proposée par ces objets et services anticipe une demande qui est en train d\'être conscientisée du côté des utilisateurs, prenant en compte des enjeux de sobriété, réparabilité et durabilité numériques. Pour développer encore cette approche du design d'interaction, il est utile de développer une éthique créative des technologies95 qui englobe, sans les opposer, les différents niveaux de l'éthique dans un projet de design d'interaction : à la fois au niveau individuel, social, et environnemental.

5. Conclusion

Pour conclure, nous pouvons dire que la diversité des projets contemporains qui se développent dans une démarche de conception low-tech, plus ou moins revendiquée, invite à questionner la terminologie et les concepts mobilisés pour les désigner et les analyser. C'est pourquoi nous avons choisi dans cet article les concepts de contre-faire numérique96 et numériques situés97 qui constituent selon nous des concepts plus opératoires pour nos analyses de corpus. Les projets que nous avons analysés manifestent une sensibilité forte à la problématique de la sobriété numérique. Certains designers montrent une volonté de faire ressortir le processus de fabrication, tout en valorisant les matériaux mobilisés en conception, aux plans esthétiques et symboliques pour « ouvrir la boîte noire ». Ils proposent ainsi des formes qui assument leurs spécificités (hétérogénéité, traces de fabrication, etc.) et nourrissent l'esthétique de ces néo-objets. D'autres vont jusqu'à rendre visibles et réparables les composants issus de la réutilisation, conduisant ainsi les usagers à être plus autonomes. Dans certains cas, la transformation de la relation aux objets et services numériques va encore plus loin, puisque certaines fonctionnalités ont été abandonnées, engendrant alors des usages dégradés assumés par les concepteurs. Mais d'autres usages ont aussi été développés, qu'ils soient didactiques ou sociaux, ce qui ouvre potentiellement à une montée en compétence technique et sociale, mais aussi à une reconquête de l'autonomie des utilisateurs. Ces choix de design soulèvent la question de l'acceptabilité d'objets et services numériques de moindre confort, ouvrant la voie à un autre confort, et proposant une réponse aux attentes des citoyens d'aujourd'hui. Cela ne se fait pas sans limite : le niveau de fiabilité proposé par des objets réutilisant des déchets sera réduit par rapport à celui que permet l'infrastructure industrielle produisant des objets neufs. Mais un autre modèle de confiance est possible, celui de la confiance en l'objet lui-même et en sa capacité à se rendre accessible, réparable. Ces objets sobres, mettant en jeu moins de fonctions que les objets actuels, offrent un autre confort d'usage en permettant aux utilisateurs de développer leur capacité de compréhension et d'action. En permettant une plus grande autonomie, ces objets technologiques sobres se veulent émancipant pour leurs usagers, selon leurs concepteurs.

Ainsi, une autre manière de concevoir et consommer les objets et services numériques est possible, dès lors qu'elle ouvre vers de nouveaux imaginaires inscrits dans une trajectoire culturelle alternative. La contribution du design aux imaginaires de l'innovation technique est de proposer avec une approche sensible, narrative et plus ou moins « engagée » des alternatives incarnées dans des objets intermédiaires qui font émerger d'autres regards et imaginaires de la conception. Au-delà de l'intention de provoquer, la volonté est surtout de proposer de nouveaux objets désirables malgré leur dégradation, pour rendre ces pratiques plus communes et partagées par le plus grand nombre.

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Figure 2. Projet ARA. Capture issue de la Vidéo "Ara: What's next", 2016. https://youtu.be/aWW5mQadZAY. Crédits : Google ATAP.

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Figure 4. Projet Last Rescue, 2017. http://etrangeordinaire.fr/nos-projets/last-rescue/. Crédits : Étrange Ordinaire.

Figure 5. Projet Streamix, 2020. https://vimeo.com/488567973. Crédits : Claire-Marie Bachelez, Victoire Bruna, Jeannette Guerin, Anissa Sahli.

Figure 6. Projet Maker Pod, 2020.https://vimeo.com/488683969. Crédits : Sarra Badi, Selen Canales-Vasquez, Oussama Fatmi, Joseph Mbetiyanga.


  1. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, « Du low-tech numérique aux numériques situés ». Revue Sciences du Design n°11, PUF, 2020, p. 91-100. 

  2. Catoir-Brisson, Marie-Julie, « Low-tech : fiche notionnelle », carnet de recherche IMTECHALT, 2020. En ligne :https://imtechalt.hypotheses.org 

  3. Voir notamment cette mise en question de la notion de confort des objets industriels : Côme, Tony, Pollet, Juliette (sous la direction de). L'idée de confort, une anthologie. Du zazen au tourisme spatial, Éditions B42 - Centre national des arts plastiques, Paris, 2016. 

  4. Chauveau, Nicolas, Du progrès infini au futur simple, conférence invitée à Kedge Design School, Marseille, 4 Mars 2020. 

  5. Pitron, Guillaume, La guerre des métaux rares. La face cachée de la transition énergétique et numérique, Uzès, Les liens qui libèrent, 2018. 

  6. Dumur, Eliane, Bernard, Yvonne, et Boy, Guy, « Designing for comfort » In C. M. Weikert (Ed.), Human factors in design, Maastricht, Shaker Publishing, 2004, p. 111-127. 

  7. Marchand, Dorothée, Weiss, Karine, « Représentations sociales du confort dans le train : vers une conceptualisation de la notion de confort social », Les Cahiers Internationaux de Psychologie Sociale, 2009/4 (Numéro 84), p. 107-124. 

  8. Radjou, Navi, Prabhu, Jaideep, L'innovation frugale. Comment faire mieux avec moins, Strasbourg, Diateino, 2015. 

  9. Klein, Juan-Luis, Laville, Jean-Louis et Moulaert, Frank. L'innovation sociale, Paris, Érès, 2014 

  10. Bihouix, Philippe, L'âge d'or des low-tech, Paris, Seuil, 2014. 

  11. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit. 

  12. Allard, Laurence, « L'engagement du chercheur à l'heure de la fabrication numérique personnelle », Hermès, La Revue, vol. 73, n°3, 2015, p. 159-167. 

  13. Gras, Alain, Les imaginaires de l'innovation technique, Paris, Manucius, 2013. 

  14. Caccamo, Emmanuelle, Catoir-Brisson, Marie-Julie, « À propos des Imaginaires des technologies et des médias numériques alternatifs », carnet de recherche IMTECHALT, 2020. 

  15. Allard, Laurence, Hermès, La Revue, vol. 73, n°3, op.cit. 

  16. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit. 

  17. Gras, Alain, Les imaginaires de l'innovation technique, op.cit. 

  18. Caccamo, Emmanuelle, Catoir-Brisson, Marie-Julie, carnet de recherche IMTECHALT, op.cit. 

  19. Bihouix, Philippe, L'âge d'or des low-tech, op.cit. 

  20. Valette, Jean-Jacques, « Le numérique : citadelle high-tech ? », revue Socialter Hors-série L'avenir sera low-tech, 2019, p.32-35. 

  21. Catoir-Brisson, Marie-Julie, carnet de recherche IMTECHALT, op.cit. 

  22. Bihouix, Philippe, L'âge d'or des low-tech, op.cit. 

  23. Radjou, Navi, Prabhu, Jaideep, L'innovation frugale. Comment faire mieux avec moins, op.cit. 

  24. Illich, Ivan, La convivialité, Paris, Seuil, 1973. 

  25. Schumacher, Ernst Friedrich, Small Is Beautiful: A Study of Economics As If People Mattered, London, Blond & Briggs, 1973. 

  26. Nova, Nicolas, Smartphones : une enquête ethnographique, Paris, Métis Presse, 2020. 

  27. Kline, Stephen, Rosenberg, Nathan, « An overview of innovation » in Landau, Ralph, Rosenberg, Nathan (eds.), The Positive Sum strategy, 1986, p. 275-305. 

  28. Simondon, Gilbert, Du mode d'existence des objets techniques, Paris, Aubier-Montaigne, 1958. 

  29. Stiegler, Bernard, La Technique et le Temps 1. La faute d'Épiméthée, Paris, Galilée, 1994. 

  30. Gras, Alain, Les imaginaires de l'innovation technique, op.cit. 

  31. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit. 

  32. Bordage, Frédéric, « La société s'empare de la sobriété numérique », GreenIT.fr, 2018. 

  33. The Shift Project, 2020. Rapports en ligne :https://theshiftproject.org 

  34. Ibid

  35. Goldsmith, Kenneth. « Le manifeste polémique d'UbuWeb », Multitudes, vol. 76, n°3, 2019, pp. 155-167. En ligne : https://doi.org/10.3917/mult.076.0155 

  36. Norman, Donald, Design émotionnel, Bruxelles, De Boeck, 2012. 

  37. Weiser, Mark, Brown, John Seely, "Designing Calm Technology", PowerGrid Journal, 1995. 

  38. Collectif BAM, https://www.collectifbam.fr/projets/realisations, consulté en septembre 2021. 

  39. Rifkin, Jeremy, La troisième révolution industrielle, Uzès, Les liens qui libèrent, 2012. 

  40. Baudrillard, Jean, Le système des objets, Paris, Gallimard, 1968. 

  41. Allard, Laurence, Hermès, La Revue, vol. 73, n°3, op.cit. 

  42. Ibid. 

  43. Ibid. 

  44. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit. 

  45. Ibid. 

  46. Irwin, Terry, « Transition design : a proposal for a new area of design practice, study and research », Design and culture, n°7, 2015, p.229-246. 

  47. Jarrige, François, Technocritiques, Paris, La Découverte, 2016. 

  48. Catoir, Marie-Julie,L'hybridation esthétique et culturelle dans le cinéma mexicain contemporain : Approches intermédiale et interculturelle, Thèse de doctorat en Sciences de l'information et de la communication, Université Bordeaux Montaigne, 2011. 

  49. Abrassart, Christophe, Jarrige, François et Bourg, Dominique, « Low-tech et enjeux écologiques : quels potentiels pour affronter les crises ? », Revue La pensée écologique, Vol. 5, 2020. 

  50. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit. 

  51. Halloy, José, Nova, Nicolas et Monnin, Alexandre, « Au-delà du low-tech : technologies zombies, soutenabilité et inventions », interview croisée de José Halloy et Nicolas Nova par Alexandre Monnin, Passerelle, N° 21, avril 2020, p. 120-128. 

  52. Abrassart, Christophe, Jarrige, François et Bourg, Dominique, revue La pensée écologique. Op.cit. 

  53. Morin, Edgar, L'esprit du temps, Paris, Grasset, 1962. 

  54. « Nous sommes tous devenus les producteurs de données qui fournissent les acteurs du numérique en matière première pour leur business. Alors que la création de valeur est collective, le revenu, lui, reste privatisé. L'heure est venue de proposer un new deal algorithmique. Et pour cela, il faut en passer par une réelle compréhension des systèmes, une prise de conscience collective de nos usages et de leurs fins. » L'installation est présentée sur le site de l'artiste : https://filipevilasboas.com/Casino-Las-Datas, consulté en septembre 2021. 

  55. https://flic.kr/p/ZdFBPa Projet Casino Las Datas, par Albertine Meunier, Filipe Vilas-Boas, Sylvia Fredriksson. Paris, octobre 2017. 

  56. Site web : http://www.orestreams.com/, consulté en septembre 2021. 

  57. Cf. l'interview réalisée par Valentin Salinas dans la revue Design, Arts et medias en 2020 : https://journal.dampress.org/words/la-foret-derriere-les-objets-interview-dandrea-trimarchi-and-simone-farresin-studio-formafantasma 

  58. Déchets d'Équipements Électriques et Électroniques. 

  59. Présentation de Mahjouba Initiative à LUMA Arles : https://www.atelier-luma.org/articles/prototype-mahjouba-arles, consulté en septembre 2021. 

  60. Page de téléchargement des fichiers 3D sur le site OpenMotors : https://www.openmotors.co/download/, consulté en septembre 2021. 

  61. Dans cette théorie, l'hégémonie est un processus qui se reproduit, mais aussi « s'altère, s'étend ou se rétracte dans la lutte qui l'oppose à des projets hégémoniques rivaux ». Hoare, George, Sperber, Nathan, « V. L'hégémonie », George Hoare éd., Introduction à Antonio Gramsci, La Découverte, 2013, pp. 93-112. 

  62. https://www.thelightphone.com/, consulté en septembre 2021. 

  63. https://mudita.com/, consulté en septembre 2021. 

  64. https://www.fairphone.com/fr/, consulté en septembre 2021. 

  65. https://youtu.be/aWW5mQadZAY Vidéo "Ara: What's next", Google ATAP. 

  66. Ibid. 

  67. Désirer ce qui est jeté, Entreautre. https://www.entreautre.com/case-study/desirer-ce-qui-est-jete/, consulté en septembre 2021. 

  68. http://bold-design.fr/, consulté en septembre 2021. 

  69. https://8fablab.fr/, consulté en septembre 2021. 

  70. http://www.fabunit.fr/, consulté en septembre 2021. 

  71. Désirer ce qui est jeté, Entreautre, op.cit. 

  72. Coffee construction kit, Tom Hébrard : http://tomhebrard.fr/2017/10/01/faire-savoir/, consulté en septembre 2021. 

  73. Projet Last Rescue, Étrange Ordinaire. http://etrangeordinaire.fr/nos-projets/last-rescue/, consulté en septembre 2021. 

  74. Ibid

  75. Voir notamment la présentation de l'imprimante 3D sur le site de France24 : https://observers.france24.com/fr/20161028-imprimante-3d-dechets-electroniques-togolais-togo-afate-gnikou, consulté en septembre 2021. 

  76. Page projet sur hackaday.io, https://hackaday.io/project/176450-the-x-pc, consulté en sept. 2021. 

  77. Chaine Youtube DIY Perks, https://youtu.be/WLP_L7Mgz6M, consulté en sept. 2021. 

  78. Chaine Youtube Daniele Tartaglia, https://youtu.be/cO7-pSsbCP0, consulté en sept. 2021. 

  79. Site du projet http://faire-savoir.me/

  80. De Certeau, Michel, L'invention du quotidien, 1. : Arts de faire, Paris, Gallimard, 1980. 

  81. Extrait du sujet du projet pédagogique proposé aux étudiants de L3 Design, option Design et cultures numériques, dans le cadre du cours de projet encadré par Marie-Julie Catoir-Brisson et Nicolas Chauveau, à l'Université de Nîmes. 

  82. Projet Streamix, par Claire-Marie Bachelez, Victoire Bruna, Jeannette Guerin, Anissa Sahli. https://vimeo.com/488567973 

  83. Projet Stopwatch, par Jordan Basset, Louis Bernard, Camille Devoisin-lagarde, Charlotte Duvauchel. https://vimeo.com/488571381  

  84. Projet Streamix, op.cit. 

  85. Projet Shakesong, par Carla Chay, Chloe Hugon, Loic Joncour, Chloe Mazet. https://vimeo.com/488576698  

  86. Projet BIOM, par Leonie Barbier, Lucas Calpetard, Nathan Parent, Thomas Skrypczak. https://vimeo.com/488580346 

  87. Projet MusicoLED, par Enzo Company, Fanny Cosne, Rémi Vidal, Ugo Piperissa. https://vimeo.com/488584162  

  88. Projet Maker Pod, par Sarra Badi, Selen Canales-Vasquez, Oussama Fatmi, Joseph Mbetiyanga. https://vimeo.com/488683969  

  89. Ibid. 

  90. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit. 

  91. Gras, Alain, Les imaginaires de l'innovation technique, op.cit. 

  92. Allard, Laurence, Hermès, La Revue, vol. 73, n°3, op.cit. 

  93. Radjou, Navi, Prabhu, Jaideep, L'innovation frugale. Comment faire mieux avec moins, op.cit. 

  94. Caccamo, Emmanuelle, Catoir-Brisson, Marie-Julie, carnet de recherche IMTECHALT, op.cit. 

  95. Catoir-Brisson, Marie-Julie, « Design social et science-fiction pour penser la ville intelligente au service de demain », Paysage & Virtuel, Actes 13èmes Rencontre euro-méditerranéennes Volubilis, 2018, p-34-48. 

  96. Allard, Laurence, Hermès, La Revue, vol. 73, n°3, op.cit. 

  97. Nova, Nicolas, Roussilhe, Gauthier, Sciences du Design n°11, op.cit.