Entretien avec Théo Mouzard
Meliha Rym

L'entretien suivant a été réalisé par téléphone le 08/04/2025. Théo Mouzard, architecte et artiste, est co-dirigeant de l’association « Collectif Etc. » Son travail interroge le rôle des concepteurs face aux enjeux climatiques et sociaux, en développant des méthodes sur-mesure pour aider les communautés à transformer leurs espaces communs. Ses projets allient art, artisanat et architecture afin de créer des moments fédérateurs et créatifs.

1. Formation et situation professionnelle

Meliha Rym : Bonjour, monsieur Théo Mouzard. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser notre enquête sur le design et ses pratiques. Notre entretien, qui va porter sur le design et les communs, comporte quatre volets.

Notre premier volet concerne votre formation et situation professionnelle. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre formation et le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ?

Théo Mouzard : Alors, j’ai obtenu mon bac, puis j’ai fait des études de droit à Rennes. Ensuite, j’ai suivi une licence en architecture à l’École d'architecture de La Villette, mais je l’ai interrompue pour travailler. Après, j’ai terminé mon master avec un parcours recherche en architecture à l’École d'architecture de Marseille.

2. Rencontre avec les communs

R.M : Le second volet de notre entretien porte plutôt sur des questions concernant les communs et le design. Pour le design, les communs semblent surtout impliquer le partage de connaissances informatiques ou numériques — dans le cas de l’open design — et le partage de connaissances pratiques — dans le cas du design écosocial, par exemple. À quelle occasion vous êtes-vous intéressé à cette question des communs ? De quel type de commun s’agissait-il ?

T.M : Alors, nous, on parle des communs surtout en termes de lieux, d’espaces. Nous travaillons principalement sur cette question : comment habiter collectivement les lieux et les territoires, et on utiliserait le terme « commun » peut-être plutôt dans le sens du « manifeste compositionniste » de Bruno Latour : c’est-à-dire qu’on part du principe qu’il n’y a pas de commun, qu’il faut le composer. Donc, comment se mettre en mouvement pour poser une société à partir de personnes qui, a priori, n’ont pas de commun ensemble, comment trouver du commun et comment créer du commun. Cela se rapproche davantage d’une approche avec plusieurs références anglo-saxonnes. Je pense notamment au petit livre An Atlas of Commoning. En anglais, ils font la différence entre « commons » et « commoning », et ils utilisent le terme « commun » comme une approche qui pourrait ressembler à « mettre en commun », ou « ommuniser ». Ce verbe-là nous intéresse, étant donné que ce qui touche au commun, ce qui nous intéresse, c’est moins les communs en eux-mêmes mais plutôt comment on crée des communs. Qu’est-ce que cela signifie de se mettre en mouvement vers des communs, peut-être qu’on n’a pas ou qu’on n’atteint pas, mais qu’est-ce que ce mouvement implique en termes de pratiques architecturales ? Comment transformer ou créer des lieux pour créer du commun ?

3. Origine des communs

R.M : L’élaboration d’un commun implique toujours un collectif et un partage de compétences et de savoir-faire, d’où notre idée que, à l’origine des communs, il y a un besoin insatisfait, voire une souffrance. Qu’est-ce qui, à votre avis, préside à l’avènement de communs en design ?

T.M: Alors, je pense qu'il y a un aspect très politique, en tout cas dans notre approche, et ce qui nous inspire, c’est quelque chose de très politique. En fait, si on retrace un peu l’histoire du néolibéralisme depuis les années 80 — d’ailleurs je te conseille un ouvrage de David Harvey, Brève histoire du néolibéralisme, qui est vraiment hyper intéressant. David Harvey, étant géographe, a aussi un regard sur l’espace —, et quand tu regardes ça, tu vois cette destruction systématique des communs, dans le sens de l’héritage de l’État providence qui a été pensé après la Seconde Guerre mondiale. Nous, on s’inscrit un peu dans cette histoire-là : comment lutter politiquement pour retrouver du commun, dans le sens de ce que l’on partage collectivement, pour faire face à ces politiques néolibérales qui sont des politiques prédatrices, à la fois pour l’environnement (extractivistes, destructrices du vivant) et pour les gens, parce qu’elles broient les individus dans un rapport au travail très prolifique, pour le profit d’un petit nombre de personnes, qui s’enrichissent sur le dos de tout le monde. C’est quand même le contexte politique auquel on doit faire face et contre lequel, à notre sens, il faut absolument lutter. Pour nous, les pratiques de communs, en tout cas de mise en commun, parlent de cela.

Et donc, notre travail s’inspire du commun et de la manière dont c’est un outil pour s’opposer à des politiques prédatrices. Je pense que c’est hyper important de le rappeler, parce que parfois on a l’impression que certaines pratiques viennent en complément de cela, mais il faut vraiment se remettre dans un contexte politique : qu’est-ce qu’on défend, quelles valeurs on défend, et dans quelle perspective ces choses s’inscrivent.

4. Commun et tiers-lieu de recherche

R.M : Les précédentes décennies ont vu fleurir des hackerspaces, puis des mackerspaces — sous forme de FabLabs, par exemple. Dans le cadre de notre enquête, imaginons un commun qui réunirait designers, chercheurs et usagers au sein d’un tiers-lieu dédié à la recherche pratique et théorique en design. S’il existait, participeriez-vous à ce type de commun ?

T.M : Non, je ne pense pas. Je pense que ces sujets sont trop abstraits pour moi. J’aurais besoin d’un lieu qui offre des services plus concrets, directement associés à des besoins de la vie quotidienne. Et je pense que j’aurais besoin d’un lieu qui soit fun, qui donne envie, dans lequel je n’ai pas l’impression d’aller au travail. Un hackerspace avec des chercheurs sur le design, ça me fait trop penser au travail.

J’aurais besoin que ce soit un lieu qui propose des activités accessibles à tout le monde, et pas seulement à une frange spécialisée de la société. Il faudrait que ce soit un lieu vraiment collectif et commun, dans ce sens-là, un lieu qui s’adresse à mes voisins, à mes amis, à mes frères et sœurs, à tout le monde. Donc la question est : comment s’adresser à tout le monde ? Et cette question se pose aussi à l’échelle personnelle. Par exemple, toi, qu’est-ce que t’aurais envie de faire ? Est-ce que t’as envie d’aller au bar ? D’aller voir des concerts ? De faire de la couture ? De lire des livres ? De boire du thé ? Enfin, en gros, comment tu t’adresses à des gens «normaux » qui ne sont pas dans nos milieux ? Je crois que le commun, c’est surtout ça. Et nous, dans nos projets, on travaille avec des gens de tous horizons sociaux différents. D’ailleurs, on travaille parfois avec des demandeurs d’asile, des jeunes en décrochage, des EHPAD, des gens « normaux », et donc la question est : comment s’adresser à tout le monde ? Je crois que la question du commun est aussi là.

Parfois, avec une approche trop théorique ou trop spécialisée, comme on a tendance à avoir dans le champ de la création artistique, le travail de conception et de création artistique s’adresse à une toute petite partie de gens. C’est hyper élitiste, d’ailleurs c’est assez bourgeois comme démarche. L’architecture, le design, l’art, ce sont des choses qui sont assez bourgeoises.

Donc, comment parler à des gens « normaux » et s’intéresser finalement à une sorte de culture populaire ? En architecture, on dirait presque vernaculaire. Comment s’intéresser à une approche un peu vernaculaire ? Et je pense que le design suit un peu le même cycle. Là-dessus, je te conseille de regarder la thèse d’Édith Hallauer, Du vernaculaire à la déprise d'œuvre : design, arts et architecture. Elle mêle déjà les échelles du design et de l’architecture et parle de cette question de vernaculaire, de comment cela peut inspirer les pratiques contemporaines.

5. Conclusion

R.M : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?

T.M : Non, il n’y a rien de spécifique.

R.M : Encore merci pour le temps que vous m’avez accordé.

T.M : Merci à vous.