L'entretien qui suit a été réalisé par écrit le 8 avril 2025. Radwan Beshr, l'un des designers yéménites les plus actifs en Jordanie, travaille dans le domaine du design graphique depuis plusieurs années. Il a participé à plusieurs événements notables, notamment la Semaine du « Design d'Amman 2019 », un événement qui réunit des designers locaux et internationaux pour promouvoir la créativité et la collaboration. Il a également pris part au « Creative Impact Lab » à Amman en 2023, axé sur le recyclage et l'utilisation des ressources partagées, et a été membre de l'équipe de design graphique du programme « Mahali's ». Actuellement, il travaille en freelance et participe à des projets créatifs tant au niveau local qu'international, offrant des solutions de design innovantes adaptées aux stratégies de marketing et de branding.
1. Formation et situation professionnelle
Oula Al Chayb1 : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre formation et le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ?
Radwan Beshr : Je suis Radwan Beshr, designer graphique indépendant, et je travaille dans le domaine du design depuis plusieurs années. J'ai obtenu un baccalauréat en design graphique de l'Université du Moyen-Orient en Jordanie, ainsi qu'un master en gestion des affaires de l'Université de Technologie de Silésie en Pologne, ce qui m'a permis de combiner mes compétences académiques avec l'expérience pratique dans le domaine du design.
J'ai participé à de nombreux événements importants, dont le « Amman Design Week 2019 », un événement prestigieux qui réunit les meilleurs designers jordaniens. Cet événement offre une opportunité unique pour la communication et l'échange d'expériences, tout en encourageant la créativité et la collaboration entre les designers de différentes disciplines. Il contribue ainsi au développement du secteur du design en Jordanie et offre aux designers une plateforme pour exposer leur travail et interagir avec des designers internationaux.
J'ai également pris part au « Creative Impact Lab » à Amman en 2023, où le projet était axé sur le recyclage et l'utilisation des ressources communes pour avoir un impact environnemental positif. De plus, j'ai été membre de l'équipe de design graphique du programme « Mahali’s », qui vise à développer les projets des participants et soutenir leurs idées créatives.
Actuellement, je travaille en tant que designer indépendant et participe à des projets créatifs à l'échelle locale et internationale, offrant des solutions de design innovantes en adéquation avec les stratégies de marketing et de branding, reflétant ainsi les tendances modernes du design.
2. Rencontre avec les communs
O.AC : Notre présente enquête porte sur les communs et le design. Pour le design, les communs semblent surtout impliquer le partage de connaissances informatiques ou numériques — dans le cas de l’open design — et le partage de connaissances pratiques — dans le cas du design éco social, par exemple.
À quelle occasion vous êtes-vous intéressé à cette question des communs ? De quel type de commun s’agissait-il ?
R.B : Mon intérêt pour le concept des « communs » a commencé sérieusement il y a quelque temps, en particulier lorsque j'ai participé au projet « Creative Impact Lab » à Amman en 2023. Ce projet se concentrait sur le recyclage (Upcycling), un processus qui consiste à transformer des matériaux ou des produits anciens en objets ayant une valeur plus élevée, contribuant ainsi à réduire les déchets et à protéger l'environnement. Dans ce contexte, pour moi, le concept des « communs » est lié à plusieurs idées clés :
-
Utilisation des ressources communes : dans ce type de projets, on ne considère pas uniquement les ressources individuelles, mais plutôt la manière dont on peut utiliser collectivement les matériaux et les outils disponibles de manière à en faire profiter tout le monde. Cela inclut l'échange de ressources entre les designers et les communautés dans un cadre de coopération continue.
-
Participation collective : ce concept met en avant la coopération entre les individus et les groupes plutôt que le travail isolé. Dans les projets axés sur les « communs », comme le projet de recyclage, l'objectif est de partager les connaissances et les outils afin que chacun puisse contribuer avec ses expériences et ses compétences pour améliorer le résultat final. Cela renforce la valeur du travail en équipe et mène à des projets de design innovants et durables.
-
Environnement durable : dans mon travail, le « communs » est principalement lié à la création de designs respectueux de l'environnement, comme cela se reflète dans les projets de recyclage où les matériaux et ressources sont réutilisés au lieu d’être jetés. De plus, travailler dans le cadre du concept des « communs » implique que le design fasse partie de solutions durables visant à préserver l'environnement et à réduire la consommation excessive de ressources naturelles.
- Innovation durable : dans mon cas, le concept se concentrait également sur la manière d'innover dans le design en utilisant les ressources disponibles. L'objectif était de créer des designs et des expériences nouvelles pour le public par la réutilisation, la régénération et l'intégration de la technologie dans le design, ce qui fait partie de la culture des « communs ». Ici, le design devient non seulement une question d'esthétique, mais aussi de solutions innovantes et durables qui rendent la transmission du message au public cible plus efficace.
À travers cette expérience, j'ai découvert l'importance de la participation collective dans le développement de designs innovants et durables au sein des communautés, permettant ainsi de réaliser des bénéfices environnementaux, sociaux et économiques en même temps.
3. Origine des communs
O.AC : L’élaboration d’un commun implique toujours un collectif et un partage de compétences et de savoir-faire, d’où notre idée que, à l’origine des communs, il y a un besoin insatisfait, voire une souffrance. Qu’est-ce qui, à votre avis, préside à l’avènement de communs en design ?
R.B : Je crois que les communs en design naissent généralement de la nécessité de résoudre un problème social ou environnemental commun. Par exemple, dans mon dernier projet sur le « recyclage », il y avait un fort sentiment de besoin d'échanger des connaissances et des ressources entre les individus au sein de la communauté pour atteindre des objectifs communs. De mon point de vue, un commun commence lorsque les gens collaborent pour surmonter le manque de ressources ou pour améliorer la situation environnementale à travers des solutions innovantes, telles que l'innovation sociale et technologique qui peut bénéficier à tous de manière égale.
4. Commun et tiers-lieu de recherche
O.AC : Les précédentes décennies ont vu fleurir des hackerspaces, puis des mackerspaces — sous forme de Fab Labs, par exemple. Dans le cadre de notre enquête, imaginons un commun qui réunirait designers, chercheurs et usagers au sein d’un tiers-lieu dédié à la recherche pratique et théorique en design. S’il existait, participerez-vous à ce type de commun ?
R.B : Le concept de créer des espaces partagés dédiés à la collaboration entre designers, chercheurs et utilisateurs dans un environnement dynamique est une étape importante pour promouvoir la coopération et la créativité dans le domaine du design. Ces espaces sont des lieux ouverts permettant aux individus de différentes origines de travailler ensemble sur des projets liés au design durable et à l'innovation. De tels espaces peuvent aller des laboratoires de recherche aux espaces de travail collaboratifs comme les centres d'innovation ou les fablabs, où toutes les parties prenantes se réunissent pour contribuer à résoudre les problèmes contemporains à travers des designs innovants.
Dans ces environnements, l'accent est mis sur la participation interactive entre les participants, quels que soient leurs domaines d'expertise, ce qui favorise l'intégration des connaissances de différentes disciplines et leur application sur des projets concrets. Ce type de collaboration ouvre des opportunités pour la créativité et contribue à l'élaboration de solutions innovantes visant à améliorer les aspects environnementaux et sociaux.
En Jordanie, bien qu'il n'existe actuellement pas d'espace partagé similaire, nous aspirons à créer de tels lieux qui permettent aux designers, chercheurs et utilisateurs de travailler ensemble dans un environnement favorisant la coopération durable. Si un espace commun de recherche en design était mis en place, je crois qu'il aurait un impact considérable pour renforcer le travail d'équipe et développer de nouvelles idées pouvant être appliquées de manière pratique. Ce serait un grand plaisir pour moi de participer à de tels espaces collaboratifs qui contribuent à la progression et à l'innovation dans le domaine du design au sein de la société.
5. Conclusion
O.AC : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?
R.B : À travers mon expérience lors de la « Semaine du Design » d'Amman et d'autres projets, j'ai pris conscience de l'importance de la collaboration et de l'échange de connaissances entre les designers en Jordanie. Cette collaboration favorise le développement des pratiques de design locales et permet de suivre les évolutions mondiales, tout en préservant les spécificités de la culture jordanienne.
En Jordanie, les designers font face à des défis en raison du manque de ressources et d'opportunités, ce qui rend les « communs » dans le design d'autant plus importants. Les « communs » permettent aux designers de partager leurs connaissances et leurs ressources, ce qui stimule l'innovation et la durabilité.
La « Semaine du Design » d'Amman est une plateforme importante pour la communication entre les designers locaux et internationaux, favorisant l'échange d'idées et le développement de pratiques durables. La collaboration entre les designers n'est pas seulement un transfert de connaissances, elle stimule la créativité et crée des opportunités d'apprentissage et de croissance, contribuant ainsi à l'évolution du secteur du design en Jordanie.
Les « communs » ouvrent également des perspectives pour trouver des solutions communautaires dans divers domaines, contribuant à améliorer la société jordanienne. Ces réseaux collaboratifs aideront à renforcer les capacités des designers et à offrir des opportunités pour des projets durables, soutenant ainsi le développement durable dans le pays.
Je voudrais conclure en exprimant le souhait que ces initiatives collaboratives continuent de croître en Jordanie, permettant aux designers de bénéficier davantage des « communs » pour favoriser un développement durable dans divers domaines du design. Je vous remercie chaleureusement pour cette merveilleuse opportunité d’avoir participé à cet entretien, et j'espère que mes réponses ont apporté une vision précieuse sur l'importance de la collaboration et du partage dans le design.
O.AL : Merci à vous !
-
Oula Al Chayb est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, promotion 2024-2025. ↩