L'entretien qui suit a été réalisé de vive voix le 16 avril 2025. Léo Pouliquen est paysagiste concepteur à l’Atelier Bivouac et a accepté de répondre, pour son collectif, à nos questions dans le cadre d’une enquête concernant le design et les communs.
1. Formation et situation professionnelle
Célestine Bel1 : Bonjour. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser notre enquête sur le design et ses pratiques. Notre entretien, qui va porter sur le design et les communs, comporte quatre volets. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre formation et le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ?
Léo Pouliquen : À l’Atelier Bivouac on est tous et toutes paysagistes DPLG ou DEP, tous et toutes issus de l’école de paysage de Versailles sur des promotions sur presque neuf ans. On est une association qui a été créée en dernière année, il y a onze ans maintenant, en 2014, par un groupe d’étudiants qui voulaient continuer à travailler ensemble, sur le terrain, dans des territoires ruraux. Travailler à la fois sur de la conception, mais aussi sur de la réhabilitation, donc beaucoup sur des questions de réemploi et d’implication citoyenne. On est basé dans un village en Ardèche et dans un bourg dans le Finistère.
2. Rencontre avec les communs
C.B : Notre présente enquête porte sur les communs et le design. Pour le design, les communs semblent surtout impliquer le partage de connaissances informatiques ou numériques — dans le cas de l’open design — et le partage de connaissances pratiques — dans le cas du design écosocial, par exemple.
À quelle occasion vous êtes-vous intéressé à cette question des communs ? De quel type de commun s’agissait-il ?
L.P : Je ne m’y connais pas particulièrement sur l’idée de commun, mais nous on est surtout dans l’idée de co-conception, co-réalisation, il y a la question du partage des savoirs. L’implication sur des temps longs, avec les habitants, pour avoir une expertise des lieux. Dans l’espace public, un espace adaptatif. Derrière, il y a à la fois une volonté de trouver une certaine autonomie, parce que nous on travaille avec des petites communes, parfois on crée des nouveaux espaces, ça fait des nouveaux espaces à entretenir. Parfois on arrive à monter des groupes d’habitants qui vont assurer le fonctionnement, l’entretien, mais aussi l’animation d’espaces nouveaux créés ou d’espaces modifiés. Ce qui va permettre justement un rôle actif dans l’animation et la gestion des espaces publics de la part d’habitants. Donc, c’est peut-être à travers ça qu’on va parler des communs et de la réappropriation. Dans le volet réalisation, il y a aussi la question du partage de connaissances, de savoirs locaux, et puis nous, de transmettre. On va quelquefois faire des ouvrages que des personnes vont refaire chez eux, il y a aussi la question de transmission, un espace de mise en commun de connaissances, de partage et d’essaimage.
3. Origine des communs
C.B : L’élaboration d’un commun implique toujours un collectif et un partage de compétences et de savoir-faire, d’où notre idée que, à l’origine des communs, il y a un besoin insatisfait, voire une souffrance. Qu’est-ce qui, à votre avis, préside à l’avènement de communs en design ?
L.P : Nous, dans la question de l’espace public, c’est de pouvoir prendre part à la structuration de son espace de vie, de son environnement. On voit dans des cas de communes rurales que c’est aussi parfois pour de nouveaux habitants l’occasion de rencontrer des gens en faisant quelque chose pour la communauté et donc il y a des ambitions qui sont aussi très personnelles mais aussi des envies de modèles de société, être plus actif dans la société.
Et après, je crois que c’est au-delà de la question de la conception, c’est aussi à travers le « faire ». Il y a une question très gratifiante dans le fait de participer à la fabrication d’un espace. Je pense qu’à travers ça il y a des bénéfices matériels, qui sont clairement la transformation d’un espace, et tout ce qu’on appelle les bénéfices immatériels, c’est à dire tout l’informel qu’il y a derrière. Nous, c’est pas mal autour de la question du jardinage où il y a le partage de techniques entre des participants, la rencontre avec son voisin. Il y a un autre point qui est aussi important, c’est la transmission paysagère ; à force de travailler ensemble, on va transmettre aussi une perception de l’espace, du paysage qui va finalement permettre à chacun de faire en sorte que le paysage prenne plus de place qu’avant dans la réflexion. Le matériel est tout aussi important quand on contractualise un projet de transformation d’espace qui n’est parfois pas facile à mettre en valeur ; ce qu’on vend c’est un espace fini. Or à travers la question du processus, il y a pleins de bénéfices immatériels qui vont se mettre en place : comment on donne valeur pour justifier aussi le fait d’être sur place, de faire du terrain, d’être en résidence, d’être au contact ?
Les deux sont importants, tout le monde ne s’investira pas, on doit garantir un résultat intéressant pour tout le monde et notamment ceux qui ne veulent pas s’investir dans le processus.
4. Commun et tiers-lieu de recherche
C.B : Les précédentes décennies ont vu fleurir des hackerspaces, puis des makerspaces — sous forme de FabLabs, par exemple. Dans le cadre de notre enquête, imaginons un commun qui réunirait designers, chercheurs et usagers au sein d’un tiers-lieu dédié à la recherche pratique et théorique en design. S’il existait, participeriez-vous à ce type de commun ?
L.P : Je pense que l’idée est intéressante, mais la question c’est quel lieu ? Avec quelles personnes ? Quelle dynamique ? On dirait « oui » dans l’absolu, après pour aller plus loin il faut que ça puisse incarner pleins de choses. Par exemple, nous, on est très attachés à travailler dans des territoires spécifiques, car on voulait habiter là. Il y a la question du « où ? » qui est très importante parce qu’on ne dissocie pas notre travail et les lieux dans lesquels on voulait être. Il y a pleins de modalités qui feraient que le projet est vivant ou pas, est crédible, désirable. Quand on est praticien, on est toujours dans la question de la recherche dans la création. Dans le paysage, la pratique c’est de la recherche, donc j’aurai tendance à ne pas vraiment dissocier les deux.
5. Conclusion
C.B : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?
L.P : Non, c’est bon pour moi
C.B : Encore merci pour le temps que vous m’avez accordé.
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Célestine Bel est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », promotion 2024-2025. ↩