L’entretien qui suit a été réalisé par écrit le 3 avril 2024. Kenneth Rabin est un artiste, designer et directeur artistique. À travers son studio « Ken Rabin Design », il développe des projets visant à la reconnaissance et à la valorisation du patrimoine architectural et culturel. Ancien responsable de la recherche en design à l’ESAD de Valenciennes, il a conçu des programmes et enseigné dans des institutions telles que Parsons Paris, Columbia University (Paris), Georgia Tech Lorraine et l’École d’architecture de Nancy. Il a généreusement accepté de répondre à nos questions dans le cadre d’une enquête sur le design et ses pratiques.
1. Formation et situation professionnelle
Oula Al Chayb : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre formation et le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ?
Kenneth Rabin : J’ai effectué mes études de premier cycle en littérature anglaise et en arts plastiques au Hamilton College, NY (États-Unis). J’ai obtenu un Master en beaux-arts à la Cranbrook Academy (États-Unis), avec George Ortman, responsable de l’atelier de peinture. Puis un DESS en études européennes d’architecture à l’INPL-Nancy (France). Actuellement, je suis doctorant à l’école d’architecture et de design urbain du RMIT (Royal Melbourne Institute of Technology), à Melbourne et Hô Chi Minh-Ville.
J’ai travaillé plus de 25 ans comme designer dans un studio créatif à mon propre nom. J’ai enseigné dans l’enseignement supérieur en art, design, et architecture dans plusieurs écoles en France (Georgia Tech Lorraine ; École des beaux-arts de Metz ; École d’architecture de Nancy ; Columbia GSAPP ; Parsons-New School Paris; École d’art et design de Valenciennes ; École des beaux-arts Annecy-Alpes…) Je suis actuellement professeur associé en Design Studies à RMIT Vietnam, à Saïgon.
2. Rencontre avec les communs
O.AC : Notre présente enquête porte sur les communs et le design. Pour le design, les communs semblent surtout impliquer le partage de connaissances informatiques ou numériques — dans le cas de l’open design — et le partage de connaissances pratiques — dans le cas du design écosocial, par exemple.
À quelle occasion vous êtes-vous intéressé à cette question des communs ? De quel type de commun s’agissait-il ?
K.R : Mon travail en tant qu’artiste/designer dans les processus de patrimonialisation m’a placé directement face à des notions fortes de « communs », comme éléments partagés et situés de l’identité historico-culturelle, à la fois sur le plan des savoirs et des artefacts.
3. Origine des communs
O.AC : L’élaboration d’un commun implique toujours un collectif et un partage de compétences et de savoir-faire, d’où notre idée que, à l’origine des communs, il y a un besoin insatisfait, voire une souffrance. Qu’est-ce qui, à votre avis, préside à l’avènement de communs en design ?
K.R : Je ne pense pas pouvoir répondre de manière significative à une question aussi abstraite. Je dirais que toute discussion sur les « communs » doit d’abord être observée dans un contexte de temps, de lieu et d’actions humaines. Il faut, à mon avis, distinguer entre les ressources ressenties comme naturellement partagées par une communauté de pratique identifiable (comme le ciel, par exemple) et celles qui sont reconnues comme partagées par une institution (comme un parc public). Toute réponse dépend donc du type de commun dont il est question, et des dynamiques humaines et culturelles impliquées.
Les notions de communs sont liées à des pratiques culturelles et de gouvernance concernant les frontières, les limites, la propriété, avec des valeurs interconnectées d’identité individuelle et collective. Pour étudier leur émergence, il faudrait aussi analyser, dans un contexte déterminé, les pratiques passées liées aux communs, y compris les modes de transmission et de mémoire.
4. Commun et tiers-lieu de recherche
O.AC : Les précédentes décennies ont vu fleurir des hackerspaces, puis des mackerspaces — sous forme de FabLabs, par exemple. Dans le cadre de notre enquête, imaginons un commun qui réunirait designers, chercheurs et usagers au sein d’un tiers-lieu dédié à la recherche pratique et théorique en design. S’il existait, participeriez-vous à ce type de commun ?
K.R : Oui, si on me le demande gentiment, je pourrais y participer, comme je l’ai déjà fait par le passé :) Encore une fois, il m’est difficile de discuter de questions aussi générales ou idéologiques sans contexte ou exemples concrets.
5. Conclusion
O.AC : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?
K.R : Dans le cadre d’un forum d’échange sur les notions occidentales des « communs », je souhaiterais soumettre cette remarque à la discussion :
« Nos systèmes symboliques partagés, et les manières fondamentales dont nous donnons du sens au monde à travers eux, peuvent être menacés par des manipulations délibérées (postures, marchandisation, polarisation) les transformant en formes d’insignifiance socialement médiatisées. Ces actes intentionnels nous conditionnent à accepter la perte dévastatrice comme caractéristique normale de notre environnement culturel actuel. Mais le défaitisme ne deviendra jamais une valeur culturelle. Le regret ne deviendra pas un nouveau commun. »
Merci pour l’opportunité de répondre à vos questions !
O.AC : Merci pour vos réponses.