Entretien avec HGW
Clem Souchu

L’interview a été réalisé le 12 novembre 2022. HGW1, professeur, designer et technicien mail, a accepté de répondre à nos questions traitant de la profession de designer et des pratiques charriées par celle-ci.

Clem Souchu2 : Bonjour HGW et merci de m’accorder de ton temps pour cet entretien. La première question porte sur ton parcours, les formations que tu as reçues et aussi est-ce que tu aurais observé un décalage entre ta formation et ce que tu as connu par la suite en tant que professionnel ?

H.G. W : Alors après le Bac, j’ai fait toutes mes études à Paris, j’ai essayé la fac très brièvement pendant quelques mois en « ethnologie, histoire antique et sociologie ». Il y a eu vraiment un format un peu compliqué à aborder, j'étais trop jeune probablement mais il y avait aussi un manque de cadre. L'idée c’était d’aborder quand même le champ de la création et des arts appliqués, mais avec l’envie de le faire par moi-même et de pas passer par des études faites pour ça, et plutôt avoir un socle culturel, intellectuel, conceptuel, comme apport dans le cadre de mes études. Après avoir arrêté la fac, je me suis dirigé vers l’école d’arts appliqués où j'ai étudié et dans laquelle j'enseigne actuellement. J’y ai fait une mise à niveau, un BTS textile (Brevet de Technicien Supérieur), une licence pro mode et production industrielle puis une FCIL (Formation Complémentaire d'Initiative Locale), aujourd'hui FCND (Formation Complémentaire Non Diplômante), que l’on peut décrire comme une année de stage. Je suis arrivé vers le textile et la mode sans vouloir directement faire du textile et de la mode. Même dans le cadre de mon BTS, j'ai assez peu manié ce genre de matières qui, par la suite, ont occupé une place importante dans ma carrière. J'ai vraiment fini le BTS avec une approche de la matière manifeste mais je tendais surtout vers du vêtement. C’est en licence-pro que par la collaboration ça c’est précisé, je produisais des matières et ma collègue faisait du vestimentaire. C’est vraiment en stage, par le biais de l'entreprise dans le cadre de la FCND où j'étais en usine, que j’ai compris la dimension un peu systémique de la chose, que je me suis intéressé à l’industrie textile : c’est sur la fin de mes études que le lien avec ma pratique vraiment professionnelle c'est éclairé. C’était plus le fait des stages, le reste ça m’a donné des jalons méthodologiques dans ma façon de penser la recherche plutôt qu’une inscription dans un secteur.

C. S : De fait il n’y a pas eu d'opposition dans ton enseignement et ta profession ?

H.G. W : Y a pas eu d'opposition mais ça a été très progressif et pour moi très surprenant, je suis arrivé en voulant faire de l'illustration pour enfant, l’illustration c'est transformée en dessin et peinture au sens large qui, petit à petit est devenu du motif, à partir du motif je me suis intéressé au support d’impression et, de fil en aiguille, c’est devenu à travers des rencontres une pratique intégrée dans le secteur mode. C’était absolument pas anticipé, mais l’approche de l’école où j’étais permettait une approche assez mutante de ça, vraiment assez évolutive et j'ai bénéficié de ça. Donc oui, pas d'opposition mais un parcours qui m'a moi-même un peu étonné.

C. S : Dans quelles structures as-tu travaillé et quelles y étaient tes fonctions ?

H.G. W : La première expérience que je considère comme vraiment professionnelle c’était un long stage en FCND, dans une usine à soierie en périphérie de Lyon. J’assistais la styliste, qui était dessinatrice textile autour de dessins motifs, de gammes de couleurs, avec des suggestions de nouvelles mains ou de nouvelles matérialités pour les étoffes. C'était de la constitution de collection en dialogue avec le metteur en carte, celui qui avait pour rôle d'aborder de façon plus technicienne avec la mise en œuvre des étoffes. Il programmait les dessins pour du jacquard, et mettait en œuvre les armures à partir des directives et des envies de textures qu’on lui soumettait, que ce soit des mains plus lourdes, plus crêpées etc. On en discutait et ensuite on mettait des échantillons à combiner qu’il transformait en armure ou étoffe de tissage. Après cette expérience je me suis plus orienté vers une pratique freelance avec l'envie de monter mes propres collections, il y a eu une longue période d’incubation dans le nord de la France. Là, je suivais des formations entrepreneuriales, que de finances, ou de propriété intellectuelle. En même temps je montais un projet qui était subventionné avec des fonds régionaux et européens, pour développer des nouvelles matières et monter des collections, toujours avec la même collègue avec qui je travaillais en licence pro : à ce moment-là j'avais vraiment un profil de designer textile, j'étais à la MDA (Maison Des Artistes), en tant qu’artiste auteur. J'avais un poste avec beaucoup de dessin de motif d’une part, et d’une autre beaucoup de relation avec des industriels de sous-traitances : c'était principalement autour de l'ennoblissement et les subventions portaient sur le développement de matière imperméable avec une longue R&D (Recherche et Développement) qui a duré 1 an et demi, c'était un rôle de designer médiateur et d’intermédiaire. Autour de tout ça j’ai eu des missions un peu freelances pour des maisons et ateliers de luxe, pour des réalisations de vitrines, et suite à ça j’ai commencé une double activité en tant qu'enseignant et pour une unité de production textile, où là j’étais responsable commercial et responsable de recherche et développement textile.

C. S : Tu as dit que tu avais aussi une pratique d’enseignant : concrètement c’est quoi la situation d’un enseignant-designer ?

H.G. W : Là, je suis dans ma cinquième année d’enseignement, j’ai arrêté depuis quelques mois mon activité en entreprise, qui entre-temps a été rachetée, cette transition d'une équipe à une autre a aussi joué dans mon départ, c'était comme une occasion de changer les choses. En ce moment il y a un grand mouvement dans la fonction publique, les contractuels qui ont été pris il y a 4-5 ans en même temps que moi ne sont pas forcément renouvelés, et sont vivement encouragés à passer des concours. Donc mon choix de démissionner a été aussi induit par la nécessité de passer les concours de la fonction publique. À terme, une idée serait de profiter du temps que cette activité me laisse à côté pour redéployer une pratique de designer indépendant, reprendre de la R&D textile tant dans le motif que développement de nouveaux matériaux.

C. S : Il y aurait des formes de pédagogies alternatives comme avec des contrats en mairie, en FRAC etc qui t'intéresserait ?

H.G. W : De ne plus enseigner strictement dans mon école mais d’opter pour d’autres systèmes … j’y ai jamais vraiment pensé. Dans l’idée, effectivement, y a des questions que je me pose, en tant qu’ancien étudiant et professeur de la même école il y a quelque chose de très confortable, une compréhension assez intime du cadre et de l'environnement avec ses avantages et ses limites. Autant la perspective d'enseigner dans une autre grande école publique m’attire pas tant que ça, parce que j’ai l'impression d’avoir un vrai alignement de valeur pédagogique avec mon école actuelle, autant essayer et voir du côté alternatif ça peut être très intéressant, même si j’avoue ne pas connaître grand-chose de ce champ-là.

C. S : Je me sens un peu obligée de te relancer sur ce que tu m’as dit hors interview sur l’atelier squatte auquel tu participais et dont tu m’as parlé : ça c’est organisé comment pour toi ?

H.G. W : J’y ai eu une présence un peu particulière, ça a commencé avant avec ma collègue avec qui j’avais ma marque. On cherchait, au retour du nord de la France, un atelier, on s'est retrouvés dans le milieu des squattes, on avait intégré un premier squatte de soixante personnes. Quand il a fermé on s’est dirigés vers un second avec une fraction des résidents et personnes présentes, on s'est fédérés autour de ça pour ouvrir un squatte qui se recentrait plus sur de la production que de l’habitation, on y était 11-12. J'ai pas participé à la première entrée mais j'étais là pour la première relève. À l’occupation après la signature des conventions, on partageait avec ma collègue un atelier de couture avec les machines industrielles, les tissus et les stockmans, c'était un atelier de développement textile et de dessins, avec tout ce qu’il faut. Sauf que ça a été aussi concomitant avec une inscription plus franche dans mon école en tant que professeur, ainsi que dans mon travail en entreprise qui s'accentuait lui aussi. À côté, ma pratique indépendante s’étiolait un peu donc pendant un temps : c’était un lieu où je venais pour faire soit des collaborations très ponctuelles avec ma collègue, sur des petits drops produits, une collection de t-shirt ou microcapsule pour de l’éditorial, ou alors des rendez-vous très denses très compacts, et le reste du temps j’étais absent. Aussi j’utilisais l’espace comme une arrière-salle de l'entreprise textile, j’y montrais aux clients les tapisseries avant envoi. C’était un lieu très sécurisé avec des occupants très sérieux ce qui permettait vraiment d'entreposer du matériel et des produits assez haut de gamme, destinés à un marché assez exclusif. Typiquement, les tapisseries, on faisait les finitions dans cet atelier, et le cadre était intéressant pour cette polyvalence. Par la suite je me suis éloigné, notamment pendant le covid où j’avais pris toutes mes affaires pour travailler depuis chez moi. J’ai plus jamais réinvesti l’atelier avec mon matériel mais je me suis réinvesti dans le lieu en organisant des concerts, régulièrement je tenais le bar pendant les événements, un peu d'organisation d’expositions aussi. Ma présence ça a été aussi beaucoup plus pour l’entreprise, j’y allais toutes les semaines pour participer aux finitions, recevoir les clients, expliquer à ma collègue les spécificités de certaines productions, ça a été un lieu où j’ai eu plusieurs activités et modalités d’occupation et après, quand ça a fermé, j’ai pas vraiment participé à son déménagement, j’ai pris mes distances petit à petit.

C. S : Comment dans le temps le projet se structurait-il et comment se faisait-il quand tu travaillais en entreprise ? Comment se faisait le projet de la conception à la livraison ?

H.G. W : Alors j'ai l'impression de commencer toutes mes réponses par quelque chose d’assez flou mais c’était assez fluctuant, ça dépendait vraiment de la nature des projets. Mais en tout cas, de ce qui me concerne, s’il y avait pas une temporalité il y avait une méthode qui était assez fixe. Soit j’étais contacté par le client, soit souvent je prenais l'initiative d’aller voir des galeristes, par mail ou par des foires comme la FIAC, avec des événements qui centralisent différents acteurs, plutôt des artistes au début. Puis j’ai essayé de contacter des centres des institutions afin d’entrer dans une perspective de série et de sortir de la pièce unique et de la collaboration one shot : y a une stratégie qui s'est mise en place, au fur et à mesure que je me rodais à l’exercice. Une fois que la commande était passée, il y avait une activité assez pédagogique pour expliquer le textile à des non connaisseurs, pour montrer le potentiel de la structure. Avec l’artiste on pouvait discuter autour d’une œuvre : soit l’œuvre existait déjà, soit, à partir des informations, l’artiste pensait une œuvre pour de la tapisserie : s’ensuivaient un ou plusieurs rendez-vous soit pour montrer des échantillons de plus en plus précis ou choisir les fils spécifiquement en les plaçant, puis ça repartait vers l’atelier. Donc vraiment c’était une activité de passerelle pour parler des enjeux plastiques, notamment afin de pas avoir une traduction trop lisse et une restitution littérale de l'œuvre : il s'agissait pas d'avoir un truc haute-fidélité qui juste photocopiait en tissage une œuvre plasticienne, c'était un travail de traduction des intentions. Puis il y avait la mise en carte, qui traduit en fichier tissable la photo, peinture ou image. Le tissage on le faisait avec un métier jacquard industriel, mais avant la réalisation de la pièce réelle y avait des échantillonnages et donc d'autres allers-retours avec l’artiste. Parfois j’amenais l’artiste dans l’usine afin d’avoir une discussion à quatre, par ailleurs ça faisait plaisir au client de voir comment ça se passait. In fine la dernière étape de production c'était le tissage de la pièce et la finition par ma collègue à Paris. Selon l’ampleur on attendait soit des pièces uniques, dans ce cas ça pouvait être bouclé en un mois, surtout s'il s'agissait d’une transcription photographique ou j'intervenais très peu avec un développement qui était assez modeste, soit des projets plus complexes avec beaucoup d’allers-retours, d'échantillonnage de discussion avec un re-travail de l’œuvre orignal : y a des projets qui se sont étalés sur plus d’un an surtout quand je travaillais avec des éditeurs qui pensaient des séries de 8, 12 pièces, auquel cas ça pouvait être assez usant à terme, en temporalité ça va de temporalités très courtes d’un mois et demi à des temporalités plus longues, d’un an ou plus.

C. S : La question suivante, tu y as déjà un peu répondu : est-ce que tu aurais remarqué une évolution accordée au temps dans la pratique du projet ?

H.G. W : Dans mon cas, effectivement, j’y suis peut-être pas resté assez longtemps, je pense avoir une disposition assez naturelle au chaos, qui fait que les durées étaient assez peu contenues et, étant payé au mois et pas à la tâche, en fait je me retrouvais à passer beaucoup trop de temps sur les projets : mais c’était aussi parce que je m’y intéressais. Ce travail avait quelque chose qui est resté tout du long très prenant avec plus d’échange, et assez peu de stratégie du contrôle du degré d’investissement. J’étais assez proche des artistes, souvent des vrais liens étaient créés et ça finissait toujours par occuper beaucoup de temps ça c’est jamais condensé vraiment.

C. S : Est-ce que tu aurais selon tes propres standards, pas forcément en termes de réussite commerciale, des projets que tu considérerais peut-être pas comme ratés mais pas aboutis et d’autres que tu considérerais comme réussis, dont tu serais fier ? Aussi selon quel critère tu les classerais?

H.G. W : La première chose qui me passe par la tête, c’est une seule et même expérience pour les deux catégories, ça serait la marque que j’avais créée, dans la mesure où ça a été une expérience assez décisive dans la précision de la place que j'avais envie d'habiter dans l’industrie, et aussi de distance vis-à-vis de cette industrie. J’étais à la fois auteur et pris dans un réseau de sous-traitance ce qui donnait du sens à la recherche en déléguant certaines parties, ce qui impliquait aussi d'être dépossédé, c’est là que beaucoup de choses se sont liées. Après, commercialement et statutairement, ou même juridiquement, ça n‘est pas devenu un studio ou une marque viable, d’autres pratiques ont commencé à occuper de la place, je dirais pas que ça serait un regret… Par contre, sentiment de non-aboutissement, j’ai l'impression que ça s’est arrêté en cours de route, je sais pas si elle reprendra cette marque mais, le type de pratiques que j’entreprenais à cette époque, c'est ça que je vais chercher à reconquérir dans un futur le plus proche possible, ça me manque parce que je considérais que c’était un vrai succès et que ça s’est interrompu trop tôt à mon sens. S’il fallait donner deux exemples distincts d’une réussite et d’un échec, je dirais que la création de l’entreprise était plus réussie que ratée. Comme projet raté … c’est peut-être un peu psychologisant, et plus du point de vue du vécu, que de la facture du projet, vu que les projets livrés ont satisfaits les clients, je parlerais de quelques projets parfois extrêmement lourds dans le vécu, notamment ceux avec un éditeur — que je ne nommerais pas — qui a duré dans le temps et c’est fait au sortir du covid : c’était un contexte bizarre et un peu compliqué. J’avais un peu de mal à manier les différentes attentes et responsabilités et du coup j’ai eu des difficultés à communiquer, j’ai pris des engagements que j’aurais pas dû prendre en terme d'échéance et de tarification qui fait que j’ai dû beaucoup me dé-dire, et revenir sur ma parole ce qu’y a été très difficile d’assumer envers mes collègues, mes clients et mon patron. C’était véritablement un moment d’enfer professionnel qui avait des retombées sur ma vie en tant que professeur, et designer donc, quelque chose que je ne regrette peut-être pas mais que je ne referais pas, ça a été un point de non-retour avec cette expérience-là.

C. S : Est-ce que tu aurais des idées ou des notions de piste de ce qui devrait être modifié ou ajouté à la formation des futurs designers pour qu'ils soient bénéfiques à leur pratique ?

H.G. W : Ouais, ce sont des idées qui sont pas forcément les miennes : il y a dans mon école des envies qui sont assez alignées que ce soit en terme d’équipe pédagogique ou d’institution, pour nos étudiants et nos établissements. C’est des choses qui se mettent plutôt en œuvre, je suis plutôt confiant malgré le tumulte, c’est une période assez difficile dans l’éducation nationale mais, malgré tout, dans la direction que prend l’école … Il y a des choses assez sensées notamment dans la réconciliation de la dimension technicienne et le rapport à l’auteur, je trouve que ça devient une posture plus réaliste. Du moins c’est un positionnement que je défends, et j’ai l’impression que ça trouve sa place, ce qui n'était pas forcément le cas quand j’étais étudiant où il y avait quelque chose d’une signature qui était peut-être surévalué sur une facture et une capacité de mise en œuvre : là on commence à avoir les outils pour. Il y a une articulation entre la formation technique et la formation de conception qui peut s'améliorer, mais qui s'améliore, il s’agit juste de continuer dans cette voix, ça passe par des partenariats durables notamment avec des industriels qu’on essaye de faire rentrer à nouveau à l’école, au-delà des partenariats ponctuels qui eux pour le coup sont omniprésents et qui fonctionnent très bien et sont cruciaux. Mais vraiment d’avoir des partenariats récurrents des relations durables avec certaines entreprise et manufacture d’une façon plus collaborative entre l’école et l’industrie c’est une chose qu’on essaye de structurer avec quelques collègues c'est plutôt bien accueilli. Ça prend du temps, mais c’est ça.

C. S : Je pense que ça conclut l'entretien, merci de ton temps pour cet échange.


  1. L’interviewé n’ayant pas souhaité être nominalement cité dans l’entretien nous l’avons anonymisé en conservant ses initiales, à savoir « H.G.W ».  

  2. Clem Souchu est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 panthéon-Sorbonne, 2022-2023.