Entretien avec Fabien Maschi
Théa Mirault

L’entretien s’est déroulé le 18 novembre 2022. Fabien Maschi est directeur de création au sein de l’agence Saguez & Partners. Fondée par oliver Saguez, cette agence de design global est basée à Saint Ouen.

Théa Mirault1 : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur la formation en design que vous avez reçue ? Y a-t-il un décalage entre votre formation et le métier de designer tel que vous l’exercez ?

Fabien Maschi : Après un Baccalauréat (Économique et social) je me suis orienté vers une MANAA (Mise À Niveau en Arts Appliqués) d’une durée d’un an. Année permettant de toucher à tous les métiers d’arts : mode / design produit / architecture / arts graphiques / artisanat d’art / paysagisme et bien sûr le design d’espace. À la suite de cette année, j’ai continué en BTS Design d’espace pendant 2 ans pour ensuite terminer mes études en DSAA (Diplôme Supérieur d’Arts Appliqués) design d’environnement à l’école Boulle.
Dans le métier que j’exerce aujourd’hui, je retrouve une sorte de continuité avec la formation initiale. Analyses, définition des problématiques et questionnements, approche prospective, réflexion créative, définition d’un concept et de son story telling... Bien évidemment, l’aspect technique, montage projet, financier, la relation client, le marketing associé aux projets ou encore les dimensions politiques qui en découlent sont des choses qui ne sont pas enseignées mais qui s’apprennent en commençant à travailler.
Pour résumer, il n’y a pas de gros décalage entre la formation et le métier, si ce n’est dans les phases hors concept créatif.

T. M : Dans quel type de structure (université, école, entreprise...) travaillez- vous actuellement ? Quelle y est votre fonction ?

F. M : Je suis actuellement Directeur de Création de l’activité « Lifestyle » regroupant toutes les typologies de projets : territoire, retail, hospitalité, grands ensembles immobiliers, mixed use, aéroports etc. J’effectue ce rôle au sein de l’agence Saguez & Partners qui est une agence de design Global qui regroupe trois grands pôles d’activités : Workstyle (tertiaire utilisateur) Lifestyle, Marque (branding, stratégie de marque).

T. M : Dans votre structure de travail, comment se déroule la conception d’un projet, depuis la commande du client jusqu’à sa livraison ?

F. M : Temps 1. Il y a d’abord la prise de brief avec le client (ou en format numérique). On se réunit en équipe pour analyser le brief, les enjeux du client et de la marque pour qui on travaille. Différents profils se mettent autour de la table comme Conseil en stratégie et branding, Direction d’activité, Direction de clientèle, Direction de création.Temps 2. Kickoff projet : définition des équipes projet, des enjeux du projet, des honoraires, du budget, des plannings... Temps 3. Temps de production créative : story telling / fil rouge créatif. Là on définit les grandes lignes directrices du concept, vocable et les inspirations, concept appliqué au lieu, analyse du site etc. L’ensemble de ces éléments sont validés par la direction de création ou d’activité en fonction des enjeux du projets. Cette phase peut prendre 3 à 6 semaines avec des échanges intermédiaires avec les clients pour valider l’avancée et l’orientation. Temps 4. Présentation du dossier Créatif et échange avec le client. Il est parfois nécessaire de retravailler le document pour y intégrer les commentaires des décisionnaires. Temps 5. On arrive sur les phases classiques d'étude d'avant-projet sommaire (APS) ; l'étude d'avant-projet définitive (APD) permettant de mettre au point le projet créatif (souvent à partir de l’APS, je fais du suivi des équipes qui travaillent en quasi-autonomie sur le sujet).
Au sein de notre agence, et en particulier sur nos projets Lifestyle, nous faisons très peu de suivi réalisation ou de coordination de chantier car cela implique un autre mode de fonctionnement qui est très chronophage. C’est un tout autre type de format et de stratégie d’agence. Les agences d’architecture proposent généralement ces missions.
En revanche, nous assurons malgré tout un accompagnement jusqu’à la livraison afin de nous assurer de la qualité d’exécution et de la fidélité du résultat vs notre concept initial.

T. M : Le temps accordé à un projet (toutes catégories et secteurs confondus) a-t-il changé depuis le début de votre carrière ? Comment vivez-vous ces changements (s’il y en a) ?

F. M : Cela dépend vraiment de la typologie de projet, de sa taille, des enjeux pour la maîtrise d’ouvrage, de son aspect politique, de sa complexité. Mise à part les projets de territoire, le reste des projets demandent à toujours aller plus vite. Cependant, parfois il est possible qu’il y ait une pause dans le projet car la conjoncture actuelle ne permet pas toujours de trouver les solutions les plus adaptées au départ : problématiques liées au coût de constructions / pénurie matériaux / problématiques de programmations liées à des usages qui ne sont plus les mêmes qu’avant ou après COVID par exemple.
On est dans un monde où il faut aller vite... Parfois au détriment de la création ou du projet.

T. M : Auriez-vous un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté » à vos yeux, en dehors des critères marchands, c’est-à-dire qu’ils aient ou pas entraîné la satisfaction du commanditaire ? Quels sont, selon vous, les critères de réussite ou d’échec d’un projet ?

F. M : Un projet réussi : « Huawei Flagship Shenzhen ». Le premier projet complet de l’agence. Architecture / design où on a réussi à obtenir une image finale quasiment identique à la 3D que nous avions présenté 2 ans plus tôt. Il n’y a pas véritablement de projet raté à l’agence, car il est toujours possible d’y apporter des améliorations.

Pour un projet réussi, il faut qu’il réponde :

- aux enjeux de la maîtrise d’ouvrage (budget / délai / marque etc.)

- aux utilisateurs / usagers ou clients (parcours / usages / accessibilité etc.)

- À un enjeu de rentabilité pour le concepteur (temps passé sur le sujet)

- À des enjeux climatiques qui sont quasiment inévitables aujourd’hui... et tant mieux!

- Il faut que le projet vieillisse bien dans le temps. Qu’il ne soit pas juste l’objet d’un phénomène de mode (choix des matériaux, intemporalité etc.)

T. M : Que faudrait-il changer dans la formation et/ou dans l’exercice du métier pour améliorer les projets du point de vue des concepteurs et des utilisateurs ?

F. M : Il faudrait déjà commencer par augmenter la durée des stages passés en entreprise. Obliger un stage à l’étranger car nous avons beaucoup à apprendre des autres cultures. Un usager chinois ne va pas forcément parcourir ou vivre le lieu de la même manière. Il faudrait aussi pouvoir être plus régulièrement en lien avec des professionnels (qu’ils soient clients ou designers). Enfin, un court stage chez un fabricant / artisan / entreprise de BTP ou autre permettrait de comprendre aussi leurs enjeux et leurs problématiques.


  1. Théa Mirault est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.