Entretien avec Delphine Leblois
Yann Aucompte

Entretien écrit avec Delphine Leblois réalisé en 2016.

Yann Aucompte — Quel est ton parcours professionnel ? Pourquoi avoir choisi ce parcours ?

Delphine Leblois1 — Le choix d’un parcours artistique m’est venue assez naturellement car j’ai grandi dans un milieu littéraire et artistique. Ma mère était créatrice dans le textile et j’étais sans cesse dans son atelier. Mon parcours professionnel est une succession d’expériences riches de rencontres et de réflexions autour d’enjeux créatifs. Le démarrage par un travail dans la conception, puis répondre à des commandes, ont été comme des mises en application de ce que j’avais pu faire pendant mes études en arts appliqués. Il y a eu aussi une forme de transfert de la vision que j’avais de l’activité artistique familiale. Refaire, perpétuer. Et puis, il fallait que je puisse m’exprimer dans un langage créatif, un truc quand même vital quand on a une sensi- bilité créative.

YA — Quelles idées politiques, philosophiques, morales ou éthiques te paraissent importantes pour ton travail ?

DL — Mon éthique de création est portée sur une approche très instinctive des choses. Je ne veux pas m’enfermer dans un seul domaine (et je ne peux pas) Donc, il y a un moment où j’en ai fait mon éthique. Mon parcours de création est jalonné par des phases expérimentales différentes qui se périclitent, c’est ce qui caractérise mon travail (mosaïque, graphisme,gravure, dessin, céramique)

YA — Quelles idées philosophiques ou quels théoriciens du design t’ont marquées ?

DL—L’idée générale du Bauhaus m’a marquée. Relier l’art, la conception en design et l’artisanat, travailler ensemble pour produire du beau et de l’utile, cet état d’esprit d’un travail collaboratif m’a toujours stimulée, tant dans mon travail personnel que dans mon enseignement.

YA — Que penses-tu de la lubie des graphistes pour la sérigraphie, la ri- sographie et toutes les techniques « traditionnelles » ?

DL—Comme dans de nombreux domaines de la création, le graphisme a ce besoin de retour aux sources. C’est une façon de pouvoir être dans « le faire » dans des domaines où le virtuel pourrait prendre vite le pas. C’est aussi un état d’esprit qui s’inscrit dans des démarches plus soutenables. Par le choix de moyens traditionnels. Le graphiste gère sa production à petite échelle, il contrôle ce qu’il produit. En mettant la main à la pâte, il questionne, expérimente, innove, réinvente les formes du graphisme. Donc c’est une lubie nécessaire à la création.

YA — Que penses-tu de la tendance liée aux logiciels libres ? Trouves- tu utile ou nécessaire cette question pratique ?

DL — Je passe

YA — Le graphisme d’auteur te paraît-il nécessaire aujourd’hui ? Quels champs d’application le rendent indispensable ?

DL—Le graphisme d’auteur me paraît être une nécessité parmi les domaines de la création. C’est ce qui peut mettre un peu de poésie dans notre monde. Les champs d’application sont vastes édition, éducation, pédagogie, évènementiel)

YA — La recherche en design graphique te paraît-elle utile ? Quelle portée a-t-elle sur ton travail ?

DL — Essentielle. Les démarches exposées dans le dernier Étapes en sont la preuve. Questionner les supports, les usages, les enjeux écologiques du produit graphique...

YA — Est-il nécessaire que des graphistes acquièrent des positions d’autorité pour pouvoir valoriser le design ?

DL—Il faut que les graphistes et les designers aient une position d’autorité pour valoriser le design en tant que création répondant à un besoin .et le design en tant qu’esthétique de la «vie meilleure».le design ne doit pas être happé par le marketing et le mercantilisme, il doit donc s’affirmer que ce soit du petit ou du grand projet.

YA — Faut-il abandonner les travaux graphiques commerciaux pour les entreprises privées ? Le graphiste a-t-il quelque chose à apporter à ce contexte de production ?

DL—Le graphiste peut et doit apporter une vision plus écologique à l’entreprise. C’est une de ses responsabilités. Trouver des alternatives aux emballages excessifs. Trouver une approche plus éthique pour promouvoir des produits.

YA — Quels contacts as-tu eu avec le monde du marketing et de la publicité ?

DL— Je n’ai pas eu de contacts particuliers avec le monde de la pub. J’observe, je constate .

YA — Comment perçois-tu le fait que des travaux de graphisme soient présentés dans des galeries d’art ?

DL— Bien. Le graphisme doit s’afficher. Il y’a une vraie nécessité d’une sensibilisation à l’image. D’une éducation à l’image. Présenter le graphisme dans une galerie, c’est créer un espace propice pour une lecture intime, qui aura forcément une répercussion sur le lecteur.

YA — Comment est-ce que tu décrirais le rapport des étudiants à la pédagogie ? Quelles difficultés rencontrent-ils ? Quelle image peuvent-ils avoir du métier ?

DL — La pédagogie est d’une nécessité absolue dans l’éducation quel que soit le niveau d’études. Il me semble que les étudiants sont assez réceptifs aux pédagogies mises en place (pédagogie de projets, classe inversée, pédagogie interactive, évaluation formative). Si le dispositif est bien construit, les étudiants s’en emparent plutôt bien. Mes étudiants ont un manque de confiance à l’oral, et des difficultés à prendre des initiatives. La pédagogie de projet les aide à être plus autonomes et à construire des postures créatives singulières. Ils ont une image du métier qui semble bien éloignée de ce qu’ils réalisent dans leurs apprentissages. Un métier souvent réduit à l’image de directeur artistique (sans savoir vraiment toutes les responsabilités que cela suppose).


  1. Delphine Leblois est enseignante au Lycée André Malraux de Montereau-Fault-Yonne où elle intervient en Bac professionnel Artisanat et métiers d’art en communication visuelle et DNMADe Graphisme. Après un Baccalauréat littéraire histoire de l’art et arts plastiques, elle fait une MANAA à Duperré, et entre en BTS plasticien de l’environnement architectural. Elle suit 6 mois de L3 à Saint Charles en arts plastiques. Elle part pour New York en 1991, où elle travaille pour un studio de mobilier. Elle est en charge des collections de mobiliers en mosaïques (recherches de tendances, créations, prototypes). Elle revient en France en 1994 avec une expérience comme créatrice indépendante jusqu’en 2001 où elle devient enseignante à l’Éducation nationale.