Entretien avec le designer Jules Levasseur
Sophie Fétro

Propos recueillis le 6 mai 2021 par visioconférence.

Récemment installé à Semur-en-Auxois, en Bourgogne, Jules Levasseur1 développe une approche territoriale du design fondée sur un réseaux d'acteurs locaux. Deux pièces viennent cette année d'entrer dans les collections du Centre Pompidou. Cet entretien fait écho au dossier thématique n°3 « Les arts de faire », relatif à l'acte I « Les modes d'existence de l'atelier en art(s) et en design» et l'acte II  « Design du peu, pratiques ordinaires ».

Sophie Fétro2 : Bonjour Jules Levasseur, tu es designer, récemment installé à Semur en Auxois, en Bourgogne, après avoir fait tes études à l'ESAD de Reims et développé ton activité de designer en région parisienne. Nous nous connaissons depuis 8 ans maintenant, depuis ton jury de diplôme à l'ESAD de Reims (2013) et l'exposition Design ex Machina !3 à la Galerie Michel Journiac en 2015, à l'occasion de laquelle tu avais exposé plusieurs de tes créations. Je voulais aujourd'hui m'entretenir avec toi sur la nature de ton travail, les relations que tu entretiens avec les ateliers de production et les entreprises, et le rôle que tient le réseau d'acteurs que tu mets en place dans ton processus de création. Je voudrais tout d'abord commencer par t'interroger sur ton statut. Dans ton site web, tu te définis comme designer plasticien mais te considères-tu également comme un artisan, un faiseur, un fabricant, un maker ou un producteur ? Quel est le statut que tu souhaites revendiquer ?

Jules Levasseur : Il a évolué et il va encore évoluer. Avec l'ouverture de ma boutique, il va falloir que je modifie un peu mon site ou en créer un nouveau, spécifique à la boutique, en complément du mien. Au début j'avais pour ambition de connecter des réseaux différents : d'un côté, le milieu de l'édition, qui a ses propres rouages et qui fonctionne, de l'autre, les fabricants, avec lesquels je travaille, qui font avec leurs matériaux. J'ai bien vu que le monde de l'édition n'était pas le modèle que je souhaitais alimenter, pour les raisons que l'on connait liées à des problèmes de système économique. Au final, il me semblait plus intéressant d'aller au plus proche de la fabrication des objets et d'assurer en lien plus direct avec les entreprises avec lesquelles je travaille, afin de mettre en place une direction artistique qui soit plus expressive.

S. F. : Contrairement à d'autres designers qui sont peut-être plus distants par rapport à la question de la fabrication et au faire, tu sembles mettre l'accent, en tant que designer et plasticien, sur les modes opératoires, c'est quelque chose qui est important pour toi ?

J. L. : Oui tout à fait, c'est important pour faire émerger des formes. C'est important également parce que c'est un réel plaisir de voir la matière se transformer sous l'action de nos gestes, enfin des miens en tout cas. En étant à présent moi-même fabricant, ou en tout cas assembleur de la plupart des objets que je conçois, je réserve le fait de travailler avec des ouvriers spécialisés et des entreprises – parce que j'ai aussi besoin des autres pour faire les formes que je dessine – afin d'atteindre un certain niveau de performance, d'accéder à certaines techniques, et de voir exister des objets qui n'auraient pas lieu d'être si on se cantonnait au système économique qui prévaut dans le monde de l'édition.

S. F. : Au fond, quel a été l'élément déclencheur de ton goût pour les ateliers de production ? Car dès tes études et ton diplôme de fin d'étude, cette relation aux entreprises et ton intérêt pour les modes de production étaient déjà fortement présents, tu avais alors déjà engagé des relations avec différents ateliers de production. Est-ce une histoire familiale ? Plutôt des rencontres ?

J. L. : Je crois que c'est extrêmement plaisant de ne rien connaître d'un métier et de rencontrer des gens qui en sont spécialistes, qui savent ce qu'ils font même s'ils ne savent pas toujours le verbaliser. Il y a cette espèce de – comment je pourrais dire – lien mystérieux qui demande de l'observation pour comprendre comment les choses se font et fonctionnent. En effet, des artisans comme Jean-François, forgeron, ou Jean-Louis Royer de la tuilerie Royer, ne vont pas très bien parler de leurs gestes, des choses qu'ils font, parce que ce n'est pas leur métier. Ils n'arrivent pas vraiment à externaliser leurs compétences ou leurs savoirs autrement qu'en faisant. Pour ma part, ceci n'est pas un problème car je suis sensible, à des méthodes visuelles d'apprentissage qui passent par l'observation. Je vais pouvoir entre guillemets reproduire en regardant. Ce mode d'apprentissage me convient : je vois, je sais faire. Cette première approche doit ensuite être suivie d'une mise en pratique pour que ce qui a été observé puisse être intégré, mais au moins c'est compris. Ce temps d'échange et d'observation permet de créer des liens humains assez forts autour de projets, et je crois que quel que soit la dimension de l'entreprise finalement ce lien persiste dans mes projets, ce qui stimule mon envie de découvrir et d'aller rencontrer les gens. Je suis aujourd'hui resté dans le même type d'approche. Je disais lors de mon diplôme que « ça nous faire voir du pays », même s'il s'agit d'un petit pays. Cette logique territoriale, cette logique humaine, s'avère essentielle dans mon travail, permettant de faire des choses inenvisageables au départ. Ceci m'implique dans le faire, me permettant d'être continuellement en découverte.


Figure 1. Jean Louis Royer - Tuilerie Royer, Jules Levasseur.

S. F. : Pourrais-tu nous dire, par exemple, les raisons qui t'ont amené à aller chercher telle tuilerie, tel forgeron, plutôt que d'autres ? C'est un peu le hasard des choses ?

J. L. : Oui, cela relève à la fois du hasard et d'une réflexion assez simple liée à mon environnement géographique. La question était alors de savoir qui je peux aller voir, en étant situé à tel endroit, par rapport à mes besoins, qui pourrait m'amener à la rencontre d'une entreprise ou d'un artisan. Mon choix dépend aussi de ma volonté de travailler avec un certain type d'entreprise qui travaille d'une certaine manière. Il y a en tout cas un engagement métier qui est assez fort. Je suis conscient que les entreprises ne s'appuient pas uniquement sur la passion du métier pour exister au regard du système concurrentiel dans lequel elles évoluent, mais les gens avec lesquels je travaille sont toujours des passionnés de leur métier et ont généralement un point de vue sur la question de la formation, sur la manière dont on peut faire exister et évoluer une pratique. On se retrouve généralement sur ces points-là, dans le sens où notre but n'est pas seulement de faire du « fric », parce que, d'ailleurs, on n'y arrivera pas bien ensemble ! On est plutôt là pour faire autre chose, on est là pour faire avancer les choses.

S. F. : Pourrais-tu d'ailleurs préciser cet autre chose et ce que tu fais avancer ?

J. L. : L'objectif est d'apporter de la diversité et de développer une réflexion à l'égard de schémas productifs où la répétition, la routine, prend clairement le dessus. Ce qui me motive, c'est toujours la même chose, c'est-à-dire de voir quel incidence je peux avoir sur le travail d'un ouvrier. D'ailleurs, je fais ici une petite aparté, les artisans avec lesquels je travaille ont plutôt des statuts d'ouvriers ; ils s'identifient comme cela. Les compagnons s'identifient à des ouvriers, au sens noble du terme, plutôt qu'à de grands artisans d'art extrêmement renommés. De ce fait, l'idée est plutôt d'être au contact de métiers qui sont peu valorisés, voire peu valorisant, et de changer à travers les objets que je produits, la perception du travail. Ensuite, la question est de savoir comment j'insère mes projets dans de l'économie réelle afin que les projets que je conduis puissent fonctionner et pour que les objets que je produis soient fabriqués dans les conditions que je souhaite.

S. F. : La taille de l'entreprise à laquelle tu t'adresses est-elle déterminante ? Te diriges-tu en priorité plutôt vers des petites entreprises ou des ateliers familiaux, plutôt que vers des grosses structures ?

J. L. : Se tourner vers des petites et moyennes entreprises, s'avère beaucoup plus simple, parce que dans les « grosses boîtes », il y a beaucoup de turn-over et parce que la stratégie marketing est beaucoup plus forte. Il faut bien souvent faire un peu de pédagogie et savoir donner de son temps pour faire comprendre à l'entreprise ce qu'elle a sous la main quand elle travaille avec moi afin qu'elle fasse ensuite le nécessaire pour valoriser le travail engagé et le mettre en pratique. Ce qui n'est pas toujours évident. Je pense, par exemple, à l'entreprise Gewiss, spécialisé dans la production de chemins de câble : c'est compliqué, parce qu'ils n'ont pas vraiment compris ce qu'ils pouvaient faire de mon travail, comment par exemple m'intégrer à des problématiques internes afin de nourrir de nouveaux projets. Depuis sept ans, ils sont passés à mon avis à côté de beaucoup d'occasions et de fait moi aussi, ce qui est un peu dommage.

S. F. : Finalement, il s'agissait plus de sous-traitance que d'une véritable collaboration avec toi ?

J. L. : C'est ça, c'est-à-dire qu'à un moment, ils te font comprendre que s'il n'y a pas de budget, ce n'est pas la peine de continuer, qu'ils ne peuvent pas seulement soutenir un projet parce que cela te fait plaisir. Le design est vu comme un métier plaisir. Or Gewiss est une entreprise qui a les moyens ! Et c'est ce qui est un peu paradoxal : ceux qui ont le plus de moyens, ceux qui sont détenues par des holdings internationales, sont aussi ceux qui sont les plus frileux car ils ont moins la maîtrise de leur outil de production. Il y a donc, d'une part, l'échelle de l'entreprise, et, d'autre part, l'échelle du projet, qui sont déterminants. C'est aussi la raison pour laquelle aujourd'hui, je cherche à aller vers plus d'indépendance, que ce soit au niveau de la production mais aussi au niveau de la diffusion, parce que j'ai besoin d'avoir le contrôle du réseau.

S. F. : Cela veut dire que tout le monde ne voit pas d'un bon œil tes interventions, ou que les entreprises ne comprennent pas toujours ce que pourrait leur offrir votre collaboration ?

J. L. : Cela pose deux questions : d'une part, comment amener des entreprises qui travaillent dans un marché très particulier, à capitaliser sur un travail de designer complètement libre et expressif qui ne correspond pas à une mise au point de produits ? C'est le premier point, et le deuxième point : comment trouver les moyens de modifier un petit peu la structure de production et son organisation interne afin d'installer les compétences convenablement pour qu'elles puissent faire quelque chose d'autre au sein de l'entreprise ?


Figure 2. Oblong 350 Expérimentation plastique chemin de câble, Jules Levasseur.

S. F. : Certaines entreprises sont-elles malgré tout ouvertes à ton approche, même si certaines n'ont pas totalement saisi l'enjeu ou n'étaient pas prêtes à changer leurs façons de faire ? Est-ce que certaines ont été plutôt accueillantes à cet égard ?

J. L. : La plupart le sont. Ensuite, elles peuvent mettre les moyens dès lors que le risque financier est limité, mais elles ne cherchent pas pour autant à faire des démarches nécessaires pour le diminuer... Personnellement, je suis très mauvais commercial, c'est vrai, surtout quand il s'agit de vendre des choses qui se détachent de mon univers, qui vont rejoindre par exemple des collections, qui vont être fabriquées en grand nombre. Beaucoup, n'ont en fait pas joué le jeu de valoriser mon travail afin de savoir ce qu'ils pouvaient en faire pour tendre vers une dimension plus importante. Elles n'ont pas vraiment joué leur rôle.

S. F. : En effet, car en allant les voir, tu leur offres l'opportunité de diversifier leur production, ce qui pourrait être une véritable aubaine pour eux ! Or finalement cela ne semble pas toujours être perçu comme cela. Comment expliques-tu cette frilosité ou cette difficulté à percevoir positivement ton approche qui en réalité pourrait leur permettre d'élargir leur type de production, les ouvrir à de nouveaux marchés, et leur offrir de nouvelles perspectives et terrains de diffusion ?

J. L. : Justement c'est la question. J'ai en tout cas compris que je n'étais pas perçu comme un designer de « droite » entre guillemets. J'ai plus un positionnement de poète. Je suis quelqu'un qui va avoir une réponse juste mais qui est peut-être trop complexe à mettre en place pour eux. En tout cas, on me fait bien sentir que mon approche impliquent trop de risques. En tout cas, c'est ce que l'on me répond. Quand je pense à GEWISS, par exemple, leur but est clairement de vendre. En fait, ils vendent des produits à des électriciens, à des artisans qui vont faire du chantier, Les lampes que je propose sont déconnectées de leur public habituel. Ca n'a absolument plus rien à voir, et surtout, ils ne sauront pas s'adresser à un public différent, et moi, je ne suis pas en mesure de leur proposer un plan commercial pour toucher un autre public. Les objets qui ont pu être achetés par le Centre Pompidou dernièrement, renforcent peut-être le statut de pièces uniques des objets que je peux produire. Ce sont des objets qui portent un discours et j'ai l'impression que les gens me perçoivent plus comme un créateur que comme un designer et peut être que c'est là dessus qu'il faut que je continue à travailler, car cela ne m'empêche pas de proposer une adéquation extrêmement rationnelle entre le coût de production et le prix d'achat d'un objet. Mais il faut pouvoir être perçu de la bonne manière par différents interlocuteurs et je suis peut-être allé dans une direction qui n'était pas celle qui correspondait au public que je souhaitais toucher et aux entreprises avec lesquelles je travaille.


Figure 3. Luminaires Y.T.K, Jules Levasseur.

S. F. : Et en même temps c'est une tension qui est inhérente même au design. De nombreux designers, par le passé, ont été confronté à cette tension entre les aspirations artistiques des créateurs/designers et les aspirations marchandes. Ce n'est pas toujours facile de concilier les deux et les sensibilités qui sont en jeu ne se rejoignent pas nécessairement. C'est peut-être aussi cette tension inhérente au métier de designer qui n'est pas évidente dès lors que l'on cherche à vivre de sa propre pratique ?

J. L. : Oui bien sûr. Je le vois par exemple à travers l'approche de mes confrères, de mes amis, qui ont le même âge que moi, on peut se catégoriser : il y a ceux pour lesquels, et cela se voit clairement à travers leurs sites web : un projet implique un client (une réalisation répond à une commande). Pour ma part, je suis un peu en dehors de ce schéma. De ce fait, on s'interroge souvent sur le statut de mes objets, pourquoi ils existent. Moi, je sais les justifier, ce n'est pas un problème, mais cela ne correspond pas toujours à un schéma classique. Je suis par exemple en train de travailler sur mon premier produit de grande diffusion qui va être un pied de sapin de noël, mais voilà je travaille avec un producteur du coin. Il s'agit d'un pépiniériste, qui n'a jamais travaillé avec un designer avant. C'est au départ une entreprise dans laquelle le design est a priori totalement absent. Même si le projet est au départ très industriel, je reste dans mon rôle entre guillemets que je m'étais donné au départ, de faire exister le design au sein d'une entreprise profane, là où le design n'existe pas afin que l'on perçoive sa valeur ajoutée, ce qu'il pourrait au fond apporter. Même si comme tu le dis, mon approche peut rentrer dans une stratégie globale de diversification, qui pourrait m'amener à trouver des gens capables de travailler en plus sur la pub et la communication, voilà comment je suis perçu. Au fond, ce discours ne s'entend pas parce que mes références m'enferment dans un autre statut.

S. F. : Mais est-ce que c'est un problème ? Est-ce que cela ne témoigne pas d'une sorte d'intégrité par rapport au travail créatif que tu mènes et finalement d'une résistance face au système capitaliste tel qu'il existe afin de faire exister un rapport plus direct aux choses, plus centré sur la question des modes de fabrication, du sens que ça a de fabriquer tel ou tel objet, et aussi de mettre l'accent sur l'échange humain que cela peut impliquer ?

J. L. : Oui, mais en fait il fallait que je le sache ! C'est d'ailleurs toute la difficulté. Pourtant le diplôme, c'était il y a presque 8 ans ! Il était d'ailleurs assez cadré. Quand je prends du recul, il n'y avait pas de questionnement sur la manière dont j'allais travailler par la suite. Je pense que mon approche était déjà assez affirmée, mais d'un autre côté, 8 ans après, je n'ai toujours pas exactement compris comment je devais travailler. Je crois que l'installation en Bourgogne, c'est vraiment un tout. Quand on reste à Paris, on se dit toujours qu'il y a des occasions manquées, qu'il y a tel ou tel réseau à intégrer. Il y a par ailleurs une forte rivalité : les autres existent, ils peuvent briller sous certains projecteurs. J'ai pu me dire que je perds du temps, ou me demander ce que je fais, comment j'existe, me dire que je n'ai pas réussi à travailler avec untel ou untel. Avec le Covid et l'installation en Bourgogne, j'ai opéré un vrai changement de cap ! Je crois que les dix prochaines années vont être beaucoup plus simples et beaucoup plus riches parce que je suis proche de mes producteurs, des entreprises avec lesquelles je collabore. J'assume la manière dont je travaille, j'ai une visibilité qui est hyper interessante parce qu'elle est pour ainsi dire « incongrue ». Des choses nouvelles se passent. Je reste en contact avec les conservatrices du Centre Pompidou qui peuvent aussi me solliciter sur certains sujets, ce sont des relations nouvelles qui doivent évoluer...

S. F. : C'est d'ailleurs en quelque sorte une consécration ?

J. L. : Complètement ! C'était totalement inattendu et cela me permet de me justifier en tant qu'auteur, parce que je ne m'attendais pas à ce que certains de mes objets entre dans des collections muséographiques. Déjà quand j'avais exposé à la Galerie Michel Journiac, je trouvais que mettre du chemin de câble dans un white cube s'était déjà une consécration, et puis bon voilà c'est intégré.


Figure 4. Exposition Design ex Machina !, Galerie Michel Journiac, Paris, Jules Levasseur, 2015.

S. F. : Ce qui me semble également intéressant dans ton approche c'est l'intégrité avec laquelle tu conduis tes projets, ton intérêt aussi pour le monde ouvrier. Justement dans ton site, tu mets en évidence cette idée de « mettre en lumière les pratiques ouvrières » et il me semble que cela caractérise bien ton travail. Le design que tu développes ne se fait pas de façon solitaire, tu engages un travail collaboratif avec des artisans, des ouvriers et des industriels. Il y a un objectif sous-jacent me semble-t-il à ton approche qui est de mettre en évidence cette culture technique. Gilbert Simondon fait ce constat que notre monde est fondé sur une sorte de disjonction entre la culture et les objets techniques et propose de remédier à cette opposition, et à réhabiliter la réalité humaine des objets techniques. Ce que tu proposes n'est-ce pas justement contrer cette opposition pour opérer des rapprochements ? À cet égard, qu'est ce qui t'intéresse dans cette mise en lumière des pratiques ouvrières qui sont souvent modestes et souvent méconnues ?

J. L. : Oui, la société actuelle est avant tout une société du spectacle qui cultive le fantastique et la performance, on en oublie parfois la construction des métiers, les différentes étapes qui sont nécessaires pour faire quelque chose, finalement des choses très simples. La simplicité, l'abnégation de l'artisan, sa relation à la simplicité et en même temps à l'efficacité, le rapport au geste, sont des choses essentielles. L'idée c'est de montrer par tout un tas de vecteurs comment effectivement quelque chose d'ordinaire a encore le mérite d'exister, a encore le mérite d'être employé et qu'on n'a pas besoin de solliciter parfois des énergies ou des technologies qui peuvent être trop coûteuses, trop éloignées, trop énergivores. Par exemple, les matériaux que je sollicite, ici en Bourgogne, sont des matériaux connus aussi parce que les entreprises se trouvent sur place. MétalDeployé, qui est là depuis 150 ans, a fait que les gens en sont familiers – on connait le métal déployé et on le reconnaît – comme un vin de Bourgogne. Des gens qui sont venus à la boutique m'ont dit « ah, hé bien ça on en a dans le garage, on pourra faire la même chose », ce qui montre que d'un côté ce que je peux faire est extrêmement simple  : les tréteaux en tôle ondulée, sont extrêmement simples, mais, d'un autre côté, ils sont dessinés, ils sont malgré tout singuliers, enfin, ils ont cette forme, cette présence qui en fait la singularité. Ce que je veux dire c'est que malgré l'apparente simplicité de la technique – le matériaux est très abordable, la tôle ondulée, on l'a vue, on l'a revue même –, mais en réalité on la connait mal. C'est précisément ce jeu-là qui m'intéresse. Cela va peut-être un peu à contre-courant d'une mode ou d'une volonté de faire évoluer les métiers par toujours plus de performance quand au final un simple petit élément de contexte qu'on déplace peut avoir un impact sur la perception qu'on a du métier.


Figure 5. Tréteaux S, Jules Levasseur.

S. F. : Quelque part, le designer a un rôle de révélateur de la technique, c'est ce que tu dis à propos d'une technique que tout le monde semble connaître comme la technique du métal déployé, d'autant plus en Bourgogne car visiblement c'est bien implanté, mais qui demande en même temps qu'un travail soit réalisé pour la faire voir autrement. Ce geste-là, ce travail-là, constitue une mission pour le designer qui est essentielle pour toi ?

J. L. : Oui tout à fait. J'ai d'ailleurs choisi de me situer du côté de l'ordinaire, ce qui dans le même temps pourrait sembler médiatiquement un peu pauvre, un peu redondant. Je pense en disant cela aux recherches qui sont extrêmement intéressantes et qui doivent se multiplier concernant l'utilisation des ressources, je pense en particulier à mon amie Lucile Viaud avec son verre marin, l'Ostraco, fait avec des coquilles d'huitre, car elle refait de la silice à partir de déchet de la pêche, ou à Samuel Tomatis avec ses algues. Dans ces démarches, il y a une mise en scène de cette performance à voir le déchet commun se transformer en des objets et des matières qui visuellement parle du processus. Le design est un révélateur, c'est ce à quoi il peut servir au lieu d'alimenter de nouvelles collections ou de faire toujours dans le pragmatique, voilà effectivement le rôle de mon propre design. Il est clairement là pour valoriser des pratiques ouvrières, permettre de les perpétuer, voire pourquoi pas d'apporter de l'attractivité à des secteurs qui sont en perte de vitesse et qui pourtant ont vocation à rester sur le territoire. Pour y parvenir, cela demande des moyens et une certaine vision des choses. Il faudrait peut-être multiplier les contacts, aller à la rencontre d'autres contextes afin d'organiser vraiment les choses plutôt que cela vienne seulement de ma propre initiative. Cela tient aussi à ma perception personnelle des choses.

S. F. : Au niveau du ministère de la Culture, je sais qu'il existe des programmes de soutien aux savoir-faire qui risquent d'être oubliés, comme par exemple la dentelle de calais, pour que lorsqu'une entreprise disparaît ou dépose le bilan, les compétences, les savoir-faire, les modèles et les techniques ne disparaissent pas complètement. Il faut peut-être creuser dans ces directions...

J. L. : Il faudrait creuser bien sûr, je pense que ça fait partie du programme des dix prochaines années. Personnellement, j'ai besoin de me poser et d'aboutir les projets que j'ai lancés, c'est ce que je suis en train de faire. Avec la boutique, je commence à avoir des prix. Le fonctionnement avec les entreprises est très intéressant. On a compris exactement qui peut faire quoi. Il s'agit de les solliciter sans toutefois aller trop loin dans leur domaine et d'intégrer en interne une grande partie de la fabrication des objets afin, qu'économiquement parlant, je puisse aussi « vendre » des heures, parce que ceci est nécessaire, et d'avoir in fine le contrôle sur la diffusion de mes objets avec la boutique. Cette façon de fonctionner résout un certain nombre de problèmes. Je suis donc en train de mettre en place ce mode de fonctionnement en rapport avec mes projets en IPN, avec le métal déployé, avec la tôle ondulée, avec le tapissier. Ensuite, je programme de travailler la taille de pierre que je dois aller explorer du côté d'Arces-Dilo près de Sens, avec un compagnon que j'ai rencontré il y a longtemps déjà et avec lequel j'aimerais travailler, mais aussi du côté de Courtenay, une entreprise qui fait du nid d'abeille en aluminium, avec laquelle je n'ai pas encore pu faire grand chose. J'ai organisé un workshop avec mes étudiants, mais il faudrait que je fasse quelque chose avec ce matériau qui va tout à fait dans le sens de ma collection, des produits industriels, pour donner aussi une échelle un peu différente à ma production.

S. F. : Au sein des entreprises avec lesquelles tu as pu travailler, tu sembles privilégier des rapports assez proches avec les ouvriers, développant aussi un partenariat avec les personnes que tu rencontres sur place, comment se met en place ce travail de terrain ? Est-ce que les entreprises te laissent expérimenter des choses ? Est-ce que les ouvriers te montrent ce qu'il est possible de faire avec les outils dont ils disposent et te donnent la possibilité de dépasser les usages habituels des machines ? Comment le travail se passe ?

J. L. : En fait, j'expérimente plutôt en amont à la maison, et ensuite je leur amène à l'atelier pour en discuter. Mais c'est vrai que c'est ce que j'aime bien. Par exemple concernant le travail de tapisserie, honnêtement couper un morceau de tissus c'est pour moi déjà compliqué, je ne suis pas du tout en phase avec la matière textile, il en ira de même pour la taille de la pierre. Ensuite, se pose la question du matériel industriel, sur lequel je n'aurai jamais vocation à intervenir, parce que d'une part l'entreprise tourne, elle est active, et, d'autre part, je ne connais pas les machines utilisées. Par contre, ce que je fais, c'est que je reproduis à petite échelle, dans mon atelier ce que l'on pourrait faire là-bas.

S. F. : Et quelle différence ferais-tu justement entre l'atelier industriel et ton atelier personnel ? Tu parles en même temps de « studio » et en même temps, lorsque l'on t'écoute, tu parles de ton « atelier ».

J. L. : La boutique va d'ailleurs s'appeler un « atelier de design ». Donc, je pense que le mot « atelier » est plus approprié effectivement. Tout cela va avoir vocation à bouger. Une fois que l'on s'engage avec une entreprise, il faut prévoir les choses en avance, on expérimente peu, on programme sur un planning telle ou telle personne qui va s'occuper du travail à faire, les heures sont comptées, il faut que les choses tournent, c'est un cours d'eau qui doit continuellement couler. Alors qu'au sein de mon atelier, c'est beaucoup plus libre, je peux prendre des risques, ils me concernent, et finalement, cette façon de procéder permet aussi de poser des limites. J'ai travaillé, par exemple, sur une texture placée sur du bois, est-ce que l'on parle ici d'industrie ou pas ? On va parler essentiellement de reproductibilité. On va alors apprécier l'effort qui est nécessaire pour obtenir la forme souhaitée, et sa possible reproductibilité. Il y a un moment où une limite apparaît : on sait qu'il y a des choses qui ne pourront pas exister parce qu'on est dans la performance : on sait qu'on l'a fait une fois mais qu'on ne le fera pas deux. On y est arrivé, on sait que c'est réalisable une fois mais que ce n'est pas reproductible, même en petite série. Cela dépend des matières. Le bois par exemple. On a pu faire une forme sur un bout de bois particulier, parce qu'il avait cette fibre, parce qu'il avait cette densité, parce qu'il a eu cette croissance, ce temps de séchage, c'est propre à ce morceau de bois, donc pour moi la différence se situe là.


Figure 6. Suspension à Une Feuille , Jules Levasseur.

S. F. : Est-ce que tu dirais que les entreprises, les industriels, et que les artisans que tu vas rencontrer sont ce qui peut être déclencheur de ta créativité, t'amenant ensuite à externaliser les techniques et matériaux dans ton atelier qui va être le véritable lieu d'expérimentation, puis à faire des allers-retours entre ton atelier dédié à l'expérimentation et l'usine ou l'atelier de fabrication ?

J. L. : Oui, c'est ce qui est fantastique ! Quand l'artisan Renaud Marin, qui est tapissier, est venu dans mon atelier, en emmenant quelques éléments électroportatifs, il s'est complètement libéré de sa logique d'atelier, de ses contraintes, de ses contraintes-métiers, de ses contraintes d'entreprise (financières, des apprentis), c'était vraiment bien ! Dans ce cas-là c'est une belle manière de travailler. Dans d'autres contextes, il faut comprendre, tel était le cas avec MetalDeployé, que c'est un peu différent même si de belles rencontres ont lieu également. J'ai pu par exemple être en contact pendant deux ans avec Cédric Pascal avec lequel on s'est vraiment bien entendu. Cela s'est très bien passé. Ce que je lui ai proposé changeait un peu de son quotidien, ce qui fait qu'il s'est un peu amusé, mais je ne sais pas si dans son « temps libre », il serait prêt à venir à l'atelier faire des trucs, je ne crois pas, c'est aussi la limite... Cette façon de faire peut marcher avec les artisans. Ce qui est sympathique avec la boutique, c'est que les gens, les ouvriers, peuvent passer : la boutique est faite pour ça. Autrement dit, ceux qui n'ont pas vu les objets finis peuvent passer les voir, les apprécier, discuter, et l'atelier est juste derrière, donc c'est très très simple ensuite de faire comprendre comment les choses se font.

S. F. : La marge de manœuvre que te laissent les industriels est finalement relativement faible ? Chez MetalDéployé par exemple ?

J. L. : Oui, elle est faible parce qu'il y a eu un temps où on a pu bosser ensemble, ensuite ils passent à autre chose. Je sais que c'est une entreprise qui travaille aussi avec d'autres designers, qui ont d'autres points de vue, qui vont leur apporter d'autres choses. Une fois que mon temps a été consommé, ils passent à autre commande. J'ai pu de mon côté proposer un certain nombre de choses dans le temps qui m'était imparti, ensuite si je veux faire avancer les projets, on trouve des arrangements comme par exemple me fournir chez eux des matériaux à des prix intéressants. Mais lorsque le temps dans l'entreprise est passé, cela veut dire que les choses sont au point. Quant à l'évolution des projets, je la maitrise à l'atelier. Je sais comment ils fonctionnent, je sais sur quoi je peux les solliciter, et on reste chacun dans notre rôle et c'est beaucoup plus simple et mieux comme cela. Après par contre, je peux aller les solliciter pour des choses plus importantes quand il y a la demande.

S. F. : En somme, il faut une commande comme condition à la production ?

J. L. : Effectivement, si j'ai 2000 lampes à produire, il vaut mieux que je les sollicite car sinon je ne peux pas m'en sortir seul notamment d'un point de vue de la finition. Comme contrepartie, cela me demande par contre de tout programmer, de régir des dimensions très particulières, ce qui me contraint beaucoup plus. Mais, s'il y a une commande de 2000 lampes, ils pourront effectivement prendre le temps d'en faire 5 ou 6 versions différentes pour caler des finitions avant de lancer la « prod ». En revanche, lorsque je travaille à la demande, cette façon de faire très programmée, n'a plus de sens.

S. F. : Qu'est-ce que t'inspire l'idée d'être propriétaire de tes propres machines ? Est-ce que ça te fait envie ? Est-ce que tu as déjà un petit parc de machines ou au moins des outils ? Aujourd'hui, plusieurs designers sont attachés à fabriquer leurs propres outils, comment te positionnes-tu par rapport à ce type d'approche ? Est-ce que finalement aller dans les entreprises, te déplacer, rencontrer des gens, c'est aussi ça qui te plait dans le travail ?

J. L. : En fait, il y a des opérations qui nécessitent des machines que je n'ai pas vocation à avoir, car elles sont trop imposantes, trop chères, trop lourdes. Personnellement, je suis propriétaire d'un certain nombre de machines, plutôt des machines anciennes, très conventionnelles, je n'ai rien de numérique à la maison, je me fabrique mes outils, mais ce sont des outils conventionnels, c'est-à-dire des moules, des gabarits, des choses qui sont propres à chaque projet. J'essaie tout simplement de m'équiper pour ce dont j'ai besoin. Cela ne m'empêche pas de me faire plaisir quand je veux un tour, je préfère m'équiper d'un beau tour Schaublin, des années soixante, plutôt que choisir un tour à métaux neuf. J'aime bien aussi l'histoire des machines, Schaublin c'est une bonne référence, parce que c'est vraiment un tour de précision, de l'horlogerie suisse. Cela ne correspond pas du tout à mes besoins, mais ce sont des machines qui sont tellement belles, tellement simples, tellement précises, que c'est un véritable plaisir de travailler avec elles. Cela rejoint l'amour du métier. L'enclume va avoir une histoire, et les gens avec lesquels tu travailles, les artisans vont aussi être sensibles finalement à la présence de telle ou telle machine sur place. Et puis, il y a une relation au faire qui va être très différente. Pour ma part, je ne suis pas du tout dans le numérique parce que je trouve que cela coupe le lien avec la machine, dans le sens où c'est davantage le résultat qui va compter plutôt que la machine en tant que tel. Quand je vais à l'atelier, je les regarde comme on pourrait le faire avec des voitures de collection, je les regarde, je fais le tour, je leur mets un peu d'huile, je regarde si ça marche toujours bien, je les démarre histoire que le moteur chauffe un peu parce qu'il fait froid... Cela ne concerne pas directement la fabrication de l'objet, c'est avant tout le plaisir d'entretenir un lien avec la machine. Généralement, j'essaie de m'acheter vraiment ce qu'il faut, par rapport à ce dont j'ai besoin. Et quand ça ne m'intéresse pas, comme par exemple les imprimantes 3D, ou que je vais en avoir besoin très ponctuellement pour communiquer avec des clients par exemple, je préfère solliciter un étudiant pour le faire. Les imprimantes 3D ne sont pas des machines qui coûtent cher en soit, c'est plutôt que cela ne m'intéresse pas d'en avoir.


Figure 7. Atelier, Photo Thibaut Perrin.

S. F. : Concernant l'impression3D je comprends tout à fait, même s'il en existent de différentes sortes, on peut en fabriquer soi-même. Il y a des designers qui vont aller sur ce terrain-là pour justement faire en sorte qu'ils ne soient pas simplement dans l'usage de la machine et de la production d'un résultat mais aussi dans l'expérimentation avec la machine. Ce qui est aussi présent dans ton travail. On sent que finalement tu peux être aussi bien intéressé par le travail manuel d'un artisan, comme quelqu'un qui va faire une tuile avec des techniques assez élémentaires, ou par des techniques un peu plus pointues, comme avec MetalDeployé, où un outillage très spécifique est nécessaire même si les possibilités restent un peu plus restreintes. Ton approche et le fil directeur de ton travail, même si l'impression 3D n'est pas ce qui t'intéresse directement, reposent sur un intérêt pour les techniques quelles qu'elles soient finalement ?

J. L. : Oui, bien sûr. Concernant le numérique, je suis conscient que dans les ateliers de menuiserie industriels, il y a des 5 axes et que les entreprises bossent avec. De mon côté, je n'en ai pas l'usage, je n'ai pas vocation à recourir à ce type de machine, sauf de façon très ponctuelle. Lorsque je vois que j'ai un besoin qui devient de plus en plus récurrent, c'est évident qu'il devient plus logique de m'acheter la « bécane » plutôt qu'à chaque fois payer en sous-traitance. Quand je parlais des machines, c'est davantage en rapport à leur construction et à leur histoire. Je connais de nombreux designers qui vont expérimenter à partir d'imprimantes 3D ou qui vont les fabriquer. On se situe alors plus généralement du côté d'une approche de maker, avec des matériaux qui vont être assez cheap, on n'est pas du tout sur les mêmes types de matériaux et de travail qu'un banc en fonte rectifiée par exemple. Cela ne correspond pas tout à fait à mon attrait pour la machine en tant que corps mécanique et pour les outils de précisions qui sont anciens. Cela étant dit, pour la tôle ondulée, par exemple, cela ne me dérange pas que ce soit fait à l'aide d'une découpe au jet d'eau, et non pas par un gars avec sa meuleuse pendant 10h. Cela fait partie de l'évolution du métier, à partir du moment ou c'est dirigé d'une bonne manière par rapport au travail, je trouve que cela se justifie. La question est de savoir pourquoi on va utiliser telle machine plutôt qu'une autre, à quel moment on va l'utiliser, dans quel but on la sollicite. Avec le tailleurs de pierre, on avait cette discussion, parce qu'il existe maintenant des cinq axes pour la taille de pierre. Mais ce sont des machines qu'il faut aussi savoir rentabiliser. Pour sa part, il fait tout à la main, il n'a pas de tour, et il fait des choses magnifiques. Pour lui, c'est finalement plus compétitif de tout faire à la main car il n'a pas de gros volumes à tailler, ou pas suffisant pour justifier l'acquisition de machines comme celles-là. Un tour peut permettre de gagner du temps mais en terme de formes ça permet peu de choses en plus. D'un côté, cela fait gagner du temps, mais d'un autre côté, c'est un investissement très important. Par ailleurs, cela demande du temps de programmation, donc ça modifie un peu le métier. Il travaille plutôt à l'ancienne et fait ses plans sur le parquet à l'échelle 1:1 directement, comme je peux le faire également de mon côté. Je suis récemment allé chez mon ami forgeron qui est justement à côté, à Semur, et de la même façon il dessine à la craie directement sur la chape de béton pour faire des gabarits de formes, on se situe dans cette instantanéité-là.

S. F. : Ce que tu expliques ici met en balance la question de la fin par rapport aux moyens employés. Ainsi l'obtention d'une même forme peut impliquer des moyens et un travail qui seront différents. L'important est donc d'envisager les atouts et les gains, d'identifier ce que l'on perd, ce que l'on gagne. Certes il y a des valeurs quantitatives, le temps, l'argent, la rentabilité de la production, et puis il y a aussi cette dimension présente dans l'approche de William Morris, concernant le plaisir à faire quelque chose. Cette dimension semble très importante dans ton travail et elle ne vaut finalement pas moins que les valeurs temporelles et les valeurs financières, seulement, elle est souvent oubliée et reléguée au second plan dans notre système actuel.

J. L. : Je pense que l'imprimante 3D peut générer des formes qui dépassent souvent les modes de fabrication conventionnels, ce qui est intéressant. Ensuite, il faut voir si tu veux sentir l'esthétique de la machine, ce côté colombin un peu grossier. Ensuite, le travail est vu sous le prisme du logiciel, ce qui constitue un filtre supplémentaire. Les outils numériques sont aussi un peu détachés du corps. Bien évidemment, il faut vivre avec son temps, de toute manière, les usinages numériques, les 5 axes, ça fait 30-40 ans que ça existe, ce ne sont pas des choses qui sont nouvelles. Généralement ces technologies rendent service, elles augmentent la précision, font gagner du temps, perfectionnent des techniques plus anciennes, mais en termes de sensibilité et de relation au travail, elles déplacent un peu les choses.

S. F. : Tu parles aussi dans ton site d'explorer le « potentiel plastique des techniques » que tu emploies, est-ce aussi une raison d'être à ton travail que d'aller chercher au fond cette part sensible de la technique ?

J. L. : Oui tout à fait. Je suis toujours émerveillé lorsque la trace de l'outil vient déformer la matière, lorsque l'on parvient à générer des forme très évidentes, qui semblent toujours avoir été là, que l'on peut retrouver dans le mouvement des vagues, dans des végétaux qui ploient sous l'action de la gravité, quand il pleut par exemple. Il y a cette espèce de lien évident entre des forces physiques et des formes qui sont là. La question en tant que designer est de savoir comment on les décèle, comment on les fait exister. Il s'agit alors de trouver le moyen de laisser le processus à portée du dessin tout en le contrôlant mais sans trop le contraindre. Cela se situe un peu dans un entre deux, même si le juste milieu est compliqué à trouver. C'est vrai que j'apprécie toujours, et je pousse mes étudiants à laisser la matière s'exprimer, à laisser un petit peu de jeu dans le process pour générer les formes, peut-être les diversifier. Tout l'enjeu est à la fois d'offrir du contrôle sans poser à la matière trop de contraintes.

S. F. : D'ailleurs, dans ton travail, la destination de tes expérimentations n'est pas toujours définie préalablement, ce qui veut dire qu'à un moment donné, tu peux avoir une technique ou une expérimentation qui va donner lieu, soit à une production plutôt artistique, soit à un objet fonctionnel. Cette ouverture et ce caractère non arrêté des choses peut rejoindre des préoccupations de l'ordre du pédagogique rencontrées chez des artistes et enseignants comme Josef Albers par exemple au Bauhaus, préconisant de ne pas imposer au départ de finalité immédiate au travail créatif afin de laisser plus de liberté et le temps pour explorer la matière et ses propriétés physiques. Il va par exemple beaucoup travailler à partir de papiers, de papiers pliés et déployés dans l'espace, pour comprendre finalement la logique structurelle du matériau, permettant d'observer et de comprendre que la résistance à la pression va être plus forte sur la tranche que sur le plat de la feuille. Il me semble que dans ton travail, cette dimension est également présente, faisant en sorte que le travail expérimental ne répond pas tout de suite à une fonction précise. Tu te laisses cette marge d'exploration.

J. L. : Oui tout à fait, c'est une chose que j'ai commencé quand j'étais à Reims. Je trouvais que c'était toujours critiquable de définir un objet de façon trop précise au départ, parce que je pouvais être entre guillemets « attaqué », de ce fait je me concentrais plutôt sur des systèmes et faisais plusieurs propositions qui pouvaient exister sous forme de guéridon, sous forme de tabouret, etc. Cela dépendait de la façon dont on était lié à l'assemblage, à la structure, à la matière. C'est quelque chose que tu as retrouvé dans mon diplôme, un même principe, une façon de travailler le matériau, peut donner lieu à une table basse, à des équerres, etc. l'inconvénient c'est que tu ne sais pas toujours quand t'arrêter. Il est donc nécessaire ensuite de faire des choix, ce qui permet d'intégrer de la « variation ». Ce sera d'ailleurs le nom que portera la boutique, elle va s'appeler « variation ». Pour moi, c'est quelque chose d'extrêmement important, je pousse les étudiants à aller dans ce sens. Aussi, avant de dire « tient ça va être une lampe de chevet », je leur dis « travaille déjà la lumière », « concentre toi sur le filtre lumineux », avant de te projeter déjà sur un usage extrêmement précis, notamment pour se concentrer davantage sur la matière, sur l'expérimentation.


Figure 8. Sortie de Forge, DNSEP, 2013, Jules Levasseur.

S. F. : Par conséquent, quel est l'élément de bascule ? Qu'est-ce qui va te décider à dire « tiens je vais amener cette expérimentation plutôt sur le terrain plastique et artistique, sans finalité autre, ou plutôt sur le terrain d'objets avec des fonctions plus clairement identifiées comme une table basse, un luminaire, etc. ?

J. L. : Cela va dépendre de ce que je rencontre. Que faire par exemple du chemin de câble que j'avais présenté à Design ex Machina ! ? Quoi en faire ? Que faire avec ça ? Si ce n'est aller au plus loin dans ce que cela peut donner, c'est-à-dire de tendre vers quelque chose de grand, et de changer l'échelle de l'objet. L'approche et le propos deviennent essentiellement plastiques parce que c'est la matière qui m'amène sur ce terrain. Je crois que c'était vraiment sa raison d'être à ces histoires de cercles. Il n'y avait pas d'autres usages que de montrer la géométrie par des pièces géométriques. Ensuite, on peut s'interroger sur les dimensions, sur le type d'objets, sur la forme à donner à cette structure, les cohérences de prix. J'en suis là aujourd'hui. Avec les tréteaux en tôle ondulée, par exemple, en fait commercialement parlant, il est plus logique de partir sur une table, parce qu'en termes de cohérence de prix, les gens vont davantage se retrouver sur une table que sur une paire de tréteaux, mais ils peuvent très bien exister en tant que tréteaux, cela ne l'empêche pas. Je vais également, à partir de la tôle ondulée, développer des luminaires parce que la micro perforation est assez intéressante lorsqu'on superpose différents éléments qui filtrent la lumière. C'est finalement assez logique d'expérimenter la lumière autour de ce matériau. Donc, j'envisage d'abord des systèmes et ensuite je trouve des logiques pour cadrer ensuite la raison d'être des choses.


Figure 9 .Parure Infinie, Hotel Meininger, Olivier Ouadah.

S. F. : D'ailleurs tu as fait dernièrement une installation qui s'appelle Parure infinie pour l'hôtel Meninger, situé dans le 12e arrondissement de Paris, en réponse au programme intitulé "Un immeuble, une oeuvre" mis en place par le Ministère de la Culture en 2015. Il s'agit-là d'une installation artistique mais qui n'a pas une vocation seulement décorative mais perceptive, entrant en dialogue avec l'échelle du lieu. Le chromage, couleur or, apporte aussi une qualité à la pièce qui, comme tu l'indiques dans ton site, « fait écho au doré du laiton fortement présent dans les bistrots parisiens du début du XXe siècle ».

J. L. : J'avais en effet envie de changer un peu la finition du chemin de câble peint. À cette échelle, il n'y avait pas trente six mille procédés exploitables. Je trouvais que c'était intéressant d'avoir des reflets, et, pour avoir des reflets justes, il n'y avait qu'une seule technique qui était possible à employer, c'est ce que l'on appelle du chrome pulvérisé qui est un mixe entre la peinture et l'électro-zingage, ce qui permet d'avoir une finition chrome sur des plastiques, sur tout type de matière qui vont formellement avoir des dimensions très importantes et qui sont faites en matières synthétiques. C'est certainement ce qu'utilise Jeff Koons ! On évite ici tout ce qui est postproduction, du type polissage, et les différents bains. Je suis justement en train de travailler sur différentes finitions. On va d'ailleurs faire des tests avec un chromeur, parce qu'il faut faire du chromage pour avoir des reflets. On va donc tremper directement dans des bains le chemin de câble brut pour voir ce que l'on peut en ressortir comme type de finition que je pourrais appliquer à mes productions.

S. F. : D'ailleurs la question des tests et des essais, des erreurs, est présente dans ton travail. C'est aussi quelque chose qui t'intéresse comme façon d'avancer dans ton travail ?

J. L. : Oui, c'est indispensable. Mais il faut savoir les regarder. Cela permet de se détacher de la logique de projet pour se concentrer principalement sur de la matière, son expression, sa puissance expressive. Par la suite, cela peut nous amener vers des applications, mais au départ on est sur quelque chose de complètement ouvert. C'est indispensable, c'est d'ailleurs quelque chose que j'apprends aux étudiants. En fait, ce n'est pas une sensibilité qui est inée, tout le monde ne l'a pas, et pourtant pour choisir, il faut bien apprécier des qualités.

S. F. : La qualité des pièces repose finalement en grande partie sur cette phase d'expérimentation, cette part de tests, d'essais préalables, d'erreurs aussi, qui vont finalement réorienter les choses...

J. L. : Oui, mais il faut aussi savoir quoi en faire, car il ne s'agit pas de faire 300 expérimentations juste pour en faire 300. Il est important de cadrer un peu les choses au départ, je pense notamment à ces histoire de bains de chrome, parce qu'il va malgré tout y avoir un dimensionnement. Ensuite, au regard de ce qui va en sortir, peut-être qu'on sera sur des finitions qui seront plus ou moins adaptées à certains objets et parce que leur positionnement dans l'espace (proche d'une fenêtre, ou au contraire dans des recoins ou milieu de la pièce) va modifier leur perception. La manière dont on perçoit l'objet peut vraiment orienter les choix que l'on va faire.

S. F. : Est-ce que pour toi, l'atelier c'est le lieu du test. Est-ce que ce serait ce qui caractériserait l'esprit de ton atelier personnel ?

J. L. : Oui tout à fait. D'abord par l'expérimentation. Généralement, j'essaie de faire en sorte que les expérimentations s'incarnent dans des objets. Ces objets, ensuite, existent. Ils peuvent avoir des défauts, car j'ai pu au départ me concentrer avant tout sur une partie de mon système, je peux, par exemple, ne pas avoir complètement pris en compte la fonctionnalité. Je fais parfois des objets qui sont incomplets parce que de toute façon ils sont imparfaits. Dans la boutique, il y a notamment des objets qui ne sont pas du tout destinés à la vente, qui ont l'air d'être des objets finis mais qui n'en sont pas, c'est une façon de « mesurer » l'expérimentation, d'en prendre la mesure. Il faut savoir incarner un objet et lui donner toutes les qualités nécessaires pour que le travail puisse être apprécié convenablement. Si tu as quelque chose de mal fait ou alors si ce n'est pas dans la bonne qualité de bois, etc., tu auras toujours un petit caillou dans la chaussure qui va te dire que ce n'est pas bon alors qu'il en faut peu parfois pour que cela fonctionne. Et ça, je l'explique aux étudiants en leur disant que ce n'est pas une perte de temps et qu'il faut aussi bien faire les choses pour qu'elles vous renvoient une image satisfaisante afin que l'on puisse croire dans la suite du projet, qu'on y voit plus claire.

S. F. : Justement comment passe-t-on de la phase de tests, des expérimentations, à l'objet ? Qu'est-ce qui va cristalliser ce passage-là ? Comment sais-tu que tu bascules dans la proposition ?

J. L. : En fait, lorsque l'on sent que quelque chose fonctionne dans l'expérimentation, vient le moment ou il s'agit de lui faire plaisir – de se faire plaisir mais aussi de lui faire plaisir –, en lui offrant le cadre dont elle a besoin pour atteindre toute sa force. Lorsque par exemple tu travailles sur un portant, vient le moment où tu te poses la question de la structure, où tu cherches à lui offrir la dimension nécessaire, à mettre en place le porte à faux qu'il faudrait pour tendre vers une légèreté, à créer un contraste, il s'agit d'une construction purement plastique.

S. F. : Je voudrais terminer notre entretien sur la question de l'ancrage local de ton travail puisque tu cherches à établir des liens avec un réseau d'acteurs locaux. En quoi le local est important à tes yeux et quelque chose qui fait sens aujourd'hui ?

J. L. : En fait, je crois que l'économie se génère parce que l'on connecte des acteurs les uns avec les autres. C'est de l'échange, et c'est dans cet échange que de la valeur ajoutée va se générer. Et plus on pérennise ces liens, plus l'économie locale peut être solide, d'abord dans une logique territoriale. Il faut comprendre comment le territoire la culture, les liens entre différents acteurs s'organisent sur la base de la simplicité et de l'instantanéité. La diminution de l'énergie déployée pour mettre en place le réseau part d'une logique territoriale qui semble complètement évidente. Cela aura plus de force que d'aller réunir des acteurs éloignés qui n'ont d'ailleurs pas toujours les mêmes intérêts parce qu'ils peuvent travailler dans des directions opposées même s'ils peuvent t'offrir le meilleur prix. Cela a du sens finalement de s'organiser localement. Ensuite évidemment, la proximité, la connaissance des uns avec les autres, la faculté à peut-être accepter de déplacer le cadre du travail, d'accepter de faire des efforts parce qu'on se connait, permet de mieux travailler, parce qu'on se permet de prendre le temps, ce qui est très important. Maintenant, ici, je pense que pour mes propres ambitions personnelles, je recherche avant tout de la simplicité, de la lisibilité, et le contexte offre aussi des directions, favorise des choix. Maintenant que je suis en Bourgogne, je pense que c'est indispensable que je travaille la pierre. Je ne peux pas ne pas travailler la pierre. Idem pour la métallurgie. La Bourgogne est un bassin, qui part du Creusot jusqu'à ici, où on a une culture de la sidérurgie, de manière générale de la métallurgie, donc, la culture locale offre une logique, une lisibilité qui me permet aussi en tant que designer de me cadrer, ce qui, je pense, est important. Il y a bien sûr d'un côté l'économie, d'un autre côté le lien social qui permet de faciliter les projets, ce qui est tout aussi évident, et puis il y également l'identité qui va dans le sens de ce que l'on peut attendre quand on se ballade dans le coin. Je trouve que c'est un jeu intéressant.

S. F. : Dans ton site tu as un onglet dans lequel est indiqué « service aux entreprises » dans lequel tu proposes d'accompagner des entreprises ainsi qu'une « aide à la valorisation des pratiques ouvrières », est-ce qu'il y a déjà eu des entreprises qui sont venues te trouver, qui t'ont contacté, par rapport à ce service-là ?

J. L. : Non, très peu, parce que j'avais proposé ce service au moment où je construisais mon site. Se rendre compte de ce que l'on peut faire s'avère toujours compliqué. Quand j'étais aux Ateliers de Paris, j'avais pu bosser avec une communicante sur mon site, et donc il y a des notions qui sont arrivées, comme effectivement « service », « références », etc. Ce sont des onglet que je n'ai pas alimentés depuis au moins 4 ans. C'était important de pouvoir rendre lisible ce que je pouvais faire dans le cas où, justement, des entreprises qui en éprouvaient le besoin, pouvaient être amenées à me contacter. Mais il y a quelque chose que je n'ai absolument pas travaillé, c'est le référencement, et donc je me demande bien comment et pourquoi on tombe sur mon site internet quand on ne me cherche pas. De la même manière aujourd'hui, il manque pour arrondir cette lisibilité une référence claire qui montrerait ce que l'entreprise à fait suite à mon travail. J'ai des références en termes de collaboration, sur ce qui a été produit, ce qui peut donner lieu à un argumentaire et laisser apparaître une sensibilité. Une entreprise qui souhaite répondre à un besoin précis va trouver des studios qui présentent beaucoup mieux cet aspect-là des choses. Je pense, par exemple, à un ami, Laurent Corio, qui travaillait dans un studio qui s'appelait La Racine qu'il avait fait avec une fille qui fait du marketing. Cela s'est très mal fini. La Racine fonctionne toujours et le principe de La Racine est d'offrir une nouvelle direction à des entreprises qui sont dans le besoin en partant de la racine de l'entreprise. Ils ont tout un discours là-dessus et ils sont rentrés très vite dans le réseau BPI qui propose de mettre en lien des entreprises qui ont des besoins particuliers et qui ne savent pas qui aller voir avec des designers. Ils ne savent d'ailleurs souvent pas que c'est un designer qu'il faut aller voir ! Leur but est donc de connecter des entreprises avec des designers. Pour ma part, je n'ai jamais travaillé dans ce sens pour entrer ensuite dans le réseau BPI, c'est un travail que je n'ai finalement pas envie de faire pour l'instant. Je pense qu'il faut que je termine ce que j'ai commencé de manière déjà trop diverse avec un peu trop de profusion, il faut déjà que je parvienne à canaliser tout ce que j'ai déjà entrepris, ce temps-là viendra peut-être ensuite.

S. F. : Un grand merci à toi, Jules Levasseur, d'avoir pris le temps de cet échange très éclairant sur ta pratique et ton approche.


Crédits et légendes

Figure 1. Jean Louis Royer - Tuilerie Royer © Jules Levasseur.
Figure 2. Oblong 350 Expérimentation plastique chemin de câble © Jules Levasseur.
Figure 3. Luminaires Y.T.K © Jules Levasseur.
Figure 4. Exposition Design ex Machina ! © Galerie Michel Journiac, Paris, Jules Levasseur, 2015.
Figure 5. Tréteaux S © Jules Levasseur.
Figure 6. Suspension à Une Feuille © Jules Levasseur.
Figure 7. Atelier, Photo © Thibaut Perrin.
Figure 8. Sortie de Forge, DNSEP, 2013 © Jules Levasseur.
Figure 9 . Parure Infinie, Hotel Meininger © Olivier Ouadah.



  1. https://www.juleslevasseur.com/ 

  2. Sophie Fétro est Maître de conférences, enseignante et chercheuse en design à l'École des Arts de la Sorbonne. Elle est directrice adjointe de l'Institut ACTE. Elle peut être contactée à l'adresse suivante : sophie.fetro@univ-paris1.fr 

  3. https://galeriemicheljourniac.com/design-ex-machina-2015/ et http://designparis1.com/?p=258