Cet entretien avec la designer Ariane Prin, responsable du design pour l'enseigne The Socialite Family, a eu lieu le vendredi 7 janvier, au dernier étage du Printemps Haussmann, sous la coupole de verre Binet, à l'occasion de l'inauguration du label : « Unis vers le beau responsable », développé par le grand magasin. Elle y exposait sa série RUST, pièces qu'elle a autoproduites, faites à partir d'un mélange de particules de métaux recyclés, de gypse et d'acrylique. Elle partage ici son parcours de créatrice, ses projets et sa vision du design.
Sophie Fétro : Bonjour Ariane Prin, je vous remercie de partager ce moment avec nous. Tout d'abord je voudrais revenir sur votre parcours qui atteste d'une pluralité de formations en art et design : vous avez été étudiante à l'École Supérieure d'Art et de Design de Reims (ESAD), à l'École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs de Paris (ENSAD) ainsi qu'au Royal College of Art de Londres (RCA), vous amenant à voyager en France, au Japon et en Angleterre. Pouvez-vous nous dire quels en sont été les moments marquants ?
Ariane Pin : Effectivement, mon parcours a commencé avec l'ÉSAD de Reims, car je suis originaire de la région. J'ai eu la chance d'avoir une école de design réputée à côté de chez moi, avec une belle équipe enseignante, ce qui a constitué une première étape enrichissante. Toutefois, comme je venais de cette région, j'ai eu aussi envie de découvrir d'autres approches ; j'ai donc postulé au Arts Décoratifs de Paris, cette deuxième étape de mon parcours à participé d'une ouverture d'esprit. Cette école, qui bénéficiait d'énormément de moyens tout en étant presque gratuite, offrait tout ce qu'il faut : des ateliers et des chefs d'atelier incroyables et aussi toute la matière que l'on désirait utiliser, du moins à l'époque où j'y étais (2004/2006). Autant à Reims, c'était plutôt le système D qui prédominait, car les moyens y étaient limités, autant aux Arts Déco c'était, par comparaison, l'abondance. Ce fut également une porte ouverte sur l'ailleurs, car ils m'ont donné la possibilité de faire un voyage au Japon à travers un échange. Dès le début, j'avais bien compris que cette école offrait de nombreuses opportunités, et c'est comme cela que je suis partie six mois au Japon, une expérience inoubliable ! J'avais 23 ans et cette expérience m'a bien secouée. Ce fut l'occasion d'un véritable choc culturel, et ce, à tous les niveaux : je ne savais pas ce que je mangeais, je ne pouvais pas lire, la communication était compliquée. J’ai fait ma rentrée dans cette école d'Arts and Crafts située dans la préfecture de Nagano, là où il y avait eu les jeux olympiques. J’étais à Fujimi plus précisément : une école qui venait tout juste de sortir de terre, au milieu des montagnes, entourée de deux mètres de neige. J'étais comme dans un nuage, un peu isolée, dans une école où l'on ne pouvait faire que de l’artisanat : il y avait un atelier de verre, de métal, de céramique, de mosaïque, il n'y avait pas vraiment d'autres options. J'étais un peu plus âgée que les autres étudiants sur place et on m'a laissé carte blanche. On m'a dit : « tu es là pour trois mois, donc en trois mois tu vas nous faire 30 pièces avec ta propre exposition à la fin, tu auras l'aide des étudiants et des responsables d'ateliers ». J'ai eu là-bas une chance incroyable et je me suis vraiment amusée.
Source image : Ariane Prin
Source image : Ariane Prin
De retour en France, j'ai travaillé pendant deux ans en tant que freelance, pour plusieurs designers : Noé Duchauffour-Lawrence, Mathieu Lehanneur, Éric Benqué, entre autres. C'était vraiment intéressant de faire le caméléon et de se laisser surprendre par ces différents univers créatifs. Ce qui a été moins réjouissant, a été la crise financière de 2008. Pour les freelance, cette période a été très compliquée. J'avais cependant gardé en tête un rêve depuis la 1ère année à l'ESAD de Reims, celui d'aller au Royal College of Art de Londres. Perrine Vigneron, qui était passée par le Royal College, avait fait une intervention à l'ESAD que j'avais adorée ! Elle nous avait présenté son travail qui s’approchait plus de celui d’une performance, je ne me souviens plus exactement, elle s’était filmée dans une baignoire. Je me suis dit que c'était génial de penser aussi le design de cette manière et que le design n’était pas seulement de la création de meubles. Je me suis toujours dit que cette école devait être vraiment incroyable pour encourager les étudiants à penser les choses de cette manière. J'ai donc profité de ce moment de flou, entre la crise financière et ma position de designer freelance, pour postuler et j'ai été acceptée. Ce fut une autre expérience inoubliable parce que, là-bas, un nombre incroyable de nationalités sont représentées. Il n'y a pas un étudiant avec le même cursus scolaire, la même culture, la même vision du design... En fait, cette école laisse sa chance à chacun de pouvoir trouver sa « niche » au sein même du « design circus ». C'est donc incroyablement enrichissant de se nourrir de cette pluralité-là. Autant, au départ, j'avais une expérience très franco-française du design et de son enseignement ; autant le Royal College a été l'occasion de recourir à d'autres approches et de développer d'autres modes de conception.
SF : Qu'est-ce qui fait la différence entre l'enseignement français et l'approche au Royal College ? Est-ce qu'il y a des éléments clivants et marquants ?
AP : Je dirais tout d'abord que les références ne sont pas les mêmes. Il s'agit en effet de s'ouvrir à une autre culture qui est plutôt proche de la culture américaine, anglo-saxonne, et puis chaque étudiant porte en lui sa propre culture. Chacun d'entre nous avait aussi déjà une certaine maturité professionnelle ce qui faisait qu'on s'enrichissait tous les uns les autres. Et puis, au niveau Master, l’approche n’est plus aussi scolaire. L’équipe enseignante était très dynamique et challengeante, ils nous poussaient constamment à nous surpasser, à nous encourager à tout remettre en question en permanence pour ne pas rester sur nos acquis. Il est connu que la première année du RCA est faite pour nous « détruire » et la deuxième année pour nous reconstruire.
SF : Aujourd'hui, vous travaillez chez The Socialite Family (TSF) et vous avez fait le choix d'être salariée, de ne plus être freelance et auto-entrepreneur, est-ce un choix contraint ou est-ce une volonté de vous affirmer au sein d'une structure existante en tant que designer ?
AP : Après le Royal College, j'ai fait encore un peu de freelance, notamment pour Jasper Conran, tout en montant ma société et en me demandant : « comment, dans les années 2010, peut-on vivre de son travail lorsque l’on est artisan designer? » C'est vraiment quelque chose qui m'animait. Mais pour répondre à votre question et dire les choses rapidement, une rupture amoureuse a fait que je suis rentrée en France après avoir vécu neuf ans à Londres. Ce qui a aussi un peu modifié ma façon de voir les choses et mes envies. J'avais besoin d’une sécurité financière : essayer de survivre dans l’une des villes les plus chères au monde, en fabricant seule des vases faits main qui utilisent des matières recyclées. À l’époque, ce n'était pas facile tous les jours : je ne prenais pas de vacances, je travaillais jour et nuit, les week-ends évidement. C'était une vie intense, effrénée, que j'ai adorée pendant une certaine période de ma vie. J'ai donc voulu planter des piliers bien solides pour me reconstruire en France. Et puis l’aventure TSF était très existante, j’entrais dans une startup ou tout était encore à faire. Cela m’a beaucoup plu de mettre à profit mes connaissances et faire valoir mon côté couteau-suisse.
SF : Ce que vous décrivez-là est un état de fait concret auquel de nombreux designers sont confrontés et qui donne le sentiment que les designers ont le choix entre deux options : soit accepter de vivre cette course effrénée en ne comptant pas leurs heures – ce qui est quand même un modèle qui est intenable sur le long terme – soit, davantage s'écouter, tout en ayant comme problématique d'avoir un salaire décent à la fin du mois, ce qui est loin d'être garanti...
AP : De toute façon, on ne sait jamais où la vie nous mène. Je fais cela aujourd'hui, je ferai peut-être autre chose plus tard et ailleurs. Il faut dire que lorsque l'on a l'opportunité de monter sa propre entreprise quand on est jeune, comme avec RUST, on est un peu obligé de tout faire soi-même : ses séances photo, son site internet, ses expositions, être son propre communiquant, trouver ses clients, les gérer, fabriquer, on est tout à la fois ! Ce caractère polyvalent constitue autant d'atouts qu'on peut apporter à une autre entreprise surtout dans le cas d'une startup où au début, il faut justement savoir faire preuve de flexibilité et ne pas rechigner à la tâche.
SF : En même temps vous aviez déjà un bagage important et un CV qui peut rassurer et impressionner des employeurs ? Vous aviez déjà travaillé pour de grands noms du design en France : Noé Duchaufour-Lawrence, Mathieu Lehanneur, Éric Benqué.
AP : Effectivement, cela a vraiment été une chance de travailler avec des designers reconnus.
SF : Noé Duchaufour-Lawrence se situe davantage du côté du luxe, comment conciliez-vous votre approche plus expérimentale, peut-être plus plasticienne, avec ce type d'approche ?
AP : Il y a un temps pour tout. Le temps des études est, je pense, un temps qui consiste à se chercher soi-même, ce qui compte vraiment est de trouver ce qui fait sens pour nous. Ensuite, lorsque l'on travaille pour quelqu'un d'autre, il est nécessaire de comprendre l'univers créatif de cette personne, de ne pas oublier que l'on travaille pour un autre et non pour soi-même. Au Royal College, ils nous poussaient beaucoup à penser les choses différemment, à être hyper critique de tout, mais de manière constructive ; il ne fallait pas seulement critiquer mais trouver une solution au problème qu'on s'était posé soi-même.
SF : Quand on voit les créateurs qui sortent du Royal College of Arts de Londres, on sent des filiations et des points communs, une sensibilité et des façons communes de faire ou de présenter le travail, à travers la production de petits films, par exemple, ou en mettant l'accent sur le process de fabrication. Est-ce que l'on retrouve ces traits distinctifs dans votre approche ? Et est-ce que cette sensibilité était déjà présente chez vous avant le Royal College ?
AP : Lorsque je faisais une maquette à l'ESAD de Reims, j'avais vraiment peu de moyens en tant qu'étudiante ; j'allais chercher mon carton ou mes petites planches de bois dans la rue. Lorsque tu fais le choix d'être designer produits et de sortir des objets physiques, la question est de savoir où tu vas trouver ta matière première et cela était déjà présent à l'ESAD de Reims. Après, aux Arts Déco la question s'est moins posée parce que d'autres moyens étaient disponibles, entre autres, grâce à l’expérience qui m’a été donnée de vivre au Japon. Le processus était vraiment très intéressant, parce qu'il s'agissait de masteriser une technique. Avec les sensei japonais (maîtres en japonais), il s'agissait de maitriser à la perfection une technique, une matière, pour devenir un expert reconnu de ses pairs après des années et des années de pratique. Ensuite, au Royal College, il ne s'agissait pas de venir avec un projet tout prêt sur la table, cela ne convenait pas ; il fallait construire l’univers qui justifiait l’existence de ce projet, la mécanique intellectuelle. Chaque semaine était l'occasion de pousser le projet, et plus on avançait, plus on vous demandait d'aller encore plus loin. Un jour, j'échangeais avec Jurgen Bey que j'avais comme professeur et il me dit : « D'accord, mais alors quelle est la religion de l'entreprise qui te fournit le plastique pour faire ces couverts ? » Et là, on est un peu déstabilisé et on prend conscience qu'il faut penser non seulement au design des couverts mais aussi au monde et à l'univers des gens qui fabriquent ces couverts.
SF : Vous avez eu la possibilité d'être en résidence d'artiste en Pologne en 2012, comment avez-vous eu cette opportunité ? Pouvez-vous revenir sur cette expérience ?
AP : C'était à Kielce, la ville venait de réaménager avec l'aide de fonds européens une ancienne prison pour en faire des résidences d'artistes. C'est une histoire compliquée, car quand je suis arrivée, j'étais la toute première résidente. Il y a eu des désaccords politiques et le maire de l’époque n’a pas souhaité que l’argent pour ce lieu soit dépensé au profit d’artistes internationaux. Il voulait en faire un lieu d’activités pour ses habitants. Donc en fait pendant cette résidence, j'ai été la première et la dernière résidente. Il se trouve que le Centre venait d'acheter des machines toutes neuves et une quantité de porcelaine liquide incroyable. C'était donc là encore par chance que je me suis retrouvée à avoir trois responsables d'atelier à mon service, des litres et des litres de porcelaine à ma disposition. Il faut quand même que je vous dise une chose par rapport à ce lieu qui est assez terrible puisque dans cette ancienne prison il y avait d’anciennes niches de torture à l’eau. Les gens étaient enfermés à l'intérieur, on leur mettait la tête dans un sac et on leur versait de l'eau qui venait du plafond. Il y avait aussi un mur en brique rouge, le mur des exterminations. Le film que j'ai fait a été réalisé devant ce mur où avaient lieu les exécutions. En fait, il y a là-bas à Kielce, quelque chose qui tourne autour de la liquidité. D'où le lien avec le projet que j'ai fait là-bas. La ville de Kielce compte énormément de fontaines que les gens adorent. Je pense que la fontaine montre une certaine forme de richesse parce que l'eau est cette matière qui ne cesse de se déverser, qui n'arrête pas de couler, renvoyant à une certaine forme d'abondance. Je ne sais pas pourquoi, j'ai été attirée par la liquidité, la liquidité de la porcelaine que j'utilisais, la liquidité de ces fontaines et du sang qui avait coulé entre ces murs. Les choses ont ainsi convergé et ces interrogations sur le contexte ont rejoint la question de la production. Je n'étais pas céramiste de formation mais je voulais tenter des choses. Personnellement, j'ai toujours été intéressée par le travail de Gaetano Pesce sur l'unicité et par le fait de faire de l'unique à partir d'une production en série. Voilà comment, avec tous ces éléments, Water Cups Fountain est apparue. Ce projet a reçu un prix de la Biennale Internationale de Céramique de Vallauris en 2014 et fait maintenant partie de la collection permanente du Musée Magnelli de Vallauris.
Source image : Ariane Prin
Source image : Ariane Prin
SF : La Water Cups Fountain constitue donc une machine à faire des objets, aviez-vous eu l'occasion de faire d'autres machines précédemment ? Je crois que vous aviez fabriqué un dispositif à fabriquer des crayons au Royal College of Art. Les machines sont aussi quelque chose qui vous intéresse en tant qu'outil de production ?
AP : Oui tout à fait. Je trouve, qu'en tant que designer, on est le mieux placé pour être présent à toutes les étapes de production. Si l'on veut savoir comment les choses sont faites et adviennent, il me semble important que le designer puisse intervenir à toutes les étapes de production. Par rapport au projet des crayons et mon projet de diplôme du RCA, il y avait quelque chose qui m'avait choqué. Cette école regroupe un nombre incroyable d'étudiants et de nombreux départements : bijoux, mode, véhicule design, design engineering, design industriel, print making, céramique, etc. C'est une très grande école située en plein cœur de Londres. James Dyson a financé, de l'autre côté de la Tamise, un bâtiment entier qui porte son nom afin de multiplier par deux le nombre de ses effectifs. C'est gigantesque ! Et ce qui m'avait choqué c'était la quantité astronomique de déchets qui était générée par les étudiants qui veulent bien évidemment profiter de leurs deux années pour tout expérimenter. Il y avait une grande benne placée juste devant l’entrée de l'école, qui était là en permanence et où tous les étudiants jetaient leurs prototypes et leurs déchets. C'est d'ailleurs ahurissant la quantité de déchets qu'un étudiant produit ! Pour faire le lien avec ce que je vous disais précédemment, par rapport à l'école de Reims où je puisais dans les déchets pour faire mes prototypes, je me suis dit que j'allais faire la même chose. Je suis donc allée dans chaque département et j'ai fait une petite étude pour identifier la quantité de déchets qui était générée par les étudiants et quels types de déchets. À partir de ce moment-là, je me suis retrouvée avec une somme considérable de déchets – soit des matières premières pour moi – et j'ai commencé à faire ma petite cuisine.
Source image : Ariane Prin
Ensuite, la question s'est posée de savoir ce que j'allais faire avec tous ces amalgames et composites de matières. Il fallait trouver un objet qui fasse sens, et je me suis dit : « qu'est-ce qui peut ou pourrait être utile à tout le monde dans une école d'art ? » Le crayon est apparu comme une réponse évidente à cette question. L'idée était aussi de rendre quelque chose à ceux à qui j'avais pris. Dans la mesure où je prenais des déchets produits par les étudiants, il fallait que ça leur revienne. Comment, en effet, cela pouvait-il leur revenir ? J'avais trouvé l’origine de la matière, le type d'objet, mais il fallait aussi que je trouve la façon de le mettre en forme. C'est la raison pour laquelle la machine à crayons est apparue comme une évidence. L'idée était de simplifier la recette du crayon et la machinerie au maximum pour que cette fabrication puisse s'avérer opérationnelle. C'était tout à fait utopique, puisque ça n'a pas été mis en place de façon pérenne dans l’école, mais voilà une machine à crayons à disposition pour que les étudiants puissent produire leurs propres crayons à dessin. Cela commençait dans les cuisines de l'école ; je demandais aux cuisiniers de me mettre de côté le reste de farine qu'ils utilisaient pour les pizzas par exemple ; dans l'atelier bois, je demandais qu'on me mette de côté de la sciure de bois ; au sein de l'atelier de verre, je demandais de la graphite pour faire la mine des crayons ; je récupérais aussi de la cire de l'atelier bijoux, des pigments de l'atelier print making, de la terre de l'atelier de céramique également pour la mine du crayon. Tous ces déchets que je récupérais à droite et à gauche, rentraient dans une machine qui était une extrudeuse manuelle. Il devenait alors possible d'extruder des mètres et des mètres de crayons. Mon diplôme n'a pas été une exposition classique, pendant une semaine, j'ai été active, j’extrudais des crayons et j'en donnais aux visiteurs. C'était ça mon diplôme.
Source image : Ariane Prin
SF : Sur votre site j'ai vu que vous fabriquiez aussi des crayons avec des moules, en plus de votre extrudeuse, ce process était-il complémentaire du process d'extrusion ?
AP : Mon diplôme a plu aux gens, et on m'a demandé ensuite de faire des ateliers, des workshops, sur ce principe. J'en ai fait pas mal ici et là. Pour ce faire, il fallait que je sois assez mobile. Or, l'extrudeuse exige l'application d'une certaine force sur la machine pour extruder, ce qui impliquait de faire des trous dans les murs, ce qui n'était pas l'option la plus mobile. J'ai donc mis en place un procédé avec des moules me permettant de faire ces d'ateliers, surtout avec des enfants, au Victoria and Albert Museum de Londres, pendant la Sofia Design Week en Bulgarie, à la Galerie Bensimon à Paris et d’autres. Mon discours était : « vous voyez ces matières ne coûtent rien, je les ai trouvées autour de moi, tout ceci est fait avec des matériaux recyclés et vous êtes en train de faire vos crayons vous-mêmes. »
SF : De ce fait, pourquoi dites-vous que c'est utopique parce que finalement votre proposition a plutôt bien fonctionné ?
AP : Il est question d'utopie dans cette approche car, pour moi, il aurait fallu que ce dispositif soit installé dans l'école et cela n'a pas été le cas.
SF : Pourquoi à votre avis ? L'école aurait pu rebondir sur votre proposition ou créer une petite boutique pour vendre ces crayons ?
AP : Oui c'est vrai. Je pense que cela aurait pu être possible, mais cela ne s'est pas fait. En Afrique, il y avait également une association très intéressée par le projet, mais il n'y a pas eu de suites.
SF : Ce type d'expérience entre-t-elle aussi dans une forme de réflexion plus globale sur la place que peux avoir un ou une designer dans la société ?
AP : Oui complètement. Ce qui m'intéressait également était de comprendre la valeur d'échelle de ce projet. J'avais réussi à prouver que ce système était plus ou moins efficace à l'échelle d'une école et je voulais savoir s'il pouvait être appliqué à d'autres échelles. Après le Royal College, j'ai eu la chance de participer à une initiative portée par des collectifs d'architectes. Il y a une rue dans Londres qui s'appelle Willesden Green qui se trouve dans un quartier un peu en perdition, paupérisé, où tous les magasins fermaient les uns après les autres. Ces collectifs ont appelé des artistes, des designers, à prendre possession de ces « units », à investir ces boutiques pour un coût vraiment symbolique, et, pendant trois mois, à développer des activités, à proposer un projet. Ce que j'ai fait, c'est que je suis allée à la rencontre des boutiques qui étaient encore ouvertes, et comme au RCA, je suis allée étudier leurs déchets. Je leur ai demandé en quelle quantité ils en produisaient, ce qu'ils en faisaient, à la suite de quoi, ma boutique est devenue un joyeux capharnaüm parce que je récupérais plein de matières que je trouvais à droite à gauche pour en faire des objets.
Source image : Ariane Prin
C'était une boutique ouverte sur l'extérieur, ce qui faisait que les passants me voyaient bricoler. Des curieux rentraient, d'autres m'aidaient à fabriquer des pièces et chaque objet qui était généré là-bas avait un tag avec le nom de la boutique qui avait donné son déchet. Cela faisait une sorte de publicité gratuite pour les personnes et les boutiques encore en activité, cela créait une certaine forme de lien.
SF : Une fois ces trois mois terminés, cette expérience vous a-t-elle conduite vers un autre projet ?
AP : Oui, elle a donné lieu à RUST. Ce qu'il s'est passé, c'est qu'il y avait un serrurier qui faisait de la découpe de clés dans cette rue et qui m'avait donné ses poussières de clés : la poussière de clé, il faut savoir que ce n'est pas du tout une matière qui est recyclée, c'est considéré comme une banale poussière.
Source image : Ariane Prin
Et comme n'importe quelle poussière, elles sont aspirées et terminent dans un aspirateur. À l'époque, j'avais ouvert un aspirateur pour les récupérer. Comme j'ai du mal à jeter, j'avais encore un sac de poussières de clé issu de cette expérience à Willesden Green. Comme avec les crayons, j'ai fait ma « tambouille » avec ce qu'il me restait de cette expérience, et une semaine après, les échantillons s’étaient transformés du fait de l'oxydation du métal. Londres étant une ville très humide, c'est plutôt intéressant lorsque l'on travaille sur l'oxydation ! Comme projet géolocalisé, c'était parfait ! L'humidité aidante, les échantillons s’étaient colorés de taches de rousseur que je trouvais assez belles.
Source image : Ariane Prin
Cela a attiré mon œil, et j'ai décidé d'exploiter ce principe à fond. J'ai cherché où je pouvais me procurer d'autres métaux. Je suis allée voir des industries qui m'ont donné de l'acier – c'est ce qui donne des couleurs un peu plus grises aux pièces RUST – après il y a un autre métallier qui m'a donné de la poussière de cuivre. J'ai commencé à faire des mélanges. Avec le cuivre, cela donne ces pièces bleues turquoise. Ensuite, j'ai essayé de développer un panel de formes et de couleurs. La question pour moi était de savoir comment l'inutilité d'une matière issue d’un business, pouvait être le point de départ pour un autre business. Ensuite, comme je le disais précédemment, il s'agissait de voir comment vivre de ce travail de création à London City. La première exposition des pièces RUST a eu lieu en 2013 pendant la London Design Week, et après plus d’un an d’expérimentations, la collection existe depuis ce moment.
SF : La collection RUST a été exposée à Londres puis en France ?
AP : Oui et dans d’autres pays également. Récemment, des responsables du Printemps m'ont contactée pour me demander de réaliser 40 pièces. C’est en lien avec le label qu'ils viennent de mettre en place « Unis vers le beau responsable » qui est représenté par le signe de l'infini, et aux efforts qu'ils essayent de faire autour du recyclage et de la seconde main. Ils cherchaient des designers et des projets en phase avec leur démarche et qui fassent sens par rapport à leurs ambitions.
SF : Et les pièces qui sont devant nous, où sont-elles réalisées ? Au sein de votre atelier ?
AP : Oui, j'ai la chance d’avoir un espace pour cela chez moi.
SF : Pour revenir à la poussière de métal, il s'agit d'un déchet industriel, est-ce que c'est pour vous une façon malgré tout de continuer à travailler avec l'industrie ?
AP : Oui, sans doute, je n'avais pas vu les choses comme ça.
SF : Lorsque l'on regarde votre travail, qu'il s'agisse de Water Cups Fountain ou de RUST, on peut s'apercevoir que vos productions opèrent la rencontre de questions qui touchent à la fois à la production en série, à l'industrie, mais aussi à d'autres préoccupations liées aux grands enjeux environnementaux actuels. Au fond, votre approche et vos productions semblent raconter le passage d'un siècle à un autre, le passage du XXe siècle au XXIe siècle, et d'une certaine manière, à l'histoire du design. Qu'en pensez-vous ?
AP : En toile de fond, oui complètement. Lors de ma période "Arts décoratifs" (2004 / 2006), tout du moins, le "graal absolu" était d'être édité par de grands éditeurs comme Cinna, Ligne Roset, etc. Ces éditeurs venaient à la fin de l'année jeter un œil aux diplômes pour repérer quelques projets prometteurs. Nous étions encouragés à travailler dans ce sens, nous répondions à des concours également et c'était un aboutissement d'être édité. En effet, en récupérant les déchets de l'industrie, c'est un moyen de s’interroger sur la façon dont ces systèmes peuvent collaborer, en cherchant à produire selon une quantité raisonnée. À présent, en travaillant chez TSF, je vis cela de l'autre côté, et je perçois mieux comment tout cela fonctionne. L'avantage d'être arrivée au tout début d'une jeune entreprise, c’est de pouvoir être témoin de son développement et de son positionnement par rapport aux échelles de productions.
SF : Et vous pouvez suggérer des directions ? Poser des questions qui pourraient justement faire évoluer l'entreprise dans ces process et choix de production, en somme l'aider à s'orienter ?
AP : C'est ce que je vous disais, quand on travaille pour un autre, on est un peu comme un caméléon, on peut insuffler des idées, mais la décision finale restera toujours celle de la direction. Il faut accepter qu'il ne s'agit pas de sa propre entreprise. Après rien n'empêche de faire des suggestions. Encore une fois, je pense, qu'en tant que designer, on est les mieux placés pour essayer de faire changer les choses en tout cas. Mais, il ne faut jamais baisser les bras, à force d'échanger, et avec le temps, on remporte parfois de petites victoires.
SF : Je sais que vous avez aussi fait un film qui rassemblait des tutoriels internationaux, quelle en était l'idée ?
AP : Les tutoriels sont une vraie source et Youtube constitue une matière en soi. C'est d'ailleurs incroyable tout ce que l'on peut y trouver. Les gens font ça gratuitement, en open-source. Ils partagent toutes leurs idées, toutes leurs trouvailles. C'est génial ! Une fois que l’on met le nez dedans, c'est infini. Effectivement, le projet s'intitule « DIY Energy Machine », le sujet que l’on nous avait donné au RCA – c’était en 2009 – portait sur la thématique de l'énergie : « NO Energy », je trouvais ce sujet vraiment intéressant. Mon intervention en tant que designer était presque inexistante, il s'agissait de faire une compilation des meilleurs tutoriels afin de mettre en avant l’expérience de ces personnes qui fabriquent elles-mêmes leurs propres machines, qui produisent leur propre énergie : moulins à eau, éoliennes, cellules photovoltaïques, etc, et qui sont de véritables geeks.
SF : Quand vous dites que votre intervention de designer était quasi inexistante, est-ce que cela signifie aussi que pour vous le travail du designer peut aussi se situer du côté de l'observation et d'une veille à l'égard du monde et de la société ?
AP : Bien sûr. Il y a un projet sur mon site – www.arianeprin.com – qui s'appelle « World’s Greenest Project », et quand on va sur cette page, elle est blanche. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de projet. Le projet le plus « vert », c'est le projet qui n'existe pas. Ce « projet » est criticable bien-sûr, il faut tout de même un serveur pour qu’il existe. C'est le Japon aussi qui m'a fait réaliser cela. Car les japonais sont dans un minimalisme absolu, et c'est cette expérience qui m'a permis de me rendre compte que l’on n’a pas besoin d'autant de choses que l’on croit avoir besoin de posséder. « Less is more ». Se contenter de peu de choses, mais au moins les avoir bien faites et qu’elles durent dans le temps. D'ailleurs, ils sont pour une large part dans une certaine forme de frugalité. En tout cas, c'est comme cela que je l'ai ressenti.
SF : On croise dans votre approche un intérêt pour le local, sans pour autant renoncer à la production d'objets. Est-ce que ces préoccupations relatives au local réorientent selon vous le métier de designer, sa façon de faire du design et votre propre pratique professionnelle ? J'ai l'impression que depuis quelques années, les designers semblent plus attentifs aux facteurs environnementaux, à développer un intérêt pour le local, pour le participatif, comment intégrez-vous ces paramètres dans votre démarche ?
AP : Dans ma démarche actuelle ?
SF : Oui, à la fois à travers vos aspirations personnelles et professionnelles ? Car vous avez une double approche.
AP : C'est presque antinomique en effet ! Oui, c'est curieux, d'ailleurs je ne sais pas si un jour tout va se regrouper...
SF : Vous allez faire un choix ?
AP : Je ne sais pas du tout. Pour le moment je trouve un équilibre, mais peut-être qu'un jour mes convictions seront plus fortes et me mèneront sur un autre chemin.
SF : Vous continuez aujourd'hui à développer RUST, avez-vous envie de développer d'autres projets ?
AP : Pouvoir continuer RUST, c'est déjà une petite victoire pour moi, parce que je n'ai pas été autorisée pendant deux ans à fabriquer de nouvelles pièces. J'étais contrainte à une exclusivité avec The Socialite Family, et depuis peu, j'ai obtenu l'autorisation de continuer RUST, se limitant au design et à la fabrication d’objets utilisant exclusivement cette matière.
SF : C'est très contraignant ?
AP : C'est comme ça. Il faut que je l'accepte.
SF : Du coup ça vous bride un peu à imaginer d'autres projets pour le moment ?
AP : Actuellement, mon énergie et ma créativité vont à TSF. Quand je m'investis dans quelque chose, en général, je m'y consacre pleinement, pour le moment mon esprit est là.
SF : Au sein de cette entreprise, vous développez des projets très variés, ça peut être du mobilier, de petits objets, etc. ?
AP : Oui, des canapés, des luminaires, des accessoires, etc. En fait, je fais mon métier de designer à la mode "Arts Déco", je suis retournée aux fondamentaux. J'ai fait 7 ans d'étude et après tout ce cheminement, je fais ce pour quoi j'ai été formée à l’origine, selon une conception traditionnelle du métier de designer. C'est extrêmement enrichissant aussi de savoir comment cette façon de faire du design fonctionne, quelles en sont les ficelles.
SF : De ce fait, en voyant du dedans tous les rouages du métier et les contraintes qu'il implique est-ce que parfois vous n'êtes pas tiraillée entre vos aspirations profondes et certaines règles et préceptes établis ? On peut, j'imagine, être par exemple contre les délocalisations et devoir importer des matières premières de loin car se posent aussi des questions de coût de réalisation des pièces, des matières premières que l'on souhaite utiliser. Comment procédez-vous et comment parvenez-vous à opérer cette négociation ?
AP : En fait, dans ces situations, il faut être hyper rationnel. Typiquement, chez TSF, on ne travaille pas avec la Chine, c'est un choix de la direction. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de beaux savoir-faire en Chine, mais dans la mesure où les couts et les délais de transport ainsi que les délais de fabrication sont très élevés et que la qualité n'est pas forcément au rendez-vous, cela n'est pas très intéressant de travailler avec eux. Par contre, nous travaillons beaucoup avec l'Italie. Ce qui est génial, c'est que ce pays a réussi à garder son savoir-faire incroyable lié à l’histoire du design. La production italienne fonctionne par régions et chacune d'entre elles s'est spécialisée dans un savoir-faire bien spécifique. Les entreprises communiquent toutes entre elles au sein de cette même région, l’une s’occupe des parties métalliques, l’autre fera le ceintrage du bois, une troisième s’occupera de la mise en peinture et une dernière de la gravure du logo, c'est un fantastique réseau collaboratif. De plus, ces entreprises sont souvent des entreprises familiales.
SF : Produire des objets de qualité avec des savoir-faire et relativement proches, cela fait-il partie des principes mis en place par la start-up ?
AP : Tout à fait !
SF : Du coup, il y a aussi dans votre démarche une volonté pédagogique de sensibiliser les gens à une prise de conscience du prix et du coût des choses, en lien justement avec des questions environnementales, locales, techniques. Peut-être que faire prendre conscience aux gens qu'en fabriquant de telle façon on peut obtenir des objets plus durables, malgré le coût que cela peut avoir, est intéressant. N'est-ce pas aussi cette dimension qui vous anime ?
AP : Complètement.
SF : Par conséquent, comment vous définiriez-vous ? Comme artisan, designer ou comme designer industrielle ?
AP : Qu’elle serait, dans le contexte de votre question, la définition du designer industriel ?
SF : Celui, par exemple, qui utiliserait l'industrie aussi dans sa capacité de production et de grande production. On peut faire aussi une distinction entre un design industriel de la grande échelle et une production plus artisanale qui reste limitée dans ses moyens de diffusion et de production.
AP : Dans ce cas en effet je porte les deux casquettes.
SF : Existe-t-il une approche qui vous semble plus en phase avec vous-même ?
AP : Mon travail personnel est bien sur la plus proche de moi.
Source image : Ariane Prin
SF : Et si vous n'étiez pas contraintes par des enjeux économiques, vous iriez dans cette direction ?
AP : Oui, complètement. Je sais qu'en Hollande, l'état finance énormément les créatifs, ce qui change tout.
SF : Effectivement, en France la question du statut du designer n'est pas simple ce qui freine parfois les designers dans l'exercice de leur activité.
AP : Les designers ne sont pas censés, par exemple, être inscrits à la Maison des artistes. C'est très différent du système anglais où administrativement parlant, tout est vraiment simplifié. À Londres, il y a une belle scène de grands designers, comme Terence Conrad notamment qui a créé le premier musée du design ainsi qu’Habitat et le Conran shop. Il y a vraiment une culture du design qui est implantée outre-manche depuis des décennies, alors qu'en France, la question du design et des designers est encore au stade du « statut » comme vous le soulevez.
SF : Est-ce qu'en France le design n'est pas aussi freiné par une culture issue des arts décoratifs et une conception historique de ces derniers qui reste malgré tout très persistante ? Pourrait-on, par exemple, en tirer quelque chose de positif car il y a quand même eu des productions magnifiques ? Il existe notamment une culture de la production aussi bien artisanale qu'industrielle en France de qualité qu'il serait nécessaire de soutenir ?
AP : Vous me demandiez tout à l'heure la différence entre l'Angleterre et la France, il y a une chose que j'ai adorée, c'est qu'en Angleterre, on laisse vraiment sa chance aux jeunes. Les anglais sont hyper curieux de la nouvelle garde. J'ai commencé RUST avec une galeriste qui ne me connaissait ni d'Ève ni d'Adam, je me suis retrouvée à exposer dans sa galerie à Shoreditch, donc « the place to be », pendant la Design Week de Londres. La galeriste ne m'a rien demandé, elle m'a juste dit : «je te prends 50% sur tes pièces, tu fais ce que tu veux de mon espace, je ne te connais pas, mais j'aime juste ton travail ». Et j'ai vendu une bonne partie de ma collection pendant cette semaine, créé mes premiers gros contacts professionnels, eu pas mal de presse également. En fait, c’est grâce à cette galeriste que j’avais contacté au culot et qui m’a fait confiance, que RUST a pu exister. Si un projet n’est pas montré, alors il n’existe pas. Imaginer une chose comme ça à Paris cela me semble compliqué, j’ai le sentiment qu’il faut déjà avoir une certaine notoriété, ou se faire introduire, connaitre untel ou untel. Enfin, à la sortie des Art Deco je me souviens avoir tenté ma chance au sein des galeristes, et c’est la conclusion que j’en avait tiré. Cela étant dit, la compétition est rude à Londres parce qu'il y a plein de jeunes qui sortent tous les ans des écoles de design, il faut donc savoir se renouveler justement pour satisfaire le besoin ambiant de nouveauté. Ça en fait une atmosphère assez compétitive, donc tout le monde essaye de sortir le « truc » le plus intelligent, le plus branché, le plus cool, qui donne le plus envie, le plus photographiable, le plus beau, etc.
SF : Par rapport aux outils de diffusion, je pense notamment à des magasines en ligne comme Dezeen, qui peuvent offrir une très grande visibilité à un projet, comment vous positionnez-vous ?
AP : Justement où est le Dezeen français ? Où est ce média qui diffuserait toutes les productions des designers, architectes et jeunes diplômés ? Dezeen a été lancé en 2006, il vient d'être vendu (2021) par son créateur Marcus Fairs à un groupe Danois, ce média connu internationalement, à 3 millions de visiteurs unique par mois à la date de sa revente.
SF : Il me semble que votre travail est présent dans cette revue ? Comment y entre-t-on ? Ce sont les membres et rédacteurs de Dezeen qui viennent chercher les designers ou est-ce que ce sont les designers qui font une démarche particulière ?
AP : Oui, ils ont notamment publié un article sur le projet des crayons. Ils passent une tête aux diplômes du Royal College, et ça a commencé comme ça. Ils voulaient pendant une Design Week, faire une petit séquence sur les jeunes designers de l'époque, j'ai exposé avec eux, et nous avons gardé contact sur d'autres projets ensuite.
SF : Dezeen génère un format qui s'accompagne souvent de vidéos assez travaillées, mettant l'accent sur la façon dont les choses sont faites, montrant certains process de production en mode accéléré ou en créant des ambiances, etc.
AP : Il y a aussi les « punch lines » de leur newsletter qui peuvent être critiquables d’ailleurs, j’imagine que c’est pour créer le « buzz » et attirer l'attention.
SF : Et vous trouvez cette façon de communiquer intéressante ou pas ? Ou est-ce un état de fait ?
AP : Cela fait partie du jeu si on souhaite être diffusé. C'est vrai qu'ils ont un peu changé leur ligne éditoriale, ce n'était pas tout à fait comme cela au début. Si on n'aime pas, on arrête de les lire.
SF : En tout cas ce type de magazine en ligne permet de diffuser de la création au niveau international. Les plateformes qui offrent cette opportunité ne sont pas si nombreuses.
AP : Vous connaissez Sight Unseen, le média Américain ? Il existe aussi en France Goodmoods, les podcats Où est le beau et Dessin Dessein que j’aime tout particulièrement.
SF : Êtes-vous en lien avec d'autres designers, des collectifs ou des designers comme Studio Swine par exemple ?
AP : C'est drôle que vous les évoquiez car nous étions au Royal College ensemble, Azuza et Alexandre. Ils ont ensuite énormément voyagé, nous avons perdu contact, j’aime beaucoup ce qu’ils font. Il y a plusieurs machines dans leur travail et le niveau de qualité de leur production est prodigieux. Ils ont collaboré assez rapidement avec le vidéaste Juriaan Booij, un roi de l'image qui a parfaitement su capturer ce niveau de qualité de leur travail.
SF : On perçoit d'ailleurs des similitudes avec votre approche, une sensibilité commune qui s'expriment à travers une même génération de designers. Ressentez-vous cela également ?
AP : Nous sommes les enfants de notre époque.
SF : Les école jouent-elles aussi un rôle important dans l'orientation du design ?
AP : Il y a des mouvements. Concernant les machines cela date quand même ; ça date de l'école hollandaise je dirais, d'Eindhoven. Et c'est marrant que ce mouvement soit encore actif. J'ai l'impression qu'Eindhoven a joué un rôle important depuis une vingtaine d'année et que cette école a été un peu le chef d'orchestre de tout ça.
SF : Le Royal College semble aussi jouer un rôle non négligeable dans les orientations prises par les designers et le design. Qu'en pensez-vous ?
AP : En réalité, c’est un petit milieu et tout le monde s’influence.
SF : Eindhoven a peut-être donné la direction plus tôt que le Royal College, parce que ça fait bien 20 ans qu'ils ont développé des approches impliquant les processus de production et la production de machines.
AP : Je me demandais d'ailleurs si cela ne s'essoufflait pas justement.
SF : Ils abordent désormais d'autres questions autour du design d'interaction, de l'IA...
AP : Comme dans tous les domaines, le design se digitalise. Hâte de voir arriver le design 3.0 et les challenges inhérents à cette pratique. J’aime beaucoup contempler en ce moment l’univers 3D onirique du Bureau Benjamin.
SF : Tout à l'heure vous disiez que pour maîtriser un projet il faut être présent à toutes les étapes de la chaîne de production, est-ce qu'il y a aussi des moments dans la délégation qui peut engendrer de bonnes surprises ?
AP : Oui, tout à fait. Il se trouve qu’en tant que manager de la team design chez TSF, nous sommes en train de procéder à de nouveaux recrutements pour agrandir l’équipe. C'est très intéressant de voir toutes ces nouvelles personnalités émergentes qui ont d'autres visions du monde, d'autres centres d'intérêt. C'est important de comprendre ce qui les motive, d’étudier leurs portfolios et de les rencontrer.
SF : Merci beaucoup.
AP : Merci à vous Sophie.