Séance n°5, mercredi 16 février 2022. Compte-rendu rédigé par Suzanne Anger et Kay Samaha.

Figure 1. Conférence 5, master 2 « Design, Arts, Médias », promo. 2021-2022.
Podcast 5

Préambule

Le doctorat en design est en pleine émergence en France depuis quelques années. Nous assistons à une augmentation des thèses qui convoquent des méthodes de recherche variées : un doctorat pour le design, par le design ou sur le design ? De nombreuses questions se posent sur le but de la recherche en design. Margot Laudoux, Camille Mançon et Margaux Moussinet prennent, chacune à leur tour, le soin de nous présenter le parcours du doctorant et les enjeux qu'il implique. Ces trois interventions permettent de comprendre les motivations qui peuvent conduire à un doctorat ainsi que la façon dont ce dernier peut se dérouler au fil des ans. Catherine Chomarat-Ruiz, leur directrice de thèse, le dit : il y a autant de doctorats qu'il y a de doctorants.

1. Margot Laudoux, première année de doctorat

1.1 Un doctorat, pourquoi ?

Après un baccalauréat littéraire, Margot Laudoux décide de s'orienter en CPGE Arts et Design à Nevers. Elle a ensuite intégré le DSAA mention Espace et Événementiel à Marseille où elle a effectué un premier mémoire sur les synesthésies et la recréation sensorielle. Ce travail fut poursuivi durant son master 2 « Design, Arts Médias » en 2020 avec un projet de cartes sensibles comme outil de récit pour les demandeurs d'asile.

Pour son projet de master 2, Margot a mis en place des ateliers de cartographie sensible et narrative pour les demandeurs d'asile dans des centres d'aide. Cependant, la situation sanitaire en 2021 a provoqué une certaine frustration par rapport au déroulement de ces ateliers : des annulations, le port du masque comme frein à la compréhension, une certaine appréhension de la part des demandeurs d'asile. Margot décide alors de poursuivre son projet de recherche pour trois raisons principales : la volonté de poursuivre son projet qu'elle trouvait inachevé, un certain goût pour la recherche et le partage, une envie d'apprendre et d'explorer et après tout, pourquoi pas ?

1.2 Méthodologie de la recherche en première année

Margot a commencé son doctorat en octobre 2021, dont le sujet découle de son mémoire de master, avec pour question de recherche : la co-création de cartes sensibles pourrait-elle permettre aux migrants d\'exprimer leur histoire et dans le même temps instaurer un dialogue entre habitants et migrants ? C'est une thèse par le design qui ne se place pas dans un domaine déjà constitué. Son travail prend la forme d'ateliers de co-création, en partenariat avec des professionnels du social. L'avantage de la carte sensible comme outil de communication est qu'elle peut être utilisée par tous, au-delà de la barrière de la langue.

Pour cette première année, Margot a établi un protocole de recherche. Dans un premier temps, elle a effectué une veille littéraire et artistique. Il a ensuite été important pour elle de choisir plusieurs terrains, les villes d'Ambert et Marseille, deux lieux où elle a vécu et dont elle connaît les dynamiques. Selon elle, il est important pour un chercheur de choisir un terrain qu'il connaît. Enfin, la majeure partie de son temps est consacrée à de la recherche anthropologique, c'est-à-dire rencontrer et parler à des acteurs du social. Tout cet ensemble lui permet de devenir designer de protocole. Il est nécessaire de prévoir les ateliers mais aussi de rester ouverte à une finalité inattendue et à une conduite de l'atelier qu'elle ne maîtrise pas forcément. Chaque participant devient acteur, les demandeurs d'asile restent maîtres de leur temps et de leur espace pendant le moment de co-création.

1.3 Un sujet sensible qui fait face à des difficultés

Margot a fait face à plusieurs difficultés au cours de son premier semestre de recherche. D'abord, elle s'est confrontée à la barrière de la langue. De nombreux demandeurs d'asile ne parlant pas français, elle a dû s'entourer de personnes étant capables de faire l'intermédiaire. De plus, la demande d'asile est un moment très violent dans la vie des primos arrivants. La crise sanitaire s'ajoutant à la méfiance, Margot a dû apprendre à gérer l'inquiétude des demandeurs d'asile.

Le thème de sa thèse étant un sujet de société et d'actualité, elle ne sait pas trop où se placer : doit-elle faire de son doctorat un outil militant ? Ou seulement rester dans l'apport d'une nouvelle forme de connaissance ?

Le doctorat de Margot est autofinancé. Cela lui permet d'avoir une liberté totale des sujets qu'elle étudie, mais aussi des résultats qui en découlent. Elle partage donc son temps entre sa thèse, des missions de freelance, un collectif de designers, artistes et artisans, et un travail alimentaire lorsque c'est nécessaire.

2. Camille Mançon, deuxième année de doctorat

2.1 Parcours et thème de recherche

Après son baccalauréat, Camille Mançon entre en MANAA¹ puis poursuit ses études avec un BTS Design d'espace. Elle intègre ensuite la L3 Design de l'Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne jusqu'au master 2. Ayant pour but de devenir enseignante, elle a donc décidé de poursuivre sa recherche de master dans un doctorat, toujours à Paris 1.

La thèse de Camille porte sur les liens entre anthropologie et design. Sa recherche a pour point de départ une volonté d'aller à la rencontre des gens et de se mettre à leur échelle, en évitant à tout prix la posture de designer sauveur que certains adoptent. Tous ces ateliers et ces rencontres forment une entrée académique par l'anthropologie dans un projet de recherche en design, et constituent l'amorce de la thèse de Camille.

2.2 Méthodologie de la recherche en deuxième année

Camille Mançon a divisé son travail en quatre étapes principales : d'abord une phase de lecture, puis une phase d'entretiens avec des professionnels et théoriciens acteurs du domaine, une étape d'observation et de participation et enfin une exposition finale servant à communiquer et faire la médiation de sa thèse. Au moment de la conférence, Camille avait déjà réalisé une partie des entretiens, qui lui servent à faire le pont entre théorie et pratique.

La phase de lecture était un moyen de faire un retour historique sur les deux disciplines, design et anthropologie. Cela lui a permis d'identifier des théoriciens majeurs qu'elle a rencontrés lors d'entretiens prenant la forme de discussions à partir de points fondamentaux, pour ensuite lui permettre de hiérarchiser les informations accumulées.

Pour la phase d'observation et de participation, Camille a déjà eu trois retours : un stage de trois mois avec Francesca Lozzolino et l'Ensad Lab sur la plateforme Art, Design et Société, une journée d'observation avec le Low Tech Lab et leur projet Nomade des mers pour leur retour en France après un tour du monde des lows techs, et enfin un workshop à la HEAD. Ces expériences pratiques vont lui permettre de tester l'application de ce qui a été soulevé en entretiens.

2.3 Projets parallèles et perspectives futures

En parallèle de son doctorat, Camille va participer à un ouvrage collectif de Christine Miller², qui lui a laissé deux collaborations possibles : soit une entrée théorique sur l'avenir du design anthropologique, soit une entrée pratique sur un exemple de projet. Elle a donc choisi de parler du Low Tech Lab du Nomade des Mers. Pour autofinancer son doctorat, Camille a aussi choisi de travailler en tant que surveillante au musée d'Orsay. En septembre, elle a eu l'opportunité d'enseigner la théorie du design et l'expression plastique en deuxième et troisième année de DNMADE dans l'établissement où elle a effectué son BTS.

Camille a aussi pour projet de monter une journée d'étude afin de réunir des intervenants pour échanger autour de son thème de recherche. Enfin, elle souhaite réaliser une exposition pour conclure son doctorat et pour en faire la médiation.

3. Margaux Moussinet, troisième année de doctorat

3.1 Continuité entre licence, master et doctorat

Après un baccalauréat scientifique, Margaux Moussinet décide elle aussi de s'orienter en CPGE Arts et Design à Nevers, puis effectue tout son parcours de la L3 au Master 2 en design à l'Université Paris 1-Panthéon Sorbonne. Elle décide alors de poursuivre en doctorat le travail de recherche entamé pendant son master car, selon ses mots, elle a « une question à laquelle elle veut répondre ». Le but de Margaux est de devenir enseignante-chercheuse. Elle explique qu'il est important de savoir dans quel type d'activité nous nous retrouvons pour choisir le type de doctorat qui nous correspond le plus.

En master 2, Margaux s'est questionnée sur la fonction du livre de graphisme. Elle s'est intéressée à des objets éditoriaux qui tendent à tester les limites du livre. La conclusion de sa recherche de master était que le livre de graphisme est une forme augmentée de livre qui à la fois apporte une expérience esthétique mais permet aussi de conscientiser l'acte de lecture. Pour son projet, Margaux a expérimenté de la typographie en redessinant une police au pastel gras pour mettre en évidence une texture et une matérialité de la lettre. La citation à la base de cette expérimentation, « les mots sont des images eux-mêmes », deviendra plus tard son cas d'étude de doctorat. De ces essais typographiques est née la Garature, contraction de Garamond et texture, une police d'écriture composée de quatre variantes qui remet en question la lisibilité de l'écriture.

3.2 Méthodologie de la recherche : affiner la question de recherche

En se basant sur le travail effectué au cours de la rédaction de son mémoire, Margaux décide de se focaliser sur l'esthétique de David Carson, c'est-à-dire l'étude de la lettre en tant qu'objet esthétique. Elle se demande alors en quoi les images composées de lettres sont reçues différemment des autres images. Sa méthodologie de recherche a d'abord consisté à constituer un état de l'art, autrement dit à tout lire et tout savoir de Carson : lire tout ce qu'il a écrit et qui a été écrit sur lui, écouter ses interventions, connaître ses productions, ses collaborations et regarder ses actualités. Elle a ainsi catégorisé tous ces travaux et synthétisé par écrit ce qu'elle a vu et lu pour se créer une base matérielle où elle puise pour la rédaction de sa thèse. Margaux a aussi essayé de prendre contact avec Carson, sans succès. Elle a alors reformulé sa question de recherche : y a-t-il des différences esthétiques entre les lettres dans un texte normal et dans le travail de Carson ? En quoi l'opacité de la lettre affecte-t-elle la compréhension du travail de Carson ?

3.3 Réorienter son doctorat en troisième année

Margaux a fait face à un obstacle majeur dans la poursuite de son travail. À force de se concentrer sur Carson, elle a perdu de vue son travail d'origine, la Garature et plus largement la question de la matérialité de la lettre, et avait l'impression de tourner en rond. Grâce à des entretiens avec sa directrice de thèse, elle a pu réorienter son travail et se le réapproprier. Elle est revenue à son questionnement de base et a évincé Carson de sa problématique. En effet, il n'est que son cas d'étude et ne doit donc pas figurer dans la question de recherche. Suite à cette réorientation, Margaux est arrivée à sa question de recherche définitive, dans sa formulation, environ deux ans après le début de son doctorat : au-delà du gain esthétique qu'elle favorise, l'opacité de la lettre bouleverse-t-elle la conception graphique du texte ? Plus précisément, ne permet-elle pas de reconfigurer le champ du design graphique et de repenser ses méthodes et ses outils projectuels ?

À partir de là, il lui a été facile de mettre au point le plan de sa thèse. Margaux doit maintenant trouver un nouveau titre pour sa thèse, car elle ne souhaite plus mentionner Carson dans l'intitulé de son travail. Elle a commencé la rédaction de sa thèse, et demandera probablement une année supplémentaire en dérogation afin de pouvoir la terminer sereinement.

4. Comment postuler à un doctorat en design ?

Pour effectuer un doctorat en design, il faut d'abord solliciter un enseignant pour diriger la thèse. Il est fondamental de bien choisir son directeur de recherche, car c'est lui qui va aiguiller le doctorant tout au long de sa recherche. C'est pourquoi il est important de se renseigner sur les méthodes de travail de l'enseignant, contacter ses doctorants, suivre ses cours, lire ses publications. Une fois la demande de doctorat effectuée, il faut réfléchir aux financements. Le montage financier est généralement fait avec le directeur de thèse. Pour financer leur doctorat en design, les étudiants ont plusieurs possibilités. D'abord, il est possible d'obtenir un contrat doctoral par l'université. Cependant, les contrats doctoraux sont peu nombreux, il est donc souvent nécessaire d'avoir recours à d'autres moyens de financement, notamment la bourse CIFRE. Une troisième possibilité est l'auto-financement. Les doctorants peuvent maintenir une activité professionnelle en parallèle de leur recherche. En effet, avec un contrat doctoral, l'étudiant s'engage pour trois ans à temps plein, avec des possibilités de dérogations pour des années supplémentaires. Dans un cas d'auto-financement, les étudiants peuvent mener leur projet à mi-temps. Le doctorat reste un moment d'échanges, de rencontres et de communication. Il existe des structures qui permettent d'échanger sur son expérience de doctorant³. Ces plateformes reflètent la diversité des sujets. Il y a autant de doctorats qu\'il y a de doctorants, à chacun de définir son écosystème et de prendre le commandement de son bateau.