Séance n°6, mercredi 23 février 2022. Compte-rendu rédigé par Célia Matta et Kang-Hee Lee.
Figure 1. Conférence 6, master 2 « Design, Arts, Médias », promo. 2021-2022.
Podcast 6
1. Introduction
La réponse à la question posée semble simple : le designer est en effet traducteur, il traduit un brief en un projet graphique. La séance du 23 février 2022, qui réunissait Rose Dumesny, Dorian Reunkrilerk et Kim Sacks, nous a fait comprendre que ce n'était pas aussi simple...
2. Rose Dumesny, Designer de produit, PhD. frog Lab
Rose Dumesny débute par une présentation de son itinéraire. Elle a suivi des études de design en arts appliqués en 2008, au sein de l'École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d'art (ENSAAMA), puis a continué son parcours en effectuant un stage de design numérique chez Orange Lab. En 2015, elle passe son doctorat au sujet de la médiation des systèmes d'étude complexes. Depuis 2020, et en continuation de sa thèse, elle poursuit ses réflexions à propos de l'AI et le design au Frog Lab.
Au fil de sa recherche, de nouvelles perspectives émergent : comment le croquis et le design peuvent-ils être un appui pour le travail de recherche ? Quelles sont les limites textuelles de la recherche en design ? Dans sa propre thèse, elle a proposé une autre manière de présenter un travail de recherche en design : certes il y a un texte, mais elle y ajoute aussi un carnet, annexe à la thèse, avec des schémas et croquis qui vont venir appuyer son travail théorique. Telle une sorte de Data visualisation, elle schématise les informations collectées pendant ses recherches.
Elle interroge aussi le smartphone sur sa forme, en tant que « boîte noire » et sur l'importance du dessin. Par exemple, le smartphone, qui a une forme parallélépipédique, n'a rien de particulier : pourtant quand on voit un dessin, on reconnaît un smartphone tout de suite. En tant que créateur, nous avons un lien assez fort avec nos outils, tel un artiste avec sa peinture ou son pinceau, et dans cette logique la recherche ne doit pas être seulement contrainte au texte, mais aussi aux images afin de pouvoir transmettre le message connoté par son auteur.
Dans un article co-publié avec Anthony Mazure et Emeline Brulé, ils s'interrogent sur le format de thèse, de la norme supposée imposée par le milieu académique notamment, la norme d'archivage, la mise en page, le rendu en ligne, le format livre. C'est ainsi que la question du design et de la traduction l'a suivie tout au long de sa thèse : « le rôle du designer, se place-t-il comme un traducteur ou bien comme un précurseur en proposant de nouvelles manières de présenter ses recherches ? ». Pour elle, c'est un traducteur, le design est une manière de traduire la pratique de recherches, de rendre accessibles les recherches à d'autres personnes autrement qu'avec les mots.
3. Dorian Reunkrilerk, Doctorant CIRE, CoDesign Lab & Media Studies, Télécom Paris, Institut InterdiSciplinaire de l'innovation 13 (UMR CNRS 9217)
Dorian Reunkrilerk propose une distinction au sujet de la traduction : le design, serait-il plutôt traduisible ou traductible ? Ce n'est pas seulement une question syntaxique ou sémantique, mais plutôt une posture envers un brief donné. Les formats, matériaux et objets que l'on trouve typiquement dans des ateliers de conception, et qui permettent de modéliser les états d'un projet, sont appelés « objets intermédiaires ». Sous ce désordre apparent, ils poussent à se demander si, en tant qu'objets intermédiaires , ils peuvent être considérés comme traductions. Le processus de design n'est donc pas linéaire, et chaque objet intermédiaire présenté constitue un nouveau point de départ. Dans l'exemple d'un schéma, il est possible de donner de multiples orientations à ce même schéma. La traduction serait donc un enrichissement progressif.
En ce qui concerne ces objets intermédiaires, ils sont irréductibles les uns aux autres : chaque objet engendre quelque chose de nouveau. Les caractéristiques, la matérialisation du projet engagent une interprétation unique alors que les strates précédentes deviennent plus opaques. La matérialisation est une sorte de médiation entre deux états, l'ancien cédant la place au nouveau, à ce qui est transformé.
Dorian Reunkrilerk met en avant la distinction entre « traductible » et « traduisible » qui sont deux façons différentes de comprendre la traduction. La première figure, par exemple, renvoie au sens originel d'un livre ; la seconde permet de créer des nouvelles potentialités de langage à partir du texte d'origine, c'est ce qui permet l'exploration.
Pour lui, le design est une traduction, mais pas systématiquement. Cela dépendra des postures de désigner après les négociations et il existe quatre postures de traductions possibles : la posture technicienne, commanditaire, experte et collaboratrice. Il faut prendre l'une de ces postures qui va influencer les traductions.
4. Kim Sacks, Maître de conférences en design à l'université de Strasbourg et co-concepteur du site Design in Translation (dit.dampress.org)
Kim Sacks présente une troisième dimension de la notion de traduction et du design, à savoir la traduction au niveau du numérique. Similairement à Dorian Reunkrilerk et son objet intermédiaire, il existe une multitude de façons de faire du code pour produire une traduction machinique, mais il y aura toujours une limite technique, ou il faut en quelque sorte négocier avec la machine pour en faire usage.
En effet, selon lui, la question du contexte est très importante car, afin de faire une bonne traduction, il faut prendre le mot dans son ensemble et comprendre le contexte des mots et des phrases. C'est ainsi que l'expression anglaise « it's raining dogs and cats » ne peut pas être littéralement traduite par « il pleut des chiens et des chats », mais plutôt par une équivalence dans la langue française « il pleut des cordes».
Cependant, au plan numérique, comment faire quand la machine ne peut pas comprendre le contexte ? Serait-il possible d'automatiser les tâches, est ce qu'on peut utiliser la machine pour traduire au-delà des mots ? Il est évident que nous sommes encore loin de voir une machine qui comprend l'ensemble des mots dans son contexte. La traduction machinique présente des limites techniques et ne peut pas prendre en compte le cas particulier. Il serait donc impossible d'automatiser la tâche de désambiguïsation lexicale.
Dans le cas de Design in Translation, une difficulté a été rencontrée. Étant donné que toute notion apparaissant dans un texte du site (Anthologie, Bibliographie raisonnée, etc.) renvoie au Glossaire de notions, il a été décidé de souligner à l'écran ces notions afin que, par un système de liens, le lecteur puisse cliquer et passer de l'emploi du terme dans un texte donné à sa définition dans le Glossaire. Par exemple, « caractère » va renvoyer à la notice « caractère » typographique dans le Glossaire. La difficulté est alors la suivante : un texte relatif à Paulin, qui aurait mauvais caractère, va voir le terme de « caractère » souligné au même titre l'emploi du caractère dans un texte sur la typographie. La machine ne réagit pas en fonction d'un contexte sémantique, elle ne traduit pas du sens, mis applique une règle. Le problème est lors de traiter l'exception, en élaborant une liste d'exceptions où la règle ne s'appliquera pas, ou d'accepter l'anomalie, un petit désavantage au regard du gain que les liens permettent...
5. Ouverture
Dans le champ du design, il existerait une interdisciplinarité possible en raison de certaines images qui, loin de simplement illustrer une idée, ou un texte, traduirait directement l'intention de son auteur... Ainsi, le « picture-marketing », terme anglais, illustre cette proposition : « une image vaut mieux que mille mots » dans la mesure où il permet de promouvoir rapidement une marque ou une personne de façon imagée et remarquable. Mais qu'en est-il de la traduction d'une idée en dehors du champ « promotionnel » ?