Expérimenter, Faire, Fabriquer et Transmettre. De la « Preuve par 7 » à la « Chaire EFF&T »
Antonella Tufano, Patrick Bouchain

Conférence n° 7, mercredi 3 mars 2021. Propos recueilli par Alice Leblanc et Nicolas Lepreux.

Figure 1. Synthèse graphique 7, Lucy Doherty.
Podcast 7

1. Présentation des invités par Catherine Chomarat-Ruiz

C'est une séance un peu particulière, puisqu'elle va concerner l'architecture, mais aussi l'idée d'expérimenter, de faire, de fabriquer, de transmettre, et donc finalement de
concevoir des espaces avec l'ensemble des acteurs qui sont impliqués dans ces actions. Il s'agit au fond d'une séance un peu spéciale, puisqu'il y a une sorte d'abolition des disciplines traditionnellement trop cloisonnées : design, architecture, urbanisme, etc. Nos invités sont Patrick Bouchain, qui est un des acteurs principaux de cette manière de faire, et Antonella Tufano, qui connaît bien les tenants et les aboutissants de cette manière de pratiquer l'architecture puisqu'elle est aussi auteure d'un ouvrage concernant la façon dont on fait les projets et dont on peut remettre en question et interroger cette façon de procéder. Je pense à Faire des projets, fabriquer des projets. La démarche de projet comme outil de recherche : art, architecture, design1.

Je laisse la parole à nos deux invités.

2. Inventer en faisant

Antonella Tufano

Quand Catherine a proposé cette intervention, j'ai immédiatement pensé à la Chaire EFF&T, car il y a une bonne base de travail autour de cette dernière. L'année précédente, j'avais présenté, dans ce même cycle de conférences, la notion de sustainable design / co-design et la différence avec les démarches participatives. Puis, entre temps, il y a eu quelque chose de très heureux, c'est-à-dire que, pour une convergence qui s'est faite, d'une manière inhabituelle, car on ne se connaissait pas personnellement avec Patrick Bouchain, nous avons présenté un projet de Chaire qui s'appelle, « la Chaire EFF&T », dont l'idée a été portée au début par Patrick Bouchain ; j'ai ensuite rejoint ce projet, en y apportant peut-être un cadre plus académique, quoique surtout, là — on est tout de même à la Sorbonne — je ne veux pas dire qu'une école d'architecture est un cadre académique, car nous n'avons pas suffisamment de légitimité. L'idée était d'avoir cette forme de convergence, entre la pratique de la PP7 et un cadre d'enseignement et recherche.

Du coup, pour aujourd'hui, ce ne sera pas exactement la présentation de la Chaire puisque, je l'avoue, nous sommes encore en train de cheminer et tous les apports sont importants ; mais l'idée de la séance d'aujourd'hui est de partir sur quatre thèmes.

Le premier sera « inventer en faisant », notamment autour de cette notion de la valeur que peut avoir un prototype. « Inventer et faire » fait sauter la limite des disciplines, d'ailleurs, on peut parler — de manière plus large — d'un design social, en partant de William Morris. Son inscription au XIXe siècle, dans une réalité de production alternative, à une époque où la question de la machine et de l'industrie se pose, façonnera ce que l'on appelle aujourd'hui le design et aussi l'architecture. Comment peut-on avoir un processus qui est alternatif ? Quel est l'apport de l'artisan à la machine pour faire quelque chose qui soit en série mais qui ait un caractère unique ? Là, réside la notion de prototype, dès le début d'une pensée, en amont de la production de l'objet ; cela présuppose d'avoir toute une réflexion sur la manière de faire des objets : est-ce que l'on s'inscrit dans une logique de production, ou est-ce que l'on considère que le design est un outil immatériel ? Un processus qui peut prendre des formes différentes, revendiquant par « l'acte même de faire » une certaine liberté ? Il faut « faire » sans vouloir nécessairement s'inscrire dans des histoires préconçues ; il faut être au plus près de la société pour produire de cette manière, quitte à faire des prototypes qui ne resteront que des prototypes.

Pour illustrer cette attitude, je pense à la figure de Jean Prouvé, dans le contexte de l'hiver 1954, et l'appel de l'abbé Pierre pour loger des sans-abris. Il /[Prouvé/] répond, n'ayant aucun diplôme mais étant une personne extraordinaire, ayant le sens de cette « invention en faisant », et propose un modèle de maisons tout à fait novateur pour l'époque (montable et démontable avec une surface très réduite). Cette maison appelée des Jours Meilleurs, très ingénieuse, contient un bloc central, de services, servant aussi de mur porteur à la maison ; cela constitue quelque chose d'exceptionnel et apparaît comme l'un des prototypes qui parlent à la fois de la société et de ces limites qui empêchent d'accepter ces prototypes. En effet, jamais homologuées, ces maisons ne resteront que des prototypes. Cela renvoie à quelque chose qui était le propre de l'Atelier Prouvé, on y faisait très peu de dessin, car Prouvé disait souvent que le dessin, en soi, n'a pas d'utilité pour un projet, il faut directement fabriquer, mettre tous les acteurs autour du projet et discuter avec eux. Malgré l'échec de ce prototype de maison, celle-ci est symbolique d'une manière de concevoir et d'être inscrite dans la société.

D'autres formes émergent aussi plus tardivement durant les années soixante, des architectures faites en commun. Cela paraît aujourd'hui presque évident, mais c'était, à l'époque, quelque chose de novateur. Parfois il y a des pratiques qui sont anciennes, mais qui n'ont pas été supportées par un travail théorique ou de transmission, comme le montre le travail de Giancarlo De Carlo. Dans les années 1960, l'idée d'une multiplication des acteurs se développe, il n'y a plus d'acteur principal, l'architecte « beaux-arts », qui fait le projet, mais la volonté d'intégrer les futurs utilisateurs dans une logique de création. Giancarlo De Carlo, je précise, était en 1968 le commissaire de la triennale intitulée Mostra Internazionale del Grande Numero, qui avait une valeur extrêmement politique, en raison des manifestations de mai 68. L'exposition ne fut pas ouverte au public, mais on laissa entrer les étudiants et les ouvriers qui manifestaient et qui détruisent l'exposition.

Si je parle ici d'architecture, c'est qu'il y a deux moments très importants que je tiens à souligner, au tournant des années 1960-1970. D'une part, le Villaggio Matteotti parce que De Carlo doit construire un quartier social, et il refuse de faire un projet simplement pour l'opérateur et demande à avoir l'association des habitants, pas uniquement dans les démarches de concertation, mais tout au long du processus de création et construction. Il met en place une série d'ateliers dans lesquels il explique, tout d'abord, l'acte d'architecture et le faire. Pour cela, il travaille avec le sociologue De Masi et adapte les «cellules » en fonction des futurs habitants, en y intégrant des jardins et des potagers. Toutefois, seulement un tiers de ce projet sera réalisé. D'autre part, à la même période, une autre expérience de ce genre est conduite par Lucien Kroll à Louvain-la-Neuve, pour construire le nouveau pôle universitaire, les logements d'étudiants, ainsi que la maison médicale du campus. Une fois encore, il fait lui aussi appel aux étudiants, qui — de leur coté — veulent quelqu'un capable de les écouter, capable de mettre au point un langage architectural adapté. Il y a ici, à travers l'extériorisation de la forme la volonté d'afficher un bricolage et une co-construction. Ces architectures qualifiées d'alternatives, car fondées sur des pratiques, sont aujourd'hui nommées spatial agency, par Jeremy Till, car ce terme souligne deux choses différentes. Il n'utilise pas le terme « architecture », qui est un mastodonte, et refuse le terme « alternatif » car celui-ci implique d'être « alternatif par rapport à » quelque chose de normal et exclut la notion de pratique. Agency (agentivité) signifie à la fois d'être réactif au projet mais aussi porteur du projet, en le co-concevant avec les architectes.

À partir de ce premier terme concernant la multiplication des acteurs, l'importance du terrain et la valeur du prototype, écoutons la réaction de Patrick Bouchain. Quelle est l'importance d'être sur le terrain, comment se détache-t-on de certaines références pour inventer son propre terrain, en s'immergeant dans un univers de culture et de dialogue avec les artistes ? Que pourrait être une œuvre transmettant une culture populaire, et comment arrive-t-on à agencer tout cela avec l'action des artistes ?

Patrick Bouchain

Avant d'aller plus en avant, je vais vous présenter mon parcours. J'ai été formé à l'ancienne par mon père, ce qui n'est pas très courant, et comme il souhaitait que je sois un artisan socialisé, il a alterné l'école et la maison. Il me disait : « à l'école tu y vas pour rencontrer d'autres jeunes du même âge que toi, qui se posent la question de quelle sera leur place dans la société, et qui ont des questions sur leur avenir dont les professeurs n'ont pas la réponse ».

Il y a un âge, notamment au passage de l'enfance à l'adolescence, où on ne sait pas ce que l'on veut, mais où nous avons des idées très utopiques et arrêtées sur certains sujets. C'est là qu'il y a une rencontre entre la personne qui sait, qui enseigne, et celle qui désire, et qui va entrer dans la vie. J'ai donc été formé selon cettelogique, et je n'ai aucun diplôme. Mon père me disait toujours que les diplômes sont de la compétition et que nous n'en avons guère besoin, il faut aller à l'école pour apprendre et comprendre le monde dans lequel on rentre. J'ai été très tôt, avec mon père voir cette maison en préfabriqué de Jean Prouvé, les Jours Meilleurs, et je me souviens très bien des débats qu'il y avait autour, notamment sur la très grande pauvreté et sur les bidonvilles aux portes de Paris. J'ai donc eu comme modèle les trois personnes que tu as présentées : Jean Prouvé, Lucien Kroll qui sont des amis et Giancarlo De Carlo que je n'ai, certes, jamais rencontré, mais qui a toujours été important pour moi, car il a résisté au nazisme et a aidé à tout reconstruire après la guerre.

Pour revenir à la question posée, ce qui est compliqué, c'est comment apprendre quelque chose en l'expérimentant, et de ce fait arriver à modifier la chose apprise. Lorsqu'un savoir est acquis, nous avons une capacité critique. Pour le cas du terme alternatif, je suis assez d'accord avec toi. Dans le cas des mouvements alternatifs, ils sont tellement « à côté » qu'ils en sont exclus. Nous avons ainsi perdu énormément d'expérimentations qui ont été faites sous cette appellation, car faites avec peu de moyens, il n'y en a pas d'archives. Pour Giancarlo De Carlo, nous avons même perdu des choses qui ont été éditées. C'est là où la chose devient complexe, comment faire autrement, tout en étant critique, et accéder à la commande ? Il est facile de dire de faire autrement, mais encore faut-il en avoir la possibilité. Il faut pouvoir accéder à la commande, même à la petite commande. Le petit est contenu dans le grand et vice-versa, l'un interrogeant et guérissant l'autre de par leurs échelles respectives : moins ou plus observé, contrôlé. Il faut donc savoir faire de toutes petites choses avec beaucoup d'attention pour s'attaquer aux grandes choses et savoir observer comment la petite chose peut aiguillonner la grande chose.

Il n'y a pas d'âge pour faire les choses, un enfant peut expérimenter un problème et le résoudre seul : il n'y a pas de préalable à l'action, l'envie est suffisante, tout comme le courage, et même l'incompétence est intéressante, car elle retire le doctrinaire dans l'organisation de la société. Toute chose est un nouvel apprentissage, il faut commencer à apprendre jeune et ne jamais s'arrêter. À chaque fois, nous utilisons les mêmes outils pour de nouvelles matières et face à de nouvelles demandes : c'est là que la forme apparaît.

Le dessin, s'il est fait comme l'expression formelle de la chose exécutée, et bien, la chose elle-même est exécutée, alors que si le dessin accompagne la pensée, il permet l'interprétation. Jean Prouvé dessinait admirablement bien, et son dessin permettait, alors qu'il le faisait, de montrer le geste qui venait d'être fait et le geste que nous devions corriger pour faire mieux. « C'est la main qui dessine, pour accompagner la main qui réalise. » Tandis que j'étais sur le chantier de construction du nouveau siège du parti communiste avec Jean Prouvé, celui-ci a interpellé le chef de chantier sous prétexte d'un défaut dans la courbe du bâtiment, il lui a demandé une craie, et a redessiné la courbe. Le chef de chantier lui a dit que c'était la même chose, mais Jean a rétorqué qu'il voulait qu'il voie le geste. Pour comprendre la courbe et la contre-courbe, il fallait voir la souplesse du bras, et peut-être qu'en ayant vu ça, il pouvait construire le bâtiment. Le geste doit accompagner la construction, et la construction n'est que geste. Comme le dit André Leroi-Gourhan, « La grande héroïne de l'humanité, c'est la main2 ! »

Antonella Tufano

Merci beaucoup Patrick pour ces réponses. J'ai choisi quelques-uns des travaux qui me paraissaient faire écho à ce thème. Pour lier l'ensemble de ces idées de décloisonnement culturel, j'ai pensé à La Ferme du Bonheur3, ensuite, de manière plus paradoxale, pour parler du dialogue, de collaboration, le projet de Buren.

Le troisième projet est lié à une des choses à ne pas manquer en Italie, c'est la biennale d'architecture. On y fait surtout des indigestions de dessin, à travers tous les pavillons, l'accumulation de l'architecture dessinée. Puis, à un moment donné, il y a eu Metavilla4 ; je me suis toujours demandé comment on a pu accepter cela en Italie.

Patrick Bouchain

Je pense que ton choix de travaux est très pertinent, car progressif. Le premier, c'est ce qui m'a fait complètement changer d'orientation. Je travaillais chez un architecte qui s'appelait Jacques Kalisz à la Défense sur des équipements publics. En 1972, sur un chantier, j'ai vu que la personne qui le gérait ne savait pas ce qu'elle faisait. J'ai donc voulu remonter cette chaîne entre celui que je rencontrais sur le chantier et moi, j'ai ainsi vu qu'il y avait douze personnes entre la personne sur le chantier et moi. Je me suis rendu compte qu'il y avait une perte d'informations entre mon idée et celui qui la réalisait, en plus la dernière personne ne parlait pas français et ne savait pas lire les plans. Je me suis donc dit que je ne ferai plus ce métier, et que je ferai de plus petites choses où je pourrai parler à la personne qui les réalise.

La Ferme du Bonheur est installée sur un terrain destiné à accueillir une université foraine, mais comme toujours il y a des délaissés urbains, c'est-à-dire du terrain en trop. Et comme à l'époque je travaillais sur les délaissés urbains, sur ces restes, ces chutes, j'ai aidé un artiste du nom de Roger de Prè à construire un théâtre et en dépit des interdictions, nous avons pu ouvrir et y installer des animaux.

La deuxième image que vous voyez, c'est la cour d'honneur du Palais-Royal. J'étais avec le Ministre de la Culture, Jack Lang, en 1984, et je lui montrais un projet peu cher : le Magasin de Grenoble, un des premiers centre d'art. Je lui montrais des maquettes, etc., mais il ne m'écoutait pas alors qu'il ne cessait de regarder par la fenêtre la cour d'honneur vidée de ses voitures, en raison de la visite de la reine du Danemark. Celui-ci trouva cela bien mieux ainsi et se tourna vers moi pour me demander que faire. Je lui répondis donc que moi je ferais une œuvre d'art. J'ai ainsi compris que l'œuvre d'art, de par son expérimentation, pouvait dépasser la réglementation.

Pour Metavilla, c'est la première fois où on me demandait quelque chose au-delà de mes moyens, car je ne suis pas architecte. On m'a demandé de faire quelque chose dans le pavillon de la France que j'ai décidé « d'habiter ». Tout le monde a cru que c'était un concept philosophique, malentendu que j'ai volontairement laissé s'installer. Et c'est seulement après, lorsqu'ils ne pouvaient plus faire machine arrière par manque de temps que j'ai révélé mes intentions. Je voulais faire de cet endroit un lieu de haute hospitalité, où je pourrai rencontrer les spectateurs. En invitant de jeunes architectes (qui n'auraient jamais pu accéder à la commande), j'ai construit notre propre pavillon au sein duquel nous avons organisé des milliers de repas et des centaines de nuitées. Nous nous sommes cependant rendu compte qu'il n'y avait pas de pavillons pour certains pays, comme Cuba ou le Ghana, et nous avons donc décidé que le pavillon de la France deviendrait le « pavillon des pavillons », et de temps en temps, on en changeait le nom. Étant donné qu'il était cependant interdit d'y résider la nuit, le projet a failli être annulé. J'ai donc défendu l'idée de l'extra-territorialité du pavillon, comme pour les lieux d'ambassade. Comme quoi agir c'est révéler, agir c'est penser, agir c'est être surpris et agir c'est réunir. Il s'agit là d'une co-construction sociale, philosophique, mentale et matérielle.

3. La tekhné

Antonella Tufano

Je vais enchaîner avec le deuxième thème : la tekhné. C'est toujours autour de la technique que l'on pense pouvoir faire les grandes séparations entre ancien et moderne. On a construit, surtout autour de l'architecture, une sorte de discours linéaire de la temporalité, en instaurant parfois des ruptures avec un certain passé. Or, il a des continuités, c'est ce que Vitruve appelait la solerzia (sollertia en latin). Quand on regarde son œuvre, on ne trouve pas le terme « technique », mais celui de scienza qui parle plutôt des connaissances. Le propre de l'architecte, c'est cette solerzia qui indique la capacité à agir « avec art », cette capacité à maîtriser tout ce qui est du domaine artistique et du faire. Il y a une forme intuitive de la technique qui s'est perdue au fil des siècles, sauf pour quelques-uns qui ont su la récupérer. C'est donc dans ce sens-là que je pense à Prouvé et à sa vision de la technique comme étant un savoir dans lequel on ne doit pas s'enfermer. Lorsqu'il décide d'utiliser une plieuse au lieu de marteler la tôle à la main, il revendique le fait d'être, grâce à cette machine, dans une logique de fabrication de l'objet pour pouvoir se passer du dessin. Ce qui est formidable, c'est que l'on passe d'une logique individuelle de la personne qui utilise le marteau, à une machine autour de laquelle tout le monde dans l'atelier participe au travail. Ce choix d'un objet technique est pour moi un symbole, celui d'être ensemble.

L'autre expérience de la technique, notamment dans les années 70 en Italie, met en place quelque chose qui s'appelle tecnologia povera, terme utilisé par Riccardo Dalisi et Ugo la Pietra. Ces derniers affirment que ce travail n'est pas une alternative à l'industrie, mais une manière de récupérer de « nouveaux champs de pensée ». L'outil ne correspond plus à l'usage mais à la manière de penser et d'inventer, la technique offrant ainsi de la liberté.

Avant de poursuivre, je souhaiterais vous lire deux citations. La première de Bernard Rudofsky : « Il y a beaucoup plus à apprendre de l'architecture avant qu'elle ne devienne un art expert5 », et la deuxième de Gregory Bateson : « La limite des systèmes, c'est le fait d'être rigide, ils ont montré leurs effets létales sur le long terme, car ceux sont des paradigmes dans lesquels on a la perte de la flexibilité6 ». Ces citations posent la question de la flexibilité de la pensée, y compris dans l'architecture, la technologie n'étant pas cet outil de performance, mais une technologie permettant de réintégrer cette flexibilité. Par exemple, inscrit dans cette veine, le travail de Christopher Alexander, à travers la notion de patterns, remet en question la notion de création individuelle, mettant plutôt en valeur le modèle culturel porté par plusieurs. Il utilise pour cela la conception du campus de l'Oregon : encore une fois les lieux d'enseignements apparaissent comme étant les plus appropriés pour transmettre et penser la société future. L'usage du numérique est aussi à souligner dans cette logique ; dans les expériences politiques, participatives, le numérique est laissé à la marge, mais il est primordial pour la transmission et la flexibilité, permettant d'accueillir les expériences d'usage. Il faut voir l'architecture comme l'expérience de quelque chose qui nous concerne. La technique et l'artisanat sont toujours pensés dans une forme d'opposition, faut-il penser ainsi ? Avec Prouvé, on peut penser différemment la technique, comme quelque chose pouvant réinventer le système industriel, sans pour autant le nier. Et pour moi, c'est le terme design qui correspond le mieux au terme solerzia, permettant d'avoir à la fois l'intuition et la technique.

Est-ce que quelque part la valeur des objets cherche à faire évoluer l'esthétique de ces derniers ? Prouvé a toujours refusé d'avoir un style, « il n'y a que des objets que l'ont produit », disait-il.

Patrick Bouchain

La grande question, c'est : la technologie s'expérimente-t-elle avant de la penser ? Quand on voit l'ensemble des outils créés par l'humanité, ils ont été inventés par expérimentation. D'abord nécessaires, ils ont été un prolongement technologique du corps. Le grand drame serait une période où nous serions volontairement éloignés de la technique. L'informatique, par exemple, est un outil qui nous dépasse, mais certains savent le réparer de manière autodidacte, par nécessité. Certaines personnes de type «bricoleurs » sont en dehors du système et peuvent nous apprendre des choses.

L'informatique n'est pas enseignée à l'école, pourtant, il faut être informatisés pour suivre les cours : c'est une école de la rue, de l'expérience. La technologie, on l'a, on vit avec, et après éventuellement, nous la théorisons. Pour en revenir à l'exemple de Jean Prouvé, il avait vu dans l'atelier de son père la forge en action, il connaît la matière. Mais comme il était très économe, il a pensé que la tôle était préférable à l'acier massif, il a pris la tôle et l'a nervuré pour la rigidifier, à l'image des plombiers-zingueurs qui étanchéifient les toits. Il a ainsi considéré qu'il fallait faire une maison légère, qui pourrait transporter ses outils sur place. Nous avons ici l'exemple de quelqu'un qui a un savoir archaïque, la forge, mais qui est capable de voir ce que l'industrie moderne propose et de l'utiliser intelligemment. Sa curiosité et la réadaptation d'une nouvelle technologie sont ses outils.

Autre exemple, j'ai un ami médecin de ceux qu'on appelle « aux doigts d'or », c'est-à-dire qu'il fait les sutures sur les cœurs artificiels ; son savoir déjà très développé ne lui suffisait pas, il est donc allé à la rencontre des dentelliers de Calais, lesquels savent faire des nœuds glissants invisibles, très compliqués. Le nœud existe, comme la forge, depuis 10 000 ans, mais aujourd'hui, c'est le nœud que l'on utilise pour la chirurgie cardiaque la plus perfectionnée.

Il y a en permanence de nouveaux outils qui apparaissent, certains nous rendent dépendants car souvent trop complexes à utiliser, on revient donc toujours à l'élémentaire. Quand Dalisi va dans les quartiers populaires de Naples, pour apprendre aux enfants à éventuellement faire des meubles avec des déchets, il leur dit : « vous avez entre vos mains, de manière très intuitive, de quoi construire le monde. » Il n'y a pas plus populaire que l'architecture : nous sommes tous habitants et expérimentateurs. On a tous réparé sa maison, il est donc invraisemblable de considérer que c'est un art réservé aux techniciens. Nous n'avons jamais aussi mal construit que maintenant, il s'agit là d'un artifice de technologie et certainement pas une technologie profonde. Dans quelque temps, nous serons bien obligés de revenir à des choses élémentaires que nous pourrons réparer nous-même, et éventuellement réemployer, car il n'y aura plus suffisamment de nouvelles matières à consommer. L'informatique dont nous parlions, a sa place pour travailler sur la complexité mentale en complément de celle de l'homme, mais qui ne doit pas remplacer la complexité humaine.

Antonella Tufano

Je vais vous montrer encore quelques exemples. D'abord les typologies de maisons en Côte d'Ivoire. Puis, le théâtre Zingaro7, par ces croquis, est lié à cette notion du dessin qui transmet. Pour le Lieu Unique8, ce qui est intéressant —à mes yeux — c'est la manière de penser, de se glisser dans un espace et de jouer avec une forme de rétrotechnique ou d'absence de technique. De la même manière, la Condition Publique9 à Roubaix permet aussi une réinvention. J'ai choisi l'exemple de la résidence de Yes We Camp pour dire qu'il y a certaines architectures qui sont faites pour inventer et réinventer les usages.

Patrick Bouchain

J'ai fait mon service militaire au titre de la coopération, je dirigeais une cinémathèque en Côte d'Ivoire, et lorsque je tournais dans la brousse, j'ai pu faire des relevés d'architecture africaine. Une partie de l'architecture humaine semble méprisée, car à l'époque, il fallait démolir les cases pour les construire en dur.

Pour Zingaro, j'ai toujours été sensible aux jeunes qui veulent rentrer rapidement dans la vie. Celui-ci, Bartabas, désespérait son père par sa passion de l'équitation. Un jour, lorsqu'il a eu suffisamment de moyens, il m'a demandé de lui faire un théâtre en dur. Le dessin que tu montres ici, réalisé à main levée par Jean Harari, nous l'avons fait dans un café, et c'est l'ensemble des manœuvres, avec les chevaux, qui en a défini l'architecture. Pour les autres, l'idée était de dire que les bâtiments industriels tels qu'ils existent, on doit les garder dans leur état d'origine pour montrer l'architecture dans laquelle le travail s'effectue ; l'objectif était de montrer non pas la création du riche industriel, mais là où travaillaient les ouvriers au XIXe.

Dans cette usine, à Nantes, on y fabriquait les petits beurres LU ; quand l'usine a été délocalisée, j'ai décidé de garder le bâtiment dans son état d'origine. Sur cette photo, j'ai donc appliqué à la règle les consignes incendies. J'ai même démonté un des poteaux qui devait être recouvert de coton, pour faire un test de résistance au feu, c'est encore une fois une expérimentation qui a permis de prouver que ce que l'on voulait faire était possible.

Pour la Condition Publique, l'idée était de faire de l'usine une nouvelle rue, en rendant un espace privé de l'usine un espace publique, et comme c'était un quartier populaire, je voulais offrir un équipement culturel au public. Comme quoi, il faut que tout acte soit intuitif. Tout acte doit se relier au réel. Tout acte doit se conformer aux normes actuelles, et non se mettre à la marge, pour se rendre compréhensif et humain. Et si jamais ce n'était pas le cas, alors il faudrait combattre et avoir une nouvelle voie qui nous protège mieux sur ce sujet. Ce n'est pas de l'architecture, c'est du design ! Ce n'est pas de l'architecture, ce n'est pas de l'urbanisme, ce n'est pas du paysage, c'est du design ! Ce n'est pas du design au sens de l'esthétique industrielle, mais c'est du design au sens de la méthodologie. C'est en cela qu'on peut se rapprocher de Vitruve.

Antonella Tufano

Effectivement, cette histoire de dire que c'est du design implique le fait qu'on peut faire usage des échelles, à la fois, par ce que l'on voit, un objet, une architecture, et aussi par la manière dont on intervient sur les territoires. Le design est aussi le design industriel. Mais il peut aussi être une stratégie, un projet pour un grand territoire avec tous ses enjeux, car il a cette ductilité effectivement. Après, le designer doit se positionner comme la personne capable de jouer avec cela.

3. La contexture

Le troisième thème est lié à tout cela, c'est la contexture. Ce terme est un néologisme, encore une fois, de Prouvé. Il l'utilise pour dire une chose, c'est-à-dire qu'il ne faut jamais dessiner une forme mais « faire » des constructions qui ont une « forme ». Il faut une capacité d'adaptation à ce qui est environnant. C'est très beau, parce que l'architecture, normalement, arrive et se pose, tandis que là il y a une forme de porosité qui fait qu'on peut faire des choses ultra techniques, des choses plus ouvertes sur la nature, des choses qui s'intègrent totalement au paysage ; c'est cela la capacité de contexture. C'est la question d'une pensée du grand territoire qui serait liée aux notions de régénération et de résilience. Pour pouvoir être dans cette logique, pour dessiner de nouvelles stratégies, il faut aussi que la règle, la norme, accepte un comportement qui transgresse les échelles. Du coup, comme on l'a vu depuis le début, c'est toujours l'histoire d'une discussion, d'une négociation avec la norme.

Je choisis juste deux petits exemples pour la gouvernance qu'ils ont mis en œuvre. D'une part, Emscher Park que tout le monde connaît et qui est intéressant parce que c'est un site industriel en crise. Finalement, on a fait une IBA, donc une exposition internationale, mais qui n'est pas du tout une exposition, parce qu'elle a vocation à créer un projet réel en un temps délimité. L'IBA Emscher Park, entre 1989 et 1999, est porté par le land de la Ruhr, qui arrive à avoir des finances du Land, de l'Europe et des communes. Il est important de souligner ce triple financement, parce que c'est un projet dans lequel on établit un « protocole ». Quel projet la ville veut faire ? C'est sur ce projet qu'on a développé quelque chose, qui va - au fur et à mesure - intégrer la nature, la réhabilitation de la nature, la requalification de l'industriel, qui va jusqu'à intégrer des œuvres d'art ou transformer une usine en musée. Il y a une forme d'intégralité du processus qui se fait avec cette structure particulière qui est mise en place et dans laquelle il y a des interventions ; cela est propre à l'Allemagne, qui intègrent une participation de la part des habitants des communes.

Autre expérience, celle de la ville de Detroit (ville décroissante, une Shrinking City en anglais), qui a donné lieu à la définition de ce terme et qui essaye de se réinventer, mais cette fois-ci d'une autre manière, plutôt par la notion de communauté ou d'association. Dans cette ville, qui était liée à l'industrie et où toutes les industries perdaient de vitesse, la chose à faire était de penser à comment retrouver l'autonomie. La première base de l'autonomie est l'alimentaire, donc le projet va prendre forme autour d'une structure associative. Cela est différent de l'Allemagne où le partage est public. Ce sont deux modèles qui m'intéressent. D'une part, comment cela peut venir d'une forme d'élasticité de l'organisation étatique, et, d'un autre part, de l'émergence par une action associative. Là, c'est le MUFI (Michigan Urban Farming Initiative) qui a donné lieu à des jardins, et surtout des potagers, de manière à ce que les personnes puissent, au fur et à mesure, comprendre que l'alimentation est ce petit noyau qui manque pour avoir une forme de haute conscience de leur choix de vie. Je vais y revenir plus tard. Cela pose la question des modèles, des normes qui existent. Comment s'en affranchir ? Il s'agit de redessiner des politiques publiques. La question est simple. Je pense à la Preuve par Sept, car elle est à la fois dans la réflexion transcalaire, puis, en même temps, dans la volonté d'inscrire dans la durée toutes ces choses qui sont plutôt ponctuelles. C'est traduit par le « permis de faire » et le « droit d'expérimenter ». Il y a vraiment un lien avec ce besoin de s'affranchir des échelles, mais, du coup, comment arriver à se donner les moyens de pouvoir le faire ? On peut toujours dire qu'on est alternatif, c'est bien, mais si on arrive à inscrire une forme d'alternance dans les possibles, c'est mieux.

Patrick Bouchain

Par rapport à ce sujet, je pense qu'en effet, il faut toujours mener beaucoup de combats de front. On ne peut pas dire qu'il y en a un qui est mieux que l'autre, et puis, quelques fois, il y en a un qui est plus fatiguant que l'autre, il y en a un qui est plus long que l'autre, etc. C'est pour cela que la notion d'échelle est très importante, parce qu'il y a des choses de taille inférieure, qui vont plus vite, et des fois, qui révèlent plus tôt (une situation), mais dont l'échelle ne permet pas d'en faire un cas. Et après, on peut prendre ce cas et le transporter dans la grande échelle. Il faut mener de front des combats, qui sont des combats pour améliorer la commande, des combats pour exécuter autrement l'architecture, pour la co-construire et non pour l'exécuter, et puis, quelques fois, pour enseigner autrement. Il faut toujours mener tout de front, parce que quand la personne qui en est l'auteur disparaît, cette chose isolée disparaît aussi. C'est là où on pourrait dire que c'est comme une démarche artistique, c'est expérimental, mais ce n'est pas tout à fait comme une œuvre artistique, c'est une œuvre collective. C'est pour cela que je donne l'exemple du cinéma, qui est quand même un art populaire et une œuvre collective. Le metteur en scène, le producteur, le directeur photo, les acteurs, le perchman et éventuellement le distributeur, toutes ces personnes participent à l'obligation que lorsqu'un film se fait il doit aller jusqu'au bout. Il faudrait regarder comment le cinéma se fait, comment l'architecture pourrait se faire et la ville pourrait se faire, et ensuite, s'apercevoir que c'est quand même une démarche artistique, car on ne sait pas au début où on va. C'est pendant qu'on le fait, que la chose se fait. C'est ce que j'appelle programmer en marchant ou définir le projet en marchant. Je reconnais que cette méthode existe en médecine, elle existe dans l'art, dans les industries culturelles comme le cinéma. Pourquoi cela n'existe pas pour l'architecture ? Comme on me reprochait tout le temps de faire plutôt des choses pour des gens intelligents, on me disait « c'est facile tu travailles pour des gens qui dirigent des institutions culturelles », je trouvais cela assez déplaisant parce que l'intelligence existe partout. Il y a toujours, à un moment donné, l'émergence de l'intelligence, donc je me suis déplacé sur d'autres sujets.

Après la culture, j'ai voulu faire le sport, j'ai même voulu faire le commerce. Après, j'ai attaqué, tardivement, le logement social considérant qu'il est le plus normé, et pourtant, c'est celui qui est le plus concerné par ses habitants. Souvent ce sont des habitants qui construisent nos logements. La plupart des ouvriers du bâtiment soit ils n'ont pas de logement soit ils habitent un logement social. On me le reprochait encore en me disant : « oui, mais quand tu es là, toi tu as le bras long ». Ce qui est faux, je l'ai un peu plus, mais je ne l'avais pas utilisé. Ce n'est pas une question de bras long, c'est une question de faire et de révéler. On m'a dit : « est-ce que tu ne travaillerais pas sur une loi ? » Et donc je me suis associé, au ministère de la Culture, à une démarche qui était lancée par la ministre Fleur Pellerin, dans la Loi Création Architecture Patrimoine. Dans cette loi, je me suis particulièrement attaché à un article, qui est l'article 88, qui s'appelle permis de faire. L'objectif était de dire que ce n'est pas parce que j'achète un couteau que je suis un criminel ; certes, avec un couteau je peux tuer, et si je tue avec un couteau je suis jugé parce que je suis criminel, mais je ne suis pas jugé parce que je porte un couteau dans ma poche. On pourrait dire de l'architecture qu'on devrait la libérer et on ne serait jugé que parce qu'elle ne tient pas debout et tout. De fait, on s'auto-régulerait nous-même. On ne serait pas déresponsabilisé par une réglementation absurde. J'ai volontairement provoqué en appelant le permis de faire. Il s'est installé. Il y en a plein qui l'ont combattu, ainsi cette loi a été amoindrie. Elle a été promulguée, elle a été votée, les décrets d'application sont passés. Quand Macron a été élu président de la République, j'ai cru que cette loi correspondrait à son esprit libéral et, en fin de compte, je me suis fait entendre dire que cette loi était trop libertaire, il fallait l'abroger. Elle a été abrogée et personne ne s'est plaint, à part moi. Tout le monde a considéré que cela ne servait à rien. Le Premier ministre me l'avait dit, personne n'en a fait usage donc elle ne sert à rien. Comment voulez-vous qu'on en fasse usage ? On n'a rien dit sur cette loi. Elle a été amoindrie, alors qu'il faudrait la développer. Elle a été abrogée. Pour avoir une loi plus libérale, on a plutôt appelé ça une loi dérogatoire, un permis d'expérimenter dérogatoire. Mais je ne voulais pas de dérogation, je voulais mettre à l'épreuve la loi. Mais comme tu l'as dit [Antonella], il faut un sujet et il faut le mettre à l'épreuve et éventuellement le transformer par la jurisprudence. Toutes les lois ne sont pas parfaites. Du coup, elle a été abrogée.

J'en avais un peu marre et j'avais quand même fortement vieilli. J'ai donc demandé, pour moi et mon équipe, pas pour tout le territoire français, d'avoir le droit d'expérimenter ce qu'aurait pu être cette loi. C'est comme cela que la Preuve par Sept est arrivée. J'ai eu le droit d'avoir sept échelles et d'expérimenter sur sept échelles certaines dispositions réglementaires qui sont inapplicables. Par exemple, il dit qu'il faut de la mixité sociale, qu'il faut un pourcentage de logements sociaux pour loger des gens aux conditions modestes, à côté des couches moyennes et riches. Néanmoins, si vous êtes maire d'un petit village de cinquante habitants, que vous n'avez pas les moyens d'héberger quelqu'un de modeste qui veut exercer, par exemple, le métier de berger, dans ce cas, aucune loi du logement social est applicable, aucun organisme HLM viendra construire un logement, et aucun organisme HLM ne construira un logement pour quelqu'un qui habite avec mille bêtes. C'est cela qui est drôle, on n'arrête pas de dire qu'il faut agir pour le vivant, réintroduire le vivant, vivre avec le vivant, mais un berger vit avec le vivant, il vit six mois en alpage avec le vivant, avec les loups, avec la nature dans un abri de fortune. Six mois par an, il habite avec ses bêtes, dans son village, et on devrait dire que le logement social devrait comprendre la place pour mille moutons. Et on pourrait dire la même chose pour l'outre-mer ; c'est une partie de la France, mais cette partie de la France, a les contraires des contraintes que la Métropole peut avoir. Et si on fait référence aux dispositifs sur les économies d'énergie, je ne vois pas bien comment les appliquer dans un pays où il fait trop chaud. Est-ce qu'il faut aussi isoler ou à l'inverse moins construire et ventiler ? C'est aussi par provocation, mais je pourrais en faire la liste sans fin de ces discordances entre la loi générale et son application particulière.

Antonella Tufano

Là j'ai commencé à montrer les sept échelles de la Preuve par Sept. Effectivement, le droit d'expérimentation est là pour essayer de rattraper cette absence. Il y a une chose très saisissante, c'est que finalement personne ne s'en saisit vraiment. Cette possibilité d'avoir le droit d'expérimentation est possible jusqu'à l'année prochaine, février 2022. S'il n'y a pas suffisamment de cas, même le droit d'expérimentation va disparaître. C'est quand même extraordinaire, la difficulté à trouver la manière dans laquelle on peut inscrire toutes ces démarches dans une forme de « normalité ». C'est aussi normal qu'une autre pratique.

Peut-être quelques mots de plus sur la Preuve par Sept, qui s'offre aussi comme une manière de faire dialoguer les échelles, mais aussi d'offrir des exemples à ceux qui veulent voir. Il y a quelque chose d'un peu pédagogique dans les gènes de la Preuve par Sept.

Puis, j'ai mis aussi le travail à Boulogne-sus-Mer10 et celui de l'Hôtel Pasteur à Rennes. Pour moi, ce sont vraiment des synthèses de tout cela parce qu'à Boulogne-sur-Mer c'est du logement social, mais qui est pensé à la Prouvé, en plus inédit, parce que c'est fait avec les habitants. L'Hôtel Pasteur aussi est intéressant par rapport au lieu. Je ne sais pas si tu veux dire quelque chose à la fois sur la Preuve par Sept, la volonté de diffuser, et puis ces deux exemples.

Patrick Bouchain

On ne fait rien dans la vie comme ça, a priori, on teste. Quand on est à la fin d'une vie professionnelle, on a plus d'expérience. Du coup je me suis dit, comme le reproche qui m'est fait est : « tu y es arrivé mais il n'y aura pas de prolongation », c'est peut-être le moment de former, c'est peut-être le moment de transmettre. Donc, après la Biennale de Venise, en 2006, j'ai décidé de tout arrêter de ma vie professionnelle traditionnelle et de ne faire que de la transmission et du passage. J'ai inventé ce qu'on appelle une université foraine. On peut avoir une université momentanée qui est créée par des étudiants d'une université classique, institutionnelle, venant même de laboratoires de recherche et qui ont besoin de regarder le réel par moment, et de s'en extraire en revenant à l'université. Ce n'est pas une université qui lutte contre les universités, mais c'est une université foraine qui permet à des universitaires de venir travailler sur les sites dont je m'occupe. Et en même temps, peut-être que cette université pourrait être l'école de la formation professionnelle continue. Elle pourrait être aussi l'école des cadres nouvellement élus dans les villes, qui ont des projets et qui, à peine élus, sont totalement phagocytés par les services techniques, qui, ayant peur d'emmener les élus dans des choses anormales, surrèglementent les choses et les empêchent d'agir. Cela pourrait être une « ENA de terrain » ou une école administrative de terrain, mais cela pourrait être aussi l'atelier pour un lycée professionnel, qui verrait que la formation qu'il a choisie a une réalité culturelle, sociale et qui touche peut-être même sa famille ou autre. Alors, j'ai fait une université foraine et j'ai cherché des sujets irréalistes dont Boulogne-sur-Mer.

Ces maisons que vous avez vues étaient à démolir, à démolir dans le cadre d'une opération de renouvellement urbain, et on s'est posé la question : que vont devenir les gens qui l'habitent ? On oublie toujours que même si c'est en mauvais état, si c'est dur à habiter, des gens y habitent. Il y a peut-être même là une histoire qui est une histoire cachée, invisible. Ainsi, j'ai proposé au maire - qui en était demandeur, parce qu'il voyait bien que ça allait être un problème de mettre trois cent personnes à la rue et que cela allait diffuser la pauvreté voir d'autres problèmes - de faire la réhabilitation de ces maisons avec l'argent de la démolition. Pour démolir une maison, c'est 40 000 € et donc on va réhabiliter avec les 40 000 €. Et on va réhabiliter avec les gens, on ne va pas faire une opération de soixante maisons, mais soixante opérations d'une maison. On va travailler avec les gens qui habitent cette maison et avec le budget, et on va faire le budget travaux avec eux, parce qu'on dit tout le temps ces gens sont incompétents, incapables et tout. Ils sont très compétents. Quand on a peu de revenus, on sait faire son marché en achetant des choses peu chères et peut-être des choses des fois pour se faire plaisir, des boissons sucrées. On a travaillé beaucoup avec les enfants. Cela peut te rappeler Riccardo Dalisi [à Antonella]. Les enfants ont travaillé à la Maison pour Tous. Cette maison, qui allait être la maison du projet, ils l'ont faite avec les matériaux de démolition. Après, on a lancé pour la première fois ce qu'on a appelé la « permanence architecturale » : c'est de dire que la personne qui va s'occuper du projet est une personne qui habite le projet. On ne donne pas des conseils aux habitants, mais en tant qu'habitant, et peut-être en ayant certaines compétences, on s'associe avec les autres pour les aider à comprendre. Donc, Sophie Ricard, qui était jeune diplômée, a fait son HMO à cet endroit et elle a habité trois ans, cela a duré longtemps, et elle s'est complètement formée. Elle est devenue formidable après cela. Elle le dit toujours, on n'apprend pas tout à l'école. Cela a complété sa personnalité exceptionnelle.

Quand on a eu fini cela, je voulais faire la même chose sur un équipement public désaffecté. On a plein de bâtiments qui sont désaffectés et on pense qu'il faut les démolir, voire en faire des musées. Elle a pris à Rennes une ancienne fac de science qui était fermée et moi je voulais démontrer au maire de Rennes de l'époque, Daniel Delaveau, qu'on peut prendre un bâtiment sans avoir de projet. C'est-à-dire qu'en fin de compte le projet c'est l'état des lieux. Le projet c'est le bâtiment tel qu'il était quand les étudiants de la fac de science sont partis. Et on va voir si on peut faire réhabiter les habitants de Rennes dans un bâtiment dans lequel ils ne sont jamais rentrés. Une forme de participation programmatique. C'est une programmation ouverte. Sophie est restée trois ans avec moi et presque quatre ans toute seule. Elle en a fait l'élément moteur de la nouvelle politique urbaine de Rennes avec la nouvelle maire qui s'est appropriée le projet. Juste pour vous dire, elle y a mis une école primaire transitoire. Il y a une population jeune qui arrive dans le centre-ville et il va y avoir un pic d'enfants jeunes. Dans quelque temps, on retrouvera l'équilibre des écoles primaires, mais peut être que pendant cinq à dix ans il va y avoir besoin d'une école primaire supplémentaire. C'est grâce à Sophie qu'un bâtiment universitaire pouvait devenir une école primaire, et qu'après une école primaire, peut être pourrait redevenir un bâtiment universitaire, ou en rigolant, je lui disais un EHPAD, pourquoi pas. Il y en a certains qui me disaient : le Pôle Emploi, et pourquoi pas.

Vous voyez ces trois exemples de reversibilité et cette discussion, qui est une négociation. La vie n'est faite que de négociations. La vie n'est faite que de contrats, de confiance. Il faut rétablir la confiance, rétablir la négociation, rétablir le contrat qu'on se fait entre nous. Il faut rétablir cela si non on ne s'en sortira pas. La France est très particulière par rapport à l'Allemagne, très particulière par rapport aux États-Unis, mais elle a un avantage d'être encore un état central et qui a les moyens de tenir les choses au niveau public. Seulement, il faut que l'état central accepte la confiance des gens qui les ont élus. On les a élus, on a délégué le pouvoir, ils pourraient nous déléguer l'action.

Antonella Tufano

Comme on a utilisé l'acronyme HMONP, je le dis parce que tout le monde ne le sait pas, c'est l'Habilitation à la Maîtrise d'Œuvre en Nom Propre. Quand on a fini les études d'architecture, à l'heure actuelle, on ne peut pas s'inscrire à l'Ordre [des architectes] et aller construire. Il faut passer un examen supplémentaire, après six mois d'immersion —normalement dans un cabinet d'architecture — là où on te forme bien au métier. On te met aussi dans la forme du métier, dans le moule. Cette année, à la Villette, en complicité avec la Preuve par Sept, on a réussi à habiliter trois jeunes diplômés d'architecture qui ont fait cette immersion non pas dans une agence mais dans trois permanences.

Patrick Bouchain

Juste pour que vous sachiez. C'est une forme de numerus clausus, c'est-à-dire que l'ordre des architectes, qui ne veut pas avoir trop d'architectes sur le marché, a dit : « le diplôme national ne peut pas suffire pour exercer, il faut que la profession libérale donne son aval ». Donc là, moi, je me suis insurgé, n'étant pas membre de l'Ordre des architectes, j'ai dit il y a d'autres façons de faire de l'architecture que les architectes ne font pas. On revient à la même question que le design par exemple. Toute cette dimension préalable à l'architecture n'est pas traitée, la dimension post-architecture n'est pas traitée, et même la dimension pendant la construction n'est pas traitée par les architectes. Et donc, j'ai dit que les architectes qui sortent des écoles pourraient avoir ce champ beaucoup plus large et donc bien sûr, ils s'y sont opposés. Alors, Sophie Ricard a passé son HMO chez moi, sur la Condition Publique à Roubaix11, et elle ne l'a pas eu. Sophie Ricard suit maintenant des HMO et elle-même n'est pas HMO. Cette voie toute petite est ouverte : on en a eu trois grâce à l'école de la Villette. Il faudrait qu'on ouvre plus large parce qu'il y a plein d'endroits où on pourrait former des jeunes à des métiers qui sont peut-être encore inconnus, justement liés à la construction, au travail en atelier, à tout le travail préparatoire en atelier avant qu'on aille sur le chantier, tout cela n'est pas formé et les architectes pourraient le faire, les designers, les paysagistes et les urbanistes. Ça sera pour vous.

4. Transmettre

Antonella Tufano

Cette année on l'a fait. On a réussi. On verra dans l'avenir si on arrive à inscrire cela dans la durée.

Pour finir, en parlant du dernier thème, encore une fois, je fais référence à Prouvé. Il y avait une très belle citation : « La véritable culture ne peut émaner que d'une façon de vivre en société. C'est une question d'enseignement et d'information. Il faut développer la recherche, encourager les chercheurs, lutter contre les slogans officiels, les matraquages, les réalisations recommandées, le plagiat, le pastiche12.» C'est intéressant parce qu'il y avait cette volonté de Prouvé, et puis d'autres, d'être dans cette forme de transmission. Prouvé a transmis puisqu'il a enseigné au CNAM, de 1957 à 1970, avec une méthode tout à fait extraordinaire. Pour le coup, il a utilisé le dessin mais « seulement » le dessin, c'est-à-dire qu'il ne parlait pas. En effet, le dessin servait pour raconter à un public, qui est parfois professionnel, permettant d'avoir une égalité, c'était une forme de démocratie de transmission de la connaissance : le dessin montre le processus auquel on pouvait s'accrocher. Je pense qu'il y avait dans son travail une pensée pour l'espace dans lequel la transmission se fait. Ces deux choses ensemble, pour moi, racontent pourquoi on n'arrive pas à faire évoluer les espaces de l'enseignement. Peut-être qu'on ne fait pas évoluer l'enseignement non plus. Donc ce besoin de transmettre et de renouveler la transmission me paraissait important.

Alors, il y a eu effectivement les grands mouvements contestataires, qui donnent lieu à des écoles, en Angleterre, comme l'AA School ; en Italie, ce sont plutôt les choses non-formelles comme Giancarlo De Carlo, dont je parlais tout à l'heure. Il y a aussi des tentatives de repenser les lieux de l'université. Cela est un projet de Georges Candilis et Jean Prouvé. C'est peut-être une des premières universités qui est vraiment pensée avec l'évolutivité des espaces. Là où Prouvé travaille beaucoup, c'est un détail, c'est quelque chose de très étonnant, parce que c'est le panneau qui sert à la fois pour faire les façades, mais aussi pour donner lieu à des espaces, à des volumes différents. Ici, on continue dans la transmission.

Autre grand moment, l'école d'Ulm. Tous ceux-ci sont des lieux qui se veulent alternatifs par rapport à la connaissance et qui déterminent des formes stylistiques. Je pense à Ulm, parce qu'Ulm est quelque part une quintessence d'une pensée du design essentiel, que j'apprécie beaucoup, par ailleurs. C'est vraiment une pensée autour de Tomás Maldonado très transdisciplinaire, très liée à la société et aux technologies.

Petit passage par l'Italie, avant de terminer. Pour les global tools, la volonté était d'avoir vraiment un lieu de transmission dans lequel il ne faut pas que ça soit de l'information. Il faut qu'il y ait quelque chose qui se fasse sur le terrain, d'une manière assez contestataire. Cela dure très peu parce que l'expérience global tools — mythique pour tout le monde du design — finalement ne dure que trois ans et n'a pas vraiment de suite. Du coup, un modèle autre se pense et se concrétise, en 1982, et cela « aurait dû » être l'ENSCI. Je le dis volontairement pour faire de la provocation parce que je pense qu'il y a un petit décalage entre le projet pensé à l'origine et puis ce que l'ENSCI est aujourd'hui. Mais c'est quand même une aventure particulière l'ENSCI, parce qu'elle s'inscrit dans ces courants, elle apporte sa vision. C'est là où j'aimerais bien entendre Patrick qui connaît l'histoire mieux que moi. Je sais que pour tout le monde il est convenu de voir Prouvé et Perriand ensemble. Pour moi, pas tellement, ils ont collaboré, je le sais, mais c'est vrai qu'ils portent deux choses différentes. Lui, on l'a dit, c'est vraiment quelqu'un de génie, qui s'affranchit de tout. Charlotte Perriand, par contre, est quelqu'un qui est très enraciné dans une culture arts appliqués, qu'elle arrive à sublimer et dépasser. Mais ce n'est pas si évident que ça de les voir ensemble pour ce projet ; ça veut dire que le projet devait être effectivement une forme de transition différente, et qui se fait dans un espace différent, les ateliers. Je pense que tu y as contribué « un tout petit peu ». Je ne sais pas si tu voulais parler un peu de cela avant qu'on revienne sur la Chaire.

Patrick Bouchain

J'enseignais dans une école d'art nationale à Bourges, dans un département environnement, pour travailler justement sur l'espace public et les communs. Comme cela ne fonctionnait pas, j'ai proposé à un moment donné de faire un rapport à l'inspecteur. De faire un rapport sur ce qu'il se faisait dans les écoles étrangères italiennes, anglaises, allemandes et américaines, sur la côte ouest américaine. C'était en 1979. J'ai travaillé un an dessus et quand j'ai eu fini mon rapport, j'ai été le rendre à mon inspecteur qui m'a dit : « voilà le problème c'est que je ne suis plus inspecteur, la gauche a été élue, en 1981, donc ce n'est plus moi qui m'occuperai de vous ». Alors moi, qu'est-ce que je fais de mon rapport ? J'avais quand même travaillé deux ans. Et il me dit : « voilà l'adresse ». J'ai été voir le délégué aux arts plastiques, Claude Mollard. Il me dit : « c'est incroyable, nous on veut créer une école de design, il faut aller voir le Ministre ». Je suis allé voir le ministre, et le ministre m'a dit « occupez-vous en ». Je m'en occupe comment ? Réponse : « Voyez Jean Prouvé et Charlotte Perriand ce sont eux qui m'en ont fait la suggestion et voyez un directeur d'une école d'ingénieur à Paris, l'ESIE, Jean-Louis Monzat De Saint Julien ».

Je me suis retrouvé du jour au lendemain à être chef de projet de cette école. J'ai trouvé le local, je l'ai aménagé. J'ai fait l'affiche que tu as présentée. J'ai fait les premiers entretiens, pour recruter les premiers élèves. Tout cela en six mois. Octobre 1982, j'ouvre donc l'école et je suis directeur des études, personne n'y croyait parce que tout le monde pensait que ça n'aurait jamais lieu. Et donc, le rendez-vous se passe dans l'école avec Jean Prouvé et Charlotte Perriand, et puis Jean s'y est attaché, on a fait les premiers cours ensemble et tout. D'un seul coup, les gens ont — quand même — compris que ça avait lieu et ils n'ont eu de cesse de vouloir me virer parce que je n'ai pas de diplôme. J'ai tenu deux ans et au bout de deux ans j'étais épuisé, parce qu'ils auraient fini par avoir ma peau et je finirais comme chef d'atelier. Il y avait l'assistant de Jean Prouvé, Serge Binotto qui était aussi dans l'école. C'était magnifique. J'ai été mis à la porte en juillet 1983. J'ai vraiment été le créateur, je suis parti et je n'y suis jamais retourné. C'est comme ça. Mais à chaque fois que l'école est en grève, c'est assez drôle, ils pensent que je suis mort et ils viennent me voir pour que je rappelle comment c'était en 1981, 82, 83, et je redonne du souffle à l'école, mais je n'y suis jamais retourné. C'est comme ça, mais je n'ai aucune amertume. J'ai beaucoup d'étudiants de cette école qui viennent me voir et je suis resté ami avec mes premiers étudiants. J'ai fait une expérience d'ailleurs avec Oscar Niemeyer et Jean Genet au Liban. Vous voyez donc j'ai fait plein de choses.

Ce qui a été assez étonnant, c'est qu'un jour avec Jean Prouvé, on a fait une exposition sur les objets industriels que nous utilisons et dont nous ne savons pas qui est l'auteur. Chacun a dû ramener un objet important dans sa vie et on essayait de retrouver l'auteur, dont le presse-purée de légumes en taule embouti. À bien regarder, chaque objet est porté par une innovation introduite pour un autre objet et porte l'invention d'un autre objet...

Antonella Tufano

On va terminer, parce que c'est vraiment lié à tout ça, le parcours qu'on a vu ensemble. Depuis quelques mois, il y a eu la labellisation pour cette Chaire. Les thèmes de la Chaire sont : expérimenter, faire, fabriquer et transmettre. Quelque part, c'est le fait de reprendre les situations expérimentales ; le terme situation a vraiment une importance capitale, par rapport à tout ce qui vient d'être dit. À chaque fois, il ne s'agit pas de faire un seul projet, mais soixante projets d'une seule typologie, comme Patrick l'a dit pour Boulogne-sur-Mer. C'est intéressant. Il faudrait trouver la démarche qui permet d'inscrire dans une forme de recherche cette expérimentation. Cette notion d'expérimentation est pour moi la plus importante. Les expérimentations existent depuis toujours, mais il est grand temps de voir comment et quels éléments permettent de les penser dans leur montée en puissance, y compris dans la dimension de recherche. Comment on pense cet effacement des frontières ? Probablement par ce que j'appelle la « pensée de l'écart » ? Il faudrait savoir comment on arrive à penser le projet par ces écarts, par son écart par rapport à quelque chose de normal. Les notions de « faire et de fabriquer » sont liées, parce que cela renvoie au prototype et à cette capacité à impulser quelque chose de nouveau, mais aussi au besoin de sortir du « prototype unique », presque l'œuvre d'art, pour pouvoir multiplier l'expérience et voir en quoi cela peut donner lieu à une autre manière de faire qui soit tout à fait légitime. Par exemple, je pense aux matériaux, comme je suis très terre-à-terre : pourquoi on fait tout en béton en France ? Je me pose la question depuis des années. Pourquoi on n'utilise pas certaines matières dont on connaît les capacités, parce que les filières manquent ? Donc il y a une question de transmission et de mise en place aussi des filières qui représentent les possibilités de « re-faire » une expérience.

Puis, le passage plus immatériel : la transmission de toutes ces connaissances, parce qu'il faut le faire non seulement dans nos milieux, mais aussi dans d'autres milieux et donc ouvrir à une autre forme d'enseignement et de recherche. Voilà les objectifs de la Chaire, largement en cours de construction encore...


Bibliographie

Ouvrages

BATESON, Gregory, Vers une écologie de l'esprit, Paris, Seuil, Coll. Essais, 1995.

LEROI-GORHAN, André, L'homme et la matière. Évolution et techniques, Paris, Albin Michel, Coll. Sciences D'aujourd'hui, 1993.

Réalisations

Construire, Condition Publique, Roubaix, 2004. Disponible sur : [http://construire-architectes.over-blog.com/la-condition-publique]{.ul}

Construire, Ensemble à Boulogne-sur-Mer, 2013. Disponible sur : [http://construire-architectes.over-blog.com/ensemble-à-boulogne-sur-mer]{.ul}

Construire, Sophie Ricard, La condition publique à Roubaix, 2004. Disponible sur : [http://construire-architectes.over-blog.com/la-condition-publique]{.ul}

Construire, La Metavilla, Venise, 2006. Disponible sur : [http://construire-architectes.over-blog.com/la-metavilla]{.ul}

Construire, Lieu Unique, Nantes, 1999. Disponible sur : [http://construire-architectes.over-blog.com/le-lieu-unique]{.ul}

Construire, Théâtre Zingaro, Aubervilliers, 1989. Disponible sur : [http://construire-architectes.over-blog.com/théâtre-zingaro]{.ul}

Roger des Prés, La Ferme du Bonheur, Nanterre, 1992-1993. Disponible sur : [http://www.lafermedubonheur.fr/le-projet/]{.ul}

Catalogue d'exposition

RUDOFSKY, Bernard, Architecture without Architects : A Short introduction to Non-Pedigreed Architecture, New York, The Museum of Modern Art, 1964.

Colloque

Colloque l'inacceptable sous-développement culturel français, 1975 (trouvé dans des archives).


  1. Tufano, Antonella, Faire des projets, fabriquer des projets. La démarche de projet comme outil de recherche : art, architecture, design, PUN - éditions universitaires de Lorraine, 2015. 

  2. André Leroi-Gourhan, L'homme et la matière. Évolution et techniques, Paris, Albin Michel, Coll. Sciences D'aujourd'hui, 1993. 

  3. Roger des Prés, La Ferme du Bonheur, Nanterre, 1992-1993. Disponible sur : http://www.lafermedubonheur.fr/le-projet/, consulté le 13 juin 2021. 

  4. Construire, La Metavilla, Venise, 2006. Disponible sur : http://construire-architectes.over-blog.com/la-metavilla, consulté le 13 juin 2021. 

  5. Bernard Rudofsky, Architecture without Architects : A Short introduction to Non-Pedigreed Architecture, New-York, The Museum of Modern Art, 1964. 

  6. Gregory Bateson, Vers une écologie de l'esprit, Paris, Seuil, Coll. Essais, 1995. 

  7. Construire, Théâtre Zingaro, Aubervilliers, 1989. Disponible sur : http://construire-architectes.over-blog.com/théâtre-zingaro, consulté le 13 juin 2021. 

  8. Construire, Lieu Unique, Nantes, 1999. Disponible sur : http://construire-architectes.over-blog.com/le-lieu-unique, consulté le 13 juin 2021. 

  9. Construire, Condition Publique, Roubaix, 2004. Disponible sur : http://construire-architectes.over-blog.com/la-condition-publique, consulté le 13 juin 2021. 

  10. Construire, Ensemble à Boulogne-sur-Mer, 2013. Disponible sur : http://construire-architectes.over-blog.com/ensemble-à-boulogne-sur-mer , consulté le 13 juin 2021. 

  11. Construire, Sophie Ricard, La condition publique à Roubaix, 2004. Disponible sur : http://construire-architectes.over-blog.com/la-condition-publique, consulté le 13 juin 2021. 

  12. Colloque L'inacceptable sous-développement culturel français, 1975 (trouvé dans des archives).