Retour sur le manifeste de l’art permutationnel
David-Olivier Lartigaud

David-Olivier Lartigaud est professeur à l’ESAD Saint-Étienne et à l'ENSBA Lyon. Il est responsable de l’Unité de Recherche Numérique en Art & Design commune à ces deux établissements qui regroupe le Random(lab) et le labo NRV (Numérique Réalités Virtualités). Docteur en Art et Sciences de l’Art (Esthétique) de l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et praticien, il consacre l'essentiel de ses travaux aux questions numériques en art et design.
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Résumé

En 1961, Abraham Moles, spécialiste reconnu des sciences de l’information, fait paraître le « Premier manifeste de l’art permutationnel » dans la revue de poésie expérimentale Rot.
Cet écrit, modeste et relativement oublié, peut sembler mineur dans l’imposante bibliographie de l’auteur, il est pourtant essentiel puisqu’au fondement de l’ouvrage Art et ordinateur publié en 1971.
Cet article propose d’étudier ce manifeste pour sa valeur d’écrit pionnier sur le « numérique » en art, afin de mieux comprendre son contexte d’apparition et d’entrevoir les enjeux esthétiques et critiques qui ont motivé son écriture.

Abstract

In 1961, Abraham Moles, an acclaimed specialist in the information sciences, published the "First Manifesto of Permutational Art" in the experimental poetry magazine Rot.
This small and relatively forgotten writting may seem minor in the author's impressive bibliography, but it is however a key text since it is the basis for the famous book Art et ordinateur published in 1971.
This article proposes to study this manifesto for its value as a pioneering thought on the "digital" in art, in order to better understand its context of appearance and to see the aesthetic and critical issues that motivated its writing.

1. Introduction

En 1961, paraît le « Premier manifeste de l’art permutationnel » (« Erstes Manifest der permutationellen Kunst1 ») dans la revue de poésie expérimentale Rot publiée par le philosophe Max Bense2.

L’auteur du manifeste, Abraham Moles, est un cybernéticien spécialiste des sciences de l’information reconnu à l’échelle internationale pour son ouvrage Théorie de l’information et perception esthétique3 publié en 1958. Érudit prolifique aux multiples centres d’intérêt, A. Moles4 a fourni durant sa carrière une somme colossale et foisonnante de livres et de textes qui font encore de lui actuellement, une figure éminente des sciences de la communication. Le « Premier manifeste de l’art permutationnel », écrit modeste et relativement oublié, peut donc passer pour un texte mineur dans l’imposante bibliographie de l’auteur. Cependant, comme en témoigne la récurrence du terme « art permutationnel » dans les écrits d’A. Moles, on perçoit clairement que ce manifeste a eu une importance particulière pour son auteur. En effet, la notion d’« art permutationnel » sert de fil rouge durant une décennie dans ses écrits esthétiques et critiques, jusqu’à la parution de l’ouvrage Art et ordinateur, en 1971, où le manifeste, modifié et augmenté, devient un chapitre du livre intitulé « L’art permutationnel et les multiples5 ».

Même si ce manifeste paraît maintenant quelque peu ancien, voire daté, il reste intéressant à consulter pour sa description radicale d’une forme de création fondée sur la logique combinatoire et par son caractère pionnier des questions d’ordinateur en art.

Le propos de notre article ne consistera pas, cependant, à traiter de la « permutation » via un prisme technique ou logique mais s’intéressera au « manifeste de l’art permutationnel » en tant que forme écrite et objet de pensée. Nous l’examinerons donc à la manière d’une archive, afin de mieux comprendre son contexte d’apparition et d’entrevoir les enjeux esthétiques et critiques qui ont motivé son écriture.

Sa lecture soulève en effet un certain nombre de questionnements : comment un tel « manifeste » a-t-il pu voir le jour au sein de la production écrite d’A. Moles ? Était-il représentatif des idées d’un collectif artistique ? Quelle fut sa diffusion ? A-t-il rencontré, à cette période, un écho sur la scène artistique et théorique ?

Même si nous savons déjà que ces questions ne trouveront que partiellement leurs réponses - car elles nécessiteraient une étude complémentaire et approfondie des documents de travail d’Abraham Moles6 - nous pouvons déjà obtenir un premier aperçu à partir des livres et textes publiés par l’auteur et les divers commentaires et réactions qu’ils ont pu susciter. Bon nombre de ces ressources sont à présent en ligne mais certains textes restent difficilement accessibles ; lorsque ce sera le cas, nous tenterons d’en citer les parties les plus signifiantes.

Précisons également que le corpus des textes d’Abraham Moles spécifiquement utilisés pour cette étude est regroupé en bibliographie en fin d’article. Ce corpus est constitué de textes qui développent un propos en lien avec l’art permutationnel ainsi que de quelques écrits dont la notion est absente mais qui apparaissent signifiants pour cet article.

Après une présentation du « Manifeste de l’art permutationnel » et de ces variantes publiées, nous évoquerons ses probables origines au sein des écrits d’A. Moles. Puis pour rappeler les débats artistiques du début des années 1960, nous effectuerons une brève comparaison avec d’autres manifestes contemporains. Nous tenterons ensuite de mesurer la « notoriété » de la notion d’« art permutationnel » afin de la situer précisément dans la chronologie de l’« art numérique » puis nous terminerons par une très rapide évocation de quelques productions actuelles qui font écho aux réflexions déployées par A. Moles au sein de son manifeste.

Mais rappelons d’abord très succinctement, à toutes fins utiles, l’environnement computationnel occidental du début des années 1960 afin d’entrevoir les éléments techniques dont disposait A. Moles pour construire sa vision d’un « art permutationnel » assisté par ordinateur : la première génération d’ordinateurs (reposant sur la technologie des tubes à vide), commençait au milieu des années 1940, s’achève vers 1955. La deuxième génération (transistors) s’étend de 1955 à 1965. La firme française Bull produit, en 1958, le Gamma 60, machine phare de la marque fabriquée à 20 exemplaires à l’échelle internationale. Une année plus tard, l’IBM 1401 sort des usines américaines : il devient l’ordinateur de deuxième génération le plus vendu au monde (environ 10 000 exemplaires jusqu’en 1965), sa mémoire est d’une capacité de 500 octets (soit 0,0005 Mo). Le PDP-1, premier ordinateur de la marque Digital, est mis en vente en 1959 ; c’est l’ordinateur sur lequel sera programmé en 1962 Spacewar!, l’un des tout premiers jeux vidéo. C’est également l’année où le mot français « informatique » est inventé. La première interface graphique interactive (Sketchpad, mise au point par Ivan Sutherland au MIT) est mise au point en 1963.

Comme tente de le montrer ce résumé, les ordinateurs de 1961 étaient des machines rares, coûteuses et d’un accès difficile tant par leur prix de fonctionnement que par l’aridité de leurs interfaces.

2. Présentation du « Manifeste de l’art permutationnel »

Il existe, semble-t-il, cinq versions7 « publiées » du manifeste dont trois auxquelles nous avons pu avoir accès : la première version, en langue allemande, parue dans la revue Rot en 1961, la version française « confidentielle » diffusée via un compte-rendu de réunion de l’Oulipo en 1963 - le terme publication est sans doute un peu fort pour celle-ci - et la version « officielle » française de la revue Ring des arts8 en 1965.

Avant d’entrer dans le détail de ces versions, il est nécessaire de présenter la structure globale du manifeste et d’en résumer le contenu. Pour cela, nous allons nous appuyer sur la version française « officielle » publiée dans Ring des arts en 1965. Bien qu’il y ait quelques écarts textuels avec la version Rot, les variations les plus sensibles se situent au niveau des figures accompagnant le texte, ce qui ne fait pas obstacle à sa présentation globale.

2.1. Structure et contenu du manifeste

Le manifeste est composé d’environ 23 000 signes9 et se structure en trois parties : une longue introduction générale à la notion de « permutation » accompagnée de brèves précisions mathématiques (\~ 40 % du texte) ; une partie historique contenant sept sous-parties (Mathématique, Musique, Littérature, Poésie, Mystique, Érotisme, « La peinture ») (\~ 55 % du texte) et enfin une brève conclusion (\~ 5 % du texte).

2.1.1. Citation introductive

Le texte commence par une citation en forme d’avertissement attribuée10 à La Mettrie, philosophe connu pour son approche matérialiste. La citation ne concerne pas directement la permutation, elle relève plutôt d’un avertissement qui demande au lecteur d’adopter une ouverture d'esprit nécessaire à la compréhension des enjeux du manifeste. C'est probablement, de la part d’A. Moles, un moyen de barrer la route à ceux qui pourrait critiquer le texte pour son approche « machinique », voire scientiste, de l'art. A noter que cette citation est réutilisée au début de l’ouvrage Art et ordinateur11, preuve, s’il en faut, du lien étroit entre le manifeste et cet ouvrage.

2.1.2 Première partie : présentation

La première partie débute par une déclaration assez catégorique, propre à la rhétorique des manifestes :

« Nous arrivons à l’époque de l'Art permutationnel.
La permutation est une combinatoire d’éléments simples de variété limitée, qui ouvre à la perception l’immensité du champ des possibles.
La permutation est, au cœur même de l'art, la variété dans l’uniformité. L'art permutationnel sera le produit du passage d'un monde analytique à un monde synthétique. La permutation est un instinct fondamental de la pensée rationnelle. Dès que la raison découpe le monde en catégories, le démon du jeu souffle à l'homme la permutation. » (p. 8)

Notons qu’il est indiqué « nous arrivons à l’époque » et non pas « nous sommes à l’époque », formulation qui positionne le manifeste à l’« avant-garde » et lui donne une tournure annonciatrice. Ce début présente en quelques lignes les enjeux fondamentaux : l'art permutationnel nécessite des éléments simples à combiner, que l’on peut notamment obtenir par découpe de l’existant. C’est une opération relevant de l’échantillonnage ou de la discrétisation, opération à la source de la numérisation telle que nous la connaissons actuellement.

A. Moles déclare ensuite que « l’œuvre d’art moderne est multiple dans son essence » (p. 8) : par la copie (photographie, etc.) et la combinatoire, fondement de l’art permutationnel. L’auteur explique alors la puissance de la permutation en montrant que 12 éléments, positionnés les uns à la suite des autres, permettent déjà 479 001 600 permutations différentes, combinaisons amplifiées s’ils ne sont pas alignés. Contrairement à la reproduction d’une œuvre unique qui ne donne que des copies sans variations, la permutation, à partir d’œuvres conçues pour être combinables - ou rendues combinables - , permet des variations quasi infinies. Sur la base d’une même structure peuvent ainsi être produites des quantités phénoménales d’œuvres toutes uniques bien que multipliées. C’est là qu’A. Moles positionne la pertinence de sa proposition : non seulement compatible avec l’ordinateur, cet art permutationnel est spécialement adapté à cette machine qui peut, sans effort et sans risque de se tromper, effectuer ces opérations combinatoires à l’envie. A. Moles indique également que l’art permutationnel est « essentiellement structuraliste » (p. 9) puisque les éléments (« atomes ») de l’œuvre nécessitent d’être réorganisés dans une structure inventée par le créateur quoique cette structure ne soit pas nécessairement perceptible pour le « consommateur » (terme employé par l’auteur). Considérant que l’art permutationnel « [développe chez] l’artiste sa conscience des possibles » (p. 10), A. Moles décrit un exemple de processus de création permutationnel consistant à découper un tableau de Van Gogh en « fines lanières » (p. 10) et à le recomposer sous la forme d’un « puzzle géométrique », opération extrême, voire caricaturale, qui ne manque pourtant pas d’évoquer une étape de numérisation. Fustigeant le romanstisme considéré comme « périmé », l’« adéquation à la réalité » et « l’artiste du passé » qui « brodait » autour « d’un même sujet sémantique » (p. 10), et se félicitant du « grand combat de l’art moderne [qui] a réussi à détruire le sujet », A. Moles prône « […] une nouvelle signification totalement abstraite de l'être artistique, celle du code de règles qui délimitent les permutations et dont l'ensemble constitue l’idée, véritable message du créateur, qui sera nourrie par les combinaisons d’éléments. » (p. 10)

Afin d’ancrer son propos dans l’histoire de l’art, A. Moles décline ensuite quelques exemples historiques. En mathématique, l’auteur qui précise que « La mathématique, au stade de la fonction créatrice abstraite est un art comme toute science qui se fait. » (p. 10) s’appuie sur une citation d’Henri Poincaré spécialement illustrative du concept de permutation :

« Les mathématiciens ne s'occupent pas des objets, mais des relations entre les objets ; ils restent donc libres de remplacer certains objets par d'autres, pour autant que leurs relations demeurent inchangées. Le contenu ne les concerne pas, seule la forme les intéresse12. » (p. 10)

En musique, A. Moles indique que « la musique sérielle repose explicitement sur la permutation et que la composition musicale est « le terrain de la combinatoire » (p. 10). En littérature, l’auteur regrette qu’elle se soit « […] longtemps soumise à la tyrannie du sens, [que] l'histoire racontée corrompait toujours le texte en soi [...]» et qu’« il a fallu les efforts d'un Valéry, d'un Max Bense13, d'un Francis Ponge pour détacher l’une de l'autre [...] » (p. 11). En poésie, A. Moles est dur contre la rime qu’il décrit comme une « pauvre forme » de la permutation et invite à plus d’audace en « mécanisant » (sous-entendu, grâce à l’ordinateur ) la poésie afin de sortir des tentatives permutationnelles « artisanales » (p. 12) de Jacques Prévert, Apollinaire ou Isidore Isou. Restant fidèle à son ton radical, A. Moles estime que « C'est dans le champ creux de la mystique, que les hommes, ayant le plus de temps à perdre, ont pu pousser le plus loin la frénésie permutationnelle. » (p. 12) Il cite en exemple la Cabbale ou l’interprétation de la Torah. L’érotisme - déconcertant ici mais dont la place est justifiée car « considéré comme un des beaux-arts » (p. 13) - est un terrain possible de l’art permutationnel. Les cent vingt journées de Sodome sont citées mais estimées « bâclées » (p. 13), A. Moles leur préfère « les érotiques modernes ». Enfin, dans « La peinture », l’auteur égratigne l’image du peintre qui « de tous les artistes, [est] celui qui sait le moins ce qu'il pourrait [...]faire » d’« une machine à calculer » (p. 13). Frank Malina, Nicolas Schoeffer, Tinguely et Vasarely sont épargnés mais tout de même critiqués, car ils n’ont pas encore « osé faire digérer par une machine les points de l’écran d’une image de télévision pour les lui faire régurgiter en fonction d’un certain nombre de règles d'association permutationnelle14. » (p. 13)

La conclusion inscrit le projet de l’art permutationnel « à l’orée d’une société des loisirs » (p.13) mais donne à lire cette déclaration saisissante :

« L’œuvre sera réalisée désormais, soit par des machines, soit par son propre consommateur ; elle alliera la préciosité de l'unique à la prégnance du jeu. Plus de frontière entre l'un et l’autre ; l'artiste, génial ou non, n’est pas une espèce transcendante au commun des hommes, il est programmateur, comme nous le serons tous. » (p. 13)

De manière étonnante, cette affirmation quasiment presciente sur le fait que nous serons « tous programmeurs » correspond à notre état actuel d’utilisateur numérique dans toutes les activités de la vie15. L’auteur entrevoit des « consommateurs » et des artistes « géniaux ou non », il ne positionne donc pas l’« art permutationnel » comme une pratique exclusivement élitiste mais bien comme une activité esthétique de masse, touchant l’ensemble de la société, sans y adjoindre forcément une notion de « qualité » de la production.

Il est enfin important de retenir que « l’art permutationnel » n’est pas un synonyme exacte d’« art par ordinateur/computer art » puisqu’il s’agit d’un processus plus vaste, recouvrant une pratique combinatoire repérable sur la quasi-totalité de l’histoire de l’art. L’informatique est néanmoins un élément clef de son automatisation - la description de cette « transformation numérique » d’un pan entier de l’art est précisément l’enjeu principal du manifeste - c’est pourquoi « l’art permutationnel » est associé directement aux problématiques de l’ordinateur en art.

2.2. Les versions du manifeste

2.2.1. Version Rot16, 196117

Le manifeste paraît pour la première fois sous le titre « Erstes Manifest der permutationellen Kunst » sous le numéro 8 de la revue de poésie expérimentale Rot. On peut s’étonner que la première édition ne soit pas en français mais cela s’explique par la proximité entre l’auteur et l’éditeur : Max Bense, fondateur et éditeur de Rot, était directeur de l'Institut de sémiologie de l’université de Stuttgart dans lequel enseignait A. Moles. Ils avaient précédemment cofondé en 1959 avec d’autres collègues universitaires la revue « Grundlagenstudien aus Kybernetik und Geisteswissenschaften » aux éditions Schnelle (Quickborn) et leur proximité de travail perdura à travers les années comme en témoigne le premier numéro de la revue BIT International18 en 1968.

Parmi les particularités de cette version du manifeste, on remarque que la première page égrène en colonne une variation du mot du titre « kunst » (unstk, nstku, stkun, tkuns, uknst, nustk,sntku, tskun, ktuns, nukst, snutk,…) et on note un jeu typographique sur le mot HISTORISCH, en p. 8, plutôt timide par rapport aux expérimentations radicales de la revue. Est également indiqué en fin de livret que le texte a été dactylographié par Heidi Döhl19 sur une « IBM executive » afin de signifier qu’il faut accorder une attention au dispositif humain/machine dans la production d’un tel écrit.

2.2.2. Version « Oulipo20 », 1963

On peut légitimement se demander comment le manifeste s’est-il retrouvé publié dans les comptes-rendus de l’Oulipo. C’est apparemment suite à une invitation d’A. Moles aux réunions de l’Oulipo que cette version a été produite. En effet, dans le compte-rendu de la réunion mensuelle de l’Oulipo du 17 octobre 196121, A. Moles est noté comme invité d'honneur. Il y est convié pour faire une communication sur le MYAM22 auprès des membres présents. Le compte-rendu précise que suite à cette présentation, des contacts seront potentiellement établis avec « le groupe [de Max] Bense », avec « Guiraud23 » et avec « le groupe de Besançon24 ». Il est aussi indiqué qu’A. Moles, durant la présentation du MYAM, a fait circuler « un texte de lui qui fait saliver l’assistance »25. Était-ce une première ébauche du manifeste ou le manifeste lui-même ? On peut l’imaginer puisque en 1963, le texte français du manifeste est adressé à Noël Arnaud26, qui l’a sollicité auprès d’A. Moles27, et ajouté en annexe28 du compte-rendu oulipien du 29 novembre de cette année. Il ne semble pas y avoir, par la suite, d’autre mention du manifeste dans les comptes-rendus mais quelques relations entre A. Moles et certains membres de l’Oulipo se poursuivirent29.

Cette première version du manifeste en français a donc eu une diffusion très confidentielle au sein du bureau de l’Oulipo30.

Cette version n’est toutefois pas le tapuscrit original d’A. Moles qui aurait pu servir à la traduction allemande. En effet, outre quelques différences minimes, des erreurs assez grossières de copie s’y trouvent glissées31. Page 5, par exemple, le terme « article » remplace fautivement « artiste » dans la phrase « Il développe de ce fait chez l'artiste sa conscience des possibles » et plus loin « orgues » remplace « formes » dans la phrase « […] des tâches de couleur et des formes [...] ». Page 7, on lit « empaillé ensuite sous le vernis protecteur des syllogismes » au lieu de « emballé » et page 10 « Raymond Queneau composant cent mille milliards de poèmes à la Machine imaginaire fenêtre déjà dans le champ de l’art permutationnel [...] » au lieu de « pénètre ». Ces erreurs ne sont ni présentes dans Rot, ni dans Ring des Arts.

Cette version retranscrite reprend pourtant la mise en page de Rot - réinterprétée à la machine à écrire – avec, notamment, les variations sur le mot « art » (kunst), en titre. Le « schéma de l’œuvre » (Rot, p. 3) est repris page 3 mais sans les flèches (est-ce un oubli ?), ce qui le rend très libre dans son interprétation. L’effet typographique sur « HISTORIQUE » est présent dans la version « oulipienne » mais est suivi d’un jeu d’encadrement du texte, entre chaque section, qui ne se retrouve pas dans la mise en page des autres versions. La présence de l’œuvre de Vasarely en page 20 de Rot, juste avant la conclusion, se trouve évoquée par un simple encadré en page 13 de la version Oulipo.

On peut donc conclure qu’il s’agit probablement du même texte - les erreurs de copie mises à part - qui a servi pour la traduction allemande et cette version « oulipienne ». La version Ring des arts, en revanche, affiche davantage de différences.

2.2.3. Version Ring des arts32, 1965

N’ayant pas de facilité d’accès aux archives de Ring des Arts comme à celle de l’Oulipo, il nous est malheureusement impossible, à l’heure actuelle, d'établir précisément comment le manifeste s'est retrouvé dans les pages de cette revue en 1965. On sait seulement qu’Abraham Moles a déjà contribué à Ring des Arts en 1960 par un texte intitulé « Création artistique et mécanisme de l'esprit33 », sur lequel nous reviendrons un peu plus loin. Relevons toutefois les différences entre cette version de 1965 et la version parue dans Rot.

Le premier écart se situe dans le titre puisque il n’est plus mentionné qu’il s’agit du premier manifeste (« Erstes Manifest ») comme c’était le cas pour les versions Rot et « Oulipo » mais simplement du « Manifeste de l'art permutationnel ». Ce changement établit donc cette version comme aboutie.

Les changements avec les précédentes versions ne sont pourtant pas si grands. À part quelques petites variations de temps et d’articles, parmi les modifications les plus significatifs on remarque :

- Page 10, l’ajout de la formule « […] il est dans le domaine public […] » après « […] mais Van Gogh était mort […] » et la phrase « Mais il faut marquer que ce n'est qu'à l'air des machines que l'art permutationnel peut atteindre sa véritable portée. » a été déplacée en fin de paragraphe pour être mise en valeur, du fait de son importance clef dans le texte ;

- Page 11, dans la phrase « Butor et Robbe-Grillet proposent explicitement la combinatoire comme méthode de composition littéraire » (version Rot et « Oulipo »), Butor a été remplacé par Marc Saporta34. Un peu plus loin, Jean Meschinot (XVe siècle) est complété de Quirinus Kuhlmann (XVIIe siècle) en lien avec la nouvelle iconographie du texte. Et plus étrange, dans la phrase « Brahms a-t-il écrit tout le Brahms qu'il pouvait écrire ? » (version Rot et « Oulipo »), le compositeur a été remplacé par Tchaikowski ;

- P. 12, dans le paragraphe « Mystique », l’exemple bouddhique a été remplacé par « L’érudit néo-massorète achète des machines à calculer pour décompter la répartition des 815.280 lettres de la Torah [...] » ;

- Les « fantaisies » typographiques (variations sur le mot « art » en titre, HISTORISCH des versions Rot et « Oulipo ») ont été supprimées ;

- L’iconographie est différente et enrichie. Une composition de Vasarely est encore présente mais distincte de celle de Rot (Vasarely, Composition, 195735) et se trouve positionnée en première page du texte. Est ajoutée en deuxième page du manifeste (Ring des Arts, p. 8) une Composition mobile de 1954 de Tinguely. Sont insérés dans le texte de la page 10, une « table de Vigenère » (décalage alphabétique servant à la cryptographie, XVIe sècle) et un triangle de Fibonacci (XIIIe siècle) pour compléter le paragraphe « Mathématique ». En page 11, on trouve un grand poème typographique de Ferdinand Kriwet (1942-2018), non daté, en page 12 « le XLIe baiser d'amour » de Quirinus Kuhlmann, et enfin, en page 13, le fameux carré magique « sator/ arepo/tenet/opera/rotas » et la silhouette d'une carte perforée informatique.

Les diverses modifications de cette version, même si elles ne transforment pas la structure du texte, montre qu’A. Moles affine sa proposition en la rattachant à davantage d’exemples d'œuvres issues du passé mais également du présent. C'est évidemment une manière de montrer la validité, sur la durée, de l’approche permutationnelle qu’il théorise et défend. En ce sens, on peut interpréter ce manifeste comme la clef de voûte (ou l’articulation) entre l’art « combinatoire » mathématique et artisanal du passé et l’art « permutationnel » informatique à venir.

3. Contextualisation conceptuelle du manifeste

3.1. Origines

1956, Théorie de l’information et perception esthétique

C’est dans les travaux effectués antérieurement au « Erstes Manifest » qu’il faut chercher les germes du texte. Notamment dans la seconde thèse soutenue par A. Moles à la Sorbonne en 1956 intitulée Théorie de l’information et perception esthétique, parue chez Flammarion en 195836. La question de l’art permutationnel n’y est pas encore formalisée mais tous les éléments préparatoires y sont en place. C’est d’ailleurs l’auteur lui-même qui l’indique dans la réédition de l’ouvrage chez Denoël en 197237 . Dans sa préface à la nouvelle édition, A. Moles écrit :

« Comme pour toute discipline scientifique, la théorie informationnelle de la perception est arrivée maintenant à maturité et donne lieu à des applications pratiques.[...]
[…] les concepts informationnels […] constituent une base théorique à des mouvements importants tels que l'Art Optique, l'Art Cinétique, qui se révèlent aujourd'hui comme une conséquence de l'utilisation par l’artiste d'un ensemble d'atomes perceptifs dans un pattern, éveillant l’intérêt ou le plaisir [...] Ces concepts ont récemment été groupés dans des doctrines telles que l'art permutationnel ou combinatoire [...]38»

Abraham Moles signifie ici qu’il considère l’art permutationnel comme une application de sa théorie informationnelle de la perception. On notera également qu’il définit l’art permutationnel comme une « doctrine », terme juste pour comprendre l’intention ou l’ambition du manifeste qui expose un système et des règles de création ainsi qu’une manière de saisir de nouveaux enjeux artistiques. Mais une doctrine est-elle une forme satisfaisante pour fédérer des artistes en 1960 ? Même si A. Moles rattache son manifeste à des exemples d’œuvres, les artistes cités ne font pas « école » ou « groupe » autour de la notion d’art permutationnelle. On perçoit ici une limite du projet de l’auteur : sa doctrine, peut-être parce qu’elle en est une, n’est pas suivie.

L’origine du manifeste décelable au sein de l’ouvrage Théorie de l’information et perception esthétique est une base à partir de laquelle A. Moles va élaborer ses réflexions sur la création. Dans un texte paru dans le premier numéro de Ring des Arts en 196039 - revue qui accueillera la version française du manifeste en 1965 – l’auteur pose les premières pistes d’une pratique artistique assistée par ordinateur :

« C’est dans l’Art non figuratif que ce défaut de cohérence interne se fait le moins sentir, aux yeux du public qui n’est jamais, par définition, de plain-pied avec l’œuvre qui lui est proposée. C’est donc dans ce domaine que les modèles rudimentaires de machines à créer des œuvres d’art ont des chances d’obtenir leurs premiers résultats valables : il n’est pas question pour l’instant de demander à l’IBM 704 de créer une Xe symphonie, une sœur de la Joconde, ou un autre Cyrano. A l’époque lointaine où il sera possible de le leur demander (?), il est à prévoir que valeurs et styles de l’Art contemporain auront si totalement changé que ces prouesses seront sans intérêt40. »

Plusieurs remarques d’ A. Moles se vérifie dans ce court extrait. Comme il l’entrevoit, c’est bien par l’intermédiaire de formes essentiellement abstraites que les premières œuvres par ordinateur verront le jour (Véra Molnar, Frieder Nake, A. Michael Noll…), mais ce qu’il énonce alors comme une limitation due aux machines dans une idée « progressiste » de l’art, va être davantage perçue par les artistes comme une nouvelle opportunité de s’exprimer avec le potentiel et les limites de ce nouveau médium. A. Moles contre d’ailleurs sa remarque par une autre très pertinente en énonçant que refaire une Joconde sera une « prouesse […] sans intérêt ». C’est précisément le constat que l’on peut tirer d’un projet tel que The Next Rembrandt41 (2016), exploit technique indéniable mais décorrélé des questionnements artistiques d’alors.

Quelques lignes plus loin, l’auteur formule deux points qui permettent de comprendre comment A. Moles attribue une place à trois acteurs fondamentaux de la nouvelle création que sont l’esthéticien, l’artiste et l’ordinateur :

« Le rôle de l’homme est déplacé par l’apparition de la machine à créer :
a) une liaison est créée entre l’esthéticien qui définit, élucide et transcrit les règles du style et l’artiste qui les actualise : un échange en résulte qui promeut l’esthétique expérimentale au rang de technique utilisable ;
b) la machine à créer sera d’abord une machine à essayer les combinaisons, ouvrant au champ
artistique les dimensions de la complexité structurelle aux différents niveaux de la perception42; [...] »

Clairement, A. Moles tente de justifier ici l’utilité de son approche en posant « l’esthétique expérimentale » comme une science appliquée entretenant un dialogue - proche d’une boucle rétroactive - avec l’artiste, visant à le rendre plus efficace. On peut facilement s’imaginer qu’une telle proposition n’était pas du goût de tous les artistes. L’ordinateur entre dans ce processus, là aussi, dans un but d’« efficacité ».

On observe donc comme un « mûrissement » de la pensée de l’auteur entre le texte de 1960 et le manifeste. A. Moles passe d’une étude en science cognitive considérant l’ordinateur comme une machine pouvant possiblement automatisée la création dans le but d’« aider » les artistes à un manifeste qui invite à un repositionnement des enjeux artistiques grâce aux possibilités permises par la machine.

Évoquons à présent d’autres manifestes apparus à cette même période afin de voir comment celui d’A. Moles s’inscrit plus ou moins dans les préoccupations du moment.

3.2. D’autres manifestes contemporains

Au début des année 60, quelques manifestes artistiques importants font leur apparition dans le paysage français dont les trois manifestes des Nouveaux réalistes43 (avril 1960, mai 1961, février 1963), le manifeste situationniste du 17 mai 196044 et les manifestes du GRAV- Groupe de recherche d'art visuel, (septembre 1961, octobre 1963). Comme la plupart des manifestes artistiques, celui d’A. Moles se veut radical et porteur d’un changement de société. En cela, il s’inscrit dans une tradition à laquelle les autres manifestes de cette période ne dérogent pas. A. Moles avait-il connaissance de ceux-là ? Nous ne pouvons l’affirmer sauf pour celui des situationnistes, dont il dit n’avoir connu l’existence qu’en 1963.

3.2.1. Manifeste Situationniste

Dans le fameux échange épistolaire45 avec Guy Debord, A. Moles commence en effet sa lettre par cette précision46 avant de poser une problématique cherchant à définir la « situation ». Guy Debord l’accusera de « balourdise », ce qu’on ne peut que reconnaître, car A. Moles traite de la « situation » de manière quelque peu docte et maladroite, la considérant avant tout comme un système : « Je vous signale que les théoriciens de l’information sont capables (en pure théorie) de mesurer la quantité de nouveautés qu'apporte un tel système47. » A. Moles a-t-il vu le « situationnisme » comme un potentiel « permutationnisme » ? La verte et vengeresse réponse de G. Debord a mis fin à ces échanges mais A. Moles deviendra une cible des étudiants situationnistes à l’Université de Strasbourg48.

3.2.2. Manifestes du Nouveau réalisme

Concernant Pierre Restany, rédacteur des trois manifestes du Nouveau réalisme, A. Moles a-t-il été sensible à ses écrits à travers une phrase telle que : « La peinture de chevalet (comme n'importe quel autre moyen d'expression classique dans le domaine de la peinture de la sculpture) a fait son temps49. » Le « romantisme périmé » et la « mort de Van Gogh » mentionnés dans le manifeste d’A. Moles ne relèvent-ils pas d’une rhétorique proche ? Notons que les deux auteurs étaient au sommaire du premier numéro de Ring des Arts (1960) et gageons qu’A. Moles a certainement suivi avec intérêt le positionnement de P. Restany pour son exposition-manifeste du Mec’Art "Hommage à Nicéphore Niepce" en 196550.

3.2.3. Manifestes du GRAV

Enfin, concernant le GRAV, le seul fait qu’A. Moles prenne le soin de les ajouter en 1965 à son manifeste (en page 13, après [Henry ?] Goetz et [François et/ou Véra ?] Molnar) montre l’intérêt qu’il leur portait. Un témoignage de l’artiste François Morellet montre bien la proximité entre ces divers acteurs : « Avec mes amis Molnar, qui ont fait partie du G.R.A.V. au début, j’ai cru à cette utopie qu'on pouvait créer une science de l’art. Je me rappelle des longues discussions avec Max Bense ou Abraham Moles, et particulièrement celles sur la théorie de l’information51. »

Une déclaration issue de Assez de mystification, premier manifeste du GRAV, ne manque pas d’évoquer les problématiques d’A. Moles : « L'abandon du caractère fermé, définitif des œuvres traditionnelles[…] est d'une part la mise en cause de l'acte créateur surestimé et d'autre part un premier pas vers la revalorisation d'un spectateur toujours soumis à une contemplation conditionnée par son niveau de culture, d'information, d’appréciation esthétique, etc52. ».

3.2.4. Manifeste jaune

Ce contexte riche en manifestes de ce début des années 60 n’est peut-être pas la seule source de motivation ou d’inspiration pour A. Moles. En effet, on peut supposer qu’un écrit un peu antérieur, le « Manifeste jaune » de Victor Vasarely, rédigé en 1955, participe aussi à des problématiques très proches des siennes. Pour n’en citer qu’une phrase :

« Si l’idée de l’œuvre plastique résidait jusqu'ici dans une démarche artisanale et dans le mythe de la "pièce unique", elle se retrouve aujourd'hui dans la conception d'une possibilité de RECRÉATION, de MULTIPLICATION et d'EXPANSION. L'immense diffusion de l’œuvre littéraire ou musicale s'exerce-t-elle au détriment de son unicité et de sa qualité53 ? »

Cette proximité d’intention entre les deux manifestes en fait certainement un problème plus fondamental de l’écrit proposé par A. Moles ; dès 1955, les artistes de l’Op Art ont déjà « leur » manifeste54. De ce fait, le texte d'A. Moles, plus tardif, prend l'allure d'un commentaire ou d'une longue observation sur des travaux préexistants. Certes, en analysant les systèmes visuels mis en place au sein de l’Op Art et de l’art cinétique, A. Moles peut faire figure d’accompagnateur théorique mais il ne peut se positionner comme initiateur. De plus, depuis l’exposition Le Mouvement à l’occasion de laquelle le « Manifeste jaune » a été diffusé, une groupe d’artistes et de critiques s’est constitué autour de ces questions par l’intermédiaire de la galerie Denise René.

En 1966, A. Moles « intègre » ce cercle pour la préface d’un catalogue d’exposition de Vasarely55. La réflexion qu’il y déploie donne l’étrange sensation qu’il prend une sorte de revanche sur le « Manifeste jaune » et l’Op Art en replaçant Vasarely dans la sphère de l’art permutationnel et en prédisant son prochain « remplacement » par l’ordinateur :

« L’œuvre de Vasarely entre dans la catégorie de ce qu'on peut appeler l'art permutationnel. [...]
Vasarely préfigure l'art à la machine. Bien que son travail soit uniquement manuel, et que son atelier ne recèle pas la moindre règle à calcul, son art est déjà une image du produit de l'ordinateur. L'accent mis par lui sur le programme, la stricte indépendance du répertoire d’éléments et de la façon de les assembler, la distanciation de l'artiste par rapport à son œuvre - qu'un assistant peut éventuellement concrétiser pour lui -, la rationalité profonde de sa démarche : tout préfigure ici l’opération mécanisable. Vasarely en est conscient, il sait mieux que quiconque qu'il ne s'en faut plus que d'un progrès technique pour que ses œuvres soient variées à l'infini par des machines à manipuler les éléments d'information. C'est en ceci qu’au-delà de l'op' art son œuvre s'inscrit dans la ligne d'une évolution plus profonde, celle de l’adéquation de l'art aux caractères latents de la société.
[...]C'est pourquoi l'art permutationnel est l’élément essentiel d'un art social, offrant à chaque individu, par l'artifice de la combinatoire, des œuvres toutes différentes et pourtant toutes équivalentes en quantité de nouveauté56. »

Dans la succession serrée des manifestes de ce début des années 60, on comprend pourquoi la revue Ring des arts mentionne que le texte d’A. Moles date de 1961. En effet, il ne parvient aux lecteurs francophones que quatre ans après sa parution dans Rot, soit dix ans après le « Manifeste Jaune ». Cela peut expliquer sa relative confidentialité à sa sortie en France ajoutée au fait qu’il reste très « théorique » : s’il est « en retard » sur l’Op Art, il est, par contre, un peu en avance sur les productions de Computer Art qui se multiplieront jusqu’à la fin des années 1960. Contrairement aux autres manifestes soutenus par des collectifs d’artistes, et donc pourvoyeurs d’œuvres, le manifeste de l’art permutationnel « pioche » dans l’existant des œuvres passées et contemporaines mais sans générer une production spécifique : en cela, il reste comme désincarné.

De plus, entre 1961 et 1965, à l’échelle internationale, d’autres ouvrages théoriques importants touchant à des sujets proches sont parus avec une meilleure diffusion57.

3.3. D’autres parutions internationales importantes

3.3.1 L’œuvre ouverte

En 1962, Umberto Eco publie L’œuvre ouverte58, livre qui rencontra une grande audience. L'auteur y étudie un certain type d'œuvres artistiques volontairement inachevées ou laissant de larges parts à l’interprétation et s’appuie sur la théorie de l’information pour mesurer les limites de l’ouverture possible avant l’inintelligible. A. Moles est largement cité dans l’ouvrage en lien avec son travail sur la perception esthétique mais il n’est pas fait mention de « l’art permutationnel » dont la préoccupation rejoint pourtant celle des « œuvres ouvertes » par l’infinité des interprétations possibles et la participation éventuelle du spectateur.

3.3.2 Designing Program

En parallèle des recherches d’A. Moles, Karl Gerstner, artiste et graphiste suisse, poursuit un travail sur l’« œuvre transformable59 » depuis 1952 et a intégré dès 196160 le groupe Nouvelle Tendance/Nove Tendencije61, auquel est également activement associé le GRAV. D’avril à mai 1964, les artistes rattachés à « NT » montrent leurs œuvres au Musée des arts décoratifs (Palais du Louvre, Pavillon de Marsan) dans une exposition titrée Nouvelle tendance: propositions visuelles du mouvement international. L’exposition est accompagnée d’un petit catalogue avec un texte de Karl Gerstner qui pourrait s’apparenter à un manifeste du mouvement « NT »62. Puis, en 1964, Karl Gerstner fait paraître son ouvrage probablement le plus célèbre, Programme entwerfen/Designing Program aux édition Niggli simultanément en allemand et anglais63. Dans cet ouvrage qui rassemble quatre essais antérieurs, sont abordées des questions visuelles et typographiques avec une méthodologie très proche de ce que pourrait être une mise en application de l’art permutationnel, notamment en lien avec l’ordinateur.

Lorsque le manifeste d’A. Moles paraît en français, en 1965, même s’il est antérieur à L’œuvre ouverte et à Designing Program, force est de constater que la scène est occupée par d’autres acteurs qui ont aussi retenu l’attention, y compris Max Bense à l’origine de la première exposition d’art réalisé par ordinateur (Georg Nees: Computergrafik, février1965, Studiengalerie der TH Stuttgart64). Si A. Moles bénéficie d’une grande notoriété, c’est avant tout comme spécialiste de la théorie de l’information. Sa position scientifique – bien que son travail théorique repose sur la musique – fait quelque peu ombrage à ses réflexions critiques, notamment auprès d’une audience artistique, qui plus est dans le champ visuel et plastique. Pourtant, A. Moles est sans doute un des seuls à cette période, avec M. Bense et quelques autres chercheurs dont A. Michael Noll et Béla Julesz aux États-unis, à comprendre précisément le potentiel de l’association entre création et ordinateur. Conscient de ce fait, A. Moles ne ménage pas ses efforts pour faire connaître sa « doctrine permutationnelle » durant près d’une décennie.

4 Notoriété de la notion d’Art permutationnel

4.1. Diffusion de la notion par A. Moles

Profitant des opportunités de publication que lui procure son travail sur la théorie de l’information, A. Moles, qui tient à démontrer que les différents volets de sa pensée ne forment qu’un tout cohérent, tente d’imposer l’art permutationnel par touches, plus ou moins appuyées, à travers diverses communications et contributions. Dans les lignes suivantes, nous en citons quelques-unes mais ce parcours n’est pas exhaustif.

En 1962, l’auteur publie dans la revue Arguments65 un article intitulé « Poésie expérimentale, poétique et art permutationnel », axé sur les questions littéraires qui se conclut par :

« La machine ordinatrice vient précisément remplir ce rôle [symboliser des éléments pour pouvoir les manipuler et les combiner en nombre suffisamment grand], et l'on conçoit que l'art permutationnel ne puisse s'imposer valablement qu'à l’époque de l'intrusion des machines dans une nouvelle perspective de l'art basée sur l’expérimentation. Nous aurons, au cours des années proches, à en juger66. » Ce texte peut être lu comme une note complémentaire au manifeste visant à en développer les volets littéraires et poétiques.

En 1965, dans le texte qu’il donne pour le catalogue Nova Tendencija 3, A. Moles développe une réflexion sur la cybernétique et l’œuvre d’art67. Il dénombre cinq « attitudes esthétiques » qui pourraient faire l’objet de « programmes de machine à créer »68 : 1) le « critique mécanique » programmé à partir des choix d’un esthéticien, 2) l’amplificateur de complexité (visuelle ou autre), 3) l’algorithme combinatoire pour amplifier le champ des possibles (base de l’art permutationnel), 4) simuler les processus de création artistique (intelligence artificielle artiste), 5) les « machines à voir » qui permettraient de trouver des corrélations entre les productions culturelles. L’art permutationnel rejoint ici un ensemble de problématiques liées à la machine, avec des questionnements ou constats corollaires tels que « L’artiste comme déjà le comptable ou l’ouvrier, sera-t-il remplacé par des machines[…] ? » , la nécessité de l’invention de nouvelles productions culturelles et un risque « d’aliénation culturelle » menant au kitsch ou à la « culture "Prisunic" »69.

Suite à la parution de ce même article dans la Revue d’Esthétique70 en 1965, A. Moles est invité à défendre l’art permutationnel dans une séance publique de la Société Française d'Esthétique du 19 mars 196671. Il rencontre une oreille favorable de la part d’Henryk Berlewi (dont le travail artistique est formellement proche) mais rencontre une franche opposition de la part de « M. Cadiou » (Henri ?) qui déclare « Nous aimons l’œuvre des hommes72. » Ce à quoi A. Moles répond : « Dans dix ans, les machines auront probablement autant de "fantaisie" que l'homme, autant d'inventions73. »

En 1967, A. Moles glisse également la notion de « permutation » « épuisée par la machine » dans le catalogue Sigma sur « Le Multiple »74. Il précise même que : « Le multiple est donc essentiellement composite : c'est une construction, c’est un système, fixe ou mobile, éventuel générateur de combinaisons multiples intégrées dans sa conception qui le font souvent entrer dans l’œuvre d’art permutationnelle[...]75 ».

Cette même année, A. Moles rédige également une proposition d’urbanisme permutationnel dans la Revue de la société d'études et d'expansion76.

En 1968, dans le numéro de Bit International qui le met à l’honneur avec Max Bense, A. Moles propose un article titré « L’esthétique expérimentale dans la nouvelle société de consommation77 ». Orienté sur les aspects esthétiques, cet écrit met en avant le rôle spécifique de l’esthéticien dans la chaîne de production permutationnelle :

« L’esthéticien, autrefois philosophe de la transcendance, qui déposait des fleurs de la pensée sur les résultats de la lutte de l'artiste avec la matière, se trouve changer de rôle. […] Il pose clairement les termes : "Si vous voulez que votre message passe, alors il faut suivre telle ou telle règle" (de statistique informationnelle). »

A. Moles renoue ici avec l’article de Ring des Arts de 1960 en intensifiant le rôle de l’esthéticien devenu rouage d’une société de consommation au service des « masses » :

« L’idée de consommation, essentielle à une société de masse par laquelle la beauté n'est que le reflet d'une originalité provisoire, implique donc la fourniture d'art […] Comment fournir une originalité renouvelée à une masse cultivée croissante78 ? » et plus loin « Ce sera la fonction de l’artiste d’exploiter les morphémes suggérés par l’esthéticien en se choisissant un répertoire, en se définissant une règle combinatoire et en construisant un programme79. »

Outré dans ces propos, épousant une logique productiviste farouche, on a ici l’impression qu’A. Moles tente une « mise au pas » de l’art afin de le faire entrer au service de la consommation de masse. L’art permutationnel se transforme alors en une solution, une recette, une mécanique destinée à générer de l’art pour tous. L’intention est peut-être généreuse mais le procédé décrit devient inquiétant loin d’une certaine finesse et d’une sensibilité artistiques perceptible dans le manifeste80.

En 1971, Art et ordinateur est publié chez Casterman, reprenant et développant nombre des idées élaborées dans la décennie précédente81. Alors que le manifeste est pionnier, cet ouvrage est « de son temps » puisque d’autres parutions sont déjà sorties sur le sujet - dont le fameux catalogue de l’exposition Cybernetic Serendipity82 - où paraissent cette même année tel Computergraphik Computerkunst83 de Herbert W. Franke, au texte précis et richement illustré. H. W. Franke y déclare d’ailleurs dans un chapitre intitulé « Publication sur le Computer Art » qu’« il est presque impossible de suivre les parutions84 » sur le sujet tant elles sont nombreuses.

Art et ordinateur restera toutefois sans égal sur le sujet dans les parutions d’auteurs français jusqu’aux ouvrages d’Edmond Couchot (1988)85 ou Frank Popper (1993)86.

C’est en 1972, dans le portfolio intitulé « Art ex machina87 » qu’on remarque une des dernières occurrences notable de la notion de permutation dans une parution d’A. Moles (en dehors des rééditions). Le texte en-tête du coffret démarre d’ailleurs par un jeu de permutation sur le mot « machina » (machina, achinam, chinama…) qui renvoie immanquablement au jeu typographique sur « kunst » du manifeste.

On pourra s’étonner enfin qu’A. Moles ne propose pas de texte sur l’art permutationnel dans des ouvrages anglo-saxons auxquels il contribue et qui auraient pourtant été de parfaits écrins pour cette notion. On pense notamment à l’ouvrage Data d’Anthony Hill (1968)88 ou à Cybernetics, Art, and Ideas89 de Jasia Reichardt (1971).

Ce travail de diffusion de l’art permutationnel a-t-il porté ses fruits ? D’ores et déjà, les parutions précédentes montrent que l’auteur a soulevé l’intérêt même si certaines publications ont fait l’objet d’un tirage assez confidentiel. Voyons à présent, si la pensée d’A. Moles a été relayée ou commentée par d’autres auteur.ice.s.

4.2. Relais et pérennité de la notion d’« art permutationnel »

C’est, là encore, à partir des textes que nous pouvons suivre le parcours de cette notion. Le terme « art permutationnel » est apparu dans un certain nombre d’articles de presse, de comptes-rendus et de publications diverses mais nous ne retiendrons ici que les contributions qui semblent les plus signifiantes, soit parce qu’elles consacrent un partie de leurs pages à cette notion, soit parce que l’auteur.ice est un.e acteur.ice dans le champ de l’esthétique et/ou de l’art numérique. Cette sélection n’est évidemment pas exhaustive.

On remarque, par exemple, qu’Étienne Souriau dans un article de 1964 intitulé « L’artiste est-il irremplaçable90 ? » cite l’art permutationnel et tente sa mise en application dans un exercice d’anticipation où il imagine un artiste qui « avant l’an 2000 », pourrait réaliser à l’aide d’assistants et d’un « cerveau électronique », une fresque pour une institution.

Gilbert Tarrab, écrit en 1970 un long article intitulé « L’art permutationnel91 » dans Sociologie et sociétés, notion qu’il décrit comme une « vision du monde92 ». Le texte, qui s’appuie sur une approche linguistique et structuraliste, semble fortement influencé par le manifeste bien qu’il ne le cite pas directement. On note également plusieurs confusions entre Théorie de l’information et perception esthétique et Sociodynamique de la culture93, deux ouvrages d’A. Moles qui ne traitent pas de l’art permutationnel.

Un article « Art permutationnel » figure dans « l’encyclopédie des arts » Les Muses (1973). Achetable chaque semaine en fascicule, cette parution « grand public » offre néanmoins un article de qualité sur l’art permutationnel, écrit à partir d’un résumé de l’ouvrage Art et ordinateur. L’article est illustré de productions du GAIV (Groupe Art et Informatique de Vincennes), collectif français qui n’est pas cité dans l’ouvrage d’A. Moles mais dont les travaux sur ordinateur rejoignent les mêmes recherches94.

En 1980, Frank Popper dans Art, action et participation95 aborde l’art permutationnel dans son chapitre sur la poésie en mettant l’accent sur le jeu et les règles énoncés dans Art et ordinateur. A. Moles est cité dans le chapitre « Art, science et technologie » mais seulement à travers son implication dans Nouvelle Tendance. Cette même année, Jean-Claude Beaune dans L'automate et ses mobiles, cite l’art permutationnel pour poser la question d’un algorithme universel de l’art96.

On retrouve en 1994 la notion dans le livre de Jean-Claude Chirollet, Esthétique et technoscience dédicacé à A. Moles (alors récemment disparu). L’art permutationnel est expliqué dans le chapitre sur la littérature combinatoire et c’est l’aspect lié aux jeux et au règles qui est également retenu97.

Louise Poissant dans son Dictionnaire des arts médiatiques paru en 1997, consacre un bref article à l’art permutationnel où seule la question combinatoire est mentionnée98.

En 1998, dans La technologie dans l'Art, Edmond Couchot consacre une page à l’art permutationnel et termine ses remarques par : « Les premières œuvres effectuées "à l’ordinateur", selon l'expression de l'époque, obéissent toutes au principe permutationnel99. » Puis il cite, A. Michael Noll, Manuel Barbadillo, Jacques Palumbo, Véra Molnar, Manfred Mohr, etc100. Dans un livre référence tel que celui d’E. Couchot, cette observation « remplie », en quelque sorte, le manifeste des œuvres qui lui manquaient.

Car si l’on peut retrouver la mention de l’art permutationnel dans nombre de textes théoriques, la notion semble ne jamais apparaître dans des textes d’artistes101, ce qui n’exclut pas qu’elle puisse avoir beaucoup circulé, comme le laisse supposer la remarque précédemment citée de F. Morellet, ou les nombreux.ses artistes présent.e.s aux rencontres Nouvelle Tendance. L’approche défendue par A. Moles, a aussi pu repousser certain.e.s artistes comme en témoigne cette remarque d’E. Couchot qui, dans un texte de 2015 sur son début de carrière (les années 1960 à 1980), revient sur sa perception artistique du travail d’A. Moles :

« J’avais lu avec attention ces deux ouvrages [Perception esthétique et théorie de l’information et Art et ordinateur], mais je pensais que l’esthétique défendue par Moles restait trop marquée par les théories cognitivistes et l’intelligence artificielle fondées sur la computation automatique de symboles prédéfinis (visuels, sonores ou textuels) : une approche réduisant la pensée à du calcul. Les homéostats de Ross Ashby et les tortues de Grey Walter qui relevaient d’un autre courant cybernétique m’attiraient davantage102. »

On remarquera toutefois, dans les textes précités, que la notion d’art permutationnel a souvent été réduite à un « art combinatoire » ou à un art « ludique » sans prendre véritablement en considération le projet de transformation de la société qui l’accompagnait : changement du rapport esthéticien/artiste, création d’un art de masse, possibilité de faire de la qualité et de l’unicité en quantité, etc. Le texte paru dans Arguments, centré sur la littérature, semble aussi avoir retenu davantage l’attention que le manifeste lui-même.

4.2.1. Tentative statistique de mesure d’influence de l’art permutationnel

D'un point de vue méthodologique, il nous est apparu intéressant d'utiliser un logiciel statistique afin d'obtenir une vue plus globale du corpus de textes citant la notion d’art permutationnel. Nous nous sommes donc tournés vers Ngram Viewer de Google qui permet une exploration du colossal corpus de textes numérisé par la firme américaine. Cette application en ligne génère des graphiques à partir du nombre d’occurrences annuelles d'un terme au sein d’un corpus linguistique, divisé par le nombre total de mots de ce corpus durant la même année103. La dernière version disponible en ligne de Ngram Viewer comporte néanmoins de nombreuses restrictions qui impliquent d’être prudent avec les résultats obtenus. Les courbes fournies ne sont pas représentatives du succès rencontré par une notion mais de l'occurrence d'un mot ou groupe de mots dans un ensemble de textes, tous considérés comme ayant la même valeur d'audience. Un texte très peu lu mais citant beaucoup une expression a donc un impact statistique plus important qu'un texte extrêmement diffusé mais citant moins ce même terme. Les courbes fournies par Ngram Viewer ont donc comme intérêt premier de montrer, sur une échelle de temps, l'apparition ou l’utilisation d'un terme, mais n'indiquent pas précisément son succès critique104.

Pour commencer, il est intéressant de visualiser [Fig. 1] si le terme « art permutationnel » était contemporain d’autres notions, tel « computer art » qui semblait très utilisé dans le champ artistique de l’époque.


Figure 1. comparaison entre les termes art permutationnel, computer art, art cybernétique, art électronique, art informatique, art par/sur ordinateur, art numérique entre 1945 et 1990.

D’après les résultats obtenus avec Ngram Viewer105, sur une période de temps allant des années 1950 à 1990106, on constate, comme on pouvait le supposer, que le terme « art permutationnel » apparaît au début des années 1960 [Fig. 2]. On voit même une saillance à la fin des années 1960 et au début des années 1970 du fait, probablement, de la diffusion de la notion par A. Moles lui-même. Après cela, l’emploi du terme perd de la vitalité face à l’apparition de nombreuses autres dénominations « concurrentes » dont « art informatique » et « art par/sur/à l’ordinateur »107. Étonnamment, « computer art » ne semble pas très fréquent dans les textes, peut-être du fait d’une traduction plus systématique de l’expression vers le français, à l’époque. On remarquera aussi le pic de la fin des années 60 concernant l’emploi concomitant de « art permutationnel », « art cybernétique » et « computer art » correspondant à un intérêt chronologiquement situé pour les questions art/ordinateur. Était-ce dû à l’exposition Cybernetic Serendipity108 ? Ces courbes confirment, en tous cas, le caractère pionnier du travail d’A. Moles concernant la réflexion sur l’ordinateur en art.

Un autre graphique permet d’entrevoir la diffusion de la notion dans deux autres langues, l’allemand et l’anglais dans lesquelles étaient majoritairement publiés les textes d’A. Moles.


Figure 2. Apparition des termes « art permutationnel » (corpus français), « permutational art » (corpus anglais) et « Permutationnellen Kunst » (corpus allemand) entre 1945 et 1990. On constate une apparition du terme après la parution du manifeste dans Rot. (La hauteur des courbes ici n’est pas significative puisqu’elles ne correspondent pas au même corpus linguistique. L’occurrence située dans les années 50 correspond à une antidatation par Google de la revue Arguments.)

Sur une durée plus longue, le graphique relativise les occurrences de chaque terme et en particulier la « place » tenue par l’art permutationnel dans le temps.


Figure 3. comparaison entre les termes art permutationnel, computer art, art cybernétique, art électronique, art informatique, art par/sur ordinateur, art numérique entre 1945 et 1990.

Ainsi, on peut voir [Fig. 3], sans surprise, qu’à partir des années 2000, « art numérique » devient l’expression la plus utilisée pour parler des différentes pratiques artistiques liées à l’informatique, remplaçant presque toutes les autres.

5. Conclusion

5.1. Récapitulatif

Comme on a pu le voir, « le manifeste de l’art permutationnel » est le point de départ d’une réflexion qui va cheminer dans la pensée d’A. Moles jusqu’à l’ouvrage Art et ordinateur. Produit de la cybernétique, du structuralisme et des sciences de l’information, né de la proximité de l’auteur avec Max Bense et les membres du MYAM, le manifeste est représentatif d’une pensée fortement ancrée dans son époque. De manière récapitulative, on peut considérer que les motivations pour écrire ce manifeste furent :

- De mettre en avant le potentiel de la permutation en art en réactualisant, grâce à l’ordinateur, l’ancien « art combinatoire » ;

- La volonté d’ancrer l’esthéticien et l’esthétique expérimentale dans la société. De définir une place « applicative » à l’esthétique afin de la sortir d’une posture de « commentaire sur l’art » pour en faire un rouage essentiel de la construction des œuvres (grâce à un approche essentiellement structuraliste) ;

- De répondre à une urgence de la société de consommation en créant un art de masse « de qualité » en quantité.

- De faire œuvre, presque didactique, auprès des artistes pour leur expliquer le potentiel de l’ordinateur en art.

Abraham Moles défendit sa « doctrine » à travers diverses publications et communications afin de prouver la pertinence de son projet, étant attendu de sa part une validation de sa théorie via l’expérience, en l’occurrence la réalisation d’œuvres par des artistes. A. Moles connaissait et a rencontré nombre d’acteurs clefs pour diffuser sa « doctrine » : le MYAM pour la musique, l’Oulipo pour la littérature, les artistes de l’« Op Art », le GRAV, Nouvelle Tendance, etc. pour les arts plastiques et a même tenté d’approcher l’architecture et l’urbanisme via certaines publications.

Malgré cela, les traces qui nous sont parvenues sont assez ténues. Le manifeste reste méconnu et n’est presque jamais cité, ou de manière brève, dans les ouvrages d’art, y compris ceux touchant à l’art « numérique ». Plusieurs raisons peuvent expliquer cela :

- L’« art permutationnel » n’a pas créé un mouvement ou une école artistique ; si l’on sait que le travail d’A. Moles a reçu une certaine audience, nombre d’artistes n’ont pas eu besoin de cet apport théorique pour réaliser des œuvres, pourtant conceptuellement proches.

- A. Moles n’a pas eu d’activité de commissaire, à la différence de Karl Gerstner ou Pierre Restany, par exemple. Il est resté dans une posture théorique qui a probablement créé une distance avec le travail de certain.e.s artistes.

- Le manifeste apparaît à un moment chronologique ambivalent : en 1961, il survient trop tôt pour que de larges expérimentations sur ordinateur puissent être menées mais arrive trop tard par rapport à des problématiques combinatoires déjà expérimentées en histoire de l’art, notamment par l’Op Art.

- Il a été supplanté par des expressions plus descriptives ou littérales comme « art par ordinateur » plus étroites dans leur éventail notionnel et donc plus faciles à appréhender pour un public, notamment non averti.

5.2. Un style permutationnel ?

En 1997, l’artiste John F. Simon Jr démarre l’algorithme de son projet Every Icon109. D’une simplicité absolue mais conceptuellement étourdissante, l’œuvre par un principe typiquement permutationnel, produit toutes les images possibles, passées et à venir, sur un carré de 32 x 32 pixels.

Durant les années 2000, notamment grâce à Processing110, des centaines d’« artistes programmeu.se.rs » vont produire des œuvres génératives ou s’apparentant à des processus permutationnels (Angela Bulloch, Jim Campbell, Jenny Odell, Julius Popp, Daniel Rozin, Zimoun…)

L’art permutationnel a également à voir avec la personnalisation, la customisation et le paramétrique. Les travaux d’Objectile, dans les années 90, ont ouvert la voie à cette approche en design.

Si l’on veut pousser la logique dans le sens d’une « culture Prisunic » énoncée par A. Moles, le projet Nutella Unica111 qui a permis, en 2017, de générer des millions d’étiquettes toutes différentes pour cette pâte à tartiner entre parfaitement dans cette approche permutationelle. A ce même niveau de banalité, dans nos loisirs, jouer sur son smartphone à Tétris ou Candy Crush peut correspondre à une forme d’art permutationnel ludique.

Évoquons aussi des projets comme les CryptoPunks112 qui allient des productions graphiques permutationnelles aux non-fungible tokens (NFT) (renforçant la notion d’unicité qu’A. Moles n’avait probablement pas envisagé sous cet angle pécuniaire).

Nous pourrions enfin mentionner les productions issues du machine learning113.

En bref, le nombre d’exemples pourrait être multiplié à l’envi car A. Moles reste flou quant au périmètre qu’il accorde à la notion d’« art ». Lorsqu’il évoque une « culture "Prisunic" », il ne se positionne pas radicalement contre mais anticipe un risque éventuel « d’aliénation culturelle » par la production machinique. Dans ce cas, la réflexion de l’auteur s’apparente à une expérience de pensée en proie à une certaine fascination : « Qu'adviendra-t-il de la mise en société des produits des machines : musique aléatoire, langues artificielles, peintures programmées, textes traduits à la machine, Bibliothèque Nationale réduite a une mémoire d’ordinateur, fichier de préfecture de police, cartes d’identité, contraventions, casiers judiciaires et revenus des 50 millions de citoyens, ramenant la liberté interstitielle à zéro114 ? »

Plutôt qu’un « art permutationnel », peut-être aurait-il été préférable qu’A. Moles formule ses réflexions comme étant aux fondements d’un « style permutationnel » ou d’une « esthétique permutationnelle » ? Ceci aurait permis à l’auteur de s’affranchir du mot « art », réducteur, en somme, au regard de l’amplitude des conjectures sociétales et esthétiques déployées dans son projet permutationnel.

Dans le champ des nouveaux médias et de la culture numérique, le « Manifeste de l’art permutationnel » est assurément un texte à redécouvrir. En effet, comme nous avons tenté de le montrer, même s’il est très inscrit dans son époque, il est aussi en avance sur celle-ci par la description qu’il donne de processus qui firent long feu durant les années 60 et 70 dans le domaine de la création liée à l’ordinateur. Renvoyant un écho jusqu'à nos jours, ce manifeste peut encore impressionner par la compréhension profonde qu’a eu son auteur des implications liées à l’informatique dans le champ créatif115.

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Pour quelle raison cette attribution est-elle fautive ? Simple erreur ou jeu d’association de la part d’A. Moles, la question est à creuser. Quoi qu’il en soit, ce n'est évidemment pas anodin de la part d’A. Moles de placer le manifeste sous l’égide d’un tel penseur qui implique un angle particulier de lecture du texte mais avec toute l’ambiguïté d’interprétation que peut signifier ce choix : La Mettrie, philosophe de l’homme et de l’animal-machine, aussi resté célèbre pour son hédonisme et son extravagance.


  1. Moles, Abraham, « Erstes Manifest der permutationellen Kunst », Rot, éditeurs Max Bense & Elisabeth Walther, n°8, 1961. 

  2. Pour un parcours de la carrière de Max Bense, se reporter notamment au texte suivant : Walther, Elisabeth, Max Bense und die Kybernetik, 1999, https://www.stuttgarter-schule.de/bensekybernetik.htm 

  3. Moles, Abraham, Théorie de l’information et perception esthétique, Paris, Flammarion, 1958. 

  4. Pour un parcours de la carrière d’Abraham Moles, se reporter notamment au texte suivant : Mathien, Michel, « L'approche physique de la communication sociale : l’itinéraire d'Abraham Moles », Hermès, La Revue, n° 11-12, 1993, pp. 331-343, https://doi.org/10.4267/2042/15504 ainsi que Devèze, Jean, « Abraham Moles, un exceptionnel passeur transdisciplinaire », Hermès, La Revue, n°39, 2004, pp. 188-200, https://doi.org/10.4267/2042/9482 

  5. Moles, Abraham, chapitre « L’art permutationnel et les multiples », Art et ordinateur, Paris, Casterman, 1971, pp. 97-133. (pp 115-157 dans la réédition de 1990 aux éditions Blusson, Paris). Nous ne ferons pas d’étude comparée entre le manifeste de 1961 et le chapitre de 1971 considérant que les parties ajoutées et le titrage différent en font un autre texte même si les similarités sont grandes. 

  6. A l’issue de cet article, nous espérons pouvoir approfondir cette étude en explorant, notamment, les archives d’A. Moles déposées à l’Université de Strasbourg. A noter également qu’Élisabeth Rohmer-Moles a accepté de relire cet article (février 2022) et de répondre à des questions en lien. La mention « affirmation attestée par Élisabeth Rohmer-Moles » indique que ce que nous avançons a été vérifié. Nous profitons de cette note pour remercier chaleureusement Élisabeth Rohmer-Moles d’avoir accordé du temps à cet article. 

  7. Il semble exister cinq versions publiées du manifeste, que nous appellerons : version Rot (1961), version « Oulipo » (1963), version Ring des arts (1965), version Tvar (1965) et version Slovo, písmo, akce, hlas (1967). N’ayant pu consulter que les trois premières, nous ne développerons pas de commentaires sur les deux autres. Nous avons pu, en revanche, établir une référence bibliographique pour la version de 1967 :
    Moles, Abraham, « První manifest permutacionálního umění », dans Grögerova, Bohumila, Hirsal, Josef (sous la dir.), Slovo, písmo, akce, hlas, « k estetice kultury technického věku : výběr z esejů, manifestů a uměleckých programů druhé poloviny XX. Století » [Parole, écriture, action, voix, « Vers une esthétique de la culture de l'âge technique : une anthologie d'essais, de manifestes et de programmes artistiques de la seconde moitié du XXe siècle »], Československý spisovatel, Prague, 1967. pp 54-65.
    Mais nous n’avons pas pu établir avec certitude la notice pour la revue tchécoslovaque Tvar, « Revue pour l'art industriel et la création populaire ». Nous reprendrons juste les indications « Tvar, n°8, 1965 » telles que citées dans Mathien, Michel (sous la dir.), La physique des sciences de l'homme : Mélanges pour Abraham Moles, Strasbourg, Oberlin, 1990, p. 200. 

  8. Moles, Abraham, « Manifeste de l’art permutationnel », Ring des Arts, n°4, 1965, pp. 8-13. 

  9. Hors les « figures » poétiques et illustratives : le tableau de Vigenère en p.10, le poème de Ferdinand Kriwet en p.11, et celui de Quirinus Kuhlmann en p. 12. 

  10. « Ô vous, esprits lourds, cerveaux épais, censeurs atrabilaires, faux dévots, gens durs et rigoristes qui voyez tout en noir, je n’écris point pour vous… ». Il semblerait que cette citation ait été attribuée faussement à Julien Offray de La Mettrie de la part d’A. Moles. En effet, un parcours via Gallica des œuvres de La Mettrie ne nous a pas permis de retrouver cet extrait. En revanche, elle apparaît en ouverture d’une farce scientifique anglaise, datée de 1750, du médecin et botaniste John Hill. La citation d’A. Moles reprend la traduction française de 1865 consultable ici : 

  11. Op. cit., Casterman, 1971. 

  12. Nous n’avons pas retrouvé cette citation dans les archives de Poincaré (http://henripoincarepapers.univ-nantes.fr/), peut-être est-elle issue d’un entretien. 

  13. Concernant Max Bense, se rapporter au chapitre suivant. 

  14. Cette remarque ne manque pas de surprendre par sa pertinence car elle survient huit ans avant le « Paik/Abe synthesizer » (1969) et dix ans avant les travaux des Vasulka, notamment. Elle précède également de deux ans (1963) la création du Beflix par Kenneth C. Knowlton, premier langage informatique d’animation graphique. 

  15. En ce sens, par exemple, retoucher une photo/une vidéo (modifications de pixels) par des filtres ou des applications graphiques (ou audio), pour ses proches ou soi, voire la partager sur les réseaux sociaux, ressemble fortement à la massification de l’art permutationnel annoncée par A. Moles. 

  16. La version Rot consiste en un livret de 22 pages d’un format de 14,7 cm x 16 cm. 

  17. La version Rot est parfois datée de 1962, notamment dans des notices bibliographique. Nous retiendrons ici la date de 1961 telle qu’elle est indiquée dans la version Ring des Arts (1965) qui a probablement été indiquée ou approuvée par A. Moles. 

  18. Bek, Božo (sous la dir.), « The Theory of Informations and the New Aesthetics / Teorija informacija i nova estetika : Max Bense, Abraham Moles », BIT International, Galerije grada zagreba, n°1, 1968, 129 p. 

  19. Heidi Döhl fut une collaboratrice occasionnelle de la revue Rot

  20. La version « Oulipo » est une annexe agrafée au compte-rendu mensuel des réunions de l’Oulipo consistant en un ensemble de quatorze pages dactylographiées (puis polycopiées ou multipliées par une technique approchante). 

  21. Fonds Oulipo, « Dossiers mensuels de réunion (1960-2010) », gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, octobre 1961, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100100128 

  22. Le MYAM, groupe de réflexion sur les mathématiques et la musique a été fondé en 1960 par Yannis Xenakis, Michel Philippot, Abraham Moles et Alain de Chambure. L’acronyme MYAM reprend certaines initiales du nom des fondateurs : Moles, Yannis, Alain, Michel. Voir notamment : Solomos, Makis, « Les "opérations mentales de la composition" (Xenakis) », Intellectica. Revue de l'Association pour la Recherche Cognitive, n°48-49, 2008, pp. 207-219, https://doi.org/10.3406/intel.2008.1246 

  23. Il s’agit probablement du linguiste Pierre Guiraud. 

  24. Probablement le Centre d’Études du Vocabulaire Français de la Faculté des lettres et sciences humaines de Besançon puisque son fondateur, Bernard Quémada, est invité à une réunion de l’Oulipo en janvier 1962 : Fonds Oulipo, « Dossiers mensuels de réunion (1960-2010) », gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, janvier 1962, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10010015m 

  25. Fonds Oulipo, op. cit., octobre 1961, p. 3. 

  26. Le manifeste dactylographié se trouve en annexe II du compte-rendu de 29 novembre 1963. Fonds Oulipo, « Dossiers mensuels de réunion (1960-2010) », gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, novembre 1963, pp. 12-25, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10010037b 

  27. Fonds Oulipo, « Dossiers mensuels de réunion (1960-2010) », gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, août 1963, p. 5, https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b100100340 

  28. Dans le compte-rendu, N. Arnaud indique qu’il souhaite le présenter en séance mais François Le Lionnais mentionne qu’il est préférable d’en rediscuter quand l’ensemble des membres de l’Oulipo l’auront lu. C’est à cet effet que le manifeste est inséré en annexe du comptre-rendu rédigé par Jacques Bens. Étrangement, cette conséquente « annexe II » n’a pas été reproduite dans le livre de Jacques Bens, Oulipo :1960-1963, Paris, Christian Bourgois, 1980 ; ni dans sa version augmentée : Bens, Jacques, L’Oulipo :Genèse de l’Oulipo, 1960-1963, Bègles, le Castor Astral, 2005. 

  29. Notamment avec François le Lionnais [affirmation attestée par Élisabeth Rohmer-Moles] et Jean Lescure. 

  30. Mais, par un jeu de circonstances, se retrouve à présent la version la plus accessible puisqu’elle a été numérisée et mise à disposition en 2015 sur Gallica.fr avec l’ensemble des archives de l’Oulipo. 

  31. Ces erreurs ne sont pas dues à la numérisation du texte sur Gallica puisqu’il s’agit de scans bruts des tapuscrits originaux. 

  32. La version Ring des Arts est un article de six pages dans une revue de format 28,5 cm x 32,5 cm. 

  33. Moles, Abraham, « Création artistique et mécanisme de l'esprit », Ring des Arts, n° 1, 1960, pp. 37-47. Ce texte est très intéressant à de multiples niveaux mais nous n’avons malheureusement pas la place de l’étudier ici en détail. Nous nous limiterons donc à quelques citations qui ne sont toutefois pas représentatives de l’ensemble des questionnements (sciences de l’art, mécanismes de la création, etc.) que soulève cet écrit. 

  34. Marc Saporta a publié en 1962 un ouvrage au Seuil dont les pages se mélangent au hasard comme des cartes, on comprend donc que A. Moles mentionne cette auteur car il illustre parfaitement l’idée d’une littérature permutationnelle. Saporta, Marc, Composition no 1, Paris, Seuil, 1962. 

  35. L’œuvre que l’on trouve également sous le titre Tlinko pour sa version peinte, fait partie d’un portfolio de lithographies intitulé Kassak - V. Vasarely de 1961. Voir : https://www.centrepompidou.fr/fr/recherche/oeuvres?ensemble=15000000000138
    La même œuvre se trouve reproduite (mais imprimée fautivement à l’envers de la droite vers la gauche) dans l’édition de 1972 de Théorie de l’information et perception esthétique. Moles, Abraham, Théorie de l’information et perception esthétique, Paris, Denoël, 1972, pp. 238-239. 

  36. Op. cit., Paris, Flammarion, 1958. 

  37. Op. cit., Paris, Denoël, 1972. 

  38. Ibid, pp. 10-11. 

  39. Op. Cit., Ring des Arts, n° 1, 1960, pp. 37-47. 

  40. Ibid, p. 41. 

  41. https://www.nextrembrandt.com 

  42. Ibid, p. 47. 

  43. Restany, Pierre, « Les Nouveaux Réalistes », dans Contensou, Bernadette, 1960, Les Nouveaux Réalistes, Paris, Musée d'Art Moderne de la Ville Paris, 1986, pp. 264-265. 

  44. Collectif, « Manifeste », Bulletin de l’internationale situationniste, n°4, juin 1960, pp. 36–38, https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/internationale_situationniste_4.pdf 

  45. Voir à ce sujet : Debord, Guy, « Correspondance avec un cybernéticien », Bulletin de l’internationale situationniste, n° 9, août 1964, pp. 44–48, https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/internationale_situationniste_9.pdf et Ardenne, Paul, « La querelle Moles - Debord : une réelle incompatibilité ? », Sociétés, n°74, 2001, pp. 61-72, https://www.cairn.info/revue-societes-2001-4-page-61.htm 

  46. « J’ai appris l’existence du Groupe Situationniste par l’intermédiaire de mon ami et collègue Henri Lefebvre. La signification que j’ai attribuée au terme "situationniste" vient donc, en grande partie, de ce qu’il m’en a dit et de la lecture d’un certain nombre de vos bulletins, auxquels je vous prierai de m’abonner. » Citation de A. Moles dans Guy Debord, op. cit., p.44. 

  47. Citation d’A. Moles dans Guy Debord, op. cit., p.45. 

  48. Collectif, « Nos buts et nos méthodes dans le scandale de Strasbourg », Bulletin de l’internationale situationniste, n°11, 1967, p. 25, https://www.larevuedesressources.org/IMG/pdf/internationale_situationniste_4.pdf 

  49. Restany, Pierre, op.cit., pp. 264-265. 

  50. Élisabeth Rohmer-Moles a confirmé (voir note 6 de ce texte) qu’A. Moles connaissait personellement P. Restany et qu’il avait une certaine admiration pour son travail critique. 

  51. Franblinc, Catherine, « Art cinétique, la sortie du purgatoire », Art press, n° 314, 2005, pp. 24-33, https://www.artpress.com/wp-content/uploads/2014/12/2882.pdf 

  52. GRAV, Assez de mystification, tract distribué lors de la 3e biennale de Paris, : https://icaa.mfah.org/s/en/item/773146 

  53. Vasarely, Victor, « Notes pour un manifeste » (dit « Manifeste jaune »), Le mouvement, Paris, Galerie Denise Renée, 1955, p. 2. 

  54. Même si les réflexions développées par Vasarely dans ce manifeste ne correspondent pas à l’opinion de tous les artistes présents dans l’exposition. Voir à ce sujet : Collectif, Denise René, l'intrépide : une galerie dans l'aventure de l'art abstrait : 1944-1978, Paris, Éditions du Centre Pompidou, 2001, p. 35. 

  55. Comme nous l’a expliqué Élisabeth Rohmer-Moles à l’occasion de cet article (voir note 6 de ce texte), Vasarely et A. Moles se connaissaient de longue date et était devenus amis. Il en fut de même avec le fils de Vasarely, Yvaral, co-fondateur du GRAV. 

  56. Moles, Abraham, préface du catalogue, Vasarely, Paris, Galerie Denise René, Juin-Juillet 1966, pp. 5-6. 

  57. Que ce soit les tirages de Rot à 300 exemplaires (Source : https://www.heikewerner.com/rot_en.html) ou Ring des Arts, le manifeste de l’art permutationnel est sorti sur des supports à diffusion relativement restreinte. 

  58. Version française : Eco, Umberto, L’œuvre ouverte, Paris, Éditions du Seuil, 1965. 

  59. Voir notamment l’entretien de Karl Gerstner par Jean-Paul Ameline dans op. cit., Denise René, l'intrépide : une galerie dans l'aventure de l'art abstrait : 1944-1978, 2001, pp. 176-181. 

  60. A. Moles ne rejoindra Nove Tendencije qu’en 1965. 

  61. Concernant Nove Tendencije, voir : Rosen, Margit (sous la dir.), A Little-Known Story about a Movement, a Magazine and the Computer's Arrival in Art: New Tendencies and Bit International, 1961-1973, Karlsruhe et Cambridge MA, ZKM et MIT Press, 2011. 

  62. Gerstner, Karl, « Qu’est-ce que la Nouvelle Tendance ? », catalogue Nouvelle Tendance, Paris, Musée des Arts décoratifs, 1964, pp. VIII-XI (avant la pagination). 

  63. Gerstner, Karl, Programme Entwerfen/Designing Program, Teufen, Éditions Arthur Niggli AG, 1964. 

  64. Lire à ce propos : http://dada.compart-bremen.de/item/exhibition/164 L’exposition, et la suivante quelques mois après à la galerie Wendelin Niedlich (Stuttgart), a eu un retentissement très local mais elles ont initié une dynamique qui a fait émerger les acteurs historiques en ce domaine : Georg Nees, Frieder Nake, Manfred Mohr. Lire à ce sujet Klütsch, Christoph, « Information aesthetics and the Stuttgart school », dans Higgins, Hannah B, Kahn, Douglas (Sous la dir.), Mainframe Experimentalism : Early Computing and the Foundations of the Digital Arts, Berkeley/Los Angeles/London, University of California Press, 2012, pp. 65-89. 

  65. Moles, Abraham, « Poésie expérimentale, poétique et art permutationnel », Arguments, n°27-28, 1962, pp. 93-97. Cette article dans la revue Arguments fait l’objet d’un commentaire réprobateur de la part des membres de l’Oulipo qui regrette de ne pas y être mentionnés. Une certaine importance est donc accordée aux écrits d’A. Moles, notamment de la part de Raymond Queneau. Pour plus de précisions : Fonds Oulipo, « Dossiers mensuels de réunion (1960-2010) », gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France, février 1963, p. 19 (folio 10 recto), https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10010028c 

  66. Ibid, p. 97. 

  67. Moles, Abraham, « Cybernétique et œuvre d’art », catalogue Nova Tendencija 3, Zagreb, Galerija suvremene umjetnosti, août-septembre 1965, pp. 91-102. 

  68. Nous n’avons pas l’espace ici pour développer chaque point ; nous les résumons donc d’un mot forcément approximatif. 

  69. Ibid, p. 96. 

  70. Moles, Abraham, « Cybernétique et œuvre d’art », Revue d’Esthétique, n°2, avril-juin 1965, p. 163-182. Dans cette version parue deux mois avant la catalogue Nova Tendencija 3, le texte est complété de deux planches d’œuvres de Le Parc, Talman, Vardanega et Vasarely. 

  71. Collectif, « Séance du 19 mars 1966 : L’art permutationnel par M. Abraham A. Moles », Revue d’Esthétique, n°1, 1968, pp. 96-97. 

  72. Ibid, p. 97. 

  73. Ibid

  74. Moles, Abraham, « Les multiples et l’objet », catalogue Sigma 3, Bordeaux, 1967, pp. 4-9. On pourra également se reporter à cette publication postérieure dans laquelle des propos d’A. Moles sont rapportés : Renié, Pierre-Lin, Péguin, Aurore, « More is more : Le multiple au festival Sigma 1967 », Le Multiple : conférences et tribunes, Bordeaux, École d’Enseignement Supérieur d’Art de Bordeaux, non daté (2014?), http://www.rosab.net/bee  

  75. Ibid, p. 8. 

  76. Moles, Abraham, « Vers une nouvelle théorie de la propriété du sol dans le cadre de l'urbanisme prospectif : L'urbanisme permutationnel », Revue de la société d'études et d'expansion, n°224, pp.110-115, 1967. Nous n’avons malheureusement pas pu consulter ce texte. 

  77. Moles, Abraham, « L’esthétique expérimentale dans la nouvelle société de consommation », BIT International, Galerije grada zagreba, n°1, 1968, pp. 71-79. 

  78. Ibid, p. 75. 

  79. Ibid, p. 76. 

  80. Nous n’avons pas ici la place de développer une étude de ce texte mais il est à mettre en relation avec un autre du même auteur, paru dans le même numéro de la revue Bit, intitulé « Peut-il encore y avoir des œuvres d’art ? ». Apparemment, éviter le risque du kitsch - autre sujet cher à A. Moles - est une des motivations d’une permutationnalisation de l’art. Voir : Moles, Abraham, « Peut-il encore y avoir des œuvres d’art ? », ibid, pp. 59-69. 

  81. L’ouvrage mériterait un commentaire approfondi en lien avec le manifeste mais nous n’avons pas la place de le faire ici. 

  82. Reichardt, Jasia (Sous la dir.), Cybernetic Serendipity - The Computer and the Arts, Londres, Studio International, 1968. 

  83. Franke, Herbert W., Computergraphik Computerkunst, Munich, éditions F. Bruckmann KG, 1971 / Franke, Herbert W., Computer Graphics Computer Art, Londres, Phaidon, 1971. 

  84. Ibid, Phaidon, p. 71. 

  85. Couchot, Edmond, Images : De l'optique au numérique, Paris, Hermès, 1988. 

  86. *Popper, Frank, L’Art à l’âge électronique*, Paris, Hazan, 1993. 

  87. Moles, Abraham, « Ars ex machina », texte pour le portfolio Art ex machina constitué de six sérigraphies par Barbadillo, Kawano, Knowlton, Mohr, Nake et Nees, éditions Gilles Gheerbrant, Montréal, 1972, https://spalterdigital.com/artworks/ars-ex-machina-english-french/

    Il est intéressant de noter que ce portfolio est contradictoire avec ce qu’a défendu A. Moles auparavant. Même s’il s’agit d’un multiple, il est constitué d’œuvres par ordinateur sérigraphiées, c’est-à-dire figées et identiques dans leur reproduction. Vendu 200 \$, le prix est « modeste » pour six sérigraphies en tirage limité mais relativement cher pour une « production de masse ». L’objet ne met donc pas en application la « doctrine » de l’art permutationnel et, en résumé, « pose problème » au regard des recommandations d’A. Moles. 

  88. Moles, Abraham, « The Three Cities », dans Hill, Anthony (sous la dir.), DATA: Directions in Art, Theory and Aesthetics : an anthology, Londres, Faber and Faber, 1968, pp. 180-191. 

  89. Moles, Abraham, « Art and cybernetics in the supermarket », dans Reichardt, Jasia (Sous la dir.), Cybernetics, Art, and Ideas, New York, New York Graphic Society, 1971, pp. 61-71. 

  90. Souriau, Étienne, « L’artiste est-il irremplaçable ? », Journal of Aesthetics and Art Criticism, t. XXIII, vol. I, 1964, p. 53, https://doi.org/10.2307/428138 

  91. Tarrab, Gilbert, « L’art permutationnel », Sociologie et sociétés, vol. 2, n°2, 1970, pp. 283–296, https://doi.org/10.7202/001786ar 

  92. Ibid, p. 284. 

  93. Moles, Abraham, Sociodynamique de la culture, Paris, Éditions Mouton, 1967. 

  94. Ce rapprochement entre l’art permutationnel et le GAIV pour cette publication est intéressant. Ce n’est peut-être qu’une association formelle de la part de l’éditeur mais il serait utile d’approfondir les relations éventuelles qu’ont pu entretenir ce groupe de recherche avec A. Moles. L’article de l’encyclopédie est consultable dans les archives en ligne du GAIV. Collectif, article « Art permutationnel », Les Muses : Encyclopédie des arts, n°183, Paris, Grange Batelière, 1973, http://www.artinfo-musinfo.org/fr/press/1973-04-02/index.html Concernant le GAIV, voir aussi Eymet, Lisa, Les débuts de l’art informatique en France ou la constitution d’un champ artistique autonome par le milieu universitaire : L’exemple de l’Université de Paris-VIII et de la formation Arts et Technologies de l’Image, Mémoire de recherche (2e année de 2e cycle) en Muséologie, École du Louvre, 2016, https://dumas.ccsd.cnrs.fr/dumas-01691771/document 

  95. Popper, Frank, Art, action et participation: l'artiste et la créativité aujourd'hui, Paris, Klincksieck, 1980, p. 135. 

  96. Beaune, Jean-Claude, L'automate et ses mobiles, Paris, Flammarion, 1980, p. 380. 

  97. Chirollet, Jean-Claude, Esthétique et technoscience : pour la culture techno-esthétique, Liège, Mardaga, 1994, p. 211. 

  98. Poissant, Louise (sous la dir.), article « art permutationnel », Dictionnaire des arts médiatiques, Québec, Presses de l'Université du Québec, 1997, p. 19. 

  99. Couchot, Edmond, La technologie dans l'art : de la photographie à la réalité virtuelle, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambon, 1998, p. 166. 

  100. Peut-on y inclure le fameux Permutations (1968) de John Whitney ? Nous n’avons pas trouvé de preuves que J. Whitney ait titré son film en fonction des travaux de A. Moles. Une enquête reste à mener. 

  101. D’après ce que nous avons pu constater, Vasarely parle à plusieurs reprises de permutations dans divers textes et entretiens mais à titre d’une recherche personnelle, sans citer A. Moles. 

  102. Couchot, Edmond, « L’art numérique des années soixante aux années quatre-vingt : le point de vue d’un observacteur », Leonardo/Olats , juin 2015, http://archive.olats.org/pionniers/memoirs/couchot/Couchot-ArtNumerique.pdf 

  103. The Google Ngram Viewer Team, « What does the Ngram Viewer do? », 2019, https://books.google.com/ngrams/info
    Ce corpus est constitué de textes publiés par des maisons d’éditions, en particulier dans le champ scientifique. Les blogs et autres formes écrites présentent sur le web ne sont pas comptabilisés. 

  104. Pour bien comprendre les différents biais et limitations de Ngram Viewer, on peut utilement se rapporter à ce texte : Younes, Nadja, Reips, Ulf-Dietrich, « Guideline for improving the reliability of Google Ngram studies: Evidence from religious terms », Plos One, mars 2019, https://doi.org/10.1371/journal.pone.0213554 

  105. Rappelons encore que ces résultats n’ont rien de stricts et sont seulement indicatifs, notamment de la manière dont nous avons exploré cette base de données. En outre, des « aberrations » apparaissent notamment sur des termes qui semblent antérieurs à leur premier emploi, du fait d’associations fortuites de mots ou de mauvaises datations de textes. 

  106. Nous avons sélectionné ces dates car, avant 1945, les termes qui nous intéressent ne sont pas usités – ou s’ils le sont, il s’agit d’un autre emploi – et après 1990, le terme « art numérique » au singulier et au pluriel, devient peu à peu le terme le plus employé comme le montre un graphique suivant. 

  107. Ces termes ont été choisis et inscrits dans Ngram Viewer par nos soins. Nous nous sommes limités à ceux-ci car, d’une part, le logiciel restreint le nombre d’entrées par requête et parce qu’ils nous semblaient, d’autre part, parmi les plus usités durant les années 60 à 90. 

  108. On pourra trouver sur cet autre graphique que nous avons produit la comparaison entre les termes : computer art, cybernetic art, cybernetic serendipity, net art, new media art, digital art : tinyurl.com/c5rw2533 (Clic droit sur les noms en colonne à droite pour rassembler les courbes)
    On y voit un petit pic du terme « cybernetic art » correspondant à l’exposition Cybernetic Serendipity (Institute of Contemporary Arts, Londres, 1968). On constate aussi le remplacement de « computer art » par « digital art » au tournant des années 2000. 

  109. http://www.numeral.com/appletsoftware/eicon.html 

  110. https://processing.org 

  111. https://www.youtube.com/watch?v=sHYakhyvJps 

  112. https://www.larvalabs.com/cryptopunks 

  113. Voir à ce sujet : Assayag, Gérard, « Art et ordinateur : Si proche, Si lointain », Colloque Abraham Moles et l’École de Strasbourg, Université de Strasbourg, 28-29 septembre 2017, https://vimeo.com/237665553 

  114. Op. cit., catalogue Nova Tendencija 3, 1965, p. 96. 

  115. Ce texte est une première étape concernant l’approche permutationnelle de l’art proposée par A. Moles. Certains liens n’ont pas été établis durant cette étude, notamment avec d’autres ouvrages importants d’A. Moles dont Sociodynamique de la culture et Psychologie du Kitsch (Moles, Abraham, Psychologie du Kitsch, Tours-Paris, Mame-Hatier, 1971). Nous n’avons également pas pu approfondir les relations avec le travail de Max Bense et de François et Véra Molnar permettant d’expliquer en quoi l’art permutationnel peut également être analysé sous l’angle d’un projet de « sciences de l’art ».