Design vif & fonction anomale
Grégory Marion

Enseignant en DSAA Design à l’ÉsaaB (École supérieure d’arts appliqués de Bourgogne), Nevers. Docteur en esthétique, art & sciences de l’art, spécialité design, Université Paris I Panthéon-Sorbonne, associé au laboratoire Design, Arts, Médias (UFR 04).

Résumé
Dans ce texte fondateur du design historique qu’est « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie » (1947), László Moholy-Nagy dégage l’attitude si particulière d’un designer, engagé – comme artiste – dans l’industrie. Cette position se lie à son instinct intégrateur, qui le rend capable de saisir des éléments en apparence disparates, d’embrasser et d’opérer la synthèse entre des problèmes relevant de la civilisation de la machine et des problèmes ouverts par l’éducation artistique, amenant à des préoccupations d’ordre philosophique et anthropologique. Au fondement de cette conjugaison de facteurs, qui ne va pas sans poser des difficultés de méthode, se trouve un motif, une orientation profonde et insistante chez l’auteur : pour la vie. L’article propose une lecture du texte de Moholy-Nagy en résonance avec quelques passages des travaux contemporains de Georges Canguilhem, dans l’Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique (1943). L’artifice de cette affinité postulée entre les deux textes permettra d’insister sur un double trait réflexif propre à la position pratico-théorique de Moholy-Nagy. Le premier est nécessaire, il concerne la force formatrice de la conception, la visée d’une « qualité objective » ou « coïncidence optimale ». Le second, lui, apparaît décisif, il porte sur la délicatesse de la décision prudente face à des problèmes de type non-catégorique, il s’agit de la part non-modélisable que Moholy-Nagy appelle les « impondérables » ; l’aspérité de ce qui résiste à l’évaluation, c’est-à-dire l’anomal indiscipliné qui travaille, aujourd’hui encore, opiniâtre, la pratique du designer vif, adoptant une attitude.

Abstract
In the fundamental text of historical design, « New Method of Approach. Design for Life » (1947), László Moholy-Nagy outlines the special attitude of a designer, engaged – as an artist – in industry. This positition is linked to his integrating instinct, which makes him capable of grasping apparently disparate elements, which makes him capable of embracing and synthesizing problems related to the civilization of the machine and problems opened up by the artistic education, leading to philosophical and anthropological concern. At the base of this conjugation of factors, which does not go without posing difficulties of method, is a motive, a deep and insistent orientation of the author: for life. This article proposes a reading of Moholy’s text in resonance withsome passages the contemporary works of Georges Canguilhem, in the text Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique (1943). The artifice of this postulated affinity between the two texts will allow us to insist on a double reflexive trait proper to Moholy-Nagy’s pratico-theoretical position. The first one is necessary, concerns the formative force of the conception, the aim of an « objective quality » or « optimal coincidence ». The second one appears as decisive, it concerns the delicacy of the careful decision in front of problems of non-categorical type, it is about the non-modelizable part that Moholy-Nagy calls the « imponderables »; the asperity of what resists to the evaluation, that is to say the undisciplined anomal that operates, still today, obstinate, the practice of the lively designer, adopting an attitude.

Note de l’auteur
Le texte de cet article est une version remaniée d’une intervention effectuée lors du colloque international dirigé par Pierre-Damien Huyghe & Philippe Simay, «La vision dynamique de László Moholy-Nagy, Ville, Architecture, Design», École Supérieure d’Art et de Design de Saint-Étienne, Cité du Design, École nationale supérieure d’architecture de Saint-Étienne, Université Paris I, du 1er au 3 décembre 2010.

© Grégory Marion
Figure 1. Marion, Grégory, illustration d’après une photographie d’Henry Holmes Smith (cours de László Moholy-Nagy, New Bauhaus de Chicago, 1938) présentant une exposition de sculptures faites de matériaux divers principalement en bois. Cette photographie est présentée dans le film documentaire The New Bauhaus, The Life and Legacy of Moholy-Nagy (2019).

Introduction : éclosion de possibilités et largeur de vue

Publié en 1947, Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie1, texte écrit par László Moholy-Nagy entre 1944 et 1946 et publié à titre posthume par son épouse Sibyl Moholy-Nagy en 1947, sonne comme un leitmotiv qui jette devant lui un certain nombre de questions liées au caractère a-discipliné du design. « Une attitude, pas une profession2 », souligne le titre de la quatrième section. Remarquons aussi que la tâche du designer y surgit d’emblée comme une activité dont le projet est de soutenir rien de moins que « la vie ». Ce soutien à l’élan vital revient comme souci principal au cœur du texte : « finalement le grand problème qui se pose au design est qu’il doit servir la vie3 ». Pourquoi l’auteur attribue-t-il au design une telle mission, une telle ambition, qui pourrait sembler au premier abord quelque peu démiurgique ? Dans cet énoncé, le mot de « vie », résonne comme une fausse évidence ; il invite à s’interroger quant à sa consistance – « pour la vie » ? – Mais la vie de qui ? Puis, s’agit-t-il de la vie biologique, de l’existence humaine, de l’évolution créatrice au sens bergsonien ? Quelle(s) acception(s) l’auteur a-t-il en tête lorsqu’il lance une telle expression ? Il y aurait presque dans ces mots communs quelque chose comme une candeur étonnante mêlée d’une grande gravité. L’expression, polysémique, reviendra très fréquemment dans les textes de l’auteur, ou par extension dans ses déclarations publiques ; par exemple dans un texte antérieur comme Du matériau à l’architecture (1929), qui porte sur les enjeux pédagogiques du Bauhaus :

[…] Le modèle de communauté étudiante qui "apprend non pas pour l’école mais pour la vie" doit l’emporter et conduire à une riche expérience de vie, naturelle et changeante4.

Dans un autre texte paru en 1947 intitulé L’art dans l’industrie :

Notre principal souci est l’unité de la vie. […] Une nouvelle conception ne peut naître que de la bonne compréhension de la machine et de sa fonction par rapport à des besoins biologiques, instinctifs et psychologiques qui dépassent le besoin du confort purement physique5.

ll faut tenter d’analyser de quel courant de pensée ce crédo « pour la vie » pourrait se revendiquer, afin d’en peser le sens et d’en comprendre toute la portée aujourd’hui, à l’ère dite « anthropocène » où précisément l’équilibre de la vie est menacé par la civilisation industrielle. Dans une époque où l’influence de l’être humain sur la biosphère a atteint un tel niveau qu’elle est devenue une « force géologique » majeure, au moment où les conséquences imprévues de la techno-sphère deviennent en tous lieux évidentes, il est secourable de se poser la question d’une méthode d’approche pour la vie en examinant la portée d’un texte écrit par Moholy-Nagy au sortir de la seconde guerre mondiale. Contrastant avec la teneur si ce n’est mortifère, du moins pessimiste et moralisante des scénarios actuels qui – à grands renforts de dystopies et autres récits de science-fiction – spéculent opportunément sur l’étendue d’un désastre imminent et/ou la façon d’y remédier6, l’état d’esprit de Moholy-Nagy est plus concret et révolutionnaire, c’est celui d’une lucidité doublée d’un courage enthousiaste qui rappelle la fameuse phrase de Gramsci : « il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté7. » Relire Moholy-Nagy aujourd’hui nous aide à comprendre la sensibilité éduquée du designer et sa largeur de vue, prérequis essentiels pour apprécier des situations de projets et travailler à faire mieux au sein d’une civilisation industrielle. Car la responsabilité du designer ne l’oblige-t-elle pas davantage à une transformation vivace et tangible de nos conditions d’existence par la production de formes opérantes au quotidien, c’est-à-dire au sein de nos vies présentes, plutôt qu’à l’élaboration d’un discours culpabilisant oscillant entre fascination pour l’épouvante eschatologique et déploration des incuries face aux enjeux que l’anthropocène soulève ?
On comprend que les idées même de « développement » et de « croissance » s’associant dans nos esprits à l’économie et au capitalisme, soient à juste titre critiquées comme des injonctions arrivées à un seuil insoutenable. Par ailleurs, l’âge d’or des années 1920, l’espoir d’un « homme nouveau » semblent révolus et les illusions d’une modernité sans faille quelque peu perdues ; pour autant, faut-il déconsidérer ce qu’une autre modernité aura soutenu : une autre entente du développement, enraciné dans le soucis de la vie, non pas de toute force, mais plus subtilement – à bonne distance – et en délicatesse à l’égard de l’industrie ? L’attitude « pénétrante et globalisante8 » d’un artiste aussi radical que Moholy-Nagy permet ici d’ouvrir à l’expression d’un travail intégrateur rassérénant qui ne se satisfait pas ni du grand récit du progrès, ni des scénarios de la collapsologie.
Dès lors, compiler en un discours savant une anthologie d’essais sur les spécimens d’un « bestiaire de l’anthropocène » comme le propose l’ouvrage éponyme dirigé par Nicolas Nova9, peut être une étape préparatoire intéressante pour une réflexion appliquée sur le sujet, mais cela ne saurait être suffisant. Un inventaire truculent de créatures hybrides y énumère ni plus ni moins que des situations techniques avec lesquelles les designers d’aujourd’hui peuvent être amenés à travailler : « Plastiglomérats, chiens robots de surveillance, fordite, gazon artificiel, arbres-antennes, Sars-Covid-2, montagnes décapitées, aigles combattant des drones, bananiers standardisés10… » Il faudrait agréger à cette étude experte la dimension d’expérience artistique, les transferts dont est capable et favoriser la mise en discussion de différentes méthodes d’approche dont la synthèse inventerait une véritable position en design. C’est à cet effort qu’encourage Moholy-Nagy :

Il faut faire en sorte désormais que la notion de design et la profession de designer ne soient plus associées à une spécialité, mais à un certain esprit d’ingéniosité et d’inventivité, globalement valable, permettant de considérer des projets non plus isolément mais en relation avec les besoins de l’individu et de la communauté. Aucun sujet, quel qu’il soit, ne saurait être soustrait à la complexité de la vie et traité de manière autonome11.

Retenons cette exigence de « la complexité de la vie ». Dans cette optique, pour construire une interprétation, une lecture de New method of approachdesign for life peut être dégagée à partir d’un autre texte, qui, contemporain (publié quatre ans auparavant en 1943), lui fait – c’est notre postulat – écho. Il s’agit de la thèse de doctorat en médecine de Georges Canguilhem, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique12. Ce texte d’épistémologie médicale défend une reconnaissance des différentes aspérités du vivant, notamment celle de la maladie comprise par l’auteur non plus comme une collection de défectuosités mais comme « une autre allure de la vie13 », c’est-à-dire une façon d’être. L’approche philosophique de l’auteur, suivant l’attitude du vitalisme médical, se développera et posera en 1965 dans La connaissance de la vie, la question du vitalisme comme « méfiance, faut-il dire instinctive, à l’égard du pouvoir de la technique sur la vie » ou encore « méfiance permanente de la vie devant la mécanisation de la vie14 ». Il nous apprend que face au phénomène de la vie, un rationalisme raisonnable doit reconnaître ses limites. Il est intéressant d’étudier plus particulièrement la partie intitulée : « Examen critique de quelques concepts : du normal, de l’anomalie, et de la maladie, du normal et de l’expérimental15 ». Pourquoi ? Parce que s’il est permis de faire entendre « design pour la vie » (le titre de l’essai de Moholy-Nagy) comme en résonance avec les travaux aux accents vitalistes de Canguilhem, ce rapprochement peut aider à discuter, par exemple, l’adéquation forme/fonction qui caricature, en la décontextualisant, la phrase de Sullivan16 « form ever follows function », la transformant à bon compte en un déterminisme et un dogme fonctionnaliste. Militant pour une meilleure entente des enjeux des modernes, certes progressistes, mais ayant le soucis de la nature et de la complexité de la question de la forme, Pierre-Damien Huyghe rappelle, dans un article intitulé « De la mécanisation au design », la filiation historique entre Louis Sullivan, Frank Lloyd Wright et Moholy-Nagy et met en avant une position du design quant à la technique qui ne se résume pas à la disposition optimisée et économique des machines mais prend aussi pour référence « le naturel » :

C’est à Chicago [que travaillait Louis Sullivan], c’est là qu’il mûrit l’argumentation de sa fameuse formule sur la relation entre forme et fonction. N’isolons pas cette formule comme on l’a trop fait, lisons-la complètement et correctement replacée au sein de l’argumentation globale de L. Sullivan. Nous trouverons alors qu’elle résume lapidairement une réflexion qui prend le naturel pour référence avant et afin d’exposer une originale idée de forme technique prenant foncièrement acte des poussées liées à la mécanisation. De cette idée, Frank Lloyd Wright, d’abord disciple de Sullivan, précisera la formule. Par le biais du Bauhaus, qui la trouvera comme un enjeu substantiel, puis de László Moholy-Nagy, lui-même venu derechef finir sa carrière, au nom du design, au New Bauhaus de Chicago, elle concernera également la constitution et la position du design en Europe17.

En examinant les propos de Moholy-Nagy on trouve un texte écrit en 1944, incorporé à l’essai « Design pour la vie », explicitement intitulé « Les potentialités du design », dans lequel l’auteur tâche d’ouvrir le sens du précepte de Sullivan et regrette sa réception réductrice comme simple slogan. Il en propose une compréhension en s’inspirant du botaniste et philosophe de la nature austro-hongrois, auteur qu’il aurait découvert, selon Philippe Simay, dès 1923 dans un numéro de la célèbre revue d’art Das Kunstblatt où est publié un chapitre entier du livre de Francé18, Les plantes comme inventeurs19. Pour des questions de clarté de la formulation, c’est la traduction de Véronique Charaire qui est reportée ci-dessous et qui propose pour titre « Les possibilités du design » :

Nous nous apercevons que la définition « la forme découle de la fonction » a un sens profond si nous l’appliquons aux phénomènes de la nature où « chaque processus a sa forme due à une nécessité qui se résout toujours en des formes fonctionnelles. Les processus obéissent à la loi de la distance la plus courte entre deux points ; le refroidissement n’a lieu que sur les surfaces exposées au refroidissement ; la pression ne s’exerce que sur les points de pression ; la tension le long des lignes de tension ; le mouvement génère des formes de mouvements et toute énergie a sa forme d’énergie » (Raoul Francé). […] Dans le design destiné à la consommation des hommes, la fonction n’est pas uniquement le travail à accomplir pour exécuter une tâche mécanique délimitée, elle doit aussi répondre à des exigences biologiques, psychologiques, physiques et sociales20.

C’est alors la vie dans sa dimension de complexité, conjuguant biologie, psychologie, physique, sociologie qui est désignée comme champ de possibilité pour le designer. Or, une approche rapide de ces considérants – qui entrent effectivement en tension dans la pratique du design – pourrait faire penser que ce sont les scientifiques les plus capables de les examiner, et d’y trouver réponse adaptée. C’est la position la plus commune de nos jours où la confiance accordée aux experts – tous domaines confondus – n’a jamais été aussi grande. La position de Moholy-Nagy est différente parce que, s’appuyant sur les apports scientifiques, elle fait place – par surcroît – à la capacité intégratrice de l’artiste moderne. Elle désigne même comme décisive sa vivacité, ou sagacité, c’est-à-dire son aptitude à penser d’instinct en termes de relations et à articuler de façon fulgurante par l’exercice de sa sensibilité les diverses dimensions d’une forme industrielle :

L’élément décisif, cependant, sera leur capacité à visualiser la totalité de la tâche à accomplir, dans sa matérialité même, avant son exécution, et à en percevoir instantanément tous les aspects. C’est à la précision et à la clarté de cette vision intérieure qu’on mesurera l’ingéniosité du designer21.

L’artifice d’une affinité postulée entre le texte de Canguilhem et celui de Moholy-Nagy est un rapprochement conceptuel a posteriori qui permet d’insister sur un double trait réflexif propre à la position pratico-théorique d’un Moholy-Nagy intuitif et analytique : sa faculté à construire une approche matérialiste rationnelle tout en faisant accueil à l’instinct en jeu dans l’expérience artistique. Travailler en artiste avec ou plutôt délibérément dans l’industrie, comme le fait le designer c’est peut-être faire cet effort d’un déplacement dans l’ordre des choses, fut-il léger22, c’est-à-dire avoir affaire à des accidents naturels, ruptures, des troubles substantiels, des phénomènes non-calculables qui échappent à l’ordonnancement linéaire d’un système technique mécanisé. Il ne s’agit pas là d’un romantisme métaphysique ni de spiritualité, car on sait que Moholy-Nagy était tout sauf un mystique, mais de considérer les bifurcations, le défaut de fabrication, les incongruités, les incidents qui surgissent dans le quotidien d’un producteur de formes comme autant de manifestations intéressantes de l’irrégularité propre à une vie humaine incarnée et qui le rappelle à une condition naturelle universelle. Dans un premier temps, retenons la formule que Moholy-Nagy utilise dans le titre de son texte: « Une nouvelle méthode d’approche ». Cette nouvelle méthode d’approche pourrait justement être celle qui restitue à ces écarts ou tensions dans l’ordre mécanisé et industriel des produits leur valeur de possibilité, leur légitimité. Quelle est la teneur de cette nouvelle méthode, par rapport à quelle ancienne méthode se revendique-t-elle nouvelle ? Suivant le développement de la pensée de l’auteur, on distinguera en son sein deux points qui paraissent essentiels. Le premier est nécessaire, il concerne la force formatrice de la conception, la visée d’une « qualité objective » ou d’une « coïncidence optimale23 ». Le second, lui, apparaît décisif, il porte sur la délicatesse de la décision prudente face à des problèmes de type non-catégorique, il s’agit de la part non-modélisable que Moholy-Nagy appelle les « impondérables24 », l’aspérité, c’est-à-dire l’anomal indiscipliné qui travaille, aujourd’hui encore, opiniâtre, la pratique du designer vif, adoptant une attitude.

1. Axiomes : le fait normal de la « qualité objective » et des « forces organiques »

Moholy-Nagy mettra d’abord en cause au début du texte le chemin qu’emprunte la conception orientée par les ventes, réduisant les enjeux du design à la seule préoccupation de l’« habillage », du « profilage », du « styling » ou de « la ligne25 » ; à cette approche parcellaire, il oppose et soutient une méthode visant à la « perfection psychophysique » du produit. Ici, Moholy-Nagy plaide pour une approche générale des implications de la production. Mais il fait plus, il insiste sur une certaine perfection vers laquelle le travail du designer devrait tendre. Plus loin, il parlera, au sujet du processus de transformation des matériaux, de cette « manière optimale » avec laquelle les « éléments », « forces » et « processus » coïncident, et aussi de la « qualité objective26 » qui en découle, défendant ainsi l’utilisation savante, subtile et raffinée, c’est-à-dire la mise en œuvre sans accident des techniques et matériaux selon leurs propriétés intrinsèques. On notera que cette énonciation de considérations et de principes généraux est désignée en titre par l’auteur comme une série d’axiomes. Rappelons qu’ « axiome » (du grec ancien axioma, « considéré comme digne, convenable, évident en soi ») désigne une vérité indémontrable qui doit être admise. Tout se passe alors comme si Moholy-Nagy entendait dégager quelques grands principes universels, modernes, comme postulats, préalables, à partir de quoi penser une « nouvelle méthode d’approche » de la production d’objets et d’environnements. Il avance par étape. Ainsi, on peut lire que :

La maîtrise des matériaux, en ce qu’elle élimine le fortuit, constitue un premier pas vers cet optimum dont nous parlions plus haut. S’il veut atteindre cette qualité « objective » en trouvant un juste équilibre entre les forces organiques qui vont s’exercer, l’artisan doit d’abord maîtriser les éléments de son travail27.

La position intellectuelle revendiquée ici, dans un premier temps, est celle d’une méthode scientifique hypothético-déductive, qui diagnostique, analyse et prescrit les éléments nécessaires à une fonction donnée. Luttant contre les approches mimétiques et passéistes de la fabrication d’objets, qui résistent de manières rétrograde aux avancées des techniques et au progrès, on peut comprendre que Moholy-Nagy élabore – dans un contexte singulier qu’il faut souligner, celui de reconstruction d’après-guerre – une théorie sur la méthode de conception en phase avec son époque et qui soit donc la plus moderne possible. Mais il semble que l’on pourrait imputer à cette conduite de la conception d’objets le remplacement d’un déterminisme formel historiciste par un autre déterminisme qui enjoindrait, avec cette visée idéaliste, à « éliminer le fortuit », à écarter l’accident pour préférer la maîtrise, la domination de toutes les étapes du processus de design, et à viser à l’endroit du produit, l’essence matérialiste : « les qualités intrinsèques ». C’est déjà ce que, pour citer rapidement un exemple plus ancien, Viollet-le-Duc, revendiqua au XIXe siècle dans son œuvre théorique, mais n’appliqua pas nécessairement à la lettre dans ses réalisations, avec l’idée de l’emploi des matériaux laissés apparents, ou encore de la franchise des techniques : « Construire, pour l’architecte, c’est employer les matériaux en raison de leurs qualités et de leur nature propre, avec l’idée préconçue de satisfaire à un besoin par les moyens les plus simples et les plus solides28 ». Cet énoncé d’axiomes amène l’idée qu’en matière de design la conception doit s’exercer selon la juste coïncidence de forces, processus, réductibles à des lois répondant à des normes. Selon cette pensée il convient d’intégrer ces règles de façon cohérente et harmonieuse. Ce premier temps qui ressemble à une quête de la perfection sans heurt, peut renvoyer au début du chapitre II de la thèse de Canguilhem, où il est question du « normal ». Rapportant les propos de l’ouvrage d’un certain Lalande : Le Vocabulaire technique et critique de la philosophie29, Canguilhem explique:

[...] est normal, étymologiquement, puisque norma désigne l’équerre, ce qui ne penche ni à droite ni à gauche, donc ce qui se tient dans un juste milieu [...] Dans la discussion de ces sens, il est fait remarquer combien ce terme est équivoque, désignant à la fois un fait et « une valeur attribuée à ce fait par celui qui parle, en vertu d’un jugement d’appréciation ». On souligne aussi combien cette équivoque est facilitée par la tradition philosophique réaliste, selon laquelle toute généralité étant le signe d’une essence et toute perfection étant la réalisation de l’essence, une généralité en fait observable prend valeur de perfection réalisée, un caractère commun prend valeur de type idéal30.

Ainsi, ce détour par Canguilhem nous amène à penser que le texte de Moholy-Nagy fournit, en apparence, du moins dans un premier temps, un modèle de pensée pour le design qui pose cette activité comme un outil d’intégration rationnel fondamentalement efficace pour l’industrie, en faveur de valeurs universelles. On retiendra surtout l’expression qu’il invente: « qualité objective » – il faut d’ailleurs noter que l’auteur prend soin de la placer entre guillemets, ce qui suggère tout de même la prudence de ce dernier à l’égard de ce lexique.

2. Heuristique de la fonction anomale

Mais s’en tenir à ce stade de développement de l’explication de Moholy-Nagy reviendrait à négliger l’importance des phénomènes concrets, physiques, empiriques, impliquant essais, tentatives et explorations de techniques balbutiantes, maquettes, prototypes, la germination des projets comme expérience. L’énergie, l’implication et la diversité des expériences menées par Moholy-Nagy étudiant-artiste-pédagogue parmi les étudiants au sein des laboratoires et ateliers de recherche en témoignent. À cet égard, le texte original « Design pour la vie », publié en langue anglaise dans Vision in motion31, est exemplaire. Il est appareillé par l’auteur de nombreuses figures, photographies de travaux très divers et annotés, malheureusement disparues dans la traduction française.

© Spector Books
Figure 2. Quatre double-pages extraites du texte de László Moholy-Nagy « Ein neuer Ansatz – Gestaltung fürs Leben », dans la réédition en langue allemande de Vision in Motion (Stiftung Bauhaus Dessau), Moholy-Nagy, László, Sehen in Bewegung, Leipzig, Spector Books, 2014, pp. 33-62.

Ces images légendées, au-delà de leur intérêt historique et documentaire, ont aussi une grande capacité expressive qui fait apparaître le sens de l’étonnement artistique propre à l’approche créatrice du designer. Le lecteur attentif appréciera au cœur du texte « Design pour la vie » le matériel d’un artiste en recherche, et dans cette investigation visuelle, une « largeur de vue » pour reprendre l’expression de Moholy-Nagy, qui, absorbe les avancées techniques et scientifiques en les présentant sous un autre jour, les associant à des expériences plastiques, matérielles, artistiques de différents ordres, les découvrant avec sensibilité, sélection et rythme. Se repère ici un champ de tension dans lequel Moholy-Nagy installe sa pratique, entre l’exigence objective qui analyse, optimise et l’instinct créateur qui donne forme, rythme. Cette dialectique entre science et art et dans laquelle il place le design se lit aussi dans cet extrait :

Les ingénieurs sont merveilleux : il savent ce que font les machines, ils savent ce que doit être la fonction d’un objet. Pourquoi devons-nous former des designer industriels alors qu’il y a des ingénieurs dont la tâche devrait être précisément de produire ces projets ?
C’est justement à ce point qu’interviennent la question de la sensibilité, l’approche créatrice (son étendue et sa largeur de vue), la responsabilité sociale, la conscience esthétique, etc.32

« L’approche créatrice », « son étendue et sa largeur de vue », « la responsabilité sociale », « la conscience esthétique » son autant d’aspects relevés ici par Moholy-Nagy qui distinguent l’attitude du designer de celle d’un scientifique comme Sir D’Arcy Wentworth Thompson, auteur de Form in Growth33 définit la forme d’un objet biologique comme un « diagramme de forces ». Si Moholy-Nagy associe dans son texte cette expression à l’optimisation des propriétés matérielles, il n’en reste pas là. La loi générale de la « qualité objective » est alors ajustée et c’est cette nuance – décisive – rapportée ci-dessous, en fin de citation, qui rend dialectique l’énonciation de la réflexion et lui évite une tournure figée, sinon dogmatique :

Tous ces phénomènes, résultats de différents processus, peuvent se résumer en un diagramme de forces où s’opposent celles qui s’exercent sur les divers matériaux et celles qui sont dues à la résistance de ces mêmes matériaux. Si les éléments, les forces et les processus coïncident de manière optimale, on peut alors parler de qualité « objective ». Il faut cependant se garder de considérer cette « coïncidence optimale » et cette « qualité objective » comme des critères absolus34.

On voit alors poindre le danger d’une pensée et d’un travail excessivement orientés vers l’ «optimum» et qui dégageraient un système de conception normalisé au service de l’industrie mais ne s’engagerait pas nécessairement dans une voie indépendante, capable de critiquer les appareils de production de cette dernière, pour servir la vie. Dans la suite du texte d’autres éléments continuent de nuancer le propos, comme un repentir, et compliquent les premières affirmations. Il sera question d’ « impondérables », voici la chose nommée, à l’appui du « rôle de l’intuition » :

En vérité, il subsiste toujours des impondérables difficiles à évaluer. La pratique montre qu’un designer est toujours placé au départ devant un certain nombre de possibilités ayant chacune une plus ou moins grande qualité « objective ». Pour réaliser une structure, par exemple, on a le choix entre divers matériaux, mais aussi, une fois ce matériau choisi, entre diverses manières de l’utiliser. [...] laquelle faudra-t-il choisir ? [...] Face à cette multitude de choix scientifiques et technologiques, la réponse du designer sera essentiellement du domaine de l’intuition, qu’il s’agisse de tendances ou de formes visuelles et plastiques à définir ou du rôle psychologique majeur qu’elles ont à jouer35.

C’est ici qu’intervient ce qu’on propose d’appeler la fonction anomale pour désigner, dans tout processus d’élaboration formelle, un statut avéré à cette part d’« impondérable ». Il faut préciser le sens profond du terme ici en question grâce à ces lignes de Canguilhem :

« Anomalie » vient du grec anomalia qui signifie inégalité, aspérité ; omalos désigne en grec ce qui est uni égal, lisse, en sorte que anomalie est étymologiquement an-omalos, ce qui est inégal, rugueux, irrégulier, au sens qu’on donne à ces mots en parlant d’un terrain. Or, on s’est souvent mépris sur l’étymologie du terme anomalie en le dérivant, non pas de omalos, mais de nomos qui signifie loi, selon la composition a-nomos. [...] Or le nomos grec et le norma latin ont des sens voisins, loi et règle tendent à se confondre. Ainsi, en toute rigueur sémantique anomalie désigne un fait, c’est un terme descriptif, alors que anormal implique une référence à une valeur, c’est un terme appréciatif, normatif ; mais l’échange des bons procédés grammaticaux a entraîné une collusion des sens respectifs d’anomalie et d’anormal36.

Face à l’inévitable de l’inégal, du rugueux, de l’irrégulier, de l’incertain, ou encore de l’incident, dans l’élaboration d’une forme, la place faite à des choix de circonstances, implique toujours une décision, un engagement plus ou moins responsable du designer. Choix inconscient ou délibéré qui engage sa sensibilité. Ces appréciations et non plus seulement évaluations, auront pu être estimées sans importance et non-formulées par certains, ou encore auront été associées, dans les années 1960-1980, à une mission d’ordre culturel, de l’ordre d’un « parti-pris » lorsqu’ils sont revendiqués comme tels37. Être à l’écoute de ces impondérables, défendre leur importance et prégnance dans les processus de conception, production et de réception des produits industriels, ne veut pas nécessairement dire prôner une forme de chaos anarchique ni se faire le chantre d’un relativisme insouciant, superflu, décoratif, ou encore prôner l’informe. Il ne s’agit-il pas non plus de l’émanation d’un scepticisme réactionnaire à l’égard des sciences, mais d’une plus juste place faite – au nom de la vie – à l’aspérité de l’anomalie, au sens de Canguilhem, mais cette fois dans la ligne de conduite du système de production industrielle, calculable, homogène, sectorisée, strictement hiérarchisé et sous contrôle. Il s’agit d’entrer en friction avec l’impérieuse injonction à l’innovation, comme argument de vente encouragé par la férocité concurrentielle du marché globalisé, il s’agit aussi d’entrer en résistance active face aux développements frénétiques des techniques superficiellement appliquées et menant à l’obsolescence forcée :

Le créateur actuel sait – et en souffre – que les valeurs profondes de la vie sont écrasées par le poids de phénomènes extérieurs (l’argent, la publicité, la mentalité mercantile), il souffre de l’exploitation purement matérielle de sa vitalité, de l’appauvrissement de ses instincts, du nivellement de ses tensions biologiques38.

Le design est donc, chez Moholy-Nagy l’objet d’une lutte perpétuelle pour la revitalisation de la civilisation industrielle menée par la sensibilité artistiquement éduquée au rythme, à l’anomalie comme irrégularité, et sans laquelle la production serait vouée à la redondance aliénante de la marchandise. Synthétiquement, plus loin dans le texte de Canguilhem : « L’anomalie c’est le fait de variation individuelle qui empêche deux êtres de pouvoir se substituer l’un à l’autre de façon complète39 ». S’appuyant sur Claude Bernard, fondateur de la médecine expérimentale, l’auteur précise : « En physiologie il ne faut jamais donner des descriptions moyennes d’expériences parce que les vrais rapports des phénomènes disparaissent dans cette moyenne40 ». Ainsi, le physiologiste, le technicien ou le designer mal avisés trouvent dans le concept de moyenne un équivalent objectif et scientifiquement valable du concept de normal et de norme ; le normal, défini comme type idéal, érigé en modèle devient un absolu. Si, dans la perspective de l’établissement de « norme », de l’instauration d’une « maîtrise », de « perfection » scientifique, relevant du domaine de l’ingénierie, il faut bien que « la forme procède de la fonction » – et plus particulièrement des « fonctions organiques41 » des matériaux, respectant, selon l’expression qu’invente Moholy-Nagy, la « qualité objective42 » des forces en œuvre dans le processus de création43 – la fonction anomale pose, elle, le fait radical, que la norme du vivant, la loi de tout ce qui vit, est l’inégal, le rugueux, l’irrégulier, la diversité, le caractère aberrant par rapport à un type, à un système, à une règle qui régit une catégorie. Voilà la tension qui travaille le texte. Cette reconnaissance restitue aux moments de choix intuitifs, incertains, précaires, leur dimension d’ « ouvrage » non-univoque, de chantier ouvert, leur responsabilité de présence humaine, la place du corps biologique et émotionnel. L’idée d’une fonction anomale, certes non-formulée comme telle par Moholy-Nagy, semble toutefois être une condition de la vitalité, du renouvellement non seulement biologique, mais également psychique et esthétique et pouvoir correspondre à ce que l’auteur nomme « l’élément humain44 » :

Grâce à de nouveaux principes de production et de contrôle, de nouvelles formes vont naître qui répondront à d’anciens besoins et d’anciennes fonctions. [...] En dépit de toutes ces possibilités, cependant, il ne faut jamais perdre de vue que l’élément humain, le rythme biologique du corps et ses proportions doivent rester le critère essentiel d’évaluation du progrès technologique et du rôle qu’il doit jouer dans nos vies45.

3. En délicatesse

On pourrait marquer les échos du propos de Moholy-Nagy, en lui prêtant de possibles conversations qui peuvent travailler dans les esprits des lecteurs. Par exemple, en considérant ce qu’ils permettraient de critiquer et rectifier dans certains textes de l’historiographe du design italien, Andrea Branzi, architecte et designer, en particulier dans Verso una normalità anormale (« Vers une normalité anormale46 ») ou dans Modernité faible et diffuse47. Ces prolongements discursifs pourraient sans doute fortifier l’idée d’une approche de ce que la civilisation moderne aura poussé parmi nous – non pas de toute force, mais en délicatesse (dans tous les sens du terme) – avec les exceptions, les défaillances, les déviations, qui forment, à bon droit, le tissu chatoyant des existences humaines. Cette perpétuelle négociation entre plusieurs voies, c’est aussi la leçon fondamentale que nous enseigne l’évolution biologique qui, comme dira le biologiste prix Nobel de médecine et physiologie, François Jacob, est fondée sur la réutilisation constante d’anomalies comme autant d’occasions de transformation :

L’évolution procède comme un bricoleur qui, pendant des millions et des millions d’années, remanierait lentement son œuvre, la retouchant sans cesse, coupant ici, allongeant là, saisissant toutes les occasions d’ajuster, de transformer, de créer48.

La leçon d’humilité que la science nous délivre quant à l’organisation du vivant, et à son « développement » patient et hasardeux, devrait pouvoir être transposée dans le champ du design, avec ce qu’elle implique de critique sans concession de l’industrialisation massive, de la division du travail et, par là, de la réduction de la vocation du design au monopole de quelques « experts », aussi professionnels soient-ils :

Nous sommes peu nombreux, à notre époque, à savoir que la spécialisation actuelle est une arme épouvantable contre nous-mêmes, contre la nature de l’homme... Il s’est livré lui-même à une spécialisation machinale qui tend à ne développer que quelques-unes de ses facultés et qui le pousse – en conséquence – à une sorte de passivité contre nature dès qu’il s’agit de quelque chose d’extérieur à sa spécialité. On enseigne aux hommes que la meilleure manière de vivre consiste à acheter l’énergie d’autres hommes et à utiliser leurs capacités. En d’autres termes, un dogme dangereux qui s’est imposé dans les métropoles prétend que les spécialistes sont les plus aptes à résoudre la diversité des problèmes particuliers et que personne ne doit outrepasser les limites de sa spécialité. La division du travail et les méthodes de fabrication industrielle sont donc à l’origine de la mainmise des spécialistes non seulement sur la production des objets nécessaires à la vie quotidienne, mais sur le plan de la vie émotionnelle. Aujourd’hui, des artistes-spécialistes sont là pour produire de l’émotion.
On les paye – en principe – pour ça. La triste conséquence de tout cela est l’étouffement de l’intérêt naturel, biologique, pour tout ce qui est l’existence humaine, sous le clinquant d’une vie apparemment facile. L’être humain qui porte en lui, virtuellement, la faculté d’appréhender le monde, de se façonner et de s’exprimer par les moyens divers que lui offrent le mot, le son, la couleur etc., accepte pourtant aisément cette amputation de ses facultés les plus précieuses. Il faut rappeler aujourd’hui que la perte de ces éléments fondamentaux est une catastrophe pour la vie humaine : les sensations et les pensées ainsi que la manière dont on les exprime appartiennent à un mode de vie normal – vivre sans elles signifie le dépérissement de toute vie intellectuelle et émotionnelle, de même qu’une alimentation insuffisante signifie le dépérissement de l’organisme. L’expression non verbale du sentiment et de la sensation est ce qu’on pourrait appeler l’art, mais pas l’art sur un piédestal. L’art existe pour la communauté et il dépasse les limites de la spécialisation. C’est le langage le plus intense et le plus intérieur des sens, et aucun individu dans la société ne peut y renoncer49.

Conclusion : prolongements, transferts et intégration

Ce vœu d’une largeur de vue et d’une exploration décloisonnée est sensible dans une certaine mesure au sein d’un ouvrage passé relativement inaperçu : Transfer erkenne und bewirken (1999) et qui pourrait s’inscrire dans la filiation des recherches menées Moholy-Nagy. Même si la composition et le rythme des pages n’ont pas la même puissance énergique que celles de Vision in Motion, les entrechocs des nombreuses sources iconographiques provoquent des étincelles et la curiosité formelle y rejoint l’intérêt pour les connaissances scientifiques. Il est étonnant que cette somme aux allures d’encyclopédie universelle des techniques ingénieuses entre art et industrie n’ait pas été traduite. Elle pourrait constituer une ressource très inspirante et utile pour qui veut travailler certains aspects du design et de l’écologie en étant mobile au sein des spécialités requises. La vocation du livre est d’après les auteurs cette forme d’accessibilité et de passage de relai entre les disciplines qui fait jouer ensemble des paramètres de différents ordres :

Les professionnels du design, toutes disciplines confondues – architectes, concepteurs de produits et graphistes – avouent avoir certaines difficultés en commun : transformer leurs connaissances et leur compréhension des paramètres écologiques, économiques, technologiques et esthétiques d’un design contemporain durable dans la pratique de leur profession. Ce sentiment est partagé par les décideurs du secteur de la construction et d’autres industries. Les auteurs de Transfer présentent une collection d’illustrations documentaires et de citations dont la composition et la structure sont à la fois rigoureuses et stimulantes. Ils ont conçu une méthode qui permet de rendre les facteurs critiques de la conception de manière vivante et utilisable dans la pratique. transfer = convey : Transférer signifie faire passer, transmettre. Ce livre offre à son public quelques approches d’une « grammaire de l’écologie », se concevant comme moyen pour atteindre une fin50.

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Figure 3. Quatre double-pages extraites de Erni, Peter ; Huwiler, Martin ; Marchand, Christophe, Transfer: Erkenne Und Bewirken, Zurich, Lars Müller Publishers, 1999.

L’étude approfondie des textes de Moholy-Nagy, singulièrement ceux de la dernière période de sa vie aux États-unis, fait surgir plusieurs aspects décisifs qui campent un territoire d’intervention ambitieux pour le designer. Au sein d’une civilisation industrielle orientée par le machinisme et la production, son rôle n’est pas tant de viser à une forme de perfection savamment évaluée, cette étape est identifiée comme nécessaire mais pas suffisante. En ce sens, le designer ne saurait être seulement attentif aux normes, aux lois, mais, apportant une sensibilité éduquée aux « impondérables » en tant que facteur décisif, il est soucieux d’intégrer un certain nombre d’aspérités par ailleurs repérées par Canguilhem dans le champ du vivant et de la médecine comme « anomalies ». Ces irrégularités objectent une complexité radicale aux lois réductionnistes de la « qualité objective ». Les choix intuitifs propres à l’expérience esthétique ne peuvent pas être mesurés et ne sont donc pas réductibles à de simples données, ils relèvent d’une appréciation spécifique. Il s’agit là d’une considération pour les sensations, le rythme des corps, les implications émotionnelles, biologiques, sociologiques, « l’élément humain » qui constituent conjointement une condition indispensable à la vitalité de nos existences, mais aussi à celle de tout être sensible appartenant à la biosphère, permettant de lutter contre le solipsisme d’une production industrielle qui s’étendrait sans art. La vocation inventive, fondamentalement dynamique du designer que nous rappelle Moholy-Nagy consiste alors à mettre en mouvement ces capacités (analytiques, émotionnelles, esthétiques, biologiques, physiques, psychiques), pour résister à l’inertie mentale et mettre au jour, au sein de l’étendue des possibilités techniques, des passages et des fertilisations entre des pratiques et des facultés a priori incommensurables ou incompatibles. Dans son texte « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », l’auteur ne tient pas une position dogmatique mais avance, de façon nuancée, parfois ambivalente. Discutant au fil du texte les orientations d’une pratique comlexe, il passe d’une approche du design qui vise un optimum, à une position qui soutient ce qui précisément déborde cet optimum et les paramètres objectifs. C’est sûrement là un des traits majeurs de son approche : sans négliger la nécessité de la « qualité objective », elle présente le courage d’une méthode d’approche qui bifurque, fait place à ce qui s’écarte de la règle et c’est peut-être aussi ce que l’auteur entend à travers la notion de « vie », précisément ce qui excède le caractère objectif et qui dévie de la norme dans la conduite d’un projet de design.
On peut dire que la figure du designer dégagée par Moholy-Nagy, est celle d’un artiste dé-spécialisé, ingénieux et inventif qui travaille à quelque chose de mieux et de plus délicat qu’un optimum, c’est-à-dire à la vitalité des conditions d’existence pour « le commun le moins commun »51. Ceci s’effectue par des sauts inventifs, des transferts, qui modifient la qualité et l’ordre du monde artificiel et naturel. Nourries des apports conjugués de la sensibilité, de l’émotion, de la biologie, de la sociologie, des techniques, les propositions du designer ne peuvent être soustraites à la complexité de la vie et traitées de manières autonomes. Ainsi le cheminement d’un projet est pour ce dernier une perpétuelle négociation qui exige de lui une largeur de vue, une prise de risque en même temps qu’une conscience aigüe de sa responsabilité. Pour autant, la notion d’anthropocène qui questionne aujourd’hui la dimension prométhéenne de l’action humaine sur Terre et notre capacité à considérer l’environnement doit-elle inhiber le champ d’action des designers, réduire leur vocation créative à transformer un état du monde? Emmanuele Coccia a répondu à cette question d’une façon que Moholy-Nagy ne désapprouverait sans doute pas :

Bien sûr, il existe aujourd’hui des urgences climatiques qui rendent le monde de moins en moins habitable pour l’homme, mais il y a aussi un énorme malentendu concernant le concept d’Anthropocène. Ce n’est pas une nouveauté qu’une espèce façonne le monde. Ça a toujours été le cas. Sans cette activité incessante, la Terre est inhabitable. Avant, ce sont les plantes qui ont marqué l’existence de la planète. La question n’est pas celle d’arrêter de modifier la planète, mais de comment intégrer notre vie dans la vie des autres52.

Bibliographie

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Crédits et légendes

• Figure 1. Marion, Grégory, illustration d’après une photographie d’Henry Holmes Smith (cours de László Moholy-Nagy, New Bauhaus de Chicago, 1938) présentant une exposition de sculptures faites de matériaux divers principalement en bois. Cette photographie est présentée dans le film documentaire The New Bauhaus, The Life and Legacy of Moholy-Nagy.

Lorsque l’étudiant du Nouveau Bauhaus termine sa table tactile dans laquelle il enregistre du bout des doigts les différentes qualités de la sensation tactile, il doit réaliser une sculpture à la main. Par ce biais, il enregistre les fonctions des mains : attraper, presser, tordre, sentir l’épaisseur, peser, passer par des trous, utiliser ses articulations, etc. Le résultat est multiple : l’étudiant apprend plus intensément les différents matériaux, il utilise plus habilement ses outils et machines, et il commence à penser en relations de volumes. Ces exercices ont été introduits par Hin Bredendieck avec des résultats remarquables53.

• Figure 2. Quatre double-pages extraites du texte de László Moholy-Nagy « Ein neuer Ansatz – Gestaltung fürs Leben », dans la réédition en langue allemande de Vision in Motion (Stiftung Bauhaus Dessau), dans Moholy-Nagy, László, Sehen in Bewegung, Leipzig, Spector Books, 2014, pp. 33-62.

• Figure 3. Quatre double-pages extraites de Erni, Peter ; Huwiler, Martin ; Marchand, Christophe, Transfer: Erkenne Und Bewirken, Zurich, Lars Müller Publishers, 1999.


  1. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », « New method of approach – design for life », dans Vision in Motion, Chicago, Paul Theobald [1947], traduction française dans Peinture, photographie, film, Marseille, J. Chambon, 1993, p. 277. 

  2. Ibid. 

  3. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », op. cit., p. 279. 

  4. Moholy-Nagy, László, « Questions d’éducation », dans Du matériau à l’architecture, éd. fr., Stéphane Füzesséry et Philippe Simay, traduction de Muller, Jean-Léon, Paris, La Villette, 2015, p. 50. Publication orginale : Von Material zur Architektur, Munich, Albert Langen, Bauhausbücher 14, 1929. 

  5. Moholy-Nagy, László, « L’art dans l’industrie », dans Arts and Architecture, n°9-10, Los Angeles, 1947, traduction française de Passuth, Krisztina, Moholy-Nagy, Paris, Flammarion, 1992, p. 356. 

  6. Cf. Dunne, Anthony ; Raby, Fiona, « Designs for an Overpopulated Planet: Foragers », 2009. Documents (texte et images) du projet disponibles [en ligne] http://dunneandraby.co.uk/content/projects/510/0 (consulté le 23 juin 2021). Cf. également Kazi-Tani, Tiphaine, résumé de la conférence « Comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer le design critique & spéculatiF », 23 janvier 2019, Toulouse : IsdaT [en ligne] http://www.isdat.fr/programmation/tiphaine-kazi-tani/ ; (consulté le 23/06/2021) : « Se revendiquant des accointances avec l’activisme, force est toutefois de constater que le design critique — et ses corollaires comme le design fiction — n’a au mieux pas su sortir des musées et des galeries où il s’est appuyé sur des conditions spécifiques de réception, et au pire, est devenu un rejeton contemporain et branché de la prospective ».  

  7. Gramsci, Antonio, « Lettre à son frère Carlo écrite en prison » [19 décembre 1929], dans Cahiers de prison, Paris, Gallimard, Paris, 1978-92. 

  8. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie » [1947], dans Peinture Photographie Film et autres écrits sur la photographie, Paris, Folio essais, 2007, p. 278. 

  9. Nova, Nicolas ; DISNOVATION.ORG (dir.), A Bestiary of Anthropocene, Eindhoven, Onomatopee, 2021.  

  10. Ibid. Traduction personnelle. [en ligne] https://www.bestiaryanthropocene.com/ (consulté le 23 juin 2021). 

  11. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie » [1947], op. cit. 

  12. Canguilhem, Georges, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique (thèse de doctorat d’État soutenue en Sorbonne), 1943. 

  13. Ibid., p. 51. 

  14. Canguilhem, Georges, La connaissance de la vie [1965], Paris, J. Vrin, coll. Bibliothèque des textes philosophiques, 2003, pp. 109, 126. 

  15. Canguilhem, Georges, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, op. cit., p. 91 sqq. 

  16. Sullivan, Louis, « form ever follows function », dans « The Tall Office Building Artistically Considerated », Lippincott’s vol. 57, mars 1896 ; réédité dans éditions B2, coll. Fac-similé, 2011, pp. 38-39 : « ce que nous ressentons avec allégresse comme la vie elle-même est toujours réjoui par la beauté, l’exquise spontanéité avec laquelle la vie se cherche et prend forme, en parfaite harmonie sensible avec ses besoins. Vie et forme semblent toujours absolument unies, inséparables, dans le sens de la plus totale plénitude. Qu’il s’agisse de l’aigle dont le vol décrit une courbe majestueuse ou de la fleur éclose du pommier, du cheval de labour qui peine sous le joug ou du cygne folâtre, du chêne branchu ou du ruisseau qui serpente à son pied, des nuages fuyant dans le ciel et, par-dessus tout, de la course du soleil — la forme suit toujours la fonction, telle est la loi. […] C’est cette loi qui régit toute chose, organique et inorganique, physique et métaphysique, humaine et surhumaine, la loi qui sous-tend toutes les grandes manifestations de l’esprit, du cœur et de l’âme; elle est l’expression même de la vie — et c’est pourquoi la forme suit toujours la fonction. Telle est la loi.» 

  17. Huyghe, Pierre-Damien, « De la mécanisation au design », dans revue Azimuts, n° 39, « Animal », Esadse - Cité du Design, 2013, pp. 149-176.  

  18. Francé, Raoul Heinrich, Die Pflanze als Erfinder, Stuttgart, Kosmos, Gesellschaft der Naturfreunde, 1920. 

  19. Moholy-Nagy, László, Du matériau à l’architecture [1929], Paris, La Villette, 2016, p. 19. 

  20. Moholy-Nagy, László, « design potentialities », dans Vision in Motion, Chicago, Paul Theobald, 1947, p. 42. « Les possibilité du design », traduction française de Charaire, Véronique, dans Krisztina Passuth, Moholy-Nagy, Paris, Flammarion, 1992, p. 349. 

  21. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », op. cit., p. 296. 

  22. La formule « un déplacement dans l’ordre des choses » traduit l’opération d’un designer qui travaille, en artiste, à une forme de négociation avec les techniques d’un appareil de production industriel, les faisant ainsi adopter une meilleure orientation, pour la vie. L’expression est empruntée à une série de photographies de Claude Courtecuisse, qui décèlent des incidents intéressants dans la répétition du quotidien. Dans Barré, François ; Courtecuisse, Claude, Un léger déplacement dans l’ordre des choses, Bruxelles, Husson, 2004.  

  23. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », op. cit., p. 275. 

  24. Ibid., pp. 295-296. 

  25. Ibid., p. 272. 

  26. Ibid. 

  27. Ibid., p. 276. 

  28. Viollet-le-Duc, Eugène, Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Paris, A. Morel, vol. 4, 1854-1868, p. 1. 

  29. Lalande, André, Le vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, Presses Universitaires de France, 1950. 

  30. Canguilhem, Georges, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, op. cit., pp.76-77.  

  31. Moholy-Nagy, László, Vision in Motion, Chicago, Paul Theobald, 1947. 

  32. Moholy-Nagy, László, « Conference on Industrial Design, a New Profession », New-York, MoMA, 11 nov. 1946, p. 72. Cité dans Findeli, Alain, L’œuvre pédagogique de László Moholy-Nagy, Paris, Klincksieck, coll. Hors collection, 1995, p. 172.  

  33. D’Arcy (sir), Wentworth Thompson, Form in Growth, Cambridge University Press, 1942, p. 16. 

  34. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », op. cit., p. 275.  

  35. Ibid., pp. 295-296.  

  36. Canguilhem, Georges, Essai sur quelques problèmes concernant le normal et le pathologique, op. cit., p. 81. 

  37. On peut citer à titre d’exemple les expériences de Gaetano Pesce autour de ce qu’il désigne par l’expression « série diversifiée ». Cf. Le moule Samson pour Cassina, 1979. 

  38. Moholy-Nagy, László, Du matériau à l’architecture [1929], op. cit.. Citation extraite de Laszlo-Moholy Nagy, Catalogue du Centre de Création Industrielle n°5 - Centre Georges Pompidou, traduction française de Gavet, Michèle ; Gheerbrant, Cyrille, 1976, pp. 120-121. Publication originale : Von Material zur Architektur, Munich, Albert Langen, Bauhausbücher 14, 1929, p. 13 

  39. Ibid., p. 85.  

  40. Ibid., p. 96.  

  41. Moholy-Nagy, László, « Nouvelle méthode d’approche. Le design pour la vie », op. cit., p. 278.  

  42. Ibid., p. 275.  

  43. Ici la méthode de conception s’apparente à une résolution d’une équation intégrant un certain nombre de paramètres à ajuster, de lois et contraintes rationnellement intégrées.  

  44. Ibid., p. 286. 

  45. Ibid., p. 291.  

  46. Branzi, Andrea, « Verso una normalità anormale » (« Vers une normalité anormale »), dans Modo, n°95, décembre 1986.  

  47. Branzi, Andrea, Weak and diffuse modernity, The world of projects at the beginning of the 21th century (Modernité faible et diffuse, Le monde de projets du début du 21e siècle), Milan, Skira, 2006. 

  48. Jacob, François, « Le bricolage de l’évolution », dans Le jeu des possibles, essai sur la diversité du vivant, Paris, Fayard, 1981. 

  49. Moholy-Nagy, László, « Contribution de l’art à la reconstruction sociale » [extrait d’une conférence prononcée en 1943], dans Kostelanetz, Richard, Moholy-Nagy, New-York / Washington, Praeger, 1970 et Londres, Allen Lane, The Penguin Press, 1971, 1974, pp. 19-21. 

  50. Quatrième de couverture , dans Erni, Peter ; Huwiler, Martin ; Marchand, Christophe, Transfer : Erkenne Und Bewirken, Zurich, Lars Müller Publishers, 1999. 

  51. Nancy Jean-Luc, « Le commun le moins commun », dans Actuel Marx, 2010/2 (n° 48), pp. 55-59. [en ligne] https://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2010-2-page-55.htm 

  52. Coccia, Emanuele, « L’écologie est souvent un obstacle », dans L’Echo, 5 mars 2019. 

  53. Moholy-Nagy, László, The New Vision: Fundamentals of Design, Painting, Sculpture, Architecture (1ère édition), New-York, W. W. Norton & Company, 1938. Légende traduite en langue française par Grégory Marion.