Enseignant-Chercheur DR-HDR, département des Arts, université Bordeaux Montaigne, Membre de CLARE-ARTES EA 4593.
christian.malaurie@u-bordeaux-montaigne.fr
Résumé
Le collectif marseillais LPP (Les Pas Perdus) travaille depuis plus de vingt ans avec des « occasionnels de l'art », organisant des ateliers collaboratifs in situ sur les territoires dans lesquels il intervient. À partir de l'analyse du processus de création à l'œuvre dans leurs actions et leurs installations le plus souvent dans l'espace public, il s'agit de comprendre en quoi leur art peut être qualifié d'art du peu. Plus largement, une réflexion esthétique s'impose ici afin d'expliciter la notion « du peu » en art et en design.
Abstract
The Marseille collective LPP (Les Pas Perdus) has been working for more than twenty years with "occasional artists", organizing collaborative workshops in situ in the territories in which it operates. From the analysis of the creative process at work in their actions and installations, most often in public space, it is a question of understanding how their art can be qualified as the art of the little. More broadly, an aesthetic reflection is required here in order to clarify the notion of "the little" in art and design.
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Créé à Marseille en 1994, le collectif LPP a travaillé pendant une vingtaine d'années dans le quartier de la Belle de Mai au Comptoir de la Victorine1. Ce collectif est aujourd'hui membre de la collégiale les Huit Pillards2, installée dans une ancienne usine (L'usine Pillard) située au cœur du quartier populaire du Bon secours dans le quatorzième arrondissement de Marseille. Membre fondateur de l'association Les Huit Pillards, le collectif LPP co-gère et co-anime depuis l'hiver 2019, ce nouveau lieu de création. La démarche artistique du collectif est construite de manière hybride associant les arts plastiques (notamment la sculpture, la photographie, la vidéo, l'installation et la performance) et le design (design d'espace, design d'objet, scénographie, etc.), et dans une moindre mesure le théâtre et la musique. Elle emprunte aussi à la littérature et aux sciences humaines notamment à la philosophie et à l'anthropologie. En inscrivant le territoire et le milieu dans leur processus d'instauration artistique, les membres3 des Pas Perdus explorent dans chacun de leur trajet créatif les dimensions ethnologiques, anthropologiques et philosophiques tout autant qu'esthétiques qui composent leurs actions-installations et les scénographies présentées aux publics4 des territoires sur lesquels ils interviennent, Par ailleurs, ils intègrent occasionnellement dans leur démarche de création des auteurs : citons notamment la longue collaboration avec le philosophe et écrivain Jean-Paul Curnier5 (dont la pensée emprunte à la fois à l'anthropologie, la musique et l'écriture), et l'apport de l'écrivain et critique d'art Fréderic Valabrègues6.
En se basant, sur une exploration de la littérature existante concernant la question du peu ainsi que sur les archives du collectif LPP documentant leurs actions mises en œuvre depuis plus de vingt ans, nous procéderons d'abord à une analyse documentaire, permettant d'articuler notre approche de la notion de « peu » à la fois comme catégorie esthétique et catégorie anthropologique, à partir d'éléments théoriques et pratiques documentés. Nous adjoindrons à celle-ci une enquête de terrain7 réalisée à Marseille et à Béthune (Hauts de France), à la fois sur le territoire de la métropole et sur le lieu de la collégiale des Huit Pillards (siège actuel du collectif où sont basés leurs bureaux ainsi que leurs ateliers), et aussi à Béthune dans les Hauts-de-France, au centre d'art LABANQUE, lieu de la résidence actuelle du collectif LPP. Enfin, en nous servant de cette analyse, nous élargirons notre étude en montrant ce que recouvrent aujourd'hui les enjeux esthétiques, anthropologiques et philosophiques de la notion d'art du peu et de design du peu.
1. L'art et le design du peu, une piste nouvelle pour la recherche en art.
Rappelons la nécessité dans la recherche en art de pratiquer l'enquête : à la fois l'enquête documentaire qui permet de baser son analyse sur des documents attestés, et l'enquête de terrain, qui par les techniques d'enquête de l'observation et de la participation observante, et aussi de l'entretien permettent de mieux appréhender les modalités affectives et cognitives en jeu dans un trajet artistique émergeant et se développant à travers des milieux et des modes d'existence actualisés au quotidien et à travers la production de discours et d'usages de pratiques inscrits dans des lieux spécifiques.
1.1. La notion du « peu » en art et design
Le geste du « peu », conçu comme un acte d'instauration (au sens de Souriau) prend corps en situation, dans un lieu inscrit sur un territoire structurant des espace-temps existentiels, conduits par l'intention d'un trajet signé d'un nom propre et désignant un sujet. Cet acte se traduit de manière effective par la production de discours (au sens foucaldien) et la fabrication d'un faire, relatives à la mise en forme d'un trajet d'art (au sens de Souriau) ou de design. mergeant, dans l'« événementialité » (au sens de Derrida) d'un faire pris dans le mouvement d'un acte instaurateur toujours contraint par le cadre spatio-temporel du contexte où l'œuvre ou l'ouvrage prend forme. Un acte qui peut être aussi contraint par le contrat passé avec un commanditaire. Pour nous, le processus d'instauration se constitue ainsi à partir du choix des matériaux et des savoir-faire qui vont conduire à la conception d'une forme envisagée par l'actant qui signe l'objet produit. Pour le domaine du design, ajoutons que cette conception de forme doit permettre potentiellement à des usages nouveaux d'être mis en pratique par les publics.
1.2. Art du peu et pratiques ordinaires : Les murmures du commun
Du point de vue théorique, nous avançons ici que c'est dans l'à dire, le dire, et le dit pragmatique de la parole qui fait lieu, qu'une série d'événements produisent un discours tissant un chemin de traverse où le « peu », à travers le langage des gestes couplés à l'outil prend forme comme objet (au sens générique du terme) qui fait sens dans l'usage d'une pratique ordinaire artistique ou non. Ce mouvement de vie, que nous désignons ici comme mouvement « du peu » est modeste et frugal, non spectaculaire, mais sa puissance permet à travers la peau sensible des images-objets (Malaurie, 2015) ou des objets-images (Malaurie, 2003), la réalisation d'une œuvre ou d'un ouvrage. Ainsi, la réalisation de dessins, collages, peintures, sculptures, installations, actions, performances, etc., mais aussi l'emploi ou le réemploi d'ustensiles divers, de mobilier, de matériaux de construction, etc., par LPP relève d'abord d'une esthétique de l'ordinaire à partir de laquelle peut s'élaborer la fiction d'une œuvre d'art, ou l'effectivité d'une œuvre de design. En l'occurrence, ici, LPP joue à la fois dans la production de leurs œuvres collaboratives avec des matériaux et des techniques qui relèvent conjointement de l'art et du design. Ainsi, se déploient à travers le scénique du quotidien, dans les espaces pratiqués qui font lieux, des événements ordinaires qui prennent corps à travers la production de signifiance pour reprendre une expression connue en psychanalyse mais aussi théorisée par l'anthropologie du langage relevant notamment de la praxématique8. Cette production de signifiance touche à la fois, l'imaginaire, le symbolique et le réel (au sens de Lacan). Ces divers registres relèvent ici à la fois de la discursivité mais aussi de la fabrique du faire. Dans le cas des Pas perdus, nous dirons d'un faire « bricolé » à l'occasion, mais remarquablement cohérent. Nous y reviendrons plus bas. Avançons alors que pour nous, le peu constitue la trace d'une présence au monde en suscitant dans l'ordinaire des jours une transfiguration heureuse du banal en métamorphoses infinies. Ainsi, le peu, nous maintient vivant au monde comme être parlant et agissant car il est vitalement le lieu de la signifiance. Comme Lacan l'a montré, et Peirce avant lui dans une autre perspective, c'est par le jeu de la signifiance que nous pouvons faire avec, faire avec les registres essentiels de la réalité humaine que sont l'imaginaire, le symbolique et le réel, constitutifs du processus de subjectivation qui traverse chacune et chacun d'entre nous.
2. La démarche du collectif LPP
La pratique artistique du collectif LPP est basée depuis vingt-cinq ans sur la mise en place en France (Marseille, Paris, Béthune, etc.) et à travers le monde (Afrique du Sud, Mélanésie, Ile Maurice, Inde, etc.) d'ateliers participatifs. Le collectif produit des actions et des installations réalisées le plus souvent dans l'espace public et inscrites sur un territoire, LPP invite des « occasionnels de l'art » à participer à la production d'objets de fantaisie exposés au regard des publics (au sens de Dewey). À partir d'objets ordinaires de rebus (ustensiles de cuisine, assiettes, couverts, verres, pichets, etc., mais aussi mobilier divers, matériaux de construction) récupérés ou achetés, travaillés in situ et aussi en atelier par les artistes du collectif accompagnés par les publics participants qu'ils nomment occasionnels de l'art, des formes curieuses et inattendues surgissent à travers la métamorphose de l'obsolète, du délaissé, de l'usuel, en œuvre d'art. L'atelier du peu en tant qu'espace pratiqué se présente pour le collectif LPP comme un lieu qui instaure à travers une « fantaisie » créatrice, un art que nous qualifierons d'art du peu.
2.1. L'art participatif des Pas Perdus, une fantaisie créatrice à l'oeuvre ?
Pour le participant que je suis devenu à l'occasion, essayant ici de retracer une expérience d'atelier avec le collectif, j'avancerai que c'est la synchronicité des corps en action et le jeu des gestes échangés entre les artistes et les participants occasionnels, impliqués dans le contrat tacite de faire « quelque chose » avec les objets et matériaux (apportés par l'actant ou mis à disposition par les artistes des Pas Perdus), qui permet l'instauration d'une bizarre et curieuse association d'images et de formes, aboutissant à la production d'un objet qui, de fait, entre dans le monde artistique, devient objet d'art lorsqu'il est exposé en public. Ainsi, à travers l'hybridation d'objets ordinaires « bricolés » par les « occasionnels de l'art » guidés par les artistes des Pas Perdus, une production artistique est réalisée, qui relève autant du design d'objet que de la sculpture ou de l'installation, mais aussi du design d'espace ou de la scénographie, l'utilité de l'espace ou de l'objet étant systématiquement perturbée ou annihilée par les artistes des Pas Perdus.
Les « occasionnels de l'art » dénommés ainsi par les Pas Perdus désignent ici les habitants participants aux ateliers ouverts par LPP, à l'occasion d'une action artistique inscrite sur un territoire donné. Convié, ni comme spectateur-regardeur complice ni comme consommateur mais comme habitant du territoire et surtout sujet à part entière, chaque occasionnel de l'art est sollicité par les artistes dans sa « capacité créative » de manière bienveillante, tout en étant conduit dans l'insu9 de leur pratique par la force créatrice des trois artistes du collectif. Guy André Lagesse (fondateur du collectif) dit à propos de la pratique d'atelier :
« Ce qui nous intéresse, nous, le trio du groupuscule artistique LPP, c'est de travailler avec des gens. [...]. Ces gens ne sont pas des artistes mais, pour l'occasion, deviennent des artistes. Ils plongent alors dans une espèce de bouillonnement comme dans la vie, mais là, autour de l'idée de la forme, de l'esthétique, du rapport à la vie ». (Barthélémy, Gazeau, Lagesse, Rigaut, 2020 : Texte 1).
Ce processus de production affecte et renouvelle en effet les façons de faire de la production artistique. Le collectif, en portant une attention particulière aux usages de pratiques qualifiées d'ordinaires, renouvelle la question de la valeur qui est généralement associée aux objets d'art et de design par rapport aux objets de consommation courante. Même s'il détourne largement l'emploi de ceux-ci en les rendant inutiles, il révèle la poétique qui leur est attachée, bousculant ainsi l'ordre de ceux-ci dans la hiérarchie des valeurs. Du plus banal non considéré advient ici l'objet d'art à travers l'agencement nouveau d'objets quelconques métamorphosés devenus extraordinaires.
2.2. Débat sur la notion de peu au sein du collectif LPP
Dans une monographie10 publiée tout récemment, intitulée : LPP « une œuvre sous champignons de Paris » (2021), les membres du collectif : Nicolas Barthélémy, Guy-André Lagesse et Jérôme Rigaut s'entretiennent longuement avec Sébastien Gazeau11.Ce document est une bonne source d'informations pour comprendre les « mots » de leur propre pensée, ce que le collectif formule au sujet de leur art. Nous nous focaliserons plus particulièrement sur les propos tenus par le collectif à partir des questions stimulantes de Sébastien Gazeau autour du thème des objets et du thème du peu. Écoutons alors par l'intermédiaire de la vocalité de la langue la parole des artistes.
2.2.1. Sur la question des objets :
Sébastien Gazeau : Je vous propose d'aborder un sujet plus précis formulé ainsi : « Les objets sont des êtres vivants comme les autres (C'est nous qui soulignons) ».
[...].
Nicolas Barthélémy : Les objets sont porteurs de nos histoires.
Guy-André Lagesse : Comme les rêves, ils parlent de toi, des gens, de la vie.
N : Mais en soi, ils ne sont rien, en tout cas pas des êtres vivants. C'est nous seuls qui nouons une relation entre eux.
GA : Ça me fait penser aux gens qui dansent avec un balai. (Enthousiaste). On a besoin de ce genre d'illusions pour essayer de comprendre ce qu'on fait de nos vies. Nous, on pourrait dire qu'on fabrique des objets animés, au sens où on anime des objets comme d'autres animent des dessins en les mettant bout à bout pour en faire des dessins animés. Peut-être que les objets s'animent parce qu'on les met en cascade. Et tout ça fabrique un cheminement, une randonnée poétique.
Les propos tenus ici par les artistes nous éclairent sur le rapport aux objets que le collectif entretient. Pour LPP, les objets témoignent de nos vies et les artistes sont là pour les « animer ». En révélant la poétique des usages qui donnent vie aux objets, l'artiste trace un « cheminement », conduit une « randonnée » qui fait écho et révèle le bel ordinaire de nos existences.
2.2.2. Sur la question du peu :
S : Il y a quelque temps, j'ai assisté à une longue conversation entre vous trois au sujet des « objets de peu » [...]. [À ce sujet] : vous préférez le sable ou le marbre ? »
Jérôme Rigaut : Il faut être sûr de soi pour travailler le marbre...
N : Il y a quelque chose de définitif dans le marbre qui exclut la possibilité de l'erreur. Or, l'erreur est un levier qu'on utilise en permanence.
GA : [...] Peut-être que des gens ont le désir de rester par-delà la vie et la mort. Ce n'est pas notre préoccupation.
S : « Vous préférez le sable au marbre » et j'ajoute : « Les matériaux bon marché aux matériaux nobles et durables ».
GA : Notre cheminement a fait qu'on utilise des choses et des matériaux qui sont plus ou moins communs à tout le monde.
J : Nous n'utilisons pas des objets de peu mais [...] des objets usuels très ordinaires sans jugement de valeur. [...]
GA : (interrogatif), [...] On ne travaille pas avec des objets en plastique par principe. On n'exige rien des objets, si ce n'est qu'ils existent dans notre monde [...].
S : Pour certaines personnes les objets de peu, c'est déjà beaucoup.
J : C'est pour ça que ça ne veut rien dire « objets de peu »
GA : Derrière cette expression, on parle de choses qui sont partageables facilement par beaucoup de gens.
J : (emporté) [...]. Quand des gens nous disent que c'est un scandale d'abîmer un meuble, on se sent un peu bête. Comment dire à quelqu'un qui a besoin d'une armoire, que c'est un objet de peu ? On ne joue pas avec des objets de peu, on joue avec nos objets à nous. Cette expression contient un jugement qui laisse imaginer une posture d'humilité qui n'est pas la nôtre*.
GA : Ça peut en effet nous mettre dans des obligations d'ordre éthique. Et c'est vrai qu'on n'y est pas.
[...]
J : On ne se pose pas la question éthique des objets : ils sont.
N : Et les objets de beaucoup sont les bienvenus
J : Les objets de beaucoup de gens. On n'utilise pas les objets de peu de gens. Les diamants sont les objets de peu de gens ».
Dans cette discussion, plusieurs arguments s'affrontent ici où le « peu », en tant que qualificatif d'objets existants dans le monde social, s'oppose au « beaucoup » donnant alors une valeur éthique aux objets, alors que le collectif revendique d'abord un travail sur la poétique des objets ! La conversation entre les membres du collectif, guidée par un souci d'accord entre les membres, en vient en fin de compte à opposer les objets possédés par « peu » de gens, aux objets possédés par « beaucoup ». Renversant ici les catégories socioculturelles du populaire démuni, opposé à la bourgeoisie prospère, la conversation en vient à associer au « peu » une valeur de luxe et au « beaucoup » une valeur commune. Ici, s'opère alors un renversement rhétorique concernant le « peu » de « valeur du luxe » par rapport au « beaucoup » de « valeur du commun ». Le « peu » est donc devenu dans le jeu des tropes conversationnelles une quantité (un quantum), permettant de mesurer le nombre de gens possédant tel ou tel objet usuel. La quantité du « beaucoup » est alors transfigurée comme grande qualité du « commun » et le « peu » comme petite qualité. Si l'on veut ici apporter quelque clarté d'analyse, peut-être convient-il d'abord de parler non d'« objets de peu » mais « objet du peu », comme il est souhaitable aussi de parler de « l'ordinaire des images » et non des « images ordinaires » ! Rappelons alors brièvement que dans la démarche de pensée que nous défendons, le « peu » ne se définit pas à partir de la notion de « trop peu » ou de « pas assez ». S'il convient d'opposer la notion de « beaucoup », en tant que pauvreté qualitative d'objet, à la notion du peu en tant que richesse qualitative d'objet, il ne peut s'agir ici de confronter le peu et le beaucoup en tant que catégorie sociale servant à différencier quantitativement les objets produits par une société. En se déplaçant du domaine esthétique et anthropologique au domaine socio-politique on prend le risque de s'éloigner de la question fondamentale posée par la notion de « peu ». En connotant les catégories du « peu » opposé au « beaucoup » du point de vue de classe, le « peu » évoquant alors la catégorie de l'objet de luxe produit par la haute culture, et le « beaucoup », l'objet de masse produit par la culture populaire, on aboutit à une confusion qui brouille toute possibilité de penser la question. Si l'on pousse aussi ce raisonnement jusqu'au bout, nous pourrions ajouter aussi que la catégorie sociale du « peu » permettrait aussi de différencier les objets relevant d'une culture de la rareté dans les pays peu développés économiquement où les objets qu'ils soient de « luxe » ou de « masse » sont peu abondants, par rapport à une culture d'abondance comme la société occidentale où les objets sont produits en grand nombre, qu'ils soient de « luxe » ou de « masse », car le « progrès » a permis de réaliser cela ! On le voit clairement ici, le raisonnement produit n'est pas clair ni pertinent si nous considérons le « peu » en opposition « à la question du beaucoup » en tant que catégorie sociopolitique. À ce mode de pensée, nous proposons ici une conception du « peu » relevant plutôt d'une catégorie esthétique qui invite tout un chacun, le premier venu, à une démarche de création émergeant dans le « pas du possible ». Le processus instaurateur artistique du « faire avec » soutient ici avec la catégorie du « peu » (en tant qu'il y a ici « du peu ») une intention de création élaborée à partir de l'expérience de la vie ordinaire avec les « moyens du bord ». Le « peu » est alors ce qui se présente pour beaucoup, pour le plus grand nombre, comme le « possible » d'un processus instaurateur de création, quel que soit sa position de dominant ou de dominé. On voit ici combien la démarche participative des Pas Perdus recouvre une grande complexité, qu'il est assez difficile de cerner d'entrée de jeu.
2.3. La parenté chuchotée des Pas Perdus
Au-delà de l'aspect purement formel de leur production résolument contemporaine, c'est la « rencontre » avec l'autre (ce que Robert Filliou nomme l'Autrisme) qui est au cœur du processus de création de LPP. Peu importe alors, la définition des catégories qui pourraient qualifier les objets qu'ils mettent en forme, il s'agit pour nous ici de « penser avec eux » moins la question de la valeur d'exposition que ce que je nommerai la valeur de relation, qui s'instaure entre leurs productions et leurs publics.
Du point de vue de l'histoire de l'art, leur démarche s'inscrit clairement dans la filiation du mouvement dadaïste qui a surgit dans les toutes premières années du XXe siècle, et qui a trouvé dans les années 1960 et 70 avec le mouvement Fluxus un écho retentissant, poursuivit aujourd'hui sous d'autres formes. Nous avancerons alors, en nous méfiant de toute assimilation à un mouvement désigné et identifié par le discours de l'histoire de l'art, qu'une filiation directe peut être établie avec l'œuvre de deux artistes majeurs de la seconde moitié du XXe siècle : Robert Filliou et Joseph Beuys. Cependant, on pourrait être tenté d'avancer une parenté avec Bertrand Lavier et ses « greffes d'objets », mais nous allons voir que cette hypothèse ne peut être validée.
2.3.1 Une apparente filiation formelle avec les installations de Bertrand Lavier**
Au premier abord, du point de vue de la ressemblance formelle, on pourrait donc évoquer le nom de Bertrand Lavier pour aborder le travail du collectif LPP. En effet, le collectif parle de « boutures d'objets » là où Lavier parle de « greffes d'objets ». LPP pratique « l'assemblage » d'objets12 comme Bertrand Lavier avec ses « superpositions » (un réfrigérateur posé sur un coffre-fort, une enclume posée sur un meuble à tiroirs, etc.). Comme lui, LPP, dans leur pratique artistique, déplace des objets issus de la culture populaire ou industrielle dans le champ artistique, interrogeant la nature de l'œuvre d'art, les rapports de l'art et du quotidien et la place des objets empruntés à la vie courante, modifiés et hybridés par le geste artistique. En proposant, des actions et des installations et non des pièces relevant de catégories établies par le monde de l'art comme celle de la peinture ou de la sculpture, il semble accorder, comme Bertrand Lavier, au ready-made, une importance considérable. Comme lui, il revendique aussi une filiation contemporaine en travaillant délibérément avec des « objets du quotidien » dans le but de déplacer le regard traditionnel de l'art sur le monde. Guy André Lagesse fondateur de LPP dit à ce propos :
« L'objet du quotidien fait partie de la scène artistique ; il a été utilisé par le mouvement Dada, par les surréalistes, dans le pop art, le nouveau réalisme, Fluxus, l'art conceptuel... entre autres pour déplacer le regard du sensible hors des lieux consacrés à l'art. »
Guy André Lagesse.
Des différences importantes opèrent pourtant entre la démarche du collectif LPP et celle de Bertrand Lavier. En premier lieu, si effectivement les artistes du collectif utilisent les objets du quotidien dans leurs productions, ils ne parlent pas d'objet de la culture populaire ou d'objets de production de masse mais d'objets usuels domestiques concernant tout un chacun. Pour eux, ce ne sont pas l'(A)rtiste qui possède seul la clé artistique d'un assemblage possible d'objets, d'une combinaison poétique destinés à être présenté comme objets d'art une fois assemblés et combinés, mais l'artiste en « relation avec » l'autre, « l'occasionnel de l'art », celle ou celui qui a l'expérience vécue du quotidien des « usages » lié à ces objets. Plus encore, celle ou celui qui par l'intermédiaire des objets peut constituer des « collections intimes d'images » (Malaurie, 2015) qui fabriquent une mémoire existentielle. Si l'art est ici étroitement lié à la vie, comme le revendique le mouvement FLUXUS et en particulier Filliou, c'est parce que ces objets ordinaires prennent dans le jeu de la rencontre occasionnelle ce que je nommerai ici une valeur de relation. Une puissance inattendue surgit dans l'atelier in situ mis en place et organisé par les artistes du collectif ; c'est là, toute leur singularité. Revendiquant ici l'œuvre collective à la fois comme œuvre produite par une collaboration entre trois artistes : Guy-André Lagesse, Nicolas Barthélémy, Jérôme Rigaut, mais aussi produite par la rencontre avec les « occasionnels de l'art », ils se placent ici très loin de la démarche de Bertrand Lavier. De plus, en se présentant en tant que « collectif », LPP refuse le statut traditionnel de l'artiste : individu, solitaire assumant seul sa création comme le fait Bertrand Lavier. Privilégiant « l'hypothèse collaborative »13, ils défendent l'œuvre collective en revendiquant une conception active du public à la production des oeuvres. Ainsi, pour chaque œuvre produite, ils associent à leur nom de collectif, l'inscription du nom propre et pas seulement le prénom des personnes impliquées dans la création collective de chaque œuvre ! Autre différence, si le collectif LPP ne refuse pas d'être présent dans les lieux officiels de l'art clairement identifiés comme le musée ou le centre d'art, ils interviennent souvent directement dans l'espace public produisant des actions artistiques et des installations dans des lieux qui ne sont pas spécifiquement dédiés à l'art. Citons, par exemple, parmi leurs dernières productions en novembre 2018 et mars 2019, les deux installations réalisées en Inde dans le Bengal occidental avec des habitants devenus « occasionnels de l'art » : The Mighty Giant and The Flip Flop avenue14 du projet The Mighty Giant, A slight appearance présentées, non dans un espace dédié à l'art, mais sur un lieu d'usage qui facilite la migration des éléphants : le corridor. Ces installations, selon les mots du collectif, se voulaient des hommages totémiques à des pratiques comme la marche et à des objets de peu15, en l'occurrence ici : les nu-pieds, tongs abandonnées dans le village et sur les sentiers alentours avec d'autres objets ordinaires de la vie des paysans, objets qui paradent devant chaque maison. On voit bien ici tout l'emprunt à l'ethnographie et à l'anthropologie, opéré par les artistes qui font surgir une scénographie de leurs installations, soucieuse à la fois de l'usage de l'espace public par les habitants du village et de l'usage des objets quasiment ici ritualisé.
Fig. 1 : Installation LPP, Inde, 2018. Crédit Photo : copyright LPP.
2.3.2 L'influence de l'œuvre de mouvement Fluxus et plus précisément de Joseph Beuys et de Robert Filliou sur la démarche des Pas Perdus.
Guy-André Lagesse l'écrit clairement : « La sculpture sociale de Beuys n'est pas loin de nos pensées ». Si le collectif se méfie des références culturelles relatives à l'histoire de l'art, trouvant les débats d'appartenance identitaire un peu trop verbeux, il ne refuse pas de temps à autre d'évoquer comme l'écrit ici Guy-André Lagesse, quelques filiations. En établissant un lien avec la notion de « sculpture sociale »16 de Joseph Beuys, le collectif ici revendique surtout l'idée célèbre empruntée à Novalis par Beuys que « Chaque personne [est] un artiste ». Le collectif reformulerait sûrement cette expression en ajoutant « Chaque personne [est] un artiste potentiel ». Beuys forgea le concept de "sculpture sociale" selon lequel la société dans son ensemble doit être considérée comme une « œuvre d'art » en s'inspirant du concept Wagnérien d'« Art total » (Gesamtkunstwerk) où tous peuvent contribuer à leur manière à mettre en œuvre une création. Dans les années 1950, les artistes du Black Mountain College ont remis en actualité l'idée d'œuvre d'art totale avec la performance et les happenings où danse, théâtre, musique et arts plastiques se déclinent simultanément dans un temps unique. Effectivement, LPP associe dans leur pratique artistique plusieurs techniques (menuiserie – bois, métal et plexi –), architecture, design, sculpture, photographie, vidéo, musique, performance, etc.) traversant les disciplines traditionnelles et utilisant divers médias afin d'englober toute la sensibilité du spectateur actif. Cependant, et je vois là une différence avec le projet de Beuys très Richnérien, le désir de bâtir une société utopique communautaire (donc inspirés par Charles Fourier) pour non pas « fusionner » la vie et l'art comme le voulait Wagner mais pour rendre la vie meilleure par la pratique artistique. C'est donc plutôt du côté de Robert Filliou que nous établirons une filiation artistique pour LPP. En effet, dans toute l'œuvre de Filliou, l'action et la poésie sont intimement liées. De plus, en s'efforçant de théoriser et de pratiquer durant tout son parcours artistique une esthétique participative ouverte à la rencontre de l'autre, nulle doute que le concept d'« occasionnels de l'art » consciemment ou inconsciemment est en parfait écho avec cette sensibilité. Filliou se définissait comme on le sait, en tant que « génie de bistrot » et aussi comme « un génie sans talent » voulant par cela même, comme LPP, rester proche, dans leur démarche, des plus humbles et des plus démunis, pratiquant aussi, comme eux, la « plaisanterie ». Loin de transformer l'objet en « fétiche », Filliou s'intéressait surtout au processus de création. Si, par cette démarche, l'art et la vie deviennent des philosophies confondues comme le croyait Filliou, le travail artistique peut donc être pensé comme un « jeu » soutenu par la « création permanente », le « réseau éternel » instaurant alors la « fête permanente » selon les mots mêmes de Robert Filliou, que le collectif peut reprendre aisément à son compte. Certes, le collectif des Pas Perdus n'a pas encore formulé une notion aussi puissante que le génial « principe d'équivalence » de Filliou (entre le « bien fait », le « mal fait » et le « pas fait »), qui expulse pour l'art, la possibilité d'une quelconque critique du jugement. Parions cependant, que LPP, en avançant la « valeur de relation » comme valeur suprême de l'art, supérieure à la « valeur d'échange » (des œuvres cotées sur le marché) mais aussi supérieure à la « valeur d'exposition » pensée si brillamment par Benjamin comme propre à la société capitaliste envahie par le spectacle de la marchandise, bouscule de manière puissante la création contemporaine. Retrouvant autrement, la « valeur cultuelle » propre au monde traditionnel non moderne qui contribuait à l'aura de l'œuvre d'art, le Groupuscule des Pas Perdus (comme ils aiment à s'appeler par provocation) instruit presque à leur insu une critique vigoureuse du monde actuel.
2.4. Le peu des Pas perdus du possible à l'œuvre dans les Hauts-de-France
2.4.1 Le projet : La cité des électriciens, ville de Bruay-la-Buissière (2008-2010).
Le Centre d'art Labanque de Béthune dirigé par Philippe Massardier permet aux Pas Perdus, en 2008, de « créer le peu » d'un pas du possible en réalisant trois actions artistiques qui se sont succédées entre 2008 et 2010 :
- Zone d'Anniversaire Concertée (ZAC), en 2008,
- La Maison du courant, en 2009,
- La Promenade du jardin des souhaits bricolés, en 2010,
Cette « Promenade » est construite avec des palettes de bois qui traversent la cité minière dite « Cité des électriciens » à Bruay-La-Buissière. Plusieurs espaces sont aménagés par le collectif dans l'enceinte de celle-ci, tous dénommés de manière poétique : Le joyeux boyau de bienvenue, La promenade des palettes, Les fouilles d'archéologie ordinaire, Le palais des cheminées idéales, Les feux de l'igloo, La salle des tuyaux, Le cinéma des passages, La piste de danse pour martiens, etc. Un même lieu patrimonial, appelé La cité des électriciens a donc été investi par le collectif, durant deux ans. Ces corons, caractéristiques de la culture ouvrière minière du XIXesiècle, furent habités jusqu'à la fin des années 2000. Le regard contemporain porté sur cette cité menacée de démolition peut se poser d'abord comme un regard patrimonial. Une association locale a constitué un document sous la forme d'un abécédaire explicitant les caractéristiques matérielles de ce lieu, qui pose de manière explicite les enjeux mémoriels de cet habitat témoignant de la culture ouvrière du bassin minier :
« BRIQUE : matériau de construction à base d'argile, en forme de parallélépipède rectangle, moulé et cuit au four.
CHAÎNAGE HARPE : alternance de pierre et de brique souvent aux angles des murs et autour des baies. Il sert à renforcer la structure, avec alternance de l'assise longue et courte du matériau. Ici, il sert surtout de décor car il n'y a que de la brique.
CHAUX : oxyde de calcium formant la base de nombreuses pierres. Elle peut être délayée dans l'eau et utilisée comme enduit. On parle alors de lait de chaux.
CORON : maison d'habitation des mineurs. Ces maisons forment un quartier caractéristique du paysage minier.
FER D'ANCRAGE : grosse cheville de fer qui renforce le mur en le solidarisant à la poutre ou entre des étages. Elle peut être horizontale ou verticale.
FONÇAGE : action de foncer, de munir d'un fond. Synonyme de forage.
HYGIENISTE : spécialiste de l'hygiène. Le courant Hygiéniste est très présent à la fin du XIXe siècle.
PIGNON : partie supérieure triangulaire d'un mur supportant les pentes du toit (pignon aveugle : sans fenêtre).
VEINE : couche du sol en profondeur riche en minerai.
VOYETTE : nom régional, petit chemin ».
Ce paysage de corons caractéristique de la région des Hauts de France, marquée par l'industrie minière, est bien un élément identitaire fort (d'ailleurs maintenant inscrit au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO) du territoire du bassin minier, qui a constitué, avec le temps, une véritable culture d'un habiter spécifique.
Fig. 2 : La Promenade du jardin des souhaits bricolés, 2010. Crédit Photo : copyright LPP.
2.4.2 L'exposition Le Directeur est fou, ville de Bruay-la-Buissière (2020)
Plus de dix ans après leur première intervention sur la communauté de communes de Béthune-Bruay-la-Buissière, le Groupe des Pas Perdus investit ce territoire toujours à l'invitation de Philippe Massardier, directeur artistique du Centre d'Art LABANQUE à Béthune dans les Hauts de France. Une première action a consisté, durant un temps long de résidence, à la mise en place de l'exposition « Le directeur est fou » au sein même des espaces d'exposition du centre d'art. Entreprise depuis janvier 2020 (et décalée en raison des mesures sanitaires), l'ouverture publique de l'exposition n'a pu avoir lieu qu'en juin 2021, alors qu'elle était prévue en février. Écoutons alors ici les propos retranscrits de Philippe Massardier :
« C'est un long cheminement qui constitue notre rencontre avec LPP, puisque ça fait plus de dix ans que nous nous connaissons. Ce que j'appellerais la « méthode » des Pas Perdus est très intéressante. Il pratique d'abord une approche fine du terrain où ils doivent intervenir, puis ils mettent en place des actions en relation avec ceux qu'ils nomment des « occasionnels de l'art », pour attirer l'œil des habitants du territoire. À l'époque, la Cité des électriciens était un lieu en déshérence et maintenant il a été entièrement rénové. Quand les artistes des Pas Perdus sont intervenus, il ne restait presque plus aucun habitant. Ils ont alors côtoyé un couple un peu à l'écart considéré comme les historiques du lieu, qui leur a donné des informations intéressantes. Les événements propices ont fini par attirer du monde. En 2009, la Cité des électriciens a été classée monument historique, donc sauvegardée, puis a été créé un site d'interprétation suite à une étude de programmation. Il y a aussi des logements sociaux qui ont été conservés et rénovés par Maisons et Cité. Il y a aussi des logements qui accueillent des artistes en résidence et des gîtes à louer pour une durée limitée. Nous avons aussi fait venir des designers comme le collectif La Montagne noire dans le cadre de Lille Capitale mondiale du design, pour travailler sur les plantes et faire un inventaire approfondi du lieu. Le jardin de la Cité alimente ainsi un circuit court et un restaurant. Au fond, la méthode des Pas Perdus, c'est de pouvoir produire des œuvres qui dépassent le monde de l'art, le monde des expositions avec tout un appareillage de communication qui attire toujours les mêmes publics. En fait, pour moi, l'exposition pure et dure ça commence à être ringard. Il va y avoir encore une suite à l'intervention des Pas Perdus, qui vont être hors les murs, dans l'espace public. Actuellement, et maintenant que l'exposition est visible pour le public, ils vont travailler en septembre prochain dans un autre lieu initialement prévu mais inaccessible pendant des mois en raison des mesures sanitaires, à la Chartreuse des Dames, à Gonay17. »
Outre le directeur artistique, nous avons interrogé aussi la directrice Lara Crouigneau ainsi que deux membres de l'équipe du centre d'art qui ont aussi participé en tant qu'occasionnels de l'art à la conception de pièces présentées dans l'exposition « Le directeur est fou », Marie Rolland (responsable du pôle médiation et médiatrice culturelle) et Gladys Ledoux, (médiatrice culturelle). Ces personnes ont répondu à nos questions, en étant collectivement présentes autour de la table de réunion.
Lara Crouigneau : La consigne était de former un binôme et j'aurais souhaité plutôt être seule. Le pitch c'était : « Avoir une idée d'objet et trouver un lieu pour l'installer ». Donc il m'a fallu trouver un espace où j'ai pu construire mon objet. Mon univers personnel n'est pas celui des Pas Perdus et mon duo avec Guy-André Lagesse était la recherche d'un équilibre dans un déséquilibre au sein même du projet des Pas Perdus. Il fallait ramener des objets de « chez soi » pour ramener du vivant dans l'exposition. Le végétal m'a semblé approprié, car le végétal a une histoire. Et puis, il a donc fallu installer la branche choisie dans l'œuvre. C'est devenu un objet petit et très brillant, un objet pas très grand conçu comme le « portrait d'une relation », un objet de délicatesse... Là il fallait être dans le faire pour concevoir un objet non inutile mais très symbolique. En fait, comme quand on jardine on transforme la matière. J'ai donc essayé de sublimer en apportant quelque chose de soi dans cet objet.
Marie Rolland : Ici, j'ai surtout un investissement pédagogique vis à vis des publics. Je conçois des actions de collaboration avec les visiteurs de nos expositions. Moi, je pensais qu'on allait faire ensemble, que ça allait être plus collaboratif que ça ! En fait, je pense que dans la production de l'objet il y a au moins 60% des Pas Perdus et 40% de la personne qui collabore avec eux. Il y a une idée de départ, par exemple un cendrier, une louche comme éléments d'assemblage, et LPP ont une idée précise de la manière d'agencer les objets pour ne pas tomber dans le décoratif, rajouter, par exemple ici, un élément naturel à l'objet initial. On est limité techniquement pour élaborer l'objet donc ce n'est pas évident de concevoir un objet en collaboration avec un artiste.
Gladys Ledoux : J'ai fait l'expérience d'une création d'un bibelot mais je n'ai pas vraiment suivi la consigne des Pas Perdus. Il a fallu faire des compromis pour trouver une forme qui me convienne et qui soit acceptée par LPP. Cette expérience a été pour moi assez difficile car je trouve que dans mon binôme l'artiste des Pas Perdus est beaucoup trop intervenu pour que je finisse par me plier à une forme qui, au final, ne me convenait pas tout à fait. J'ai une formation en arts plastiques et en art, mais aussi en lettres et j'ai aussi une pratique de la conception de marionnettes. J'ai trouvé donc que la relation dans le binôme était disproportionnée et je n'ai pas vraiment pu m'exprimer totalement.
Outre, des membres de l'équipe de LABANQUE, nous avons pu rencontrer aussi des « occasionnels de l'art » qui étaient déjà intervenus lors de la Cité des électriciens et qui ont de nouveau acceptés de jouer le jeu pour l'exposition « Le directeur est fou ». C''est ici que se précise alors un peu plus la question de la singularité de la « valeur de relation » que le collectif a conçu dans son travail collaboratif. En effet, une fois qu'un occasionnel a participé à une action du collectif, outre le fait que son nom et prénom soient mentionnés dans le catalogue produit, le collectif reste en contact avec chaque personne, la tient au courant de leurs actions en cours, et leur envoie régulièrement leurs vœux pour chaque nouvelle année. Ainsi, près de dix ans après les actions conçues et réalisées par le collectif à la cité des électriciens, Joceline Perry et Léocadie que nous avons interviewées séparément, ont participé aux ateliers de conceptions de petits objets exposés à LABANQUE et prennent la parole :
Jocelyne Perry : Les occasionnels sont fidèles aux Pas Perdus parce qu'ils ont vécu de belles choses avec la Cité des électriciens. Moi, je connaissais bien les lieux car la maison de maman était dos à dos avec celle de Mireille, notre voisine. La Cité, c'est chargé de mémoire ouvrière. Dans l'expo des Pas Perdus à la Cité, c'était complètement barjo. Ils avaient fait des trouées entre deux murs, il y avait des objets bizarres comme des « baignoires-salons ». Ils avaient tapissé les murs, il y avait des photos de personnes qu'on reconnaissait sous la forme de bougies de gâteau d'anniversaire. C'était marrant. Il y avait un grand escalier fait avec des palettes qui traversait toute la cité. C'était des moments de partage et maintenant ce sont des souvenirs ineffaçables. Vraiment des délires incroyables. Ils avaient fait des cheminées-vélos qui sortaient des conduits de cheminée ! Ça pose question, c'est intéressant ! Moi, je suis familière des projets alternatifs. Je me suis occupée d'un centre culturel géré par une association dans un quartier de Lille. J'ai géré une bibliothèque pour tous et une salle d'activités. Je suis plutôt libertaire et c'est le côté humain des choses que j'aime bien. Vous savez, c'est à La Cité des Electriciens qu'ils ont tourné « Bienvenue chez les chtis » en 2008, je crois. La maison au courant, elle date de 2009 et La promenade des souhaits bricolée, elle date de 2010, 2011. Avec LPP, on ne se sent pas jugé, on est content d'être là et fier d'avoir fait ça. Je pense que les gens qui participent ont l'estime d'eux-mêmes et heureux d'être allé jusqu'au bout des choses.
Dans l'atelier pour préparer l'exposition le Directeur est fou, comme pour tous leurs projets, on vient et on est content mais on ne sait jamais où on va avec eux ! L'idée d'exposer des meubles et de beaux meubles, on l'a découvre au fur et à mesure. La trame principale, elle est déjà faite par eux. Artistiquement parlant, je suis dans le bain mais c'est pas mon truc ! Oui, je suis contente de revoir des personnes qui ont été dans le projet de La Cité, et puis il y a aussi un vrai plaisir de la rencontre avec les artistes. Le principe c'était : rendez-vous au troisième étage de LABANQUE. On va récupérer des choses dans la nature et aussi à l'extérieur comme des morceaux de brique de chantier, des morceaux de verre, aller dans une ressourcerie pour récupérer des bouchons, mais aussi on va aller à Emmaüs pour acheter des assiettes et des couverts, des meubles et des belles choses. Et puis on va ramasser des branches de toute sorte, des grandes herbes, du charbon, etc. Y avait le couvre-feu à 18h donc c'était pas facile. Pour créer des objets en binôme, il fallait pas avoir d'idées préconçues qui n'entrent pas au départ dans le projet. Ce sont les artistes qui nous amènent à avoir un autre regard sur l'expo. Les œuvres sont vues depuis un autre angle. Ils expliquent le pourquoi du comment des choses, car ils dérogent aux codes établis et pourtant au bout du compte ça marche et ce n'est pas choquant ! »Léocadie Nawrott : À la Cité des Électriciens il y avait une maison-témoin à rénover et c'est là où je les ai rencontrés pour la première fois. C'était marrant, il y avait des photos de personnes transformées en bougie et aussi une phrase qui disait le credo des personnes. Ils ont diffusé aussi des enregistrements sonores dans toute la cité. Le projet a commencé je pense en 2010, il fallait trouver des idées pour le projet. Il y avait l'immense promenade faite en palettes et aussi des cheminées particulièrement intéressantes. J'habitais juste à côté. J'ai participé à l'époque à un reportage de France 3 et j'étais stressée. J'ai eu à faire toute une maison entière, je donnais les idées et eux ils m'aidaient à faire. On a aménagé un coin salon, un meuble-cheminée, un fauteuil-cheminée, on a fait un coin fumeur, avec aussi un gros sèche-cheveux complètement disproportionné. C'était des idées loufoques et ça a rendu super. On a fait un fumoir suédois pour saumon. On a conçu une chambre avec un lit superposé de brique de chauffage, une salle de bain, un coin cuisine barbecue avec une table en pointe à chaque coin, il y avait une bouteille de gaz vide, des sièges et une cheminée qui sortait au milieu de la table ! Depuis l'époque de La Cité des électriciens, chaque année on est resté en contact. Eux, ils sont dingues, ils ont plein d'idées, ils sont rayonnants, ils apportent le soleil.
Dans l'exposition « le directeur est fou » on a fait l'atelier au deuxième étage, il y avait plein d'objets qui étaient déjà là. Des meubles mais aussi de la vaisselle bourgeoise, et des éléments de la nature : des branches, des cailloux. Il fallait créer des objets, des petits objets et associer un objet avec un élément de la nature. Le plus dur, c'était de poser la silicone transparente sans faire de grosses jointures. Je devais coller deux verres avec la silicone avec, comme socle, un caillou. C'était un objet précieux et puis il a fallu trouver l'emplacement de l'objet dans l'exposition, c'était pas facile de trouver l'endroit. Quand je le regarde maintenant l'objet, il fait très classe avec le fond bleu. La silicone transparente, ça donne quelque chose en plus. Au fur et à mesure de la conception de l'expo je pensais que ça donnerait rien, que c'était fade et puis quand ils ont installé les lumières tout est ressorti, maintenant, oui, ça donne quelque chose. Ils sont vraiment loufoques mais c'est génial de faire des choses avec eux !
On voit très bien ici comment ces deux témoignages sont révélateurs de la valeur de relation que construit le collectif ici avec les occasionnels de l'art.
Fig. 3 : Exposition au centre d'art LABANQUE. Crédit photo : copyright LPP.
3. Tentative d'instauration d'une esthétique du peu produite par l'ordinaire des pratiques.
3.1. La question du peu en art
La question du peu a été initiée en art(s) au début des années 1980 par le critique d'art Daniel Klébaner (spécialiste notamment de Soutine). Dans un essai intitulé L'art du peu (Klébaner, 1983), il définit le peu comme :
« Un art où l'homme trouve l'éclat dans le terne, l'audace dans la prudence, la pérennité dans le précaire, l'excellence dans le quelconque 18.»
Recourant à la figure de l'antithèse, Klébaner propose une définition du peu à partir de l'analyse des contrastes esthétiques et moraux qui caractérise la teneur d'une œuvre d'art (musicale, picturale ou poétique). Pour le critique la catégorie du peu permet de désigner tout geste artistique préoccupé par la sobriété, une sobriété hyperbolique rendant à la parole « l'intensité d'un silence qui parle fort ». Le peu renvoie donc pour lui à une « méditation sur l'art de la litote ». Il cite alors tout autant les mots-images du « haïku » ou les « Pièces de Viole » de Marin Marais. Cependant, les objets familiers (par exemple dans les natures-mortes de Giorgio Morandini : les bouteilles, les cruches et les vases, la table, la fenêtre), relèvent aussi du peu. En fait, l'art du peu est pour lui celui du laconisme qui révèle sous les traits de l'usage, de l'usure, et de la familiarité, le « parler peu » d'une œuvre guettant la pénombre et non la lumière glorieuse. Cependant, et c'est là la limite du texte de Klébaner, l'auteur se soucie moins d'expliciter la notion d'« art du peu », que de nous faire ressentir dans une langue qui ne manque pas d'élégance, ce peu qu'il tente d'exprimer à travers le langage poétique en prenant appuis à la fois sur la musique et sur la peinture. Nous dirons alors ici que la catégorie du peu vise moins à analyser les nuances d'une œuvre d'art ou d'un design, qu'à montrer l'ambivalence des oppositions qui la constitue. Ainsi, la prise en compte de la notion de « peu » en science de l'art nous permet de démontrer qu'une théorie esthétique constituée loin des œuvres ne peut penser l'unité d'une expérience de création exprimée en actes (acte de parole et actes gestuel) dans l'actualité du présent, l'à-présent d'un faire singulier. Le faire, en effet renvoie irrémédiablement à la vie ordinaire et aux limites qui cadrent les possibles de sa réalisation concrète. Existe ainsi, l'impossibilité théorique de constituer la synthèse analytique d'un trajet singulier de création à partir des sensations et des émotions esthétiques qui ont soi-disant présidées à la conception, au développement et à la fabrication d'une production de « peu » constituée comme « œuvre » dans les dispositifs discursifs du monde de l'art.
3.2. Le peu dans l'expérience esthétique
En nous situant ici, du côté de la question fondamentale des territoires esthétiques19 qu'il s'agit de penser comme lieux d'accueil d'expériences singulières, il s'agit pour nous de convoquer d'entrée de jeu l'ordinaire de l'expérience créatrice (réalisée ou fantasmée) et non l'extraordinaire d'un talent ou d'un génie trouvant seul(e) l'inspiration, pour constituer soudainement une œuvre encore inédite, une révolution majeure bouleversant l'ordre symbolique établi à une époque donnée. Seule en effet, l'expérience ordinaire d'un actant engagé pleinement dans un processus instaurateur dans lequel il s'inscrit, permet à tout moment lors du trajet concrètement réalisé, la possible réversion des polarités caractérisant l'instauration de l'image-objet, ou de l'objet-image produits en tant qu'œuvre d'art ou de production de design. Si on prend alors comme exemple, le problème esthétique du contraste entre l'éclat et le terne, l'« effet de contraste » opère en troublant la relation antithétique de ses éléments esthétiques initialement instaurée par le geste créatif signé par l'auteur de l'oeuvre. Dans le cas du terne ou de l'éclat d'une couleur amplifiée ou diminuée par la texture d'un objet reflétant plus ou moins bien la lumière, « le peu d'un pas du possible » opère en acte dans l'instant, en enrichissant l'œuvre initiale, en l'animant d'un tout autre qui transforme l'original en multiple virtuel, faisant perdurer par-delà le temps (le moment historique) la puissance de l'œuvre vivante dans le regard du spectateur. Loin alors, de s'inscrire dans la dialectique d'une médiation, trouvant une synthèse possible dans le regard critique d'un spectateur-regardeur (qui apprécie ici dans cet exemple, un objet par le jeu des contrastes), un trajet d'expérience se déploie dans le mouvement d'une médialité où s'exprime l'inédit d'un état de vie, l'aventure d'un regard qui prend corps en image-objet ou en objet-image selon la forme réalisée. Le peu traverse ainsi les domaines de l'esthétique et de l'anthropologique en tenant compte des relations antithétiques qui peuvent s'établir entre l'idéel et le matériel, le moindre et le meilleur, le quelconque et l'excellent. Il ne consiste donc pas à exprimer dans une « œuvre » produite par un créateur tout puissant l'originalité d'un inconcevable inatteignable par le commun des mortels, par l'homme ordinaire incapable d'imagination et d'idée novatrice.
Le peu désigne alors pour nous l'inverse d'une conception de la création authentifiable par la signature du nom propre de l'artiste constituant, à lui-seul, la marque d'une originalité et d'une singularité créatrice pouvant n'être subtilement perçue et comprise que par le critique ou l'historien d'art se livrant à une interprétation savante de ses significations. Rappelons alors ici, que par exemple dans la démarche de création d'artistes contemporains comme Robert Filliou (qui se nommait « artiste du peu »), ou de Bernard Heidsieck (qui se présentait comme « poète ordinaire ») l'art de faire-avec pour faire-image n'est pas réservé à une élite savante !
3.3. Le Peu et la question de la médialité
Dans le processus de la réalisation d'un art du peu, c'est donc la médialité d'un événement poïétique territorialisé qui opère, de manière toujours incertaine mais finissant en fin de compte, au point ultime d'un trajet par se matérialiser dans une forme identifiable par des publics. Pour le produit de design ou d'architecture à la différence du produit d'art (tout du moins dans la civilisation occidentale), la forme devenue objet doit ainsi contenir : à la fois une valeur fonctionnelle, une valeur symbolique (plus ou moins esthétique) et une valeur socio-économique. Dans les « valeurs de relations » sous-jacentes qui existent entre « l'être et l'avoir », « le valoir et le pouvoir », la question du peu vient troubler les catégories socialement établies du « trop » ou du « trop peu » ou du « pas assez », mais aussi, du « modeste » et du « glorieux ». Je rejoindrais ici la pensée de Pierre Sansot, qui a introduit et développé la notion d'art du peu en sociologie. En proposant d'introduire la notion du « peu » dans l'analyse sociologique (Sansot (1991), il a montré en situant sur le plan éthique et poétique toute l'importance des pratiques ordinaires du sensible, qui mettent en jeu à travers l'usage de pratiques les valeurs liées à l'existence quotidienne des êtres et des choses.
L'impossible catégorie du peu permet ainsi de troubler, sur le plan de l'appréciation esthétique les notions de « précaire » et de « pérennité », et sur le plan de l'action les catégories de « prudence » et d' « audace » permettant de penser autrement l'héroïsme ordinaire des « anonymes » qualifiés de gens du commun. L'art du peu tel que nous le concevons consiste alors, par le recours à la figure de la litote, à mettre en visibilité l'espace médial inscrit dans le jeu des contrastes esthétiques mis en tension par l'artiste. Le peu désigne donc pour nous le mouvement d'un accident qui affecte la valence des formes établies culturellement par les institutions de l'art.
La question de la singularité de l'œuvre d'art est donc constamment à interroger. Le peu d'un événement constitué comme image de peu, nous fait alors entrer dans l'éthique en actes d'une création (ou plutôt d'une instauration) référée à son usage ordinaire, au poids de la contingence vitale, et à l'impossible mesure des choses du monde. Le « peu » s'oppose ainsi en tant qu'expérience esthétique vivante à toute spectacularisation du faire mettant en scène par l'intermédiaire des écrans, une situation simulée de la vie ordinaire. En fait, en conclusion de notre étude, il est possible d'avancer ici, que toutes ses simulations qui caractérisent notre société actuelle sont destinées avant tout à entretenir l'hyperspectacle de la marchandise, labellisée ou pas, bio ou écoresponsable.
3.4. Le peu et les lignes d'existences
Les scènes, que nous constituons plus ou moins consciemment à travers nos mises en « scènes » quotidiennes, déploient les formes d'existence où nous bricolons nos vies. Les lignes (Ingold, 2013) imaginaires et réelles dirigent les forces matérielles qui constituent les formes produites ou plutôt instaurées, qui agencent l'espace, les espaces de nos existences devenus lieux spécifiques et singuliers. Ces lignes ne sont pas celles du virtuel hyperspectaculaire où une « vie simulée » se donne à voir sur des écrans dans le flux marchand de l'industrie de l'information, de la communication et de la culture. Soutenus par la publicité, les produits conçus et développés par les grands distributeurs de produits design, ou d'artisanat d'art sont le plus souvent exposés à travers une rhétorique du luxe. Ces discours n'ont en réalité qu'un seul but : transformer le trajet d'une instauration artistique ou de design en projet d'innovation producteur de haute valeur marchande. En constituant l'alibi vainqueur d'un flux distingué, cette agir discursif ne peut en réalité prendre une signification, que dans la simulation extra-ordinaire d'un antécédent illustre (antécédent de la tradition, d'un savoir-faire célèbre, d'une innovation spectaculaire) permettant au produit d'acquérir une valeur marchande conséquente. Dans la vie « vraie », la vie vécue d'un trajet créatif, il y a cependant toujours du « reste », du « manque », du « peu ». Dans la vie humaine, agir au sein du milieu, qui constitue matériellement la possibilité d'être et de rester vivant, est toujours une prise de risque car les aléas d'une ambiance, d'une atmosphère, d'une circonstance négative peuvent constituer des empêchements, des obstacles à la pleine réalisation du trajet de création envisagé. La puissance et le pouvoir du peu est incommensurable, pour celle et celui qui désire habiter le monde à travers un trajet conçu et parvenu quelque part, exposé au regard d'un autre, d'un public attentif appréciant le geste d'un faire.
Conclusion
Le « commun » des existences (qui peut relever ou non d'une esthétique du « peu ») nous lie donc à la fois au jeu du nécessaire et du superflu, rythmant le quotidien de nos gestes ordinaires livrés au sort de l'incertitude qui caractérise nos vies. Il s'agit alors pour nous de comprendre ici toute l'importance des lieux où sont conçus et développer des projets en art et design du peu, dans leur capacité à faire lien, à produire de la relation (Malaurie, 2015) présidant à toute acte de création. Collection d'actes anonymes ou signés (Malaurie, 2015) qui rendent possibles pour chaque artiste ou designer, dans l'ordinaire quotidien (Certeau, 1990) de leur existence, les choix de matériaux et de techniques du peu présidant à la conception et à la fabrication « bricolée » de formes suscitant à leur tour l'invention d'usages possibles pour tout un chacun.
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L'un des bâtiments du Comptoir de la Victorine qui abritait les bureaux et les ateliers du groupe LPP a brûlé partiellement le 23 fév. 2018. Par mesure de sécurité, les bâtiments ont été interdits d'accès par les autorités et sont alors devenus inaccessibles pour les membres des Pas Perdus ainsi que pour les autres structures installées dans ce bâtiment municipal. Certaines structures ont déménagé dans un des autres bâtiments ou alors ont quitté le lieu, comme le collectif LPP, pour s'installer ailleurs. ↩
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Les Huit Pillards sont installés depuis presque deux ans dans une friche industrielle du quartier populaire « Bon Secours » au sein du 14ème arrondissement de Marseille. Ils ont consacré 5000 heures de travail à réaménager la friche de l'usine PILLARD crée dans les années 1920 et spécialisée dans le domaine des systèmes industriels de combustion. La première ouverture publique du lieu a été effectuée à l'été 2020, les 28, 29, et 30 août à l'occasion de la manifestation artistique : « Ouvertures d'Ateliers d'Artistes » à Marseille. ↩
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Le collectif LPP est composé de : Guy-André Lagesse (plasticien), initiateur du collectif, Jérôme Rigaut (comédien, acteur), Nicolas Barthélémy, (réalisateur, scénariste et plasticien) et Dorine Julien (Administratrice). Page consultée le 05.04.2021. URL : http://www.marseilleexpos.com/les-membres/liste-des-structures/les-pas-perdus/ ↩
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Nous employons ici le terme de « publics » au sens du philosophe Dewey interrogeant la démocratie participative (Dewey, [1915], 2008). Dans cet ouvrage le « public » est présenté comme une « communauté d'enquêteurs ». Le public est formé de citoyens tiraillés « entre deux exigences : participer ou acquérir les compétences requises pour juger correctement des affaires communes » (Zask, 2008). ↩
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Jean-Paul Curnier, écrivain et philosophe est décédé malheureusement trop tôt, en août 2018. https://jeanpaulcurnier.com/ ↩
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Frédéric Valabrègue : https://fr.wikipedia.org/wiki/Fr%C3%A9d%C3%A9ric_Valabr%C3%A8gue et sur le site des éditions POL : http://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=186 ↩
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Rappelons, que nous suivons depuis 2014 le travail de création du collectif LPP. L'enquête effectuée dans le cadre de cet article fait donc suite à une série d'observations et d'entretiens en face à face avec le collectif. En 2014, un premier rdv avec l'équipe a été pris. À la suite de ce premier rdv, j'ai été invité à réaliser une première participation observante pendant une quinzaine de jours, à l'occasion d'une action menée par le collectif, à Bordeaux du 9 au 28 septembre 2014 intitulée : Zone d'Anniversaire Concertée, installée au Marché des Capucins. De cette première observation, un texte a été écrit et restitué au collectif. En 2015, une deuxième action menée toujours à Bordeaux dans un lieu spécifique : Le parking Victor Hugo et intitulé De la bouture bordelaise, j'ai été amené à pratiquer une deuxième observation participante afin de comprendre leur pratique d'atelier menée en relation avec ceux qu'ils nomment : les « occasionnels de l'art ». Le même protocole a été suivi pour mener l'enquête. Une plaquette imprimée intitulée : La Gazette des Pas Perdus a été ensuite réalisée avec les textes que j'avais produits durant ces deux années. Publiée en novembre 2015. Après plusieurs échanges par mail et par téléphone durant les années 2016 et 2017, j'ai été invité à pratiquer une nouvelle participation observante à Marseille en août 2018, lors de l'action intitulée La cour des supers songes dans le quartier du Panier. A l'occasion de cette action une journée de réflexion sur la démarche du collectif a été organisé qui regroupait un nombre important d'actants (Chercheurs, « occasionnels de l'art », acteurs culturels) impliqués à divers titres et depuis plusieurs années dans la production artistique du collectif en France. Après un cours séjour à l'automne 2019 pour visiter la friche de l'usine Pillard et rencontrer les actants à l'initiative de l'association collégiale les Huit Pillards, j'ai été invité à l'été 2019, à l'ouverture publique de Pillard, à l'occasion de l'événement Marseillais Ouvertures des Ateliers d'artistes, inscrit en off de la manifestation européenne Manifesta 13. Deux autres enquêtes de terrain effectuées en 2021, sont venues compléter les données recueillis, dont une très récemment en mai 2021. ↩
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Concernant la praxématique cf., (Laffont, 1988), (Ruchon,2018). ↩
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Pierre Sauvanet, L'insu, Paris, Editions Arléa, 2011. ↩
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Barthélémy Nicolas, Gazeau Sébastien, Lagesse Guy-André, Rigaut Jérôme, LPP, Une œuvre sous champignons de Paris, Béthune, éditions LABANQUE, 2021. L'ouvrage, qui fait largement place aux images, est conçu autour de questions portant sur le processus de création des Pas Perdus, à partir de thèmes discutés en commun : l'étranger, l'étrange, l'espace intérieur et l'espace extérieur, L'objet, le peu, le mobilier, l'Atelier, la valeur en art, la vie comme art, etc. ↩
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Sébastien Gazeau, est auteur, critique d'art, spécialiste des collectifs d'artistes. Il assure aujourd'hui, la direction de Document d'artistes Nouvelle Aquitaine (DDA) : https://dda-nouvelle-aquitaine.org/, membre du réseau interrégional Documents d'Artistes : https://reseau-dda.org/fr ↩
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Cf., par exemple le projet conçu et réalisé sous la forme de deux installations : Le Chapiteau et le Cour de la Major, à Marseille en 2018, dans le cadre de MP2018 Quel Amour ! ↩
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(Rollot, 2018). ↩
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Le projet The Mighty Giant and The Flip Flop avenue, produit en 2018, a été soutenu par une coproduction entre : Trimuki Platform, Institut Français de Delhi, la Ville de Marseille et l'Institut Français-Paris. ↩
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Plaquette The Boropalta Experience. https://www.lespasperdus.com/wp-content/uploads/2019/03/The-Borotalpada-Experience-Les-Pas-Perdus.pdf et https://www.youtube.com/watch?v=lv2IzyqCM3E. ↩
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En 1973, Beuys écrit : « À la seule condition d'un élargissement radical des définitions, sera-t-il possible pour l'art et les activités liées à l'art [de] fournir la preuve que l'art est aujourd'hui le seul pouvoir évolutif révolutionnaire. Seul l'art est capable de démanteler les effets répressifs d'un système social sénile qui continue de chanceler au bord de la falaise : démanteler pour construire "UN ORGANISME SOCIAL COMME UNE ŒUVRE D'ART"... CHAQUE ÊTRE HUMAIN EST UN ARTISTE qui – de son état de liberté – la situation de liberté dont il fait directement l'expérience – apprend à déterminer les autres situations de L'ŒUVRE D'ART TOTALE DU FUTUR ORDRE SOCIAL. » (Beuys,1973). ↩
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Entretien téléphonique d'une heure réalisé le 5 juillet 2021. ↩
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(Klébaner, 1983 : 9). ↩
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Cf., (DEWEY, [1934], 2010), (COMETTI, 2000), (CITTON, 2010). ↩