Éditorial n°3
Catherine Chomarat-Ruiz

Cette troisième livraison de la revue Design, Arts, Médias est un peu particulière en ce qu'elle propose un numéro double, c'est-à-dire deux dossiers thématiques, respectivement dirigés par Claire Azéma et Sophie Fétro. Ces Actes 1 et 2 ont ceci en commun qu'ils portent sur « Les Arts de faire1». À la lecture de ces deux dossiers et de la totalité de notre troisième livraison d'articles, trois idées s'imposent à l'esprit.

La première tient à c'est qu'ils interrogent la proximité entre arts et design. Ou, plutôt, ils partent de l'idée que la paroi entre ces deux champs est si poreuse qu'il vaudrait mieux, à une époque où le design industriel n'a plus à lutter pour s'imposer, tenir cette question à l'écart d'autres interrogations plus urgentes. Ces dossiers sont en effet davantage centrés sur la façon et la finalité dont on fait, pratique, l'art et/ou le design aujourd'hui : en retrouvant des gestes oubliés ou en passe de l'être, un goût pour l'économie et la frugalité des matériaux, une exigence d'attention à la crise écologique...

La seconde idée qui s'impose tient à la finalité de ces deux pratiques. Nombreux sont les commentaires et les citations de la « XIe thèse sur Feuerbach » de Karl Marx. Rappelons, une fois de plus, ces quelques lignes :

« Les philosophes se disputent depuis toujours sur des questions abstraites, et oublient l'essentiel : la pratique humaine, le travail qui transforme la nature et le travailleur lui-même. Ce travail devrait nous émanciper au lieu de nous asservir. Or le capitalisme s'est bâti sur l'exploitation du travailleur. La tâche de la philosophie n'est pas de justifier cet état de fait avec de grands concepts, mais de donner des outils de compréhension et d'action pour le transformer et construire une nouvelle société, communiste2 ».

Sans aller jusqu'à prôner ce type de société — le postmodernisme et la fin des grands récits nous en dissuadent — ces quelques lignes pourraient être reprises, nous semble-t-il, en exergue des deux dossiers, ce qui donnerait :

« Les théoriciens du design [designers, philosophes, sociologues...] se disputent depuis toujours sur des questions abstraites, et oublient l'essentiel: la pratique humaine, le travail qui transforme la nature et le travailleur lui-même. Ce travail devrait nous émanciper au lieu de nous asservir. Or le capitalisme s'est bâti sur l'exploitation du travailleur. La tâche du théoricien du design n'est pas de justifier cet état de fait avec de grands concepts, mais de donner des outils de compréhension et d'action pour le transformer et construire une nouvelle société... ».

Il apparaît en effet que ces deux dossiers, l'un plutôt centré sur « les modes d'existence de l'atelier en Arts et en Design », l'autre sur « le design du peu » délimitent le sens du design et de la réflexion théorique qui doit les accompagner. Il ne s'agit pas, que l'on soit designer et/ou théoricien du design, d'interpréter le monde, ou de le transformer mais, plus modestement, d'en améliorer l'habitabilité qu'il nous incombe de comprendre dans le respect des humains et des non-humains3. Et cela passe par une approche « mésologique » des milieux, des mondes-ateliers », et autres « antre[s] du producteur », les « pratiques de l'ordinaire », « la technique pauvre », la critique du « naturalisme »...

Au-delà de ces deux dossiers thématiques, cette livraison de Design, Arts, Médias comprend aussi son lot de critiques, d'entretiens et de premiers articles de jeunes chercheurs aux côtés de chercheurs confirmés. Les thèmes en sont multiples : le chez soi et l'intimité, le musée en voie de refondation, l'usage du design en position de gestion de risques... Mais tous sont écho à ces deux dossiers car, alors même que les articles n'ont pas été retenus en fonction des thématiques « des arts du faire », la question du sens du design et l'horizon écologique y sont bels et bien présents.

La troisième idée qui s'impose tient par conséquent en une question : le design et sa théorisation ne constitueraient-ils pas une province vivace de la pensée critique ?

Nous laisserons à nos lecteurs le soin de répondre...

Bonne lecture !


  1. Ils ont par ailleurs donné lieu à deux journées d'étude, destinées à réfléchir aux publications que l'on peut lire, et à élargir le propos. Celle concernant l'atelier, s'est enue à la Fabrique Pola, à Bordeaux :https://clare.u-bordeaux-montaigne.fr/colloques-manifestations/archives-manifestations/1034-2021-10-novembre-l-atelier-en-arts-et-en-design ; celle concernant le Design du peu s'est déroulée au Campus Condordet : http://designparis1.com/?p=2142 

  2. Karl MARX, « XIe Thèse sur Feuerbach », dans MARX, Karl et ENGELS, Friedrich, L'Idéologie allemande, Paris, Éditions sociales, 1976, p. 4. 

  3. On aura reconnu ce que cette formule doit à Alain Findeli. Sur ce point, voir une définition du design mise au point lors d'une interview consacrée au cycle de conférences Design, Arts, Médias, organisé à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Elle est disponible sur https://twitter.com/UFR04Design/status/1230768375095185408?s=20. Consulté le 9 mars 2021.