1. Introduction
1.1 Cadre et finalité des entretiens
Les entretiens du présent dossier s’inscrivent dans une série d’enquêtes concernant le « design et ses pratiques1 ». Ils renvoient ainsi au séminaire de théorie critique du design engagé par mes soins à Paris 1 Panthéon-Sorbonne dont ils testent les hypothèses, car il s’agit toujours de rester à l’écoute du design et de ceux qui le font2. En 2024-2025, nous avons travaillé sur les communs en design, sur la transposition au design d’une ressource (naturelle, culturelle, etc.) qui, non appropriable à titre privé, est à gérer de façon collective par une communauté, et plus particulièrement sur ce que serait un commun critique de recherche dans ce champ. Ainsi cette enquête cherche-t-elle à comprendre dans quelle mesure et à quelles conditions un tel projet trouverait écho chez les designers (tous domaines d’exercice confondus).
1.2 Enquêteurs, protocole d’enquête, enquêtés
Ces entretiens semi-directifs, conduits à l’oral puis retranscrits, ou directement à effectués par écrit, sont menés par mes étudiants du Master 2 Design, Arts, Médias, autrement dit par de jeunes designers dont les références et pratique peuvent apparaître étrangères à la sociologie, voire à la philosophie sociale de l’École de Francfort sur laquelle se fonde ma théorie critique. Mais, en dehors même du fait que le séminaire est là pour les former, par la recherche, aux concepts et aux méthodes requis par ce type de travail, cette étrangeté disciplinaire n’est pas nouvelle dans ce type d’enquête — on se souvient, par exemple, des entretiens menés par des novices pour Pierre Bourdieu aux prises avec les réflexions qui aboutiront aux Règles de l’art3 — car, loin de constituer un désavantage, elle favorise manifestement la confiance, ou tout au moins l’empathie, des enquêtés.
Le questionnaire de l’enquête comporte quatre volets. Le premier concerne la présentation de la personne interrogée, ses études, son parcours professionnel. Cette dimension biographique étant posée, le second volet est dédié à la rencontre du professionnel avec la question des communs en design. Le troisième vise à se détacher de cette dimension biographique pour assigner une origine générale des communs et, de façon plus précise, l’origine des communs dans le champ du design.
Le dernier volet porte, de manière précise, sur ce que serait un commun critique de recherche en design et l’intérêt qu’un tel commun présenterait pour la communauté des designers, des usagers, des chercheurs.
Les 25 personnes participant à cette enquête, qui partagent une culture du projet et un intérêt avéré pour les communs4, ont des parcours de formation très différents — certains sont autodidactes tandis que d’autres ont suivi des études longues — sont designers au sens étroit et large — designers, architectes, paysagistes, urbanistes — exercent dans des sociétés de tailles variables, dans des domaines différents. Ce panel garantit ainsi l’intérêt scientifique de l’enquête.
1.3 Limites de la synthèse
Les lignes qui vont suivre s’efforcent de produire une synthèse de cette enquête. Son but est moins d’interpréter que de restituer, de façon la plus claire possible, ce qui a été entendu. C’est en second lieu, dans un ouvrage dédié aux communs en design, que ces entretiens et cette synthèse seront plus amplement commentés. En publiant ces entretiens, mon but est surtout de rendre hommage au travail fourni par mes étudiants et de remercier toutes les personnes qui ont donné de leur temps et ce sont souvent montrées très généreuses dans leurs réponses à nos questions. C’est d’ailleurs pourquoi j’indique entre parenthèses le nom de la personne qui exprime telle ou telle idée et, en note de bas de page, à la première occurrence, le nom de l’étudiante ou de l’étudiant qui a mené l’entretien5.
2. Rencontre (personnelle) avec les communs
Comme je l’ai d’emblée souligné, l’idée était de partir de quelque chose de personnel — de biographique et de situé dans le temps d’une vie —, pour saisir la notion de commun en vigueur (ou pas) dans le milieu professionnel du design.
2.1 Prudence et incertitudes
Pour ce qui concerne les résultats obtenus dans ce premier volet de l’enquête, comme dans tous les autres, il faut rester prudent et des incertitudes demeurent. Le panel des 25 personnes interrogé est petit, l’enquête relève avant tout d’un coup de sonde.
Mais il faut aussi rester circonspects car les pratiques proches du commun ne sont pas toujours identifiées comme telles. C’est ainsi qu’on peut lire : « Je ne m’y connais pas particulièrement sur l’idée de commun, mais nous on est surtout dans l’idée de co-conception, co-réalisation, il y a la question du partage, des savoirs. L’implication sur des temps longs, avec les habitants, pour avoir une expertise des lieux » (Léo Pouliquen6). Ou encore : « On s’y est intéressé sur des questions de transition, mais je ne suis pas sûr qu’on les ait toujours appelés “communs” » (François Jégou7). Parfois, le terme de « communs » fini par s’imposer, mais après un temps de flottement lexical : « Le terme de “communs” ne s'est pas immédiatement imposé dans mon vocabulaire de chercheuse. Lors de mes premiers moments d'enquête, en 2011, j'ai commencé à fréquenter beaucoup de hackerspaces parisiens ou en banlieue. Le /tmp/lab, le Blackboxe, La Paillasse, l'ElectroLab, par exemple. Certains d'entre eux ont maintenant disparu, déménagé ou changé radicalement de modèle économique. Ce que je retiens des échanges que j'ai eus à l'époque est un champ lexical plus directement issu des combats militants liés au logiciel libre » (Camille Bosqué8).
Inversement, ce flottement lexical laisse à penser, que ce qui est identifié comme commun pourrait être sujet à débat : « Les services collaboratifs ou les services publics collaboratifs sont pour moi des formes de commun : je définis les communs comme quelque chose que l’on ne peut gérer qu’en commun » (François Jégou).
En effet, la gestion n’est pas le seul trait des communs ou, tout au moins, n’est pas assez précis, ce que laisse entrevoir cette précision sur la gouvernance (notion plus sociale et politique que strictement économique) à propos des GAFA : « Aujourd’hui, des géants comme Google ou Facebook utilisent de l’open source, mais sans pour autant créer de communs. Ils partagent la ressource, mais sans s’engager dans une gouvernance collective. Un commun, ce n’est pas juste un dépôt de code. C’est un équilibre entre une ressource, une communauté et un ensemble de règles partagées » (Lilian Ricaud9).
Cependant, en dépit de cette prudence qu’imposent ces flottements lexicaux et définitionnels inévitables, les entretiens ont aussi montré une « rencontre spécifique et identifiée », largement partagée avec les communs.
2.2 Éducation, engagement citoyen et politique en faveur de l’éducation, modèle économique alternatif
En effet, la rencontre est originelle, pourrait-on dire, quand elle trouve son ancrage dans l’enfance — pour Christophe Laurens10 — ou liée à un engagement politique au sens large. Tel est le cas d’Adrien Zammit11 — qui déclare : « j’avais en tout cas à cœur d’avoir une pratique politisée voir militante » — mais cela se retrouve aussi dans d’autres témoignages, comme dans celui de Nicolas Filloque12.
D’autres entretiens permettent de préciser cet angle politique de la rencontre avec les communs. Ce dernier peut concerner la connaissance et la recherche : « Je crois que la notion de commun renvoie fondamentalement à une notion politique, une certaine vision de voir le monde, dans cette vision la mise en partage des connaissances me semble être une nécessité vitale au bon fonctionnement d'une société, ni plus ni moins » (Geoffroy Pithon13). Et c’est encore le cas quand la rencontre avec les communs est politique au sens strict, pourrait-on dire, c’est-à-dire au sens d’une prise de responsabilités politique en tant qu’élu. Ici, c’est le témoignage de Michel Briand qui s’impose :
« Depuis longtemps, je me situe dans une logique de coopération ouverte : produire des choses réutilisables par d’autres, documenter, partager [...] Les projets dont je vais vous parler sont davantage liés à mon engagement politique. J’ai été élu à la ville de Brest pendant trois mandats, soit 19 ans, sur des sujets comme la démocratie locale, le numérique ou encore l’économie sociale et solidaire.
Je suis retraité depuis plusieurs années. J’ai souhaité continuer à m’investir, je tiens notamment un blog, Innovation pédagogique et transition, centré sur le partage des initiatives en transitions et des innovations pédagogiques dans l’enseignement supérieur francophone. C’est un site contributif dont la particularité est l’agrégation de contenus. En plus de quelques publications propres, il relaie les articles d’une trentaine de sites partenaires, ce qui permet de diffuser jusqu’à deux articles par jour. On y croise des contenus venus de France, de Suisse ou du Québec. Et ça marche bien : on atteint les 2000 visiteurs par jour14 ».
Enfin, la rencontre originelle avec la question des communs passe par un engagement politique combiné à une préoccupation plus économique, par la recherche d’un modèle alternatif économique pour le design, et plus précisément pour le design écosocial. C’est ainsi que Ludovic Duhem déclare :
« La question des communs s'est imposée au moment où nous avons cherché un modèle économique cohérent avec l'idée de design écosocial et ce qu'elle implique comme position à l'égard de l'ordre établi et l'état de fait de notre époque. Nous voulions plus précisément proposer autre chose qu'une simple position critique, frontale et totale, sans recherche d'une action sur la situation ou plus généralement de transformation du monde. En clair, s'opposer au modèle culturel, productif, économique dominant est une chose, mais proposer une alternative crédible en est une autre. Et au sein de cette alternative, proposer à court ou moyen terme un modèle économique viable pour les étudiant·es que nous formons est un enjeu décisif et une responsabilité pédagogique incontournable (même si la place de l'économie dans les écoles d'art et de design est quasi inexistante en France) [...] L'économie des communs pouvait aussi rencontrer et dialoguer avec l'économie de la suffisance de Gorz, l'économie de la convivialité de Illich, l'économie de la frugalité de Schumacher... ou encore l'économie régénérative actuelle et la comptabilité intégrant les “externalités négatives15” ».
2.3 Collectifs : élargissement de la notion de commun, partage et place de l’usager
La rencontre avec les communs passe aussi par la découverte d’un collectif existant — avec les architectes d’Etc., pour Pola Noury16 — ou par la création d’un collectif, ce qui conduit à élargir la notion même de commun : « tous les projets que nous menons abordent la question des communs de manière très large, en prenant le parti de dire que les communs sont tout ce qui nous entoure dans l’espace public (végétation, mobiliers urbains, paysages), mais aussi l’histoire, la technique… Nous avons aussi une démarche influencée par le design distribué (https://distributeddesign.eu/) où nous documentons toute notre démarche et créons des protocoles pour que nos projets soient transmissibles » (Soumaya Nader17). De façon proche, certains, dont Tess Villien18, soulignent que la rencontre avec le collectif s’est opérée autour de « l’idée de partage », ou par la volonté remettre l’usager au cœur du processus de design (Damien Grava19).
2.4 Événements personnels, professionnels et écologiques
Parfois, la rencontre est factuelle, liée à un événement, sans pour autant être moins décisive que les voies telles que l’enfance, le politique, l’économie, le collectif. Ce sont des événements personnels et liés au travail — un « changement de vie professionnel et personnel. J’ai eu l’occasion de participer à divers événements et projets liés à cette thématique » (Marcelline Bonneau20) —, et, notamment, des événements tournés vers l’écologie. Tel est par exemple le cas de « Creative Impact Lab », à Amman en 2023, car, pour Radwan Beshr21, il s’agit de penser en commun les ressources, les connaissances, les outils.
2.5 Notion de commun : théories et références
Sans se développer indépendamment de la vie, de l’engagement politique ou des rencontres avec des collectifs, des événements, c’est-à-dire de la biographie personnelle et professionnelle de chacun, c’est-à-dire d’une pratique située, l’entrée dans la question des communs est aussi théorique, se situe à l’égard de la notion elle-même, et ce pour une large majorité d’entre les personnes qui ont accepté l’entretien. D’où il ressort des références précises et des conceptions particulières des communs.
2.5.1 Du Fablab aux « communs négatifs »
Un intérêt pour les FabLabs conduit au commun et à une notion très particulière des communs, celle de « communs négatifs ». C’est notamment le cas de Camille Bosqué qui déclare : « J'ai tout de même rencontré le terme de “communs” assez vite, à la fois par le discours de militants écologistes engagés dans des lieux proches du réseau des FabLabs, mais aussi rapidement associé à l'expression de “communs négatifs”, développée par Alexandre Monnin et Diego Landivar notamment, qui permet de remettre en perspective notre responsabilité collective en prenant en compte les déchets ou la pollution liés au système de production extractiviste, dont on hérite également. Les rebuts des objets manufacturés dont la décomposition est toxique sont en effet une forme de ressource dont nous héritons».
2.5.2 D’une pratique politiquement engagée à des définitions personnelles ou plus admises des communs
D’autres, entrés dans les communs par une pratique politiquement engagée, font plutôt état d’une volonté, parfois artistique, de faire circuler des signes dans l’espace public, voire dans l’espace rendu au public. C’est ainsi que Malte Martin se positionne et c’est ce positionnement qui le conduit à définir les communs : « [...] dans la pratique, j’ai rapidement constaté une privatisation de l’espace public. Les espaces d’affichage, comme les panneaux quatre par trois, par exemple, étaient monopolisés par des produits commerciaux, ceux qui pouvaient se les payer. L’espace urbain est saturé de signes marchands ou administratifs, et il ne reste plus grand-chose pour les citoyen·nes. C’est ce constat qui a motivé la création d’Agrafmobile : pour réfléchir à des démarches de reconquête de l’espace public, pour recréer une agora, et pour « pirater » cette privatisation. Dans ma conception un peu idéalisée de l’agora, celle-ci est à l’image de l’imaginaire des habitant·es. Et pour moi, c’est là une première définition du commun : rendre à nouveau l’espace public à celles et ceux qui le vivent22 ».
Assez proche de Malte Martin et de ses préoccupations pour l’espace public, c’est aussi par ce biais qu’Étienne Delprat en vient définir les communs de façon personnelle : « Mon intérêt pour la notion de commun s’est développé par deux biais principaux. Le premier est lié à ma pratique de l’espace public. Travailler sur l’espace public, c’est non seulement concevoir sa matérialité, mais aussi prendre en compte les dynamiques sociales et politiques qui s’y jouent. L’espace public peut être vu comme une forme de commun, car il implique une gestion collective, une co-construction et une négociation permanente avec les institutions qui en ont la charge23 ».
Proches de ces derniers, d’autres proposent une mise au point en forme d’une définition des communs à la fois plus large et en adéquation avec la définition retenue par les spécialistes de ces questions. De ce point de vue, c’est Lilian Ricaud qui s’impose : « ça fait une quinzaine d’années que je m’intéresse à ce qu’on appelle les communs. Ce n’est pas juste un partage de contenu comme on le voit souvent. Il y a une vraie différence entre mettre un document en ligne, et construire un commun. Un commun, c’est aussi un processus social, ce sont des règles de gestion, des pratiques partagées, une communauté qui vit autour d’une ressource ».
2.5.3 La démarche inhérente aux communs
Parfois, l’entrée par la pratique et la théorie conduit bien à des définitions des communs, mais aussi à intérêt pour la « démarche » des communs, à la manière d’en constituer un :
« [...] on utiliserait le terme “commun” peut-être plutôt dans le sens du “manifeste compositionniste” de Bruno Latour : c’est-à-dire qu’on part du principe qu’il n’y a pas de commun, qu’il faut le composer. Donc, comment se mettre en mouvement pour poser une société à partir de personnes qui, a priori, n’ont pas de commun ensemble, comment trouver du commun et comment créer du commun. Cela se rapproche davantage d’une approche avec plusieurs références anglo-saxonnes. Je pense notamment au petit livre An Atlas of Commoning. En anglais, ils font la différence entre “commons” et “commoning”, et ils utilisent le terme “commun” comme une approche qui pourrait ressembler à “mettre en commun”, ou “communiser”. Ce verbe-là nous intéresse, étant donné que ce qui touche au commun, ce qui nous intéresse, c’est moins les communs en eux-mêmes mais plutôt comment on crée des communs » (Théo Mouzard24).
Parfois, cette démarche est appelée « méthode » :
« Le travail de Christopher Alexander, l’auteur du Pattern Language, qui a influencé la création de Wikipédia et aussi l’approche des design patterns dans l’informatique, est une référence pour moi. Il a proposé une méthode où l’on conçoit en partant des usages et des configurations existantes, que ce soit à l’échelle d’une maison ou d’un quartier. Cette approche a ensuite inspiré l’agilité en informatique. Personnellement, je l’ai réinterprétée dans des projets où on co-conçoit avec les usagers. Par exemple, on part d’un plan papier très simple, un croquis à la main, et on fait évoluer le projet en impliquant les gens à chaque étape – avec des maquettes, des modèles, des allers-retours sur le terrain… » (Lilian Ricaud).
2.5.4 Un corpus liant économie et politique, pensées critiques et sociologie
C’est ainsi, que progressivement, les entretiens esquissent un corpus de références pour les communs. Sans surprise, ce corpus part d’Elinor Ostrom — mention est faite de la supposée tragédie des communs et de sa réfutation par Elinor Ostrom (Christophe Laurens, Rémi Astruc25) —, autrement dit de références économiques. C’est ainsi qu’on peut entendre le propos d’Etienne Delprat : « Cette approche [des communs] a aussi une dimension économique, dans la mesure où elle dissocie la propriété de l’usage et propose d’autres modalités de gouvernance et de gestion collective. Assez rapidement, et en étant proche des travaux de Pascal Nicolas-Le Strat, j’ai été amené à m’intéresser à la notion de “commun oppositionnel”, qui m’a permis de développer l’idée d’une “architecture oppositionnelle” ».
Toutefois, le corpus va se déployer vers des références plus philosophiques, liées à la philosophie politique : « Je me suis intéressé aux communs comme un prolongement et dans un sens un renouvellement de la problématique du commun et de la communauté. Pour moi, la pensée source est celle du philosophe Jean-Luc Nancy qui dans les années 80 (XXe siècle) a, parmi les premiers, posé la question de savoir ce qui pouvait et devait subsister de l’idée du commun, à la suite de l’effondrement du communisme soviétique, qui en avait trahi l’espoir » (Christophe Laurens) et « Les communs reprennent essentiellement une partie de cette interrogation plus générale à partir d’une réflexion socio-économique, issue des travaux en particulier d’Elinor Ostrom, et apparue surtout en France à la suite des publications de Pierre Dardot et Christian Laval » (Rémi Astruc).
C’est encore ces références politiques que l’on retrouve chez Étienne Delprat : « Dans le domaine du design, cette notion a pris une place importante, notamment à travers l’open design ou le design écosocial, qui mettent en avant le partage des connaissances. Mais ce qui m’a vraiment marqué, c’est la vision des communs développée par Elinor Ostrom et Christian Laval. Leur approche dépasse la seule question du partage des ressources pour poser un véritable enjeu politique : comment redéfinir les modes de gouvernance et de prise de décision collective autour de ce que nous considérons comme un bien commun ? ».
Cependant, certains entretiens font apparaître des références ancrées dans les pensées critiques : « Pendant mes études je rencontre François Flahault, et découvre ce qu’il nomme “les biens communs vécus”, des choses qui n’existent que dans le partage et qui ne sont pas achetables. Après je vais vraiment aimer la lecture des œuvres de Silvia Federici, Caliban et la sorcière bien sûr mais surtout Réenchanter le monde : le féminisme et la politique des communs, grosse claque ! Après il y aussi Ivan Illich, je mettrais Une société sans école sur cette question des communs (j’aurais entre-temps fait quelques années d’instruction en famille avec mes enfants). Et les livres de l’allemand P.M., notamment Bolo’Bolo mais aussi Voisinages et communs. » (Nicolas Filloque).
Plus liées au champ du design, certains font état de rencontres avec des références liant design et sociologie : « Sylvia Fredriksson », designer et enseignante, pour Élise Rigot et Pauline Gourlet26.
3. Origine des communs
La progression de l’entretien vise à faire passer d’une « rencontre » personnelle à une réflexion plus générale sur « l’origine » des communs, c’est-à-dire à ce pourquoi un commun advient. Cette origine, ce pourquoi des communs, reste diversement assignée sans toutefois être contradictoire.
3.1 Communs situés et éthique : bénéfices matériels et immatériels
Pour plusieurs des designers enquêtés, l’origine d’un commun est localement située : il s’agit d’un « besoin » lié à « un lieu » selon les mots de Damien Grava, et dans l’esprit de Kenneth Rabin27. Comprendre que le commun naît d’une situation précise s’exprime aussi sous la forme de ce qu’on appelle la « permanence » en architecture. C’est notamment le cas dans l’entretien d’Étienne Delprat : «Aujourd’hui, mon travail de recherche s’ancre à Bagnolet, où je vis et travaille. Je m’intéresse particulièrement à la figure de l’architecte-artiste-habitant, développant l’hypothèse selon laquelle l’engagement total – dans le travail, la recherche et la vie quotidienne – au sein d’un même territoire permet de nourrir une réflexion et une action situées ».
Si un commun advient dans un lieu précis et pour résoudre un besoin « matériel », pourrait-on dire, cela n’épuise cependant pas les raisons pour lesquelles émerge. Il est aussi question de « responsabilité collective », « d’engagement » à l’égard des générations futures et à travers d’autres pratiques sociales, soit un problème de nature éthique. C’est notamment le cas à travers ce témoignage : «[...] je pense que l’essentiel réside surtout dans une prise de conscience et une responsabilité collective. Par exemple, face aux ressources et à ce dont nous héritons, nous sommes amenés à réfléchir à ce que nous allons transmettre, notamment dans un contexte mondial incertain. Ce questionnement pousse certains à s’approprier la notion de commun, non seulement comme une nécessité, mais aussi comme un engagement. L’émergence d’un commun peut être liée à une quête, à une lutte, ou à la volonté de faire exister quelque chose qui n’existe pas encore […] Ce qui me semble central, c’est que la quête du commun est avant tout une recherche d’autres manières de faire et de s’organiser » (Étienne Delprat).
Le bénéfice attendu d’un commun, ce pourquoi il advient est donc à la fois « matériel » et « immatériel » : « Je crois que c’est au-delà de la question de la conception, c’est aussi à travers le “faire”. Il y a une question très gratifiante dans le fait de participer à la fabrication d’un espace. Je pense qu’à travers ça, il y a des bénéfices matériels qui sont clairement la transformation d’un espace, et tout ce qu’on appelle les bénéfices immatériels, c’est à dire tout l’informel qu’il y a derrière » (Léo Pouliquen).
3.2 Un problème écologique
En plus de répondre à un besoin situé dans un lieu et autant matériel qu’immatériel, le commun émerge au regard du problème (actuel) de l’écologie qui, là encore, demeure lié à une éthique de la profession : « L’enjeu est “écologique” [...] Cela ne peut pas se limiter à une pratique professionnelle, c'est une éthique » (Christophe Laurens) ; « De mon point de vue, un commun commence lorsque les gens collaborent pour surmonter le manque de ressources ou pour améliorer la situation environnementale à travers des solutions innovantes, telles que l'innovation sociale et technologique qui peut bénéficier à tous de manière égale » (Radwan Beshr). Ou encore : « Je le vois comme un truc lié peut-être à l’écologie, comme quoi il y a une course effrénée à la matière pour satisfaire des besoins souvent individuels sauf, qu’en réalité, ça nous impacte tous donc ça remet le fait qu’on est tous reliés dans cette affaire : donc ça nous oblige à nous questionner de manière collective et avancer ensemble. Pour moi, un changement de notre manière de nous voir sur notre planète nous oblige à nous voir de manière collective et à remettre du commun parce que, pour moi, c’est ça la base en fait » (Élodie Elsenberger28).
Bien d’autres témoignages désignent le problème de l’écologie comme étant à l’origine des communs. Sans pouvoir les citer tous, un tout dernier, qui inscrit cette origine dans l’évolution de la pratique du design, est particulièrement clair à ce sujet : « Les questions environnementales à cette époque-là se posaient essentiellement comme des choses qu’il ne fallait plus faire. Nous posions deux hypothèses : la première qui est de dire on ne va pas utiliser le design pour faire la même chose en réduisant l’impact, on va l’utiliser pour faire autre chose pour inventer des styles de vie durable. L’autre hypothèse était de dire que ce n’est pas seulement dans la tête des designers ou des sociologues que les choses peuvent sortir, il y a des gens que l’on a appelé des communautés créatives qui, dans leur coin, dans leur quartier ont déjà inventé des solutions comme ça » (François Jégou).
3.3 Une souffrance
Besoin situé en un lieu donné, besoins/bénéfices matériels et immatériels sont désignés, avec l’écologie, comme origines des communs. Mais quatre autres raisons données visent plus explicitement à identifier la « souffrance » que, dans notre enquête, nous plaçons à l’origine des communs. En effet, sur fond d’un contexte où « c'est plutôt un sentiment d'insatisfaction qui domine aujourd'hui », et dans la mesure où « la souffrance physique comme psychique n'a pas été supprimée », [...] le capitalisme néolibéral et son hyper-industrialisation de toutes les dimensions de la réalité et de la vie » produisant « une souffrance collective et individuelle tout à fait réelle » (Ludovic Duhem), cette souffrance est diversement identifiée.
3.3.1 Trop plein et vide en matière de design
Expliquant ce pourquoi un commun advient, cette souffrance (des designers) est parfois liée à un excès, un trop plein de signes graphiques dans l’espace public qui, lui, traduit une mainmise de la part du secteur privé ou étatique, une confiscation de l’« Agora » entendue comme espace public où l’on débat :
« Ce qu’on appelait autrefois l’Agora, l’espace public, devrait être un lieu partagé par tous les habitants, un lieu où chacun peut déployer son imaginaire. Mais ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, cet espace commun est colonisé par des signes privés ou administratifs. Cela peut générer une forme de souffrance individuelle, notamment en tant que designer. Mais au-delà, on peut parler de vraie pollution visuelle. Il suffit de regarder les entrées de villes périurbaines : des séries de panneaux publicitaires quatre par trois, parfois une dizaine, avant même d’atteindre la ville. C’est, à mon sens, une forme de pollution, tout aussi dommageable que les autres formes de pollution. Et c’est précisément dans ce genre d’exemples que se situe, pour moi, une certaine souffrance, mais aussi une motivation à faire autrement. Certes, cela touche au visuel, mais on peut l’élargir à d’autres domaines. Prenons l’exemple du design automobile : les formes actuelles des SUV ne peuvent être perçues que comme un échec sociétal, et peut-être aussi une souffrance individuelle pour certains designers. Et on sait bien tous les problèmes que cela engendre ensuite, sur le plan environnemental ou autre. Ce genre de constat peut s’appliquer à presque tous les secteurs » (Malte Martin).
Et sur l’envers d’une souffrance liée à un excès, trop plein de signes graphiques, se situe aussi une souffrance liée à une forme de vide, de vacance qui se dit comme une tension entre la capacité à porter des questions et l’absence de collectif pour le faire, voire une vulnérabilité. On peut ici penser à ce témoignage : « On était capable de porter des questions où on se sentait pas forcément en force. Voilà, de pouvoir aussi partager nos vulnérabilités, nos questionnements entre nous. Donc ça, ça a été une première rencontre avec cette idée du commun. Voilà de faire par le collectif, un collectif de designers et de de chercheurs en design, de mettre en commun, quelque part » (Élise Rigot).
3.3.2 Solitude, perte anthropologique de sens de l’existence
Cette souffrance des designers, qui explique pourquoi un commun advient, est aussi identifiée comme « solitude » — « La souffrance que vous évoquez est la conséquence immédiate de cette moderne solitude », énonce Christophe Laurens — et, de façon encore plus précise, elle leur paraît liée à notre « modernité » : « Et s'il y a souffrance, ou insatisfaction, elle est du côté de l'anthropologie et de ce mode de civilisation qu'est la modernité dans lequel nous sommes piégés aujourd'hui » (Christophe Laurens).
Quant à cette « moderne solitude », elle se précise comme « perte de sens de l’existence humaine » à travers ce témoignage : « Oui je suis d’accord, mon expérience me montre que le besoin des communs re-naît d’un sentiment de perte de sens de l’existence humaine en temps d’ultra-individualisme marchand. L’uniformisation du monde, qui procède d'une réduction drastique des possibles, notamment esthétiques, est ressentie par beaucoup comme une perte et une violence insoutenable, une négation d’une part essentielle de notre condition humaine. Réinvestir l’espace des communs du design, c’est soigner la blessure causée par une conception utilitariste et mercantile du monde, au profit d’une expérience de réappropriation des mondes désirables possibles et des modes de vie épanouissants que nous voulons y voir fleurir » (Rémi Astruc).
En somme, la souffrance que les designers éprouvent et à laquelle ils tentent de remédier par les communs s’exprime en termes de solitude, d’une solitude qui, propre à notre modernité tardive, n’en demeure pas moins partagée, ou partageable, par tout être humain : elle est anthropologique en ce qu’elle confine à la perte du sens de l’existence humaine.
3.3.3 Tensions internes design : de l’origine à l’évolution du métier
On comprend aussi que les entretiens pointent, au-delà de la nature de la souffrance qui serait à l’origine du commun, l’origine de l’origine, c’est-à-dire les causes de cette souffrance d’où, pour les designers et sans doute pas seulement pour eux, naissent les communs.
Dans cette catégorie, se place ce témoignage, qui montre que la souffrance éprouvée par les designers est liée à une tension originelle inhérente à la production en série de biens. Synonyme de « démocratisation », de possibilité d’accéder à ces biens, cette production en série demeure synonyme d’aliénation inhérente à l’« essor du capitalisme ». Il est dit :
« Cela renvoie, je pense, à un dilemme fondamental du design, présent dès ses origines. Le design est né en Occident, au moment de la révolution industrielle, avec l’arrivée de nouveaux moyens de production et de nouvelles technologies. D’un côté, un potentiel émancipateur : la production de formes n’est plus réservée à une élite. Pour illustrer : on ne parle plus de l’artisan d’art qui fabrique des fourchettes en argent ciselées pour les aristocrates et la grande bourgeoisie. L’industriel, désormais, peut faire appel à un designer pour concevoir une belle fourchette, qu’il reproduira à grande échelle, et rendra accessible au plus grand nombre. Dans ce sens, le design porte un projet de démocratisation culturelle. Mais en parallèle, il accompagne aussi l’essor du capitalisme. Il sert à enjoliver, à rendre présentables, tous les effets nocifs de la production de masse. À les masquer, en quelque sorte. Je me souviens d’un exemple — que j’ai moi-même rencontré dans mon parcours. On reprochait au design suisse, aussi brillant soit-il, de produire surtout des packagings pour l’industrie pharmaceutique locale. Notamment pour le DDT, ce pesticide aujourd’hui interdit, qu’on pourrait comparer au Monsanto de l’époque. Un produit toxique, destructeur du vivant… mais qui était très bien packagé. Très bien vendu » (Malte Martin).
Et l’on saisit, dans les lignes qui suivent cet extrait, une reformulation de la souffrance qui est à l’origine du commun sous cette forme : « C’est là qu’apparaît ce dilemme : est-ce que le designer est seulement là pour emballer un produit sur lequel il n’a aucun pouvoir, même si ce produit est issu d’un système destructeur ? Ou bien peut-il devenir un créateur global, qui travaille avec les ingénieurs, avec la chaîne de production, pour concevoir des objets utiles, produits avec le moins d’impact environnemental possible, les plus ergonomiques, les plus justes, les plus émancipateurs ? » (Malte Martin).
D’autres témoignages placent l’origine de cette souffrance — de cette « vulnérabilité » économique et politique, de cette « fragilité » — et du commun susceptible d’y remédier dans l’évolution même du métier confronté à l’ère de l’anthropocène où le développement de l’industrie nous a fait entrer : « Je pense qu'il y a une espèce d'évidence qu'on ne peut pas faire tout seul [...] : peut-être qu'aujourd'hui, on est quand même dans un temps de vulnérabilité, à la fois politique, à la fois économique. Voilà, les notions d'anthropocène, en fait, je pense qu'on a un moment de fragilité » (Élise Rigot).
Et du coup, cette souffrance est d’autant plus manifeste chez les jeunes qui entrent dans le métier et vraisemblablement pour toute une génération de jeunes : « Cela fait une dizaine d’années que je côtoie des étudiants et étudiantes en design (à l’École Boulle et à l’Ensci) et j’ai pu mesurer à quel point la génération de designers qui suit la mienne est préoccupée, si ce n’est affligée, par des questions, fondamentales, portant sur la légitimité, l’éthique et la responsabilité du design dans un monde dont ils mesurent les limites et les périls. On peut aussi penser au discours de révolte prononcé en avril 2022 par les étudiants et étudiantes de l’école d’agronomie AgroParisTech ! On s’en souvient, ils invitaient leurs pairs à bifurquer. Ils témoignaient de la manière dont de nombreux jeunes diplômés et diplômées, quelles que soient leurs formations, pouvaient se sentir en porte-à-faux, au moment de sortir de l’école, à l’idée d’exercer leur métier dans un monde aux ressources limitées. Au même moment, pour son édition de 2022, la Biennale internationale Design de Saint-Étienne portait sur la thématique de la “bifurcation”. Ce qui préside à l’avènement de communs en design, je pense que c’est cette conscience, ce poids qui pèse sur les épaules des jeunes générations (notamment) de designers » (Camille Bosqué).
3.3.4 Le commun comme opportunité, plaisir de faire ensemble et vecteur d’émancipation
Inhérente au métier de designer lié à une industrie néfaste pour l’environnement, dès son apparition, la souffrance est aussi à l’origine du commun car ce dernier apparaît comme une opportunité pour retrouver des valeurs de partage, se saisir comme force, éprouver le plaisir de coopérer. On peut en effet entendre qu’il s’agit d’un « retour au partage dans une société où l’individualisme est de plus en plus important », de « mutualiser nos forces et nos ressources dans un contexte social et économique parfois néfaste pour la création ou l’accès à la création » (Soumaya Nader) Ou encore, comme le dit Michel Briand : « Pour moi, les communs naissent avant tout du plaisir de coopérer. C’est une disposition naturelle des êtres humains, bridée par l’éducation et nos institutions. Les communs sont une façon de se réapproprier cette capacité. » Et d’ajouter : [...] La pratique des communs, pour moi, naît du plaisir de faire ensemble, de la coopération au quotidien, bien avant l’usage des outils numériques ».
Autant dire que, face à la souffrance, les communs sont vécus comme une forme de résistance, un vecteur d’émancipation et d’ouverture vers des manières plus « démocratiques » de pratiquer le design et de produire de la connaissance : « Je dirais que l’avènement des communs en design naît de la nécessité de résister et s'émanciper aux/des structures dominantes et d’ouvrir des espaces de création autonomes, inclusifs et expérimentaux. L'open design permet le partage des savoirs plutôt que de capitaliser dessus, en expérimentant collectivement plutôt qu’en suivant des standards productivistes, et en remettant en question la propriété des outils et des créations, il ouvre des perspectives vers des formes de production et de création qui ne sont plus dictées par le profit, mais par la nécessité, la solidarité et la subversion » (Chloé Desmoineaux29). Ou encore : « Pour que le partage de connaissances soit une alternative anti-propriétaire, anti-spéculative, anti-entente intéressée, il faut qu'elle ait une visée émancipatrice (éducation et autonomie) et démocratique (discussion collective sur les sources, le contenu et les interprétations). À cet égard, réclamer un partage de connaissance sur la situation problématique locale entre composantes écologiques et composantes sociales, est plus qu'une récolte d'information pour instruire le contexte d'intervention du design, c'est une exigence démocratique d'émancipation par la circulation et l'appropriation des connaissances » (Ludovic Duhem).
Sans vouloir réduire la portée de ces témoignages, le design et les communs ne peuvent cependant pas être vus comme une panacée. Certains enquêtés soulignent le fait que les designers « s’éreintent », y compris au sein des communs qui demeurent des lieux « précaires de travail qui aboutissent, parfois, à l’opposé de ce qu’ils vaudraient atteindre » : « J’ai fréquenté plusieurs ateliers partagés à Marseille, proches de l’esprit des tiers-lieux : loyers accessibles, mutualisation des outils, vie collective. Ce sont des espaces riches d’apprentissage, mais aussi très précaires : fatigue des porteurs de projets, dépendance aux subventions, baux fragiles, demande de contreparties (effet vitrine), et souvent utilisés pour accompagner des processus de gentrification» (Pola Noury).
4. Tiers-lieu de recherche
4.1 Des lieux existants à fédérer et à renommer
Le quatrième volet de notre enquête vise à établir dans quelle mesure un « tiers-lieu de recherche en design » peut intéresser les designers. Un premier type de réponse consiste à dire que ces communs consacrés à la recherche existent déjà, et certains designers soulignent qu’il y aurait même une forme de rivalité entre université et tiers-lieux : « plus ça va, plus autour de moi les gens quittent l’université pour ces espaces, ça doit dire quelque chose... » (Nicolas Filloque).
Quoi qu’il en soit, un problème demeure quand il s’agit d’identifier ces espaces : « Dans mon expérience, cela existe déjà… ce sont tous ces lieux de soin et de services sociaux où les citoyens, les experts (du secteur social et du secteur lucratif), et les professionnels créatifs se rencontrent et coopèrent » (Cristian Campagnaro30).
En effet, un tiers de recherche en design ne peut se réduire à un seul domaine d’intervention, le care en l’occurrence. Et à cette première difficulté s’ajoute une confusion de ce que serait un tiers-lieu de recherche avec l’existence des collectifs pluridisciplinaires : « Bien sûr ! Et ce genre de lieux existe déjà par endroits. Des collectifs mêlent souvent designers, sociologues, anthropologues… » (Malte Martin).
Cependant, tous ceux qui pensent que de tels tiers-lieux de recherche existent concèdent qu’il faudrait fédérer ces lieux de recherche existants. C’est ainsi qu’on peut lire : « Il faut juste que ces lieux ne restent pas en vase clos. Ils doivent influer sur les processus de production à grande échelle. Sinon, ils restent des coups d’éclat isolés (Malte Martin). Ou encore :
« Mais des lieux comme ceux-là existent déjà, au moins partiellement. Il y a par exemple La MYNE à Lyon, que vous connaissez peut-être, ou La Mine à Paris. Ces lieux rassemblent des chercheurs, des designers, des gens qui travaillent sur des enjeux communs à l’échelle européenne. Parfois, ce sont des lieux très concrets, parfois des réseaux. Il y a aussi des portails comme Tiers-Lieux Edu ou Movilab qui documentent et partagent énormément de ressources sur la manière de faire vivre un tiers-lieu, de le gérer, d’y pratiquer du design, de penser la gouvernance, etc. Donc je dirais que ce type d’espaces existe déjà. Il manque peut-être une mise en réseau plus formelle entre tous ces acteurs, mais les pratiques, elles, sont bien vivantes. » (Lilian Ricaud).
Il faudrait donc penser, avec la majorité des enquêtés, que ces lieux sont à créer, ou tout au moins à renommer, ce qui s’exprime sous cette forme : « [...] la manière dont la question est formulée est intéressante, car elle sous-entend qu’un tel espace reste à imaginer. Or, ces lieux existent déjà sous différentes formes. Le terme de “tiers-lieu” est très en vogue, mais personnellement, je préfère parler de “lieu tiers”. La nuance est importante : il ne s’agit pas tant de créer un type d’espace spécifique que de réfléchir à la manière dont certains lieux peuvent remplir cette fonction intermédiaire » (Étienne Delprat).
4.2 Des lieux à créer : éventuellement situés, assurément écologiques, soucieux d’esthétique et de recherche opérationnelle ou applicative
Un second type de réponse exprime que ces communs dédiés à la recherche auraient pu exister, comme ceux promus par Tony Côme (Élise Rigot), et donc n’existent pas encore. L’intérêt et l’acceptation à participer à ces tiers-lieux de recherche en devenir est alors conditionnée à leur « réalité concrète » (Marie Compagnon 31).
La première condition est que ce type de tiers-lieu soit situé : « On dirait “oui”, dans l’absolu. Après, pour aller plus loin il faut que ça puisse incarner pleins de choses. Par exemple, nous, on est très attachés à travailler dans des territoires spécifiques, car on voulait habiter là. Il y a la question du “où ?” qui est très importante, parce qu’on ne dissocie pas notre travail et les lieux dans lesquels on voulait être. Il y a pleins de modalités qui feraient que le projet est vivant ou pas, est crédible, désirable. Quand on est praticien, on est toujours dans la question de la recherche dans la création » (Léo Pouliquen). Mais ce point semble être mis en tension, car la situation peut être vue comme un blocage. Dès lors, c’est plutôt un lieu mobile et éphémère qui est souhaité : « […] il me semble que le futur du “commun” en design, pour être le plus libre possible, ne peux avoir lieu qu’en dehors de nos systèmes classiques, de manière anarchique, sans lieu fixe, éphémère. Je pense qu’internet reste, encore aujourd’hui, une des pistes principales » (Pola Noury).
Deuxièmement, l’acceptation à y participer est conditionnée à la finalité d’un tel commun dédié à la recherche, car il doit être « écologique » (Christophe Laurens), et ne pas sacrifier l’ « esthétique », dans la mesure où « la dimension esthétique et poétique de la lutte pour les communs [...] est pour moi essentielle et peut-être même première : pas de politique des communs sans une vision esthétique de ceux-ci, et le design est directement en prise sur ce point » (Rémi Astruc). En revenant avec un des enquêté sur les dynamiques de tiers-lieux, souvent installés dans des friches ou des quartiers populaires, on peut lire : « Le problème, c’est qu’on y importe nos codes esthétiques, souvent étudiants, qui ne permettent pas aux habitants de se projeter dans une vie meilleure. Ce sont des lieux parfois éphémères, pauvres en moyens, et les habitants finissent par se dire “on n’a pas droit à mieux”. Je pense que l’on peut interroger cette esthétique “bricolée”, c’est-à-dire “palette + récup”, qui fait sens pour nous mais pas forcément pour ceux qui vivent là toute l’année. L’exemple que je donne souvent, c’est quand je travaillais à l’usine l’été quand j’étais étudiant. J’allais trop vite sur la chaîne, les ouvrières m’ont dit : “Ralentis ! Toi tu repars dans un mois, nous on fait ça toute notre vie”. C’est la même chose ici : on fait un projet pour trois mois, mais les usagers doivent vivre avec le projet sur une période beaucoup plus longue » (Malte Martin).
Troisièmement, les tiers-lieux ne pourraient faire l’économie d’une critique, car ils se sont fait rattraper par le type d’économie marchande dont ils voulaient s’extraire et parce qu’ils se situent à peine au niveau de « l’éducation populaire », et donc non pas de la recherche. On peut en effet lire : « Le mouvement multiforme des tiers-lieux est particulièrement intéressant dans ses principes et ses ambitions. Mais la promesse portée initialement, ou du moins celle à laquelle on avait envie de croire, a été quelque peu déçue [...] Dans le pire des cas, les tiers-lieux sont devenus des lieux de consommation comme les autres, ou alors de simples loisirs pour produire des objets inutiles en plus de la consommation ordinaire avec l'illusion narcissique de l'avoir fait “soi-même”. Dans le meilleur des cas, c'est une forme d'éducation populaire, d'autonomisation dans la production et la réparation, d'ouverture à autre chose que l'accumulation matérielle infinie » (Ludovic Duhem). Mais c’est signifier quelle est la condition de la participation : il faudrait qu’un tiers-lieu de recherche ne renie pas la promesse des origines, qu’il soit solidaire du design compris comme « écosocial » et qu’il soit fondée sur une critique radicale ! C’est en effet Ludovic Duhem qui énonce « Si donc, un tiers-lieu qui aurait vocation à renouveler la théorie et la pratique du design par les communs était proposé, j'aurais bien sûr grand plaisir à y participer. Mais il devrait s'inscrire d'emblée dans une ambition de design (écosocial) des communs, c'est-à-dire de conception, d'expérimentation et de critique à la fois de la situation dans laquelle nous sommes aujourd'hui, du design appliqué aux communs ou au service des communs, et des communs eux-mêmes ».
Mais il n’est pas tout seul à soumettre sa participation à la condition d’un tiers-lieu éminemment critique. On peut en effet lire : « Donc un tiers-lieu commun, dédié à la recherche pratique et théorique en design, pourquoi pas ? Donner accès, ouvrir, partager, réunir designers, chercheurs et usagers, c’est une belle intention, qui peut rappeler celle des living labs, à l’époque où c’était aussi à la mode. Mais je pense qu’il ne faut pas oublier que ces lieux (tiers-lieux ou autres espaces de friction) sont qualifiés par le philosophe allemand Oskar Negt d’“espaces publics oppositionnels” et par le sociologue Pascal Nicolas-Le Strat de “communs oppositionnels“, et c’est une idée que je pense importante : ces lieux doivent être investis collectivement dans une dynamique de contribution qui doit participer à formuler, d’une manière ou d’une autre, une critique ou une alternative aux modèles dominants. Où et face à quoi, ou en réponse à quoi ce tiers-lieu commun de recherche en design se positionnerait-il? » (Camille Bosqué).
Enfin, la participation est conditionnée à une type de recherche qui renforce la pratique, soit une forme de recherche opérationnelle ou appliquée à l’éducation populaire et féministe. Radwan Beshr porte la première partie de cette condition : « En Jordanie, bien qu'il n'existe actuellement pas d'espace partagé similaire, nous aspirons à créer de tels lieux qui permettent aux designers, chercheurs et utilisateurs de travailler ensemble dans un environnement favorisant la coopération durable. Si un espace commun de recherche en design était mis en place, je crois qu'il aurait un impact considérable pour renforcer le travail d'équipe et développer de nouvelles idées pouvant être appliquées de manière pratique. Ce serait un grand plaisir pour moi de participer à de tels espaces collaboratifs qui contribuent à la progression et à l'innovation dans le domaine du design au sein de la société ». Camille Desmoineaux énonce la seconde : « Oui, je suis déjà à l'origine d'un espace de création et expérimentation numérique et technique de ce genre [...] Ce qui motive cet espace, c'est l'émancipation technique féministe, la création en collectif, l'accessibilité par la mise en commun d'outil, l'auto-formation à partir de base féministe et d'éducation populaire ».
4.3 Analyse des difficultés liées à un tel commun de recherche
Il n’en reste pas moins que cette création d’un commun dédié à la recherche, même conditionnée plutôt clairement, paraît difficile. Certains analysent en effet ces difficultés, ce qui explique peut-être également pourquoi se pose la question de l’existence déjà acquise ou à venir.
4.3.1 Freins culturels, absence de culture partagée du commun par les acteurs et des institutions
Ces difficultés peuvent être externes à un tel commun de recherche. Les communs liés à la recherche seraient en quelque sorte empêchés par « des freins culturels » — « Je suis convaincu que les freins au développement des communs et de la coopération ouverte sont avant tout des freins culturels. Ce sont des logiques profondément ancrées dans les façons de faire des décideurs, des responsables politiques, des institutions universitaires ou des experts : culture de la compétition, de la maîtrise du discours, du contrôle » (Michel Briand) —, voire par une absence de « culture partagée » du commun par les acteurs : « Pour que ce type de tiers-lieu fonctionne vraiment, il faut qu’il y ait, sur un territoire donné, une culture partagée entre enseignants, agents publics, associations, designers… Et ce n’est pas toujours le cas » (Michel Briand). Pourquoi est-ce ainsi ? Le même enquêté répond en alléguant, encore une fois, une absence de culture de ce qu’est et de ce comment fonctionne un commun de la part des institutions : « […] coordonner un commun, ce n’est pas centraliser, c’est animer, encourager, faciliter. Et ça, ce n’est pas une évidence. C’est même souvent ce qui coince. Parce que la coopération ouverte n’est pas juste un outil ou une méthode, c’est une culture. Et cette culture est encore fragile : elle demande un véritable engagement, une remise en question des habitudes institutionnelles » (Michel Briand).
4.3.2 Limites des acteurs dans le système éducatif
Un autre empêchement tient aux motivations des acteurs particuliers que sont les étudiants designers ou de leurs enseignants : « C’est aussi une question d’étudiant et d’étudiante, c’est à dire que les étudiants et les étudiantes qui font du design, est-ce qu’ils le font pour aboutir à ce dont on parle, ou est-ce qu’ils le font parce qu’ils ont une image du design de revue qui se traduit souvent par de la création de besoins, de l’invention de nouveaux objets pour chaque problème nouveau ? Les profs sont parfois un problème parce qu'ils ont été des enseignants formés à un design un peu traditionnel, et le design dont on parle convoque d’abord beaucoup moins de choses sur les produits que sur les services, beaucoup plus de choses sur les systèmes d’acteurs que sur les simplement produits et services ... Cela suppose aussi une évolution du corps enseignant dans le monde du design » (François Jégou).
4.3.3 Disciplinarité, auctorialité et droits d’auteur
Mais il y aussi des difficultés internes et plus spécifiques encore au commun de recherche. Il en est ainsi des problèmes de disciplinarité, d’auctorialité et de droits d’auteur, difficiles à dépasser. Pour la disciplinarité, on peut lire : « C’est une proposition intéressante et plus compliquée qu’il n’y paraît. Elle repose sur la possibilité d’accéder réellement à une véritable pluri- ou trans-disciplinarité et ainsi à un autre rapport au savoir et à la pédagogie. Cela demande de bousculer beaucoup des positions généralement tenues pour acquises ou perçues comme imposées, pour se mettre dans les dispositions d’esprit et de corps où il n’y a plus ni expert ni ignorant, mais un autre rapport, commun, justement, au “faire”, au double sens du “que faire ?” et du “comment faire ?”. L’effort à produire est immense mais il vaut le coup d’être tenté, à partir de ce qui me semble être la vertu cardinale d’un tel déploiement : la bonne volonté et la bienveillance, affects communautaires par excellence » (Rémi Astruc).
Pour les questions liées à l’auctorialité, il faut comprendre qu’il existe une tension car si « le commun vient percuter la question du travail d’auteur·es » (Nicolas Filloque), et si le commun sous forme de « science ouverte » est souhaitable, cette ouverture étant « primordiale », la pratique du design et plus largement de la recherche plaide en faveur de « l’autorat» (Élise Rigot), et donc celle des droits d’auteur (Élodie Elsenberger).
À ce titre, la proposition d’un commun éditorial reste une piste à interroger. En effet, il permet de toucher un lectorat plus large que celui des seuls spécialistes, chercheurs, designers, et de réfléchir à l’évolution des formats éditoriaux proposés, comme le suggèrent ces quelques phrases : « C’est aussi des communs le fait de faire des choses qui sont peut-être pas des vrais livres au sens de publications faites par un éditeur. Nos utilisateurs ne sont pas des lecteurs ou très peu sont des lecteurs de la littérature scientifique, et le design suppose une typologie de publication dans lequel il y a un équilibre entre l’écrit, l’image et le dessin, ce qui est un petit peu difficile pour les éditeurs à faire entrer dans une librairie. On a choisi nous de faire de la publication autoportée par “Stratégique design scénario Publishing” qui est diffusée gratuitement » (François Jégou).
4.4 Le rejet
Dans l’hypothèse où ces lieux sont à créer, la proposition d’un commun dédié à la recherche reçoit aussi des refus motivés par l’idée que ce type de lieu peut renvoyer à une communauté opportuniste et close sur elle-même : « Non. J’suis très très sceptique, j’en ai jamais vraiment fréquenté, et c’est plutôt une blague dans le milieu on les considère surtout comme des suceurs de subventions [rire] que des outils vraiment au bénéfice du bien commun […] Moi j’ai l’image d’un FabLab comme quelque chose de pas du tout ouvert mais fréquenté par des espèces de nerds, des mecs qui se font plaisir en achetant des imprimantes 3D » (Adrien Zammit).
Et ce refus n’est pas seulement dû à l’assimilation rapide entre FabLabs et Tiers-lieux de recherche. Les motivations invoquées sont qu’un tel lieu serait trop « abstrait », trop « spécialisé » « ressemblerait trop « au travail » et ne serait pas « fun ». On peut en effet lire : « Non, je ne pense pas. Je pense que ces sujets sont trop abstraits pour moi. J’aurais besoin d’un lieu qui offre des services plus concrets, directement associés à des besoins de la vie quotidienne. Et je pense que j’aurais besoin d’un lieu qui soit fun, qui donne envie, dans lequel je n’ai pas l’impression d’aller au travail. Un hackerspace avec des chercheurs sur le design, ça me fait trop penser au travail » (Théo Mouzard).
Une autre raison est évoquée pour expliciter qu’on ne fréquenterait pas un tel lieu. La clôture du lieu serait liée à son caractère « bourgeois », « hyper élitiste » : « Parfois, avec une approche trop théorique ou trop spécialisée, comme on a tendance à avoir dans le champ de la création artistique, le travail de conception et de création artistique s’adresse à une toute petite partie de gens. C’est hyper élitiste, d’ailleurs c’est assez bourgeois comme démarche. L’architecture, le design, l’art, ce sont des choses qui sont assez bourgeoises » (Théo Mouzard). Mais ce rejet est aussitôt assorti d’un souhait et d’une question qui vaut pour condition : « J’aurais besoin que ce soit un lieu qui propose des activités accessibles à tout le monde, et pas seulement à une frange spécialisée de la société [...] il faudrait que ce soit un lieu vraiment collectif et commun, dans ce sens-là, un lieu qui s’adresse à mes voisins, à mes amis, à mes frères et sœurs, à tout le monde. Donc la question est : comment s’adresser à tout le monde ? » (Théo Mouzard).
5. Pour ne pas conclure...
Les entretiens menés étant semi-directifs, les designers qui investissent le temps de parole libre mettent l’accent sur leur attachement au commun et, en fin de compte, sur ce en quoi le ou les communs comptent pour eux.
Certains d’entre eux terminent en pointant la nécessité de bien définir le terme de « commun » et de tiers-lieu en les resituant d’un point de vue politique : « pour moi, les communs c’est un vrai acte politique, qui remet en question la notion de propriété privée et je pense que c’est vraiment très important de toujours l’avoir en tête pour éviter que ça ne devienne qu’un mot valise comme un autre, et que ça tombe dans les oubliettes des mots, des mots récupérés par les politiques et autres » (Damien Grava). Il faut en effet se méfier, selon d’autres, des flottements définitionnels : « Aujourd’hui, on met le FabLab — et le tiers-lieu — à toutes les sauces (si j’ose dire), et je pense que c’est souvent dommage car en suivant un effet de mode, on risque de perdre le sens fondamental de ces lieux » (Camille Bosqué).
D’autres encore rappellent que « s'il y a un commun que la modernité s'est appliquée à défaire de façon systématique et auquel je suis attaché c'est l'habitation poétique de la terre. » (Christophe Laurens) et, plus généralement, qu’il y a urgence à se préoccuper des communs, car les « regrets » ne sont pas fondateurs en matière de futur : « Nos systèmes symboliques partagés, et les manières fondamentales dont nous donnons du sens au monde à travers eux, peuvent être menacés par des manipulations délibérées (postures, marchandisation, polarisation) les transformant en formes d’insignifiance socialement médiatisées. Ces actes intentionnels nous conditionnent à accepter la perte dévastatrice comme caractéristique normale de notre environnement culturel actuel. Mais le défaitisme ne deviendra jamais une valeur culturelle. Le regret ne deviendra pas un nouveau commun» (Kenneth Rabin)
Enfin, certains designers se rencontrent sur une métaphore écologique, faisant du « compostage » des idées — du caractère heuristique de l’archive, donc — la condition d’un commun de recherche. Cela s’entend à travers ce témoignage : « Oui, je trouve intéressant d’aborder la question de la transmission et de la durabilité des communs. Qu’est-ce qui fait qu’un commun peut continuer d’exister même quand les personnes qui l’ont initié ne sont plus là ? Comment faire transmettre les savoirs, les outils, les pratiques, sans qu’ils se perdent ? Il y a là un enjeu de documentation, de transmission intergénérationnelle. Et aussi un enjeu de pensée “compostable” : comment les communs peuvent se transformer, muter, nourrir d’autres communs à venir ? C’est une logique inspirée du vivant : un commun, ça naît, ça vit, ça meurt peut-être, mais ça peut fertiliser autre chose. C’est pour ça qu’il faut penser à des formats ouverts, facilement réappropriables, transmissibles. Il faut rendre les pratiques et les objets produits transférables. Sinon, on les perd. » (Lilian Ricaud) Et encore à travers celui-ci : « […] une idée à laquelle je tiens : celle du compostage des idées. Quand une association ou une personne termine une étape, il faudrait documenter ce qui a été fait, pour laisser une trace utile aux autres. C’est ce qu’on a fait avec l’association Vecam : nous avons confié à la sociologue Anne Bellon la tâche de retracer l’histoire de la structure avant sa fermeture. Selon moi, ce principe devrait s’appliquer partout. Pourquoi ne pas imaginer qu’un enseignant qui part à la retraite composte son travail, ses cours, ses contenus ? Ce serait un bien commun précieux, au lieu de laisser mourir ce travail dans un disque dur » (Michel Briand).
Autant de recommandations à garder à l’esprit et de pistes méthodologiques à explorer...
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Les volets 1 et 2 sont respectivement consultables sur : https://journal.dampress.org/words/le-design-et-ses-pratiques-volet-1-questions-de-temps, (consulté le 9 mai 2025) et https://journal.dampress.org/words/le-design-et-ses-pratiques-volet-2-de-la-reconnaissance-a-laction (consulté le 9 mai 2025). ↩
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Pour prendre connaissance de cette théorie critique, voir Catherine Chomarat-Ruiz, À l’écoute du design, une théorie critique, Bagnolet, L’échappée belle, 2025. ↩
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Sur ce point, voir le témoignage de Denis PODALYDÈS, « La misère du monde », dans Denis PODALYDÈS, L’ami de la famille. Souvenirs de Pierre Bourdieu, Paris, Julliard, Camera Obscure, 2025, p. 113 et suivantes. ↩
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Ils ont témoigné de leur expérience dans ce domaine, ou sont référencés sur les sites de collectifs dédiés à ces questions. ↩
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Les passages soulignés dans les extraits cités sont de notre fait. ↩
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Célestine Bel a mené l’entretien. ↩
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Tristan Le Dem a mené l’entretien. ↩
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Catherine Chomarat-Ruiz a mené l’entretien. ↩
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Léa Becquet a mené l’entretien. ↩
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L’entretien a été mené par Oula Al Chayb. ↩
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Brice Barthez a conduit l’entretien. ↩
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L’entretien a été conduit par Sophie Montet. ↩
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Sophie Montet a conduit l’entretien. ↩
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Léa Becquet a conduit l’entretien. ↩
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Catherine Chomarat-Ruiz a conduit l’entretien. ↩
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Brice Barthez a mené l’entretien. ↩
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Marie Desthomas a conduit l’entretien. ↩
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Klara Kuchcakova a conduit l’entretien. ↩
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Camille Blouin a mené l’entretien. ↩
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Tristan Le Dem a réalisé l’entretien. ↩
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Oula Al Chayb a conduit l’entretien. ↩
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C’est Léa Becquet qui a conduit l’entretien. ↩
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Marie Desthomas a conduit l’entretien. ↩
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Melhia Rym a conduit l’entretien. ↩
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L’entretien avec Rémi Astruc a été conduit par Célestine Bel. ↩
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L’entretien a été conduit par Camille Blouin pour Elise Rigot, et par Léa Becquet pour Élise Rigot. ↩
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C’est Oula Al Chayb qui a mené l’entretien. ↩
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Klara Kuchcakova a conduit l’entretien. ↩
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Entretien mené par Brice Barthez. ↩
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L’entretien a été conduit par Rym Meliha. ↩
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l'entretien est conduit par Léa Becquet ↩