Université d'été de la Preuve par 7, retour critique
Valentin Sanitas, Romain Mantout, Marie Tesson

Romain Mantout est architecte, et doctorant au laboratoire GERPHAU de l'ENSA Paris la Villette, rattaché à l'ED Pratiques et Théories du Sens de l'Université Paris 8.

Valentin Sanitas est doctorant en design au CNAM, au sein du laboratoire MAP-MAACC et professeur à l'École Nationale des Beaux-Arts de Lyon.

Marie Tesson est architecte, doctorante au sein du laboratoire FoAP, ED Abbé Grégoire, CNAM, et de l'École des Arts de La Sorbonne, et en CIFRE dans l'agence d'architecture SCAU.

Résumé
Les 15, 16 et 17 juillet 2021, la Preuve par 71 a organisé une Université d\'été en parallèle du festival Bellastock. Cherchant une alternative pour générer des savoirs collectifs depuis certaines pratiques de fabrication de la Ville, l'ambition était de proposer une forme alternative de mise en commun d'expériences et de connaissances. À partir de dispositifs de recueils de données mis en place par deux doctorants et une dotorante associés à la chaire EFF&T, nous proposerons un retour critique sur les perspectives esquissées au cours de ces trois journées.

Abstract
On the 15th, 16th and 17th of July 2021, the Preuve par 7 organised a Summer University in parallel with the Bellastock festival. Looking for an alternative way to generate collective knowledge from certain practices of building the City, the ambition was to propose an alternative form of sharing experiences and knowledge. Based on the data collection systems set up by three doctoral students associated with the EFF&T Chair, we will offer a critical review of the perspectives outlined during these three days.

Introduction

La première Université d'été de la Preuve par 7, « Manier l'exception pour construire la règle », s'est tenue pendant et au sein du festival Bellastock 2021 « Cité vivant2 », au CAAPP, à Évry, les 15, 16 et 17 juillet, en partenariat avec la Chaire EFF&T3. L'organisation de ces rencontres et discussions au sein d'un chantier paysager avait pour objectif 1/ d'abolir les frontières entre théorie et pratique ; 2/ de proposer un format alternatif d'Université d'été ; 3/ de mettre en avant des expériences alternatives ou hors cadre. Trois doctorants de l'ENSAPLV, auteurs de ce texte, associés à cette chaire ont été missionnés pour porter un regard réflexif et proposer un retour critique sur ces premières universités d'été.

L'objectif de ce retour critique pour la Chaire EFF&T était de comprendre si, en s'appuyant sur un transfert de connaissances effectué en dehors du cadre académique et selon des modalités « non pédagogiques », un certain savoir collectif émergeait et quelle forme il pouvait prendre. L'étude des « modalités de transmission » dans ces trois journées a donc été le centre de cette observation.

En immersion dans les trois jours de festival, leur travail s'est ainsi concentré sur trois postures qui structureront cet article : 1/ participer aux temps matinaux de rencontres et table rondes - être témoin ; 2/ proposer des dispositifs de récolte d'informations - être alerte ; 3/ adapter le lieu et le déroulement de l'Université d'été selon les premiers retours des participants - être à l'écoute.

Dans un premier temps, la posture du témoin nous permettra de faire état de ce qui s'est dit, de ce qui a eu lieu, de ce qui s'est produit pendant les trois jours. Cette Université d'été étant une première, une observation rétrospective a été proposée pour comprendre l'adéquation entre les ambitions pré-événement énoncées dans la brochure et ce qui est finalement advenu sur site. Il est important de comprendre ainsi les raisons pour lesquelles chacun s'est inscrit comme participant, et évaluer si l'événement était conforme à ces projections, et aux attentes de la Preuve par 7.

Dans une seconde partie, nous aborderons les différents dispositifs de captation du terrain. Si certaines de ces installations étaient laissées en autonomie, d'autres ont demandé une activation, transformant la posture initiale de témoin en une posture d'alerte. Dans quelle mesure ces changements ont-ils bousculé le déroulement de l'événement ? Pendant l'Université d'été, les doctorants ont été identifiés par les participants comme membres de l'organisation, sans qu'ils ne se présentent jamais comme tels. Ce changement de statut signifiait implicitement qu'il était nécessaire d'opérer des adaptations in situ avec les participants, sur lesquelles nous reviendrons.

Dans un troisième temps, il sera question d'être à l'écoute de transformations potentielles dans la construction de cette Université d'été, qui ont notamment été émises par les participants. En fonction des différents temps qui ont rythmé l'Université d'été en lien avec le festival Bellastock, quelles pistes ont émergé de cette première édition pour penser le cadre d'une création alternative de savoirs ? Quelle organisation permettrait de générer des porosités entre théorie et pratique ? Et comment le champ de la pratique pourrait-il finalement exister concrètement dans un format initialement issu d'un monde académique basé sur la prévalence de la théorie ?

La manière de créer et partager des savoirs multiples dans un format alternatif reste une question centrale que pose cette première édition de l'Université d'été de la Preuve par 7. Les traces produites par les dispositifs peuvent apparaître comme les indices des collaborations en place sur ces 3 journées. Des indices qui se sont majoritairement fabriqués lors des instants de pause, des moments informels. Le cadre dit alternatif selon la Preuve par 7 pourrait-il favoriser les rencontres inopinées et inattendues ?

Dès les premiers échanges et questionnements, la figure de l'interstice semblait la plus fructueuse du point de vue heuristique pour explorer ces pistes de travail.


Figure 1. Retranscription dessinée de la rencontre entre l'Université d'été de la Preuve par 7 avec le festival Bellastock, Valentin Sanitas

1. Être témoin d'où se situe l'alternative de l'Université d'été

L'appel à participation à l'Université d'été de la Preuve par 74 affiche clairement ses objectifs : étoffer les outils et la légitimité de celles et ceux qui « veulent faire la Ville différemment » ; tisser un lien aujourd'hui trop distendu entre réflexion, expérience, et travail manuel dans les pratiques urbaines ; œuvrer à la reconnaissance, la documentation et la transmission des expériences pour les mettre en réseau ; faire support à la rencontre, la discussion, et l'action.

Sur place, le dispositif est simple : une toile rouge tendue sous laquelle des planches alignées en équilibre sur des rondins de bois attendent face à une table où sont posés des micros. Une seconde table à l'extrémité des fils accueille le mixage sonore et l'enregistrement. Sur un chevalet, le programme est écrit au feutre effaçable. C'est donc ici que se tiendront les rencontres, les discussions, et les actions. Premier problème soulevé instinctivement par les participants dès leur arrivée, cet événement souhaitant présenter des savoirs et expériences alternatives adopte finalement le format de conférence assez classique.

Les interventions des invités n'ont pas différé dans leur forme de ce qu'on aurait pu attendre d'un séminaire universitaire. Reste donc la liste des prises de parole et leur sujet, qui pourraient incarner ce pas de côté. À défaut d'une expérimentation spatiale pour ces tables rondes, l'Université d'été a choisi d'en parler par les thématiques qu'elle aborde :

« Qu'est-ce que l'expérimentation en urbanisme ? Qu'entend-on par là, dans les usages, dans l'espace, dans le temps, dans la loi ?

Quels sont les méthodes, les moyens et les droits de celles et ceux qui souhaitent agir de manière plus libre, plus collective, plus inventive dans la cité ?».

Les personnes invitées venaient pour certaines du monde académique, pour d'autres de la vie politique ou associative, et d'autres encore du milieu militant. Chacun a pris la parole depuis son expérience, son prisme, son terrain, sur des sujets croisés. Souvent plus proche du récit d'expérience que de la leçon universitaire, les intervenants ont tous, à leur manière, ancré ces questions dans leurs réalités quotidiennes, apportant des cas pratiques pour les étudiants et professionnels à leur écoute.

En avançant dans le détail, chaque journée adopte un objectif particulier :

« Le premier est "Expérimenter", car un temps de questionnement du sens même de ce mot paraît indispensable. Qu'est-ce qu'expérimenter ? Dans quelles situations ? À quelles échelles ? À quelles fins ?

Le deuxième est "Vivre", façon plus vaste de parler d'habiter. Intimement liées à une inscription dans le temps long, ces expériences de vies alternatives ont présenté des usages, des modes de prises de décisions communes ou encore des réponses effectives à des situations d'urgence.

Le troisième est "Pouvoir" pour s'inventer les moyens d'agir à partir du déjà-là ; pour construire la négociation comme une possibilité de transformation. »

Si le contenu de la première matinée paraissait correspondre au thème annoncé, les deux suivantes portaient des contenus moins identifiables aux intitulés. La deuxième matinée aurait pu elle-même s'intituler « pouvoirs », ou « expérimenter », et la troisième, pourquoi pas « vivre ». Si les frontières sont floues, les passerelles entre thématiques sont en revanche évidentes. Les croisements de sujets et d'approches se sont faits d'eux même à partir de terrains d'études variés en faisant apparaître que cette thématisation des retours d\'expérience ne permet pas de les classer les uns par rapport aux autres ; ces trois thématiques pouvant se retrouver dans chacune des interventions proposées. Plus encore, on peut émettre l'hypothèse que ces sujets contemporains qui questionnent designers, architectes et paysagistes se refusent à être traités par une approche disciplinaire. D'autres agencements seraient nécessaires. Ces journées ne pourraient-elles pas être repensées du point de vue de ces terrains, dans leurs croisements et dans leurs écarts ?

S'agissant du savoir généré ou construit, il est assez difficilement appréhendable. Les interventions se sont succédé, sans forcément se croiser ; et la place silencieuse et observatrice donnée aux participants ne laisse aucun indice sur d'éventuels apprentissages ou réflexions issus des trois journées.

Le format finalement classique des interventions n'a pas permis l'émergence des échanges escomptés entre intervenants et participants. Ce constat s'est imposé dès la première matinée et nous interroge nécessairement sur les possibilités d'adaptation des conférences dans leur forme. Comment les rendre plus interactives et encourager plus de participation du public ? En quoi les dispositifs d'enquête peuvent-ils générer une réciprocité dans le partage des savoirs ?


Figure 2. L'auditorium de l'Université d'été de la Preuve par 7, Marie Tesson

2. Être alerte à ce qui se déroule 2.1 Des dispositifs d'observation et d'échanges

Afin d'accompagner les conférences et les tables rondes prévues, les doctorants ont été invités à imaginer des dispositifs de médiation. L'ambition de ces dispositifs était d'obtenir un retour d'expérience des participants de l'Université d'été, qui ne soit pas pour autant un formulaire mécanique à remplir, mais qui puisse saisir de plus larges variations et traduire une expérience vécue sur site. Ces dispositifs devaient notamment prendre place lorsque les tables rondes n'ont pas lieu, en amont ou à leur suite, dans tous les cas en dehors du cadre strict des Universités d'été.

De quoi ces dispositifs sont-ils alors la médiation ? Au fur et à mesure du déroulement de l'Université d'Été, il est apparu que ces dispositifs pouvaient pallier le manque de participation du public aux tables rondes, et leur offrir un cadre d'expression plus libre pour accueillir leurs questionnements et marquer une trace de leur présence. Ces dispositifs se situent volontairement à un carrefour, à l'intersection entre l'Université d'été de la Preuve par 7, le chantier ouvert de Bellastock et l'expérience sensible du lieu lui-même. La matière récoltée témoigne de ces approches multiples et sa lecture pose la question de la nature de ces images, textes et échanges, qui mettent en avant l'entremêlement des pratiques d'appropriation de l'événement. Une situation trouble qui a rapidement décalé l'usage de ces dispositifs, créé une impasse et une première évolution. Comment recueillir uniquement la parole des participants de l'Université d'été et non celle du chantier de Bellastock ? Il semble impossible de refuser à quiconque la possibilité de laisser son témoignage. La frontière entre les activités de l'Université d'été et de Bellastock n'a pas été tenue ; et d'après l'avis des participants, elle n'était pas non plus souhaitable. Le phénomène advenu pour les conférences des matinées qui ont attiré au-delà des personnes sélectionnées s'est donc répercuté dans les dispositifs qui ont été immédiatement adaptés. Ainsi aucun d'eux n'a été limité aux participants de l'Université d'été. Au contraire, tous furent ouverts à l'ensemble des participants de Bellastock ainsi qu'au public de la journée du samedi. Cinq dispositifs ont été mis à la disposition de l'ensemble des acteurs présents sur le site pendant les trois jours et ont connu de multiples transformations et réinterprétations.

Le premier protocole mis en place fût le poste d'observation. Il s'appuyait sur la typologie du lieu, cette forêt dans laquelle il est facile de se dissimuler pour une observation à distance des différentes activités. Ce dispositif était prévu initialement comme plusieurs modules disséminés ici et là dans le parc. Faute de temps et de matériaux pour réaliser ces postes, il est devenu dès l'ouverture de l'événement « la table de retranscription ». Planté au milieu de la clairière centrale, sous un catalpa (appelé arbre à haricots), la table de retranscription était un point de passage pour discuter de ce qui était en cours sur le site, et y laisser une trace, qu'elle soit graphique, orale ou textuelle. Au début de chaque matinée, la table de retranscription était rappelée à l'ensemble des participants du festival et de l'université, puis une nouvelle fois à la fin des matinées de conférences de la Preuve par 7. Le fait de déterminer un lieu précis, visible et récurrent, a permis aux participants d'identifier la table comme lieu de rendez-vous. De plus, elle regroupait plusieurs outils laissés à disposition pour témoigner de son expérience du site.

Le second outil de collecte de données fût la constitution de cartes collaboratives. La table de retranscription a été le lieu de la carte sensible du festival. Toutes les équipes participant à Bellastock ont été invitées à venir y dessiner, sans fond de carte préalable, leur vision du territoire et leur propre espace à aménager. La carte a été complétée par l'ensemble des groupes sur les trois jours de chantier. Par un jeu de couleurs, elle témoigne également d'une chronologie et des modifications faites d'un jour sur l'autre dans une multitude d'écritures variées. L'ensemble est assemblé par rapiècement. Une seconde carte sur un format et un dessin unique a également été entreprise durant le festival. Cette cartographie a révélé différentes visions du lieu permettant à chaque équipe de nommer les espaces aménagés et de créer une forme de narration du parc lors des visites qui se sont déroulées le dernier jour.

Un troisième outil de récolte de paroles était la rédaction de cartes postales. Une boîte en bois et des papiers cartonnés au format A6 ont été mis à disposition des participants qui trouvaient ici une manière plus intime d'exprimer un ressenti. L'ensemble des cartes postales a été déposé dans la boîte aux lettres, soit une cinquantaine de cartes rapportant un moment singulier, une pensée personnelle ou un message adressé à tous, anonyme ou non.

Le quatrième moyen de prendre trace des évènements s'inspirait de l'idée de pièges photographiques. Cinq appareils photo jetables ont été disposés à travers le site, et laissés à disposition des participants. Directement suspendus aux arbres, ils ont été placés dans des espaces identifiés comme centraux dans les pratiques du lieu (clairières, lieux de passage...) Le développement et la numérisation révèlent le caractère anecdotique des situations, parfois de travail, généralement de vie. Les participants souhaitaient simplement garder un souvenir furtif de ce chantier en commun.

Un cinquième dispositif a été improvisé durant le festival. Des entretiens enregistrés des participants de l'Université d'été ont été réalisés avec l'aide de l'équipe de la radio du festival, « Causes communes ». L'objectif de ces entretiens libres était de comprendre les raisons de leur inscription à l'Université d'été ou au festival, ce qu'ils ont trouvé sur place, d'éventuels décalages, bonnes surprises ou rencontres prometteuses.

2.2 Formes de collaboration

À défaut de constituer — à proprement parler — une méthodologie d'observation et de décryptage de l'adéquation entre les attentes des organisateurs et les retours des participants, l'expérimentation de ces dispositifs a révélé la nécessité de construire des outils de collaborations à différentes échelles, mettant en évidence le besoin d'une plus grande porosité et fluidité de contenus entre l'Université de la PP7 et l'événement d'accueil : le Festival Bellastock.

Plus particulièrement, il apparaissait nécessaire de renforcer en amont la collaboration entre les membres de Bellastock, de la Preuve par 7 et les paysagistes encadrant les activités du site, invités cette année. Que ce soit les interviews menées en binôme ou bien les activités de la table de retranscription, elles ont permis de réinventer en permanence les manières de récolter des avis. La table de retranscription témoigne fortement de cette écriture à plusieurs mains. Elle est le résultat de la rencontre entre la mission de témoignage de Grégoire Saurel sur le festival Bellastock depuis plusieurs éditions, avec le rôle d'observateurs critiques des doctorants associés à la chaire. Cette collaboration spontanée démontre les adaptations nécessaires des formats initiaux pour raconter les événements de ces trois jours. Ce nouveau dispositif a provoqué des discussions et permis de saisir sur un coin de table les transformations en train de se faire, par couches successives.

Des couches successives qui révèlent les collaborations cette fois entre les équipes participantes. Pris au jeu du puzzle dessiné du site, les membres de chaque équipe ont trouvé dans la table de transcription un usage étonnant. L'accumulation des zones cartographiées a été l'occasion de découvrir le travail des autres équipes quand chacun était trop pris dans ses propres travaux.

2.3 Des dispositifs heuristiques pour dégager un matériel inattendu

Comme évoqué plus haut, l'intérêt majeur de ces dispositifs se situe dans leur caractère marginal vis-à-vis de la programmation. Si la grande quantité de matériel collecté (enregistrement audio, dessin, photos, témoignages écrits...) peut nous renseigner globalement sur la satisfaction ou non de chaque participant et sa compréhension de ce qui s'est joué au long de ces trois jours, il est apparu que l'aspect anodin et « sans enjeu », au regard des moments plus formels, a permis de générer des temps d'échanges — à la fois entre la Preuve par 7 et Bellastock, mais aussi entre participants et organisateurs.

Si la première ambition de ces dispositifs était de récolter une matière permettant de renseigner le fond, c'est finalement le geste de leur mise en œuvre et leur forme didactique (jeu de puzzle géant, rédaction de cartes postales, prise de photos avec des appareils jetables, enregistrements audio sauvages) qui ont généré des temps de partage dépassant les cadres « hiérarchiques », en place le reste du temps.

2.4 Les constats intuitifs : vers une mise en récit

Le premier constat de ce retour critique a été la difficulté pour les participants d'engager des échanges durant les matinées de discussion. Un second constat serait que ces mêmes discussions apparaissaient malgré tout dès que les participants sortaient du cadre formel. L'intérêt des dispositifs de captation se trouve donc dans leur capacité à favoriser les moments entre les événements, les instants mous, les creux du festival où finalement le temps est laissé aux rencontres et aux échanges, car rien d'autre n'est demandé. Ces dispositifs peuvent être compris a posteriori comme des micro-espaces-témoins. Chacun d'eux portait un prétexte anodin pour se raconter les histoires du festival que l'on a manqué. Une tâche légèrement en dehors, à côté des autres activités pour marquer un moment, puis un autre et qui, mis au bout à bout, fabrique la narration, même à la plus petite échelle qui soit, d'un espace plus grand en train de se construire ensemble.

Ces dispositifs variés ont produit des documents à multiples voix et multiples mains. Au croisement des activités, ils ont été repérés comme de micro-espaces de passage où l'on vient marquer le festival de son témoignage. Quels enseignements pouvons-nous tirer des retours d'expériences des participants ? et quelles pistes se dégagent pour l'organisation d'une prochaine édition des universités d'été de la Preuve par 7 ?


Figure 3. La table d'observation / Bellastock 2021 + Université d'été de la Preuve par 7, Marie Tesson

3. Apprendre de l'expérience et mettre en œuvre des outils expérimentaux

Comme nous l'avons vu en introduction, l'Université d'été de la Preuve par 7 s'est voulue comme une alternative ; sur le fond d'abord, en interrogeant les pratiques marginales et hors des cadres de la fabrication de la Ville, mais aussi sur la forme en prenant place sur le même site et au même moment que le festival Bellastock. Cette proposition d'une "forme alternative" d'université a des conséquences importantes à la fois sur le cadre matériel de ces journées, et sur la programmation elle-même, qui s'est voulue assez plastique pour laisser la possibilité aux participants de se joindre aux festivaliers au cours des après-midi. Ainsi, en parallèle de ces objectifs, les difficultés des participants à adopter une participation active, à être force de proposition ou de prise d'initiative, témoignent d'un dysfonctionnement dans le déroulé de l'Université d'été.

Pour mieux analyser et identifier les moments clés où « d'autres pistes de travail », auraient pu être explorées, il nous semble nécessaire de revenir sur l'aspect programmatique des temps qui se sont joués au cours des trois journées. Il est possible de les découper en 4 moments : l'accueil, les échanges matinaux, les temps pratiques de l'après-midi, et la diffusion de l'université. Les interrogations qui se sont posées pour ces moments spécifiques impliquent une réflexion plus globale de la répartition des statuts entre les participants, les festivaliers, et les intervenants.

3.1 L'accueil à l'Université d'été

L'accueil à l'Université d'été s'est déroulé en même temps que celui du festival. Le topo général sur le fonctionnement du lieu et le programme des trois jours a eu lieu collectivement, sans distinction entre les festivaliers et les participants à l'Université d'été. C'est à la suite de ce tronc commun que les groupes se sont séparés. Les conférences qui ont suivi ont été introduites à la suite du programme des intervenants et des sujets abordés au cours de l'Université d'été.

Les retours des participants sur place ont révélé la nécessité d'un temps de présentation supplémentaire, préalable à l'Université d'été, qui permettrait d'améliorer la participation et les échanges entre les différentes personnes présentes. D'abord, une explication précise à la fois de ce que sont la Preuve par 7 et la Chaire EFF&T, ainsi que des liens entre ces deux entités, serait essentielle pour préciser les enjeux de cette Université d'été : pourquoi sommes-nous là ? Que va-t-il se passer ? Quelles sont les marges de liberté dans le programme ?

Ensuite, un temps de présentation pour chaque participant puisse exprimer sa provenance et les questions qui l'ont amené à l'Université d'été, aurait facilité la prise de parole et les discussions. Ces temps de présentations pourraient se dérouler dans le cadre d'ateliers avec des équipes réduites, afin d'encourager la prise de parole et générer une cohésion de groupe dès le début de l'Université d'été.

Une première conclusion est donc celle de la construction d'un pré-temps d'échange, en amont du Festival, qui peut se faire par la mise en place d'outils allant au-delà des « supports de communication » proposés.

3.2 Les échanges matinaux

Comme nous l'avons déjà évoqué, l'Université d'été s'est déroulée en extérieur, sous le couvert d'une grande bâche afin d'ombrager le lieu au maximum ; et à proximité du bâtiment, pour être proche d'une source électrique permettant l'installation du matériel audio de diffusion et d'enregistrement. Les participants ont pris place sur des rondins et des planches, des bancs de fortunes organisés en rangs face aux tables où étaient installés les intervenants. Ce format s'est révélé peu propice aux débats, les participants ne pouvant pas voir l'ensemble de l'assemblée. Par ailleurs, cette organisation ne permettait pas aux festivaliers de venir s'installer un temps avant de repartir sans avoir l'impression de perturber les présentations ; bien qu'ils aient été invités à le faire à plusieurs reprises.

Sur la seconde journée, une première adaptation de l'espace a été motivée par les participants. Une nouvelle disposition des bancs et tables a été esquissée en cercles concentriques. Les retours des participants indiquent que l'organisation spatiale des discussions pourrait faire l'objet d'un moment dédié. L'enjeu est de sortir du format magistral, pour envisager une disposition plus horizontale entre participants et intervenants et de permettre l'afflux ponctuel de certains festivaliers en fonction des sujets abordés. Par ailleurs, un affichage du programme complet avec un résumé des sujets accompagné d'un panneau très visible qui précise l'intervention en cours aurait permis à ces derniers d'organiser leurs tâches afin de participer aux séances qui les intéressent.

Il est également remonté que les participants de l'Université d'été espéraient avoir plus de temps d'échanges direct avec les intervenants. Des ateliers de réflexions en groupes réduits en plus ou en parallèle des présentations pourraient renforcer la cohésion entre les participants. Cela faciliterait la prise de parole au moment de réunions plus larges, et de créer une certaine proximité avec les invités qui se prêteraient au jeu.

Par ailleurs, l'Université d'été portait l'ambition de rassembler un maximum de personnalités professionnelles différentes, du champ le plus pratique au plus théorique, des étudiants aux praticiens les plus chevronnés ; afin de pouvoir échanger à la fois sur les raisons de leur venue et sur les savoirs qui pourraient être mis en partage. Dans cette perspective, des temps d'échange réguliers permettraient de partager des retours d'expériences issus directement des expérimentations menées par les participants eux-mêmes, et ainsi enrichir l'Université d'été.

Ces moments de discussions informelles et hors cadre apparaissent tout aussi importants que les présentations pour favoriser davantage la cohésion du groupe et les échanges avec les intervenants.

Ainsi, un deuxième enseignement porte sur la nécessité d'expérimenter d\'autres formats : des formats spatiaux (où se rencontrer et comment) et les formats dialogiques, qui étaient peu présents.

3.3 Les après-midi pratiques

Après les échanges et débats de la matinée, les participants étaient invités à rejoindre l'une des équipes de festivaliers qui travaillaient à l'aménagement du parc sur différents chantiers. Ces groupes ayant été constitués dans la matinée en l'absence des participants à l'Université d'été, ces derniers étaient libres de s'associer à un ou plusieurs chantiers selon leurs intérêts et leurs affinités. Cependant, certains se sont trouvés démunis et désœuvrés ; soit parce qu'ils n'osaient pas vraiment intégrer un groupe déjà constitué et au travail, soit parce que l'aspect pratique du chantier ne les intéressait pas.

Se posent donc deux questions : d'une part étaient-ils bien conscients au moment de l'inscription que les après-midi seraient entièrement dévolus aux chantiers ? Et d'autre part ne serait-il pas intéressant de prévoir un encadrement et/ou des ateliers alternatifs pour celles et ceux qui ne seraient pas impliqués dans des équipes de festivaliers ? Ces ateliers pourraient être pensés en collaboration avec l'équipe du festival pour trouver une place cohérente avec les chantiers en cours et stimuler les échanges avec les festivaliers. Il pourrait même être intéressant d'envisager la construction de thématiques ou de sujets communs plus établis entre le festival Bellastock et l'Université d'été afin d'augmenter les possibilités de ponts et d'échanges entre les formes de savoirs issus des deux événements.

Un troisième enseignement porte donc sur les aspects épistémologiques, et plus précisément sur la question de la co-construction des savoirs pour faciliter leur transmission et partage. Co-construire les thématiques de chaque journée ou alors imaginer des passerelles entre ce qui est fait dans le festival et le choix des intervenants permettrait de renforcer les liens entre Bellastock et l'Université d'été en favorisant les échanges entre les savoirs générés.

3.4 La diffusion de l'Université

Une retransmission radio des conférences permettait aux personnes qui n'étaient pas inscrites à l'Université d'été d'accéder au contenu. Cependant, nous avons eu l'occasion de voir que les débats s'enrichissaient quand il était possible aux festivaliers et bénévoles d'y participer directement. Ceci confirme que la volonté initiale de l'Université d'été de diversifier le plus possible les participants et intervenants est une piste pertinente pour engager des débats. Ce constat montre néanmoins qu'il est aussi essentiel de faciliter l'accès des festivaliers aux présentations. Une fois encore, tisser des liens entre sujets abordés au cours de l'Université d'été et sujets traités dans le festival permettrait d'aller dans ce sens.

Par ailleurs, si l'ensemble des interventions qui ont été enregistrées peuvent être mises en libre accès par la suite, il semble important de poser la question de ce qui advient de l'Université d'été et de ce qu'elle peut transmettre à la fin des trois journées, notamment au moment de l'ouverture du festival au grand public. Ce moment de visite est une opportunité de diffusion et de mise en débat des sujets travaillés et pourrait être une fenêtre de réflexions intéressantes.

Ainsi, un quatrième enseignement porte — à plus proprement parler — sur le feed-back, dans le sens où le savoir se construit et enrichi aussi « rétrospectivement ». C'est pourquoi il est nécessaire de valoriser et de prendre en compte de cette temporalité multiple de l'échange.


Figure 4. Conférence de Michel Lussault / Bellastock 2021 + Université d'été de la Preuve par 7, Marie Tesson

Conclusions

Il s'est avéré tout au long de cette première Université d'été que c'est finalement au cours de moments informels, dans les interstices du programme, que les échanges ont permis de commencer à générer le pas de côté initialement recherché. Ces interstices sont constitués de temps morts ou anecdotiques ; des moments de gestion ou de logistique au cours desquels les échanges sont moins conventionnés et policés.

Pour favoriser ces moments de discussions, nous pouvons imaginer différents temps comme l'accueil ou l'installation du lieu de l'Université d'été, qui pourraient se faire collectivement, avec les participants. L'après-midi est aussi une fenêtre au cours de laquelle il serait envisageable de mettre en place des ateliers et des temps de débats en plus petits comités sur les thèmes abordés dans la matinée.

Il pourrait aussi être demandé à chacun de préparer un récit d'expérience, ou tout autre élément qui serait susceptible d'alimenter l'Université d'été. Elle pourrait devenir un endroit où faire des rencontres, tisser des solidarités entre personnes travaillant sur les mêmes questions, et qui génèrent ensemble un savoir collectif. Se pose alors la question de son format de mise en commun, et de restitution. Comment faire que la somme de ces retours d'expérience génère un nouveau savoir à proprement parler ?

Le lien entre savoirs théoriques et pratiques, revendiqués comme étant indissociables dans le cadre de l'Université d'été, n'a finalement pas été aussi clair que ce qui avait été initialement envisagé. Le rôle de l'expérience comme source d'apprentissage a été énoncé à plusieurs reprises, mais il apparaît qu'inviter les participants à rejoindre des équipes de Bellastock l'après-midi n'est pas une réponse suffisante, car trop éloignée des questionnements posés au cours de la matinée. La scission ressentie est aussi probablement en partie liée à la séparation spatiale des deux entités, et à l'installation de l'Université d'été en marge du festival.

Développer plus de porosités entre le festival et l'Université d'été serait un moyen de remédier à cela. Par exemple, il serait envisageable de proposer aux festivaliers de suivre l'Université d'été : toutes personnes pourraient, sur le moment, choisir entre chantier et table ronde, et alterner. Cela pose alors la question des inscriptions (gratuites d'un côté, payantes de l'autre), et des publics concernés (on ne vient pas à l'Université d'été de la Preuve par 7 pour les mêmes raisons que l'on vient à Bellastock), ceci serait donc à analyser de manière plus approfondie.

Pour finir, la question de la restitution de cette hybridité entre plusieurs savoirs, des récits d'expérience et l'ambition de créer de nouvelles connaissances reste entière. Quel(s) objet(s) produit l'Université d'été ? Comment peut-elle s'atteler à communiquer et diffuser cette expérience sans savoir à l'avance ce qui en résulte ? La question de la production, en amont, au moment où elle se déroule, ou bien a posteriori, de l'Université d'été reste à approfondir, mais solliciter les participants dans ce cadre semble une hypothèse à creuser.

Figures et légendes

Figure 1. Retranscription dessinée de la rencontre entre l'Université d'été de la Preuve par 7 avec le festival Bellastock, © Valentin Sanitas

Figure 2. L'auditorium de l'Université d'été de la Preuve par 7 © Marie Tesson

Figure 3. La table d'observation / Bellastock 2021 + Université d'été de la Preuve par 7 © Marie Tesson

Figure 4. Conférence de Michel Lussault / Bellastock 2021 + Université d'été de la Preuve par 7 ©  Marie Tesson


  1. La Preuve par 7 est une démarche expérimentale d'urbanisme, d'architecture et de paysagisme initiée par Patrick Bouchain qui accompagne des porteurs de projets urbains, d'équipements, d'habitat, en cours de développement à travers la France, à 7 échelles territoriales : un village, un bourg, une ville moyenne, des territoires métropolitains, une métropole, un équipement structurant et un territoire d'outre-mer. Cf. https://lapreuvepar7.fr/ consulté le 20 avril 2022 

  2. Bellastock est un festival d'architecture annuel qui propose sur un temps court, d'expérimenter la fabrication d'une ville éphémère à l'échelle 1. Au cours de ces quelques jours de chantier (trois dans le cas qui nous occupe), les festivaliers se répartissent en équipes pour s'atteler à un chantier ou une mission spécifique. L'édition 2021 est la première session d'un projet étalé sur trois ans, et qui vise à expérimenter et renseigner l'occupation du site du CAAP. Elle s'est concentrée sur les perspectives d'un aménagement paysager du parc. Voir https://www.bellastock.com/projets/caapp/, consulté le 18 avril 2022 

  3. La Chaire EFF&T est une Chaire partenariale d'enseignement et de recherche en architecture. Elle étudie principalement la manière dont les savoirs et savoir-faire se créent, se transmettent et s'essaiment à partir de situations de terrain : https://chaire-effet.net/posts/1 consulté le 23 avril 2022 

  4. Lien vers l'appel à manifestation : https://drive.lapreuvepar7.fr/s/3LT4jxLitNLG7ZN (dernière consultation le 25/04/2022) ; toutes les citations entre guillemets sont extraites de ce document.