L’atelier du meuble sous l’Occupation : de la facture à l'implicitation, passage de l'atelier des arts décoratifs à l'atelier de design.
Claire Azéma, Pierre Gencey

Pierre Gencey  est géologue de formation (Paris-7/ENSMP/IFP) et guide-conférencier (Villes et pays d'art et d'histoire). Chargé de la muséographie (ameublement, décoration) et des expositions provisoires dans l'Appartement témoin Perret au Havre (2006-2017), il est chercheur indépendant, auteur d'articles et d'ouvrages thématiques et biographiques (René Gabriel, Marcel Gascoin, Jacques Hitier) portant sur l'histoire culturelle et matérielle de l'architecture et des arts décoratifs après la Seconde Guerre mondiale.

Claire Azéma, agrégée d'arts appliqués, Maître de conférences en design à l'Université Bordeaux Montaigne, laboratoire CLARE, équipe ARTES. Ses thèmes de recherches portent sur les relations entre art contemporain et design (happening et design), le Bricolage et la seconde vie des objets et textiles, le Faire en design, anthropologie et micro-projet et l'étude des situations et restitutions de workshops en design.

Résumé

À partir d'une analyse de l'Atelier conçu comme milieu du travail artisanal ou industriel dans la période de l'Occupation de 1940 à 1944, nous montrerons comment la valeur du travail manuel attaché avant-guerre à la notion d'atelier dans le champ de la production du mobilier en bois, se développe sous le régime de Vichy pour disparaître dans l'atelier du mobilier d'urgence. Le mobilier d'urgence édité à partir de 1944 montre en effet, un rapport nouveau à l'atelier qui devient pour certains praticiens comme René Gabriel, un lieu d'expérimentation des solutions techniques nécessaires à la production en série. Au passage, la valeur originelle du travail de la main, va disparaître dans le mobilier d'urgence, au profit d'un mobilier sans facture manuelle, attestant d'un produit cohérent avec son milieu de production, de diffusion et d'usage.

Summary

From an analysis of the Atelier conceived as an artisanal or industrial working environment during the Occupation period from 1940 to 1944, we will show how the value of manual labor attached before the war to the notion of workshop in the field of the production of wooden furniture, developed under the Vichy regime to disappear in the workshop of emergency furniture. The emergency furniture published from 1944 shows indeed, a new relationship of some practitioners (including Rene Gabriel) to the furniture making workshop that becomes a place of experimentation of technical solutions necessary for mass production. In passing, the original value of the hand work, will disappear in the furniture for disaster victims, with the profit of a furniture without handtrace, attesting of a coherent product with its milieu of production, diffusion and use.

Introduction

Dans la première occurrence relevée en 1362, le terme atelier désigne le « lieu où un artisan travaille (le bois) », puis, par extension le terme se généralise aux autres métiers artisanaux, et s'élargira pour désigner de nos jours un « lieu où s'exécutent des travaux manuels, où se pratiquent des activités manuelles d'art.1 ». Le terme atelier connote donc l'activité de la main qui réalise, qui fabrique en un lieu adapté ou équipé d'un certain nombre d'outils permettant la mise en œuvre de certains matériaux. L'artisan quant à lui, est « une personne exerçant, pour son propre compte, [...] un métier manuel qui exige une certaine qualification professionnelle.2 » Trois critères essentiels permettent ainsi de définir un artisan : Avoir un statut de travailleur indépendant pour pouvoir, si nécessaire, employer des ouvriers pour le seconder dans sa tâche. Avoir reçu une formation, ou posséder les connaissances et savoirs-faire nécessaires à la pratique de son art. Enfin, il doit exercer à l'origine un métier manuel ou un art mécanique (savoir-faire relatif à la fabrication d'artefacts utilitaires ou à la construction). Si la production artisanale est restée la norme de la fabrication durant de nombreux siècles, le développement de la mécanisation et de l'économie de marché a fait évoluer les pratiques en restructurant les systèmes de production au fil du XIXe puis du XXe siècle, ce qui eu pour conséquence de semer le le trouble dans la représentation commune de l'atelier et du travail artisanal, en qualité de travail manuel. Cédric Perrin, historien spécialiste de l'histoire de l'artisanat en France, précise qu'il n'y a pas, à cette période, de réelle concurrence entre artisanat et industrie. Ces deux secteurs intègrent parallèlement la mécanisation de la production qui va permettre l'augmentation des volumes produits et consommés.

« L'industrialisation fit davantage sentir ses effets dans les [...] activités [suivantes] : travail des métaux, du cuir, du bois ou encore l'imprimerie. Les artisans, peu nombreux, s'y sont maintenus sur des segments de marché (luxe, produits d'art...), dans des fabrications encore peu standardisées (ébénistes, tapissiers...) et dans des territoires spécialisés.3 »

La mécanisation, bien qu'elle ait conduit à un changement de paradigme dans le champ de la production reste donc relative à une réalité économique où les marchés et les échelles de production sont encore très variés. Comme on le sait l'opposition entre ces deux paradigmes a été théorisée dès le milieu du XIXe siècle par Karl Marx :

« Dans la manufacture et le métier, [c'est nous qui soulignons] l'ouvrier se sert de son outil ; dans la fabrique, il sert la machine. Là, le mouvement de l'instrument de travail part de lui ; ici il ne fait que le suivre. Dans la manufacture les ouvriers forment autant de membres d'un mécanisme vivant. Dans la fabrique, ils sont incorporés à un mécanisme mort qui existe indépendamment d'eux.4 »

L'atelier, comme lieu de fabrication soumis à la mécanisation apparaît alors comme le lieu d'un changement de paradigme dans le temps historique. Or, nous observons malgré la radicalité de l'opposition entre le modèle industriel et le modèle artisanal décrit par Marx, que la réalité historique des organisations et des lieux de production5 constitue une palette d'hybridations des deux modèles à la veille de la seconde guerre mondiale en France. Le vocable « atelier » est partagé par différents praticiens, qui l'utilisent indifféremment alors qu'il recoupe des réalités différentes selon les contextes. Par ailleurs, le terme est employé pour désigner aussi bien des lieux de production (industrielle, manuelle), des lieux de création (art, artisanat, dessin de modèles) ainsi que des lieux de commerce (par exemple, des boutiques de décorateurs). En n'oubliant pas d'ajouter son sens pédagogique toujours en usage dans nos écoles. Le consommateur semble, quant à lui, voir dans l'emploi de ce terme par les fabricants une forme de garantie liée à l'authenticité d'une origine manuelle. Malgré la modernisation des systèmes de production, de diffusion et de consommation, l'imaginaire associé au meuble en bois, auprès du public, qu'il soit populaire ou élitiste, est encore très marqué par un idéal originel lié au dessin et au travail manuel. Pourquoi observe-t-on la persistance du terme atelier avant la seconde guerre mondiale malgré le changement de paradigme opéré par la mécanisation et l'industrialisation grandissante de la production ?

Pour répondre à cette question, nous allons considérer l'atelier comme un milieu. En effet, celui-ci n'est pas simplement le lieu d'exercice d'une compétence, mais il se perçoit aussi comme un système articulant des relations spécifiques entre un espace, un équipement technique et des humains. Nous approfondirons ici cette approche de l'atelier comme milieu à la lumière des théories de John Dewey et de Gilbert Simondon, pour définir le travail de la main en tant que valeur, dans le contexte artisanal et dans le contexte industriel. Nous en viendrons alors à évoquer une transition dans les modes de création en suivant l'analyse de la facture proposée par Pierre-Damien Huyghe dans Art et Industrie6.

Notre premier objectif sera ici de comprendre pourquoi les modifications du milieu de production n'ont pas affecté la dénomination « atelier » avant la seconde guerre mondiale ? Notre hypothèse repose sur l'idée qu'il existe jusqu'à la Seconde Guerre mondiale un mythe très vivace du travail de la main. La période de l'Occupation et des débuts de la reconstruction nous semble donc être un moment tout à fait marquant dans ce renversement des valeurs, par la succession très rapide d'une image de l'atelier artisanal à celle d'une représentation folklorique, vers une quasi disparition de la référence à l'atelier associé aux valeurs du travail manuel au sortir de la guerre. Nous ne nous référons pas ici au renversement des valeurs théorisé par Nietzsche. Mais nous souhaitons signifier un changement de paradigme dans le champ de la conception et de la fabrication de meubles. Avant la Seconde guerre mondiale, il reposait sur des principes issus de la tradition artisanale, plaçant en haute estime le savoir-faire et le style qui apparaissaient dans la qualité de la facture. Dans le second paradigme associé à la production de masse mécanisée, ces valeurs sont remplacées par de nouveaux principes régissant l’évaluation de la qualité des produits. Entre les deux paradigme, se produit un moment hors du temps, l'atelier de l'artisan devient un élément de la propagande du régime de Vichy co-existent à l'apparition d'un mobilier de sinistré conçu au même moment par René Gabriel. Ces modèles annoncent l'avènement d'un design industriel associé à une production de masse anonyme, tant dans son esthétique que dans sa fabrication et sa diffusion : au mobilier exagérément humanisé et territorialisé de l'atelier folklorique succède un mobilier d'urgence sans authenticité au sens de Walter Benjamin, sans origine perceptible, orphelin. Nous chercherons ainsi à comprendre :

Comment l'atelier, durant cette période, se trouve mis en tension entre cette image folklorique et cet impératif d'urgence qui conduit à produire un mobilier en grande série pour les sinistrés ?

Une question alors se pose : Comment s'est opéré le passage entre les valeurs manuelles de l'atelier et de nouvelles valeurs liées à l'émergence de processus de conception impliquant l'atelier comme lieu d'expérimentations ?

A partir d'une approche théorique tenant compte du contexte historique (ici de la période de l'occupation 1935-1944 et de la reconstruction 1945-1955), étudierons plus particulièrement l'image de l'atelier artisanal du bois illustré en nous basant sur une documentation constituée par l'unique revue de l'unique revue de décoration autorisée à la publication par le Régime de Vichy, largement diffusée sur tout le territoire, à savoir Images de France. Nous insisterons alors plus particulièrement sur l'analyse d'un numéro7 de cette revue consacré à la forêt, au bois, aux artisans et au travail d'Alexandre Noll. Par ailleurs, la récente redécouverte des archives de René Gabriel8 dans la bibliothèque de l'Ensad9 nous permettra de mieux comprendre le contexte de création des meubles d'urgences en France, édités en dizaines de milliers d'exemplaires après la Libération.

1. Du travail de la main aux valeurs de l'atelier avant-guerre.

1.1 Le travail de la main, dans les changements du milieu-atelier opérés par l'industrialisation.

Pour interroger la complexité de la réalité de l'atelier, considéré en qualité de milieu, c'est-à-dire comme un ensemble situé constitué par un réseau d'acteurs humains et non-humains régi par des relations complexes, intéressons-nous .à la théorie de la transduction10 chez Gilbert Simondon et à celle de la transaction chez John Dewey. Dans ces deux théories, une triade dialogue continuellement au sein du milieu (ici l'atelier) : la triade « individu/objet technique/milieu » chez Simondon, et la triade « organisme/outil/milieu » chez Dewey. Elisa Binda remarque que chez les deux philosophes :

« Il apparaît que le milieu n'est pas quelque chose d'extérieur aux activités de l'organisme ; le milieu est leur élément, il est milieu au sens où il est, dans le même temps, élément intermédiaire dans l'exécution et l'achèvement des activités des organismes, ainsi que le moyen à travers lequel ces opérations se réalisent.11 »

Cela signifie que l'atelier n'est pas seulement un local, c'est un ensemble d'équipements qui permet de transformer et de mettre en forme le matériau, d'où la complexité qu'il y a à décrire et comparer les réalités de l'atelier. Il ressort, par exemple, une grande variété des emplois du mot atelier, dans le champ des arts décoratifs et dans celui des meubles industriels, dans les années 193012.

Lorsque Marx décrit la manufacture et la fabrique comme deux milieux concentrant des équipements et des individus dans des types de relations différents, il les décrit13 comme deux milieux opposés. Le premier milieu est présenté comme un « mécanisme vivant », le second comme un « mécanisme mort ». Ces deux paradigmes trouvent un écho troublant dans les théories de Dewey et Simondon. En effet, Dewey dans Expérience et Nature14 décrit la relation de transaction entre « l'organisme, l'outil et le milieu » en prenant donc en compte le sensible, où l'organisme éprouve le milieu. La main, qui manie l'outil est ici une main sensible que la tactilité informe en lui permettant de trans-agir avec le milieu. Or, Simondon définit la transduction dans le cadre d'une étude des objets techniques. Ici, l'humain n'est qu'un « opérateur15 » de « la matière inorganique organisée16 », la main elle-même opère, elle reporte, duplique, actionne de manière méthodique sans nécessité « tactile », la tactilité étant réduite ici à sa dimension fonctionnelle.

Sans transposer directement le modèle artisanal sur la théorie de Dewey et le modèle industriel sur celle de Simondon, nous entrevoyons des résonances pertinentes entre ces deux théories. Celles-ci, nous conduisent à envisager la main engagée dans deux processus différents au sein de l'atelier ; compris comme milieu d'une main en travail et comme milieu, où la main opère de façon méthodique en agissant sans intention directe sur le milieu, l'atelier. Dans ce cadre, quels sont la place et le rôle du dessinateur de modèle ? Comment l'artiste impliqué dans la production industrielle arrive à ne pas perdre la sensibilité de sa main ? Si le passage du milieu-atelier-artisanal au milieu-atelier-industriel, nous déplace dans un système qui n'est plus anthropocentré au profit d'un milieu technique où l'humain ne peut-être qu'opérateur et non plus créateur, doit-il abandonner sa création, en être dépossédé pour qu'elle puisse être duplicable en grande série ?

Pierre Damien Huyghe dans Art et Industrie évoque également la distinction opérée par Marx17 entre la poéthique et la praxis. Cependant, Marx offre une certaine ouverture, qui rend l'investissement du corps et la création artistique possible dans le monde industriel. Il distingue la facture, au sens de trace du travail manuel, de l'origine humaine de la forme, lié au modèle artisanal et la finition qu'il définit dans le sens d'un projet industrialisable, du dessin en tant que dessein supposant un processus d'implicitation ou « produire signifie [...] dissimuler les conditions qui ont présidé à l'émergence du phénomène18 », c'est-à-dire de la forme sensible. Cette distinction repose en partie sur le rôle de la main dans le processus du faire, que celui-ci relève du dessin ou de la fabrication. La facture, dont l'équivalent dans le champ de la fabrication serait la façon, renvoie donc à la main impliquée dans un processus de travail intense convoquant l'être et le corps sensibles auxquels elle appartient. Huyghe évoque ainsi :

« La « résistance à la traversée, le dessinateur l'éprouve même dans le relevé du réel [ou d'une idéalité à réaliser] quand il ne parvient pas à rendre ce qu'il voit. [...] Le dessin constitue ainsi une fabrique intense de l'image. Dans cette fabrique (corporelle), le visible est travaillé et non pas seulement reporté.19 » Selon ce point de vue, l'atelier est le lieu de l'épreuve sensible d'une morphogenèse. Lorsque le dessin devient technique, pensé pour sa reproductibilité au travers d'un geste opératoire non-sensible, il doit au contraire viser jusqu'à « l'effacement des moindres bruits visuels de la main.20 » Huyghe semble donc décrire dans un premier temps la spécificité de la main sensible, tactile héritée du champ des arts, et dans un second temps la main qui opère, impliquée dans des processus plus méthodiques, où l'aspect final ne doit comprendre aucune trace de l'origine humaine du processus de dessin, ni du dessein originel.

« L'histoire de cette mécanisation n'est [donc] pas simplement une histoire d'instruments et de machines. C'est l'histoire d'un régime de pensée, d'une mentalité de la technique, de la mesure et du calcul.21 »

En poursuivant cette approche théorique du design, nous analyserons plus loin le paradoxe de ce changement de mentalité autour de la technique, pour voir comment s'opère finalement de manière concrète le passage entre la main tactile, mue par un corps et un être engagé dans un dialogue sensible avec le papier et la matière, et la main qui opère dans le champ de la matière inorganique organisée.

Dans le contexte historique de la France, situé entre la fin des années 1930 et le début de la reconstruction, plus précisément dans le champ de l'atelier de fabrication du meuble en bois, nous avons le sentiment que le recours systématique au terme atelier fait symptôme, par rapport aux valeurs partagées par les praticiens de l'époque ainsi que par les consommateurs. Cela pourrait constituer ici le signe d'une « résistance du milieu humain lui-même à la nécessité technologique22», entretenant l'illusion d'un régime de facture manuelle dans la production du meuble en bois à la fin des années 1930. La disparition de la main sensible dans les processus de dessin et de fabrication, conduira-t-elle alors à la disparition temporaire de la valeur "travail manuel" associée à l'atelier ?

1.2. L'atelier, comme lieu d'un art manuel, modèle de référence dans l'entre-deux guerres

Malgré le développement de la mécanisation et la coexistence de différents types d'ateliers de production du bois, il faut noter qu'avant les années 1950, c'est essentiellement dans les grandes scieries, dans la charpenterie ou la menuiserie, que la mécanisation est la plus développée. Le secteur du meuble apparaît encore très artisanal. Comme l'affirme Jean-Charles Vogley, l'un des responsables de la Fédération française de l'Ameublement et de l'Equipement de la Maison (FNAEM) :

« Toutes les statistiques du milieu du siècle dernier confirment que, jusqu'à la fin des années 1950, la fabrication française d'ameublement est demeurée le fait quasi exclusif de l'artisanat23. »

Environ 35 000 « ateliers » sont recensés en 1900 et ils sont encore 32.000 dans une étude de l'Insee en 195024. Or au sens juridique, depuis les lois promulguées quelques temps après la création de la Confédération Générale de l'Artisanat Français en 1922 (CGAF), premier organisme rassemblant tous les corps de métiers de l'artisanat en France, une entreprise artisanale se compose d'un artisan-patron et d'au plus cinq ouvriers. Cela signifie que la plupart des structures de production sont de petits ateliers équipés d'un outillage manuel et de quelques « machines à bois » entraînées par un système de courroies, avant l'arrivée de petits outils électriques dans la seconde moitié des années 1930. Le développement d'une production industrielle du meuble n'est pourtant pas en reste à cette époque, mais elle est loin d'être majoritaire. Il faut avoir en tête que les plus importantes usines de meubles, diffusant dans des centaines de points de vente, représentent à elles-seules autant d'ateliers artisanaux, dont la capacité de diffusion est beaucoup plus limitée. Il n'en reste pas moins qu'entre les ateliers de dessin de modèles intégrés dans ces usines, les ateliers de dessin indépendants des lieux de fabrication (ateliers de décorateurs) et les ateliers de fabrication eux-mêmes qu'il soient fortement mécanisés ou non, il existe une grande variété de pratiques et de types d'ateliers avant la Seconde Guerre Mondiale. De plus, l'emploi récurrent du terme atelier pour désigner les lieux de ces activités suggère une forte imprégnation du modèle artisanal dans les cultures des métiers impliqués.

1. 3. La période de l'Entre-Deux-Guerres

La période de l'Entre-Deux-Guerres montre une inflation dans l'usage du terme atelier, auquel s'adjoint souvent un second nom pour en qualifier la spécificité. Chez les artisans ou dans les grandes fabriques, l'atelier de fabrication (dit de montage) désigne l'endroit où s'opèrent principalement les opérations d'assemblage dans des espaces marqués par la présence des établis. Celui-ci est bien différent chez les artistes décorateurs et les architectes décorateurs, car l'atelier (dit de dessin) est consacré à l'exécution des plans, activité signalée cette fois par la présence des tables à dessins. Dans l'industrie, un endroit de ce type existe également, mais il est nommé « bureau d'étude » et les créateurs restent dans le même type d'anonymat que les ingénieurs, soit celui de tout employé.

Jouant un rôle de médiation, et non plus de création, il faut également signaler les célèbres « ateliers d'arts » des grands magasins parisiens qui ont fait la renommée de l'art déco français. L'atelier d'arts est à la fois un rayonnage présentant les meubles les plus modernes, mais aussi un bureau qui relie les ateliers de dessin des modèles (ceux de décorateurs renommés auxquels le grand magasin passe commande) et des ateliers de fabrication, situés à distance (plus anonymes, allant de l'artisanat d'art à l'industrie). L'atelier de dessin des modèles se trouve ainsi mis à l'écart du lieu de fabrication, tout en se rapprochant des lieux de distribution, c'est-à-dire de la demande des nombreux clients du magasin.

Enfin, une catégorie à part est celle de l'atelier d'enseignement associé aux beaux-arts (incluant l'architecture et certains arts dits décoratifs). L'atelier y est mis en avant comme lieu de transmission de maître à élève, ou de copie des modèles, suivant un type d'enseignement encore très académique.1.3. Faits, réalités, et contradictions de l'atelier

À l'inverse de cette diversité d'ateliers rattachés à des mythes ou à des traditions, plus ou moins éloignés de la fabrication, le mot atelier persiste également dans les premières grandes fabriques de meubles. Dans la Manufacture Félix Louis, par exemple, présentée en 1924 dans l'édition d'une série de cartes postales, le propriétaire affiche un atelier mécanisé de découpe du bois sous la dénomination de « scierie », puis une série d'ateliers manuels destinés à l'assemblage et aux travaux de finition. Le mot atelier est-il justifié ? Le terme de manufacture est déjà impropre à désigner cet établissement suivant la nomenclature de Karl Marx : il s'agit d'une fabrique, puisque le travail manuel est limité à l'assemblage de pièces réalisées à la machine et que la sculpture ornementale est certainement réalisée par un procédé de duplication mécanique, à l'aide d'une touche associée à une fraise.


Scierie, Manufacture Félix Louis, 1924, Archives municipales de Pantin, 2Fi775


Grand Atelier, Manufacture Félix Louis, 1924, Archives municipales de Pantin, 2Fi781

Cet exemple illustre le fait qu'au sein de la fabrique, se trouvent des ateliers spécialisés organisés en fonction des rythmes et des nécessités de la machine. Nous sommes dans une production industrielle au sens où la plupart des opérations qu'on y mène sont de l'ordre de la répétition et de la duplication dans le but de reproduire à l'identique des formes dessinées et mises en volume. Dans la série de cartes postales présentant la fabrique, toutes les parties de la chaîne de production signalées comme « ateliers » sont présentées comme réservées au travail manuel, s'achevant par le montage, les retouches, les finitions et l'ajout de miroirs. Or l'atelier dans le lexique de la fabrique peut-être mécanisé. L'appellation « scierie », permet dans les faits de nommer de manière générique les ateliers spécialisés dans la découpe mécanique du bois. Il apparaît un paradoxe dans la communication de l'entreprise qui semble vouloir valoriser le travail manuel à travers l'usage de certains mots (atelier, modèle, manufacture) et la présence visible sur les images des établis et d'une importante main d'oeuvre, alors que son volume de production implique nécessairement le recours à une mécanisation poussée. Le flou entretenu autour de la notion d'atelier dans les pratiques de l'époque suggère que la dénomination atelier accompagne un changement de paradigme, qui ne s'est pas encore complètement résolu à paraître. Le terme prolonge un usage historique sans assimiler les changements liés à de nouveaux modes de production et de commercialisation. Puisant dans une authenticité passée, il continue donc à apporter une sorte de plus-value à l'objet produit et à ceux qui en sont les auteurs et fabricants.

Cette hypothèse devient encore plus plausible lorsque les grands magasins recourent dans le même temps au terme atelier pour désigner simultanément les bureaux où sont sélectionnés les modèles et les lieux d'exposition au sein d'un espace de vente. L'Atelier d'arts apparaît dans ce cadre comme un argument marketing de choix pour valoriser une image de marque tout en supprimant du répertoire l'atelier comme lieu de fabrication. Le terme atelier employé dans la communication des grands magasins apparaît comme le garant d'une bonne fabrication, d'une bonne facture, ou d'une origine noble issue des longues traditions du travail humain alors même que les lieux de productions sont indifférenciés. La référence au travail manuel et à une mentalité artistique et anthropocentrée de la technique, semble encore en usage et maintient une sorte de régime de facture manuelle dans le champ des arts décoratifs et des meubles industriels de petite série. La main sensible et experte de l'artisan reste un gage de la bonne origine du produit. Nous serions tentés d'évoquer alors la possibilité d'un mythe de l'artiste-artisan produisant au sein de l'atelier, mais cela sous-entendrait, nous le verrons plus loin que l'artisanat est un survivance du passé, alors qu'il est effectivement encore très actif et tout à fait modernisé dans ses pratiques et ses équipements à la fin des années 1930. En revanche, nous pointons l'emploi courant du terme atelier comme la survivance d'une culture du faire associée à la main de l'artisan traditionnel, engagée grâce à l'outil dans un travail sensible qui permet à l'artisan de projeter une intention sur son milieu, alors que dans les faits, le travail de la main au sein de l'atelier a déjà beaucoup évolué. Le déclenchement de la seconde guerre mondiale et la période de l'Occupation qui va lui succéder vont provoquer une sorte cristallisation de l'atelier de création et de fabrication dans une image désuète renvoyant à une sorte d'hyper-atelier artisanal.

2. L'hyper-atelier artisanal sous Vichy ou le mythe de l'artisan-artiste

2.1. Propagande et artisanat

2.1.1. La mise en place par l'Etat du Service de l'artisanat

Dès ses débuts en 1940 :

« Le régime de Vichy et sa révolution nationale font de l'artisanat un élément de régénérescence de la France. Le nouvel État oppose une économie rurale et artisanale à l'industrie capitaliste. [Dans le triptyque] travail, famille, patrie , le travail est celui des paysans et des artisans. [...] La révolution nationale valorise donc l'artisanat. Sa propagande use et abuse de cette thématique25. »

L'Occupation et la mise en place du Régime de Vichy organisent une valorisation de l'artisanat dans une vision traditionnaliste qui va rapidement étouffer la diversité de vues sur les ateliers, y compris les ateliers d'artistes et de décorateurs :

« Le thème de l'artisanat séduisait les majorités, jusqu'à certains artistes modernes nostalgiques de l'objet taillé à la main. [...] En accord avec sa politique sociale et économique, l'État s'empressa d'amorcer un mouvement d'envergure en faveur de l'artisanat, mettant sur pied une vaste campagne de propagande [...] tandis que se multipliaient les éloges au beau métier26. »

L'état crée le Service de l'artisanat « le 28 novembre 1940 au sein du Secrétariat Général à l'Industrie et au Commerce Intérieur, rattaché au Ministère de la Production Industrielle.27 » Il en découle la création, en 1941, d'une revue adressée aux artisans eux-mêmes, Métiers de France. L'éditorial du premier numéro est rédigé par Pétain qui « y loue la noblesse de « manier l'outil ». Le travail de l'artisan est assimilé à une création et à une œuvre.28 ».

L'analyse de contenu réalisée par Cédric Perrin dans son ouvrage Entre glorification et abandon. L'État et les artisans en France (1938-1970), montre comment dans cette revue l'image archaïque de l'artisanat est instrumentalisée par le Régime pour valoriser « les métiers ruraux et d'art, la tradition, la main, la qualité et le bon goût.29 » L'auteur souligne alors que la politique artisanale de Vichy « ne coïncide pas avec la réalité d'un artisanat inséré dans l'économie industrielle30 », comme c'était le cas avant-guerre.

2.1.2.Les revues de décoration autorisées sous l'occupation : Comoedia, Beaux-Arts, Le journal des arts

Les rares publications évoquant la décoration autorisées à l'édition entre 1940 et 1945, comme les hebdomadaires Comoedia31 et Beaux-Arts : le journal des arts, suivent également les codes établis par la revue du Service de l'artisanat, oubliant les créations jugées trop urbaines des décorateurs pour vanter l'artisan au travail.

Une revue généraliste autorisée : Plaisirs de France devenu Images de France

Plus généraliste, le magazine Plaisir de France, fondé en octobre 1934 avec une ligne éditoriale très conservatrice, devient Images de France , d'octobre 1939 à juillet 1945, l'ancien titre ne convenant pas aux temps de guerre32. On peut lire :

« La revue doit apporter dans ses pages l'expression multiple du visage de notre pays : aspects si différents de nos provinces aux changeants paysages, belles demeures anciennes et modernes, artisans penchés sur leur travail33. »

Elle intègre par avance une collection d'images destinée à nourrir l'imaginaire de la Révolution Nationale. Les articles sur l'ameublement promeuvent le mérite d'un « ouvrier d'art » s'attelant à élaborer des schefs-d'œuvre, et placent son travail comme gage de qualité auprès de ses lecteurs, potentiels clients des décorateurs. Il est à noter qu'avant cette période, cette revue n'a consacré que deux articles aux métiers d'arts les années sprécédentes, à l'occasion de l'exposition de 193734 et de l'Exposition universelle de New York en 193935.

2.2 L'image folklorique de l'atelier d'Alexandre Noll


Alexandre Noll et sa fille dans l'atelier, Images de France, sept.1941.

Le numéro de septembre 1941, présente un portrait36 écrit et photographié d'Alexandre Noll dans son atelier. Le pluriel employé dans le titre suggère que le portrait de Noll vaut pour une généralité. Le contenu du numéro construit l'image d'un décor rural, traditionnel, voire paysan à l'atelier de Noll, selon l'association paysan-artisan élaborée par la propagande de cette époque. Pourtant, l'atelier de l'artisan-créateur est installé à Fontenay-aux-Roses depuis le début des années 1920, c'est-à-dire en banlieue parisienne, comme beaucoup d'ateliers ou de fabriques de production de meubles en bois intégrés dans l'économie industrielle avant-guerre. L'article évoque, par ailleurs, le mythe du bois en des termes superlatifs :

« Le bois est une des œuvres les plus étonnantes de la création. Sorte de "miroir du monde", il enferme en ses fibres une image émouvante de l'infini.37 »

Le travail de Noll est assez singulier car il sculpte directement des billots de bois exotiques massifs. Sa main rencontre donc des matériaux très peu transformés, contrairement aux ébénistes de l'époque. L'artisan est ici représenté dans une image superlative de l'humain appliquant son intention directement sur la matière prise à son état le plus naturel possible (billots de bois massifs), grâce à l'outil manuel. Le travail de l'artisan est vanté comme « franc, solide [lieu] ou la vigueur, l'habileté, un goût paysan pour la nature interviennent davantage que les spéculations de l'esprit.38 ». Nous voyons une image valorisante présentant l'idée d'une relation franche et authentique, non corrompue car directe (autodidacte), entre l'artiste-artisan et le milieu. Pourtant en 1938, les œuvres d'Alexandre Noll, bien qu'il soit en partie autodidacte, étaient décrites dans un article de la revue Art et Décoration, signé René Chavance, selon des termes bien différents :

« Un coup d'oeil superficiel les ferait ranger [...] parmi les manifestations de l'art primitif ou parmi ces travaux d'artisans rustiques, ces témoignages spontanés du folklore [...] Mais en les regardant de plus près, on y reconnaît l'intervention d'une volonté plus réfléchie ; on y découvre les raffinements d'un esprit cultivé39. »


Bolles dessinés et réalisés par Alexandre Noll pour l'Atelier Primavera et Chaussures pour Pérugia, début des années 1920, Images de France, sept.1941.

Dans le cas d'Images de France, l'article et son iconographie montrent une relecture orientée de la réalité de l'atelier d'Alexandre Noll. Dans les années 1920, Noll produit en tant qu'artiste-artisan des modèles pour Paul Poiret et André Pérugia (sabots à talons hauts illustrant l'article). À partir de 1925, l'Atelier Primavera du Printemps lui commande de petits objets du quotidien comme des bols, des plateaux, des vases, cruches, tous visibles sur les photographies illustrant l'article. Alexandre Noll, en 1941, n'a donc rien de l'artisan rural garant de la conservation des traditions locales pour lequel l'article tente de le faire passer, au contraire. L'auteur tente pourtant de faire de son atelier un modèle idéal et l nous donne à voir l'atelier idéalisé par le Régime de Vichy, à la fois archaïque dans ses pratiques et ses outils manuels, sa dimension familiale, où la matière « s'offre » à la « sensualité instinctive » de la main de l'artisan. L'atelier apparaît comme un milieu figé dans un contexte qui n'est plus d'actualité, son image est comme hors du temps. Le modèle de la facture apparaît ici comme un idéal absolu du geste sensible, il nous est présenté une sorte d'hyper-atelier qui a plus valeur d'idéal originel et authentique. Malgré cette glorification affichée d'un travail manuel sensible et savant, cette image produit une négation de la réalité effective des ateliers de l'époque.

2.3 La beauté du mort ou la violence du folklorisme

Les images photographiques de l'atelier de Noll doivent être lues par le prisme de la culture de la carte postale :

Ce média utilisa en effet largement le type social et le type régional pour exposer en images la vie sociale. [Accompagnant] le discours patriotique républicain construit par la Troisième République [...] — il perdura au XXe siècle, après ses avatars vichyssois, jusqu'à la fin de la Quatrième République.40

La culture de la carte postale en France a permis la construction des images régionales et participé à l'homogénéisation de la société en construisant et diffusant des types sociaux et régionaux au travers de la carte postale. Ces images ont une dimension politique centrale car elles participent à une communication d'Etat, voire à une propagande. C'est ainsi qu'il faut comprendre comment le Régime de Vichy manipule l'image de l'atelier pour valoriser un type d'artisanat et le conduit vers une dimension folklorique. Le folklorisme, étudie la culture populaire, si nous voulons étudier ces photographies de l'atelier à la manière d'un folkloriste, il nous faut envisager des critères qui permettent de classer ces représentations de l'atelier dans les pratiques populaires. Ce qui relève de la dimension populaire de cet atelier repose sur la simplicité de son décor, le caractère autodidacte de son praticien, l'environnement supposé rural de l'atelier, ses dimensions familiales et traditionnelles. Or, les générations de folkloristes qui se sont succédé ont montré qu'il est difficile de fixer des critères précis et pérennes pour définir l'art populaire. Cependant, l'art populaire, voit ici son essence détournée au profit d'une propagande valorisant le retour aux valeurs de la France pré-industrielle, il s'agit donc d'une image construite par les élites pour valoriser une image populaire de l'artisanat.

Dans son texte La Beauté du Mort41, Michel de Certeau rappelle que l'étude du folklore, nécessite de considérer le regard qui nous est proposé tout en considérant le hors-champ de ce qui est tu, car « L'articulation des textes [et images pour ce qui nous concerne] avec une histoire politique est [...] fondamentale. Elle seule explique comment s'est constitué un regard.42 ». Il semble que dans le cas qui nous intéresse, le Régime de Vichy utilise la figure de l'artisan comme une figure de l'opprimé. Or, « Comment naît cet exotisme de l'intérieur, ce regard qui suppose opprimée la réalité qu'il objective et qu'il idéalise ? » Comment naît l'exotisme de la figure de l'artisan sous Pétain ? Le projet de la Révolution Nationale repose en partie sur une critique de l'industrialisation qui aurait conduit à la disparition de l'artisan traditionnel. Il est clairement fait un amalgame entre l'artisan et le savoir-faire manuel, qui n'est pas du tout représentatif de l'évolution des pratiques mécanisées au sein des ateliers artisanaux d'avant-guerre. L'artisan est donc bien montré comme une espèce en voie de disparition, il devient un exotisme renvoyant au passé. Il y a dans le regard porté sur l'artisanat dans ces images une condescendance qui présente « la période préindustrielle [...] comme un âge d'or, mais c'est un passé instrumentalisé et sélectionné43  » et pour autant le programme pétainiste « ne répond pas aux attentes [des artisans] et ne résout pas leurs problèmes44  ». Il y a donc une violence faite aux artisans dans ce folklorisme de carte postale, où leur image est utilisée et détournée pour écrire le récit d'un renouveau de la nation qui n'est pas effectif sur le terrain, bien au contraire. Dans le cas qui nous intéresse, il faut donc mettre en perspective le recours à l'image folklorique et désuète de l'atelier avec la fermeture des entreprises industrielles du meuble de bois, la réquisition des moyens de productions et l'aryanisation d'une partie de ces mêmes ateliers artisanaux. Écrire que l'image de l'atelier sous Vichy est réactionnaire nous semble très insuffisant pour envisager la violence qui a conduit à la construction de ce regard sur l'atelier de création et de fabrication bien qu'il puisse être compris comme une hypertrophie visuelle d'une valeur de l'atelier associé à la facture qui préexistait avant-guerre.

3. L'atelier de l'urgence.

3.1. Les contraintes du mobilier d'urgence, émergence de nouvelles pratiques.

René Gabriel.

L'Occupation a confronté la population française à un besoin de mobilier équipant les constructions provisoires après les destructions de 1940 et offert un nouveau champ de conception du meuble aux décorateurs soucieux d'une production adaptée aux plus petits budgets. À la fin de la Drôle de guerre, le Régime de Vichy impose une propagande réactionnaire, mais des fonds allemands accordés à l'administration - service des constructions provisoires -- permettent de mener officiellement des recherches sur le mobilier de série. Avant que la propagande pour l'artisanat d'art n'enfle, le décorateur René Gabriel va ainsi pouvoir effectuer des études visant la création d'un mobilier pour les sinistrés. Si les plans permettent de dater de l'année 1940 ses premières recherches45, il est difficile d'identifier l'éditeur avec lequel il s'est associé pour la production de ces meubles. Les références indiqués sur certains plans suivent celles d'anciens modèles de la marque Bois Blancs46, suggérant la poursuite du travail initié avec Sarnin et Graudé avant-guerre47, confirmé par l'aménagement du bureau de la direction de l'entreprise en 194248. D'autres meubles (en particulier buffets et armoires), par la qualité de l'exécution, ainsi que par la présence d'un tampon Clairnet49 sur un grand nombre de dessins similaires, avant et après-guerre, suggèrent un mode de production identique à celui de l'atelier de Lazare Kurtz auquel il est associé depuis l'exposition internationale de 1937. Il apparaît donc probable qu'il ait conservé au début de l'Occupation ses deux éditeurs pour élaborer les prototypes et produire les premières séries. Le mobilier proposé par René Gabriel pour ces meubles de grande série est le fruit d'expérimentations menées avant-guerre au sein de l'Atelier d'Art Populaire qu'il crée en 1934. Il y teste ses premiers modèles économiques, en utilisant un outillage rudimentaire de menuiserie qui lui permet d'auto-éditer ses productions en toute indépendance. Cette expérience lui offre la possibilité de fabriquer lui-même en série.


Plan technique de la chaise gigogne A-140 ou A-153 pour le mobilier dit de réinstallation, avril 1944, signé par l’ingénieur en chef du service des Constructions provisoires à partir d’un dessin de René Gabriel. Bibliothèque de l’Ensad, fonds René Gabriel, plan et fiche réf. ensad_23-14, ensad02238.

Il invente ainsi ses éléments formés de simples carcasses en hêtre recouvertes de panneaux en contreplaqué d'okoumé, suivant des formats permettant des juxtapositions, inspiré de son expérience de malles et praticables utilisés dans le théâtre routier. Sa technique va rapidement évoluer en rencontrant différents industriels, sous la contrainte d'une diffusion de masse qui le conduit à abandonner la partie production et à changer progressivement la conception de ses modèles. Il écarte finalement la technique des carcasses de bois couvertes de contreplaqués et aboutit avec les meubles de sinistrés à la technique dite de huchier, celle d'assemblages avec montants visibles, où s'insèrent des panneaux de remplissages dans des encoches. René Gabriel compare cette technique à celle utilisée par Auguste Perret pour mettre en œuvre le béton armé et que l'architecte désigne comme de l'ossaturisme. Avec ce premier mobilier pour sinistrés, Gabriel apparaît comme un des précurseurs d'une production en grande série. Sa collaboration avec l'administration sous l'Occupation se termine en 1941. Mais il sera de nouveau sollicité par l'Etat français immédiatement avant le débarquement en Normandie. L'impératif du relogement d'urgence - alors que les bombardements s'intensifient et que s'annoncent de nouveaux combats - pousse l'administration à relancer les recherches dans la direction de la grande série industrielle. René Gabriel dessine de nouveaux modèles qui sont approuvés par le service des constructions provisoires le 17 avril 1944. Il est difficile d'obtenir des chiffres précis concernant les volumes de cette édition, mais ces meubles sont encore diffusés en 1948 comme le signale un incident relaté lors des débats parlementaires : « Dans le magasin 40, à Aubervilliers, étaient entreposés des meubles et du matériel destinés aux sinistrés. Le bilan de cet incendie est considérable. Il y avait dans le magasin du mobilier de cantonnement qui comportait de 1.000 à 1.200 bancs démontables, du mobilier de dépannage pour les sinistrés, en quantité considérable: plus de 17.000 lits pliants en bois avec sommiers métalliques. Il y avait même du mobilier de réinstallation qui comportait 9.000 lits en chêne, 600 armoires, 2.600 tables, 1.000 chaises, 300 buffets.50 » Les chiffres sont considérables relativement à cette période.


Présentation du mobilier de réinstallation de René Gabriel dans un stand d’exposition non localisé, en 1944-1945 ; ces meubles à la fois démontables et empilable comprennent le buffet V-150, la table T-151 et la chaise A-153 ; l’équipement complet comprend également une chambre avec armoire S-154 et lit n°155. Bibliothèque de l’Ensad, fonds René Gabriel, photographie Chevojon, ensad_23-91, ensad02316.

Jean Prouvé, René Crevel, Jacques Dumond, Fabien Vienne

Parallèlement à ces éditions réalisées sous l'autorité de l'administration, de nombreux décorateurs se penchent également sur le problème du meuble pour sinistrés entre 1944 et 1946 : ce sont des modernes radicaux comme Jean Prouvé, mais aussi des décorateurs - comme René Crevel - qui dessinent des meubles rustiques en simplifiant les assemblages avec des tenons traversants fixés par clavettes ; Jacques Dumond associe ce système à des découpes en encoche ; un jeune créateur, Fabien Vienne, tente des expériences nouvelles en stabilisant ses meubles uniquement par des encoches et des assemblages à mi-bois, que l'on peut obtenir avec un outillage très simple. Ces décorateurs conçoivent du mobilier en kit, permettant de faciliter la fabrication en visant une réduction des coûts de production, de matière, de transport. Ces conceptions démontrent la dynamique d'un lien nouveau entre le concepteur et le faire permettant de développer des formes d'expérimentations pratiques au sein de l'atelier de dessin. Cet atelier comme lieu de recherche pratique pose la question des moyens permettant d'abaisser les coûts, car ces divers systèmes ont pour but de simplifier l'assemblage des meubles, leur transport et leur stockage en réduisant les volumes. Les matériaux sont choisis car ils sont faciles à trouver et peu chers (bois dits indigènes). Leur mise en œuvre est réduite au strict nécessaire pour fournir un mobilier pratique et fonctionnel, avec un minimum d'étapes de fabrication. Nous observons dans ce mobilier d'urgence, les signes d'une conception qui ne se soucie plus du style, mais assimile tous les éléments de la chaîne de production, de diffusion, de consommation dans le projet de conception. Ces tentatives sont toutefois marginales, car l'industrie française du meuble permet encore de produire les modèles relativement complexes de René Gabriel. Mais ces dessinateurs-expérimentateurs de modèles associés à différentss ateliers intègrent les changements de mentalité impliqués par le paradigme industriel. Sont-ils pour autant passés d'une mentalité de la technique héritée du monde de l'art et de l'artisanat à une pure « mentalité mathématique » ou s'est-il produit une modification de la manière d'aborder le dessin de meuble au profit d'un projet de design tel que nous l'entendons aujourd'hui ?


Fabien Vienne, « Mobilier économique », Le Décor d'Aujourd'hui, n° 36, 1946, p. 28, © Fonds Fabien Vienne et agence SOAA. SIAF/Cité de l'architecture et du patrimoine/Archives d'architecture contemporaine.

3.2. Implicitation et projets expérimentaux de l'atelier

Pour permettre la production et la diffusion du mobilier pour sinistrés, les décorateurs tentent de simplifier formes, gestes et matières pour les réduire au nécessaire et au faisable, ont-ils pour autant dessiné selon de purs calculs à la manière des ingénieurs de l'industrie ? Comment ces hommes de l'art ont-ils opéré le changement dans les mentalités et dans les techniques nécessaire à l'adaptation réelle du dessin de meuble à la production industrielle de grande série ?

Il semble que le mobilier d'urgence qui apparaît à cette période en France, marque ou préfigure le passage à un régime d'implicitation dans la conception du meuble de série. Le produit apparaît détaché de l'origine de son créateur contrairement au régime de la facture artisanale qui repose sur la signature de l'auteur dans un savoir-faire manuel. Même dans les grands ateliers, des ouvriers s'attachent à reproduire ce savoir-faire, reportent et dupliquent dans le but de conserver cette signature, ce geste originel du créateur : la facture. Si la main du créateur disparaît dans la fabrication de l'objet en lui-même, elle va progressivement se déplacer pour dessiner un projet qui anticipe sa réalisation industrielle, tenant compte de tous les contextes de production, à la manière d'un programme. « La facture [dans l'implicitation] s'absente comme touche [...] elle devient programme.51 » C'est en soi un objectif que le Bauhaus avait exprimé de manière théorique, et que l'urgence va présenter comme un impératif qu'il faut concrétiser à grande échelle. Cela signifie que la manière de l'artiste qui s'exprimait traditionnellement dans la facture, se déploie et se développe dans la manière dont le designer élabore son projet en parvenant à des solutions viables. Nous observons en effet, que partant d'un contexte similaire, chaque décorateur aboutit à des répertoires formels et des solutions techniques qui lui sont spécifiques. Chacun intègre à sa manière d'envisager la forme, les réalités des systèmes et des moyens de production et de diffusion qu'ils tentent de s'approprier, en optant pour des solutions qui vont se différencier.

Dans l'implicitation, nous sommes dans un cas ou le produit est le résultat d'un milieu technique tel que Simondon l'a décrit. De son point de vue, l'humain ne peut pas projeter directement son intention sur le milieu, il doit plutôt apprendre à « faire avec ». Le designer dans le milieu industriel ne peut agir qu'en opérateur, c'est en « anticipant52 » les possibilités offertes par la machine et le milieu qu'il peut éprouver sa manière dans un système technique contraint. C'est donc par un dialogue et des étapes successives reposant sur l'essai, qu'il acquiert la capacité d'anticiper les possibles du système. Il en ressort un produit en cohérence avec son milieu de production, de distribution et d'usage et non un produit en cohérence avec son créateur. Le designer dans son rapport au milieu, ne peut projeter son dessein, ou son intention directement dans la matière. Il ne peut être animé que par un projet, au travers du dialogue qu'il mène avec le milieu pour élaborer la forme, il se trouve sans cesse obligé de revoir sa manière de répondre au problème. Au fur et à mesure de cette correspondance53 avec le milieu, il se trouve dépossédé de son dessein propre, il agit plutôt en s'intégrant à un ensemble d'acteurs humains et non-humains auxquels il joint son expérience et son art.

Il nous semble par ailleurs important de noter que ces mobiliers ont été mis au point grâce aux expérimentations techniques menées par les designers aux seins d'ateliers fournis en bois bon marché et équipés d'un outillage léger. Cet usage de l'atelier comme lieu d'expérimentation nous semble nouveau et pour tout dire hérité de la culture scientifique et technique, car l'atelier dans le champ des arts décoratifs, était plutôt considéré comme un lieu de transmission dans son usage traditionnel. Le nouveau régime du dessin va donc de pair avec une expérience qui permet d'anticiper ce que la machine peut produire. Cette expérience ne peut s'acquérir que dans le développement d'un travail expérimental d'atelier qui permet de tester les possibilités de la machine. Cependant les premières expériences menées dans le cadre de l'urgence constituent principalement des projets expérimentaux, ils sont encore marqués par de fortes discordances avec les réalités productives industrielles. René Gabriel est seul à en maîtriser parfaitement les rouages grâce à une expérience de dix années, et il va également bénéficier de l'aide des ingénieurs pour réaliser ses plans. En revanche, les autres créateurs projettent uniquement la capacité singulière de leur propre atelier (Jean Prouvé), ou se positionnent de manière plus expérimentale encore en réduisant à l'extrême les moyens de production, dans des meubles minimalistes, soit en reprenant de tradition rustique (René Crevel), soit en tendant vers des formes innovantes (Fabien Vienne). Cette démarche empirique va permettre aux décorateurs ou dessinateurs de se projeter dans le nouveau paradigme de la production industrielle et de se l'approprier. C'est ainsi que ces premières tentatives menées dans le cadre de l'urgence ouvrent la voie à une nouvelle production qui va rapidement s'imposer comme un nouveau modèle, dans une opposition à l'atelier traditionnel.

Conclusion

Renversement des valeurs et disparition de l'atelier

La logique de rupture qui s'instaure immmédiatement après la Libération place le modèle de l'atelier folklorique comme obsolète. L'inflation sémantique autour de ce mot avant-guerre puis son détournement sous l'Occupation vont être balayés par une volonté de moderniser le pays. Toutefois, cette disparition, comme l'apparition de l'atelier folklorique, réside surtout dans les apparences et n'est pas le fait d'une véritable volonté administrative. L'Etat continue au contraire d'encourager l'artisanat en conservant une politique fiscale très favorable aux petites entreprises et en lançant de vastes programmes adressés à des décorateurs employant des petits artisans et des ouvriers d'art (aménagements de paquebots et de locaux administratifs, commandes du Mobilier national). À l'opposé de cette manière de faire et des anciens styles, les tentatives expérimentales menées en suivant l'impératif d'urgence parviennent parallèlement à imposer une nouvelle gamme de mobilier. Les décorateurs sont de plus en plus nombreux à viser une édition industrielle à bas prix. Le changement se perçoit dans des présentations officielles : modèles retenus en 1946 par la commission du Meuble de France, Exposition internationale de l'urbanisme et de l'habitation en 1947, réouverture du salon des arts ménagers en 1948. Ce phénomène de rationalisation de la production se rapproche de celui observé aux États-Unis par Raymond Loewy : « Les années de guerre nous avaient fait apprécier la valeur de l'ingéniosité et nous avaient appris à économiser les matériaux »54. De nombreux travaux de recherche ont démontré l'importance des rapprochements qui s'opèrent alors entre l'industrie et le design. Cela se déroule en France au début de la consommation de masse dans l'ameublement, comme le montre le rôle de Marcel Gascoin au salon des arts ménagers, ou celui de Jacques Viénot dans les recherches qu'il mène en matière d'esthétique industrielle. Cette première période sera suivie par un « Mobi Boom » qui s'appuyera sur la reconstruction pour assimiler les potentiels de la puissance industrielle lorsque le rationnement cesse.

Cependant, la question du design ne sera pas immédiatement comprise par tous, car les transformations qu'imposent une conception dans l'urgence se perçoivent également dans les stands du Salon des Artistes Décorateurs parmi les modèles luxueux exécutés par des artisans. En effet, les différentes réductions opérées pour faciliter la production dans un contexte de pénurie seront tout d'abord interprétées comme les marques d'un style : structures et assemblages visibles, piétements minimalistes se terminant en aiguille, écartements des supports en angle ouvert (en sabre, en compas), utilisation de bois communs et économiques. Toutes ces découvertes seront en quelque sorte assimilées par imitation, de la même manière que le furent les modes des décennies précédentes. Ce quiproquo entre style et design ne permet pas de saisir pleinement l'importance des nouvelles expériences menées entre la création et l'industrie. C'est le même type de décalage interprétatif dont souffre l'atelier, qui se place dans une position nécessairement passéiste face aux grandes fabriques. De ce fait, il est inévitablement reconduit vers sa valeur folklorique, associé au luxe, reliquat d'un vieux monde qui se meurt et s'oppose à la modernité d'un nouveau monde qui tarde à apparaître. Mais ce regard particulier ne doit pas cacher les modification profondes du travail d'atelier qui se sont opérés durant la période de la Seconde Guerre Mondiale en France. Ces ateliers - qui ne portent plus d'ailleurs ce nom - sont au contraire le lieu d'expérimentations et de démarches nouvelles intégrant l'évolution nécessaire du passage d'un régime de facture à un processus d'implicitation. C'est ainsi que peut être interprétée l'entreprise de Marcel Gascoin, nommée Aménagement Rationnel de l'Habitation et des Collectivité (ARHEC), lieu qui n'a laissé aucune trace55 en dehors des témoignages des nombreux designers qui y ont été formés. Suivant un procédé d'essai-erreur, les designers y expérimentent un nouveau rapport avec l'industrie. L'approche est facilitée par l'arrivée de nombreuses machines dotées de moteurs électriques indépendants, qui permettent à la fois l'édition en grande série et des rythmes de travail plus souples.

L'émergence progressive du design en France passe ainsi discrètement - voire secrètement - par le développement d'un atelier compris comme milieu expérimental où le praticien éprouve à sa manière les relations possibles entre les matériaux et les outils, les machines et les procédés qui permettent de les mettre en œuvre. Où le designer expérimente et développe une nouvelle relation avec le milieu technique.

Bibliographie

Bertrand Dorléac, Laurence, L'art de la défaite (1940-1944), Paris, Seuil, 1993

Binda, Elisa, « Techno-esthétiques ou philosophies de l'interaction : les réflexions de Gilbert Simondon et John Dewey », Appareil [En ligne], 16 | 2015, mis en ligne le 09 février 2016, consulté le 23 avril 2019. URL : 2217 ; DOI : 10.4000/appareil.2217

Certeau, (de) Michel, Julian Dominique et Revel Jacques, « La beauté du mort », in La culture au pluriel, Paris, Points, essais, 1974

Dewey, John, Expérience et nature, trad. fr. J. Zask, Paris, Gallimard, 2012

Ingold, Tim, Faire - Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture, Bellevaux, Dehors, 2017

Gencey, Pierre, René Gabriel, Paris, Norma, 2018

Huyghe, Pierre-Damien, Art et industrie (philosophie du Bauhaus), Belval, Circé, 2015

Loewy, Raymond, Never Leave Well Enough Alone, New York, Simon and Schuster, 1951 ; réédition La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2005

Marx, Karl, Le Capital, Hambourg, Verlag von Otto Meisner, 1867 ; Paris, Gallimard, Folio Essais, 1963 et 1968

Perrin, Cédric, « Ce que l'industrialisation a fait aux artisans d'Europe occidentale, années 1830 - années 1930 », Artefact [En ligne], 13 | 2020, mis en ligne le 23 décembre 2020, consulté le 25 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/artefact/6862 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ artefact.6862

Perrin, Cédric, « Chapitre II. Les artisans dans la révolution nationale (1940-1941) ». Entre glorification et abandon. L'État et les artisans en France (1938-1970). By Perrin. Vincennes : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2007. (pp. 65-100) Web. \http://books.openedition.org/igpde/992

Simondon, Gilbert, Sur la techno-esthétique, in Sur la technique (1935-1983), Paris, Puf, 2014

Stiegler, Bernard, « Temps et individuation technique, psychique, et collective dans l'oeuvre de Simondon », in Multitudes, revue en ligne, https://www.multitudes.net/Temps-et-individuation-technique/ consulté le 15 mai 2020

Vogley, Jean-Charles, L'ameublement français : 850 ans d'histoire, Paris, Groupe Eyrolles / coédition FNAEM, 2014


  1. Définition du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/atelier. consulté le 10 mai 2021 

  2. Définition du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/artisan. consulté le 10 mai 2021 

  3. Perrin, Cédric, « Ce que l'industrialisation a fait aux artisans d'Europe occidentale, années 1830 - années 1930 », Artefact [En ligne], 13 | 2020, mis en ligne le 23 décembre 2020, consulté le 25 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/artefact/6862 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ artefact.6862 p. 323 sq

  4. Marx, Karl, Le Capital, Hambourg, Verlag von Otto Meisner, 1867 ; Paris, Gallimard, Folio Essais, 1963 et 1968, p. 503. 

  5. Nous choisissons de comprendre le lieu de production à la fois comme un lieu de conception et de fabrication. Bien que la mécanisation de la production conduise souvent à séparer ces deux activités dans des lieux différents, elles restent toujours nécessairement liées. 

  6. Huyghe, Pierre-Damien, Art et industrie (philosophie du Bauhaus), Belval, Circé, 2015. 

  7. Cf., Images de France, n°80, septembre 1941. 

  8. Gencey, Pierre, René Gabriel, Paris, Norma, 2018 

  9. Ce fonds d'archives (environ 3.200 documents graphiques) est déposé à la bibliothèque de l'Ensad. Il a été entièrement numérisé et est disponible sur la base de données PSL-explore (https://bibnum.explore.psl.eu/

  10. Cf. La comparaison des deux modèles réalisée par Elisa Binda dans : Binda, Elisa, « Techno-esthétiques ou philosophies de l'interaction : les réflexions de Gilbert Simondon et John Dewey », Appareil [En ligne], 16 | 2015, mis en ligne le 09 février 2016, consulté le 23 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/appareil/2217 ; DOI : 10.4000/appareil.2217 

  11. Ibid. p. 4 

  12.  Avant la rédaction de cet article, nous avons en effet, cherché à répertorier les différentes occurences du terme atelier dans des contextes de conceptions et de productions du meuble en bois de l'Entre-Deux Guerres pour mieux nous représenter la réalité des pratiques et des usages de l'époque. 

  13. Cf. Marx, Karl, Le Capital, Op. Cit., p. 503 

  14. Cf, Dewey John, Expérience et Nature .... 

  15. Stiegler, Bernard, « Temps et individuation technique, psychique, et collective dans l'oeuvre de Simondon », Futur Antérieur, n°19-20, 1993/5-6. https://www.multitudes.net/Temps-et-individuation-technique/ consulté le 20 mai 2020 

  16. Ibid. 

  17. Huyghe, Pierre-Damien, Art et industrie, Op. Cit. p.45 sq

  18. Bégout, Bruce, Le concept d'ambiance, Paris, Seuil, L'ordre philosophique, 2020. p.387 

  19. Huyghe, Pierre-Damien, Art et industrie, Op. Cit. p. 58 

  20. Ibid. 

  21. Ibid

  22. Stiegler, Bernard, Op. Cit

  23. Vogley, Jean-Charles, L'ameublement français : 850 ans d'histoire, Paris, Groupe Eyrolles / coédition FNAEM, 2014, p.132 

  24. Ibid. En 1958, l'Insee recense encore dans le secteur 24446 entreprises pour 83300 salariés, une seule dépasse 500 salariés, 200 salarient entre 50 et 250 personnes, plus de 11 000 sont familiales. 

  25. Perrin, Cédric, « Chapitre II. Les artisans dans la révolution nationale (1940-1941) ». Entre glorification et abandon. L'État et les artisans en France (1938-1970). By Perrin. Vincennes : Institut de la gestion publique et du développement économique, 2007. (pp. 65-100)

    Web. \http://books.openedition.org/igpde/992.p.65 

  26. Bertrand Dorléac, Laurence, L'art de la défaite (1940-1944), Paris, Seuil, 1993, p.178 

  27. Cédric Perrin, Op. Cit. p. 72. 

  28. Ibid. p. 70 

  29. Ibid. p. 65 

  30. Ibid. p.66 

  31. Cf. rubrique « Beaux-Arts » de Pierre du Colombier, 27/06/1942, 12/12/1942, 16/10/1943 

  32. Collectif [la rédaction], « A nos lecteurs », Plaisir de France. Images de France, n°61, 10/1939, n.p. 

  33. Collectif [la rédaction], « A nos lecteurs », Images de France, n°63, 12/1939, n.p. 

  34. Mathey, Jacques, « Les céramiques de Jean Besnard », Plaisir de France, n°34, 07/1937, pp.12-15. 

  35. Merciériondéi, M., « Un métier d'art : la laque », Plaisir de France, n°58, 07/1939, pp.31-33. 

  36. Moutard-Uldry, Renée, « Artisans du bois », in Images de France, n°80, septembre 1941 

  37. Ibid. 

  38. Ibid

  39. Chavance, René, « Alexandre Noll », Art et décoration, 11/1938, p.199-204 

  40. Malaurie, Christian, La carte postale, une oeuvre : ethnographie d'une collection, Paris, L'Harmattan, Collection Psychologiques, 2003. 

  41. Michel de Certeau, Dominique Julian et Jacques Revel, « La beauté du mort », dans La culture au pluriel, Paris, Points, essais, 1974 ; 1993, p.45 sq

  42. Ibid. p.67 

  43. Cédric Perrin, op. cit. p.69 

  44. Ibid. p.70 

  45. Premiers plans datés de 1940 pour des tables à piétements en quadrillage bois (fonds René Gabriel, PSL, ensad_18-11) 

  46. Modèles économiques, pour lesquels Gabriel a recours à des bois-blancs, bon marché et faciles à mettre en œuvre. 

  47. Ce travail débute en juin 1935, date indiquée sur le dessin d'une « chambre de jeune fille » en bois blanc (fonds René Gabriel, PSL, ensad_09-12) 

  48. Date figurant sur les plans (fonds René Gabriel, PSL, ensad_34-112, ensad_34-134) 

  49. Marque créée par Gabriel en 1937 

  50. Compte-rendu des séances de l'Assemblée nationale publié au Journal Officiel n° 29 de 1948, page 1391 - Séance N° 43 du 5 mars 1948 

  51. Huyghe, Pierre Damien, Op. Cit. p.59 

  52. Stiegler, Bernard, Op. Cit. 

  53. Le concept de correspondance dans le faire est développé par l'anthropologue Tim Ingold dans : Ingold, Tim, Faire - Anthropologie, Archéologie, Art et Architecture, Bellevaux, Dehors, 2017 p. 243. Nous en avons proposé une analyse récemment dans : Azéma, Claire « Le rôle des outils-transducteurs dans les traductions du designer », Appareil, à paraître en ligne en 2022. 

  54. Loewy, Raymond, Never Leave Well Enough Alone, New York, Simon and Schuster, 1951 ; réédition La laideur se vend mal, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 2005, p.197. 

  55. Les archives Gascoin sont déposées au Musée des Arts décoratifs, mais elles ne comportent aucune donnée (textes ou images) sur son atelier.