Doctorante en Arts Industriels à l’Université Jean Monnet Saint-Étienne, en co-encadrement avec l’Esadse – Cité du Design. Son travail porte sur l’invention et les conséquences culturelles et écologiques du « mode de vie occidental » durant la période de la grande accélération, en analysant les changements de représentations et de pratiques de la nature de populations rurales rencontrant les normes d’habitation et consommation moderne.
Résumé
Face à une crise des imaginaires de la nature, plusieurs projets de design proposent des outils réflexifs sur le rapport des humains au vivant. En imaginant des expériences, des narrations, ces projets imaginent réformer nos cultures de la nature, qui s’appuieraient sur des imaginaires consuméristes de domination du vivant. L’article propose d’examiner, notamment par le biais d’études sociologiques, les modes opératoires politiques de tels projets. Il interroge leurs capacités de dilution esthétique des responsabilités écologiques et demande comment le design peut s’affranchir de son rôle de paravent aux modes de production et consommation écologiquement et socialement destructeurs.
Abstract
Facing an imagination crisis towards nature, diverse design projects offer reflexive tools on human relations to the living. By the design of experiments and narrations, these projects work to reform our cultures of natures, that would be based on consumerist imaginaries in which humans’ rule over the living. The article is willing to analyze the political operational modes of such projects. It questions their ability to aesthetically dilute ecological responsibilities and asks how design can free itself from its role of hiding production and consumption modes that are ecologically and socially destructive.
Introduction
En 2019, l’IPBES1 détaillait très précisément dans son rapport les impacts des pollutions et bouleversements climatiques sur la biodiversité, sur la stabilité des sociétés et établissait les zones les plus à même de connaître des changements écologiques et sociaux majeurs dans les années à venir. Parmi les points que le rapport estimait trop peu abordés figuraient les effets culturels, mentaux et spirituels de la dégradation du vivant pour les humains2. Pour les penseurs de l’écologie depuis les sciences humaines et sociales, il ne fait pas de doute que les bouleversements écologiques en cours génèrent, ou sont les conséquences d’une crise des représentations du vivant, de la place de la nature dans nos imaginaires3.
Un des facteurs de notre entrée dans l’Anthropocène4, l’ère géologique dominée par les activités de l’Homme, serait ainsi l’inadéquation de nos imaginaires, qui seraient décontextualisés de notre dépendance au vivant, et construits par des besoins et désirs de consommation non-durables. Michel Lussault et Cynthia Fleury l’explicitent clairement en exposant que « de manière civilisationnelle l'homme s'est lié au vivant en s'en dissociant et en estimant que sa liaison au vivant était essentiellement une liaison de domination5 » et que donc « le problème c'est la culture. Nous aspirons tous à consommer de la même façon. Tous nos imaginaires sont des imaginaires d’ultra-croissance6 ».
Si le design est au cœur de ces problématiques, c’est que les enjeux de sa production sont au cœur des débats. Acteur majeur de la société de consommation, à l’intersection entre industrie et art, négociant avec l’ingénieur autant que le commanditaire et l’utilisateur, le designer fait systématiquement dialoguer les conditions matérielles de production des objets et leur existence sociale, leur symbolique. Ses choix créatifs ont toujours une incidence sociale et écologique, qu’ils concernent le strictement matériel, comme le choix des matériaux ou des procédés industriels (à l’empreinte écologique plus ou moins élevée, réalisables dans des filières industrielles délocalisées ou non…), l’esthétique ou la sémiotique, comme lorsqu’il pense des formes pour proposer ou suggérer des usages. Enfin, en imaginant des projets utilisables au quotidien, parfois produits en masse, le design contribue à façonner les imaginaires et pratiques collectives. Il peut aider à rendre habituels certains réflexes, envisageables certaines pratiques. De par son positionnement à l’intersection de nombreux domaines, le design dispose de subtils médiums pour questionner les relations complexes de notre société avec la nature et proposer des réponses à cette « crise de l’imaginaire ». Fabriquant des objets désirables, parfois accusée de fabriquer le désir de consommation en lui-même, la discipline du design s’est saisie des enjeux écologiques dès les années 1960, période à laquelle nous devons les travaux critiques, introspectifs et les projets pédagogiques de Richard Buckminster Fuller, Victor Papanek ou Enzo Mari. C’est également dans cette perspective que s’inscrit la formation Design Investigations de l’Université des Arts Appliqués de Vienne. Le site de la formation détaille ainsi :
Les modèles pédagogiques du XXe siècle nourrissent une société industrielle, menée par la consommation qui n’est plus durable – mais vous savez cela. C’est pour ces raisons que vous êtes ici. Vous voulez faire quelque chose pour ça. Vous voulez penser de façon créative aux pouvoirs et possibilités du design. Vous voulez explorer le rôle du design dans la société, la culture, les politiques et l’environnement. Vous voulez développer de nouvelles formes de compréhension et d’engagement envers la réalité complexe d’aujourd’hui. Plus que tout, vous voulez créer du changement7.
Cependant la critique contemporaine du design à l’endroit de la consommation ne s’arrête pas à ces considérations déjà anciennes. Si la consommation, et donc les objets consommables sont un obstacle à la résolution de cette crise, ce ne serait pas seulement parce qu’ils seraient inscrits dans une économie de croissance non durable, mais aussi, et surtout, parce qu’ils seraient le fruit d’une culture plaçant l’Homme au-dessus de toute autre forme de vie. Cette opposition entre nature et culture, décrites entre autres dans les célèbres ouvrages Nous n’avons jamais été modernes, et Par Delà Nature et Culture, serait un marqueur de la civilisation occidentale qu’il s’agirait de remettre en question. Dépasser ses pulsions consuméristes et inviter à la conception d’objets et architectures moins périssables ne serait alors plus suffisant pour repenser cette domination humaine sur le vivant, telle que présentée par Fleury et Lussault. Il faudrait désapprendre cette domination, trouver des moyens de faire culture avec et non contre ce qui n’est pas humain. Estimant qu’innover en trouvant des solutions matérielles ne permettrait plus d’interroger ce rapport culturel au vivant, certains designers imaginent leurs travaux comme les supports de nouveaux récits de la nature. Plus que de réinventer des usages, il s’agirait de reformuler nos narrations niant jusqu’ici l’importance du vivant. L’intersection de leur position leur permettrait alors de proposer une transition culturelle plus encore que technique face aux bouleversements écologiques. Je chercherai ici à analyser les modes opératoires des projets de design proposant de tels nouveaux récits de la nature. Comment ces projets proposent-ils l’élaboration de nouvelles constructions sociales de la nature ? Comment les problématiques écologiques y sont-elles formulées ? Ces récits peuvent-ils être politiquement opérants ? Quelles orientations politiques suggèrent-ils pour parvenir à cette transition culturelle ?
1. Des projets de design comme réformes des mentalités écologiques
Cette double critique confrontant non seulement la consommation mais également son héritage culturel séparant la nature de la société s’est trouvée particulièrement illustrée lors du confinement du printemps 2020. Stoppant brutalement un grand nombre d’activités, laissant davantage de place aux animaux en ville et faisant momentanément baisser divers types de pollution, il permit une étude de cas idéale pour donner à voir par la pandémie les conséquences de l’emprise humaine sur le vivant. Il m’intéresse ici de citer plusieurs réactions de théoriciens à cette période puisqu’ils exemplifièrent efficacement les incidences de cette crise des imaginaires dans nos quotidiens. Le géographe Guillaume Faburel décrivit le coronavirus comme un moyen de réaliser que face à la crise, nous serions aussi vulnérables que les pangolins, potentielle origine de ce virus, menacés par la déforestation. Selon lui, nous tous, mais plus particulièrement les urbains, serions les serviteurs aveugles des rouages d’une économie destructrice de la nature. Prenant à parti ses lecteurs sur les conséquences de leurs choix de vie, il écrit :
À quoi en fait servons-nous concrètement face au trépas écologique de nos sociétés métropolisées ? Surconsommer dans les supermarchés ? Regarder Youtube toute la journée ? Faire du sport dans une salle climatisée ? Aller au cinéma pour s’évader ?
et assénait :
La Covid-19, c’est la nature co-habitante qui reprend ses droits dans la niche écologique globalisée que le capitalisme a créée en nous par asservissement de la nature et ce faisant par arrachement du vivant que la métropolisation incarne jusqu’à la démesure8.
La présence d’animaux en ville, le chant des oiseaux auraient par ailleurs permis d’entrevoir quel pourrait être un avenir de cohabitation avec le vivant, libéré de ces mécanismes destructeurs. Vinciane Despret expliquait ainsi au micro de France Culture qu’oiseaux comme humains étaient :
Libérés du carcan des habitudes qui nous mettent dans un rapport d’automates idiots à ce qui nous entoure et, eux, les oiseaux, libérés de cette anthropo-cacophonie […] j’écoute et je découvre, avec une émotion que je sais partagée, le devenir oiseau d’humains qui expérimentent la formidable puissance des territoires chantés9.
Asservis par nos propres désirs, nourris par une société les automatisant et nous empêchant d’y réfléchir, nous détruirions inconsciemment une nature invisibilisée, éloignée de nous. Il ne tiendrait pourtant qu’à nous de mettre en place des gestes barrières contre le retour à cette société10, pour reprendre l’expression de Bruno Latour, ou de briser nos chaînes de servitude, pour citer encore Guillaume Faburel, afin de mettre un terme à ces engrenages nous conduisant, avec le reste du vivant, à notre perte.
Si la situation liée à la pandémie m’a permis de recouper rapidement des analyses et discours sur la place du vivant dans nos imaginaires, les designers et leurs collaborateurs n’ont pas attendu 2020 pour proposer des réponses à cette séparation entre nature et culture. Plus qu’un livre, c’est un véritable outil graphique qu’ont proposé en 2019 Alexandra Arènes, architecte diplômée du master d’expérimentations en Arts Politiques (SPEAP) créé par Bruno Latour, Axelle Grégoire collaboratrice au magazine Billebaude et Frédérique Aït-Touati, directrice scientifique de SPEAP, chargée de recherches à l’EHESS et également collaboratrice de Bruno Latour avec Terra Forma, Manuel de Cartographies Potentielles. L’ouvrage propose des outils graphiques et conceptuels pour explorer les interdépendances autant matérielles que sociales ou philosophiques entre les humains et leurs milieux. Il présente ainsi en plusieurs chapitres des méthodes permettant de cartographier le monde en s’incluant intimement, en tant qu’humain, au sein du vivant. À la fois démonstration graphique et manuel d’expérimentation, il invite à redécouvrir notre planète, qui serait une « Terra Incognita » que nous connaîtrions encore trop peu, grâce aux outils hybrides imaginés par les autrices, entre graphisme, cartographie, géographie et philosophie. Sa couverture illustrée par de complexes cartographies bleues et blanches autant que son titre en lettres dorées évoquent quasiment un livre de rituels, ou d’expériences spirituelles. Issu du croisement de réflexions de plusieurs disciplines, il cherche à en dépasser les cloisonnements pour mieux imaginer quelles pourraient être nos nouvelles relations au vivant. Le but est ainsi d’offrir un « manifeste pour la fondation d’un nouvel imaginaire géographique et, ce faisant, politique11 ». En proposant au lecteur un manuel, et non des objets déjà conçus, prêts à être employés, les autrices l’invitent à faire ses propres expérimentations. Celles-ci ne sont ni strictement scientifiques, ni spirituelles, ni spécifiquement spectaculaires : elles sont des jeux et réflexions sur nos sensations, nos conceptualisations, nos rapports au monde, aux territoires, aux animaux, végétaux, minéraux, bactéries, climats, etc. Le livre propose des expérimentations autant philosophiques, esthétiques que pratiques au-delà des normes de représentations habituelles. Le manuel peut être perçu comme un guide, pour l’accompagnement d’un voyage initiatique, puisque l’idée est ainsi de faire cheminer le lecteur dans une déconstruction et reconstruction de ses relations au vivant en l’outillant graphiquement et conceptuellement.
Figure 1. Aït-Touati, Frédérique ; Grégoire, Axelle ; Arènes, Alexandra, Terra Forma, Paris, Éditions B42, 2019.
La notion d’apprentissage et de réorientation de l’utilisateur face à la nature est également présente dans les projets des étudiants de Design Investigations. Nombre d’entre eux ne proposent pas, à l’instar de Terra Forma, des projets dont l’utilité et l’intérêt ne se résument pas à la consommation d’un produit, mais des scénarios, des fictions, dans lesquels les objets sont des supports de narrations. Labellisée « Food in the Anthropocene », le projet Eating Death, de Sophie Falkeis, Denise Schindele, Eszter Zwickl et Jan Ihno Raddatz imaginé en 2019 mets en scène dans des photographies prises sur fond noir et à l’éclairage surplombant assez dramatique de petits outils aux formes métalliques froides et aux formes minimalistes. Ils sont associés à de petites baies, un champignon, une fleur. Il est difficile à première vue de comprendre leur fonctionnement exact, qui semble très précisément pensé pour extraire une quantité infime des ingrédients naturels proposés. Le site détaille : l’un des outils sert à extraire et goûter au moyen d’une pipette une minuscule quantité du jus d’une baie toxique dont la nature exacte n’est pas décrite, un autre à fabriquer une sucette presque empoisonnée à partir d’une seule fleur ou encore à cuire une toute petite quantité de champignon. Le projet est décrit comme « une expérience ritualisée de dégustation de puissantes toxines botaniques et fongiques et cherche à confronter notre propre mortalité face aux pouvoirs de la nature. [...] Eating Death et connaître les réels risques et pouvoirs de la nature, l'idée de respect devient une expérience très physique ». Comme pour Terra Forma, les objets accompagnent un cheminement découpé en plusieurs expériences au cours duquel la vision de la nature du spectateur sera éprouvée. La petite taille des objets, la méticulosité que semble impliquer leur maniement semble renvoyer par opposition à la force immense de l’entité « nature », représentée ici par de minuscules fragments végétaux. Ces étapes semblent dire : si seulement ceci peut vous tuer, prenez alors conscience de la puissance contenue dans un écosystème. À la différence du manuel de cartographie, cet apprentissage de la nature passe par la prise de risques : on expose son corps à d’infimes dangerosités pour comprendre physiquement, ce que veut dire respecter la nature. Ce processus suggère presque l’auto-punition, comme un minuscule châtiment corporel que l’on s’infligerait pour s’éduquer, dans le but d’inverser la sensation de domination sur le vivant.
Le projet de l’artiste et designer néerlandais Arne Hendriks propose une alternative à cette domination. Le point de départ de son projet The Incredible Shrinking Man est son propre corps : faisant quasiment deux mètres de haut, il constate que sa taille est le produit d’une société obsédée par la croissance, les Néerlandais ayant grandi en moyenne de vingt centimètres depuis le 19e siècle12. Notant que cette augmentation de taille nécessitait toujours plus de ressources pour garder une bonne santé physique, mais également pour se vêtir ou habiter, et que selon des études, chaque centimètre au-dessus d’1m52 baisse l’espérance de vie, il propose de rapetisser l’espèce humaine. Son projet consiste alors en un programme de recherche et de design spéculatif, exposé au public sous la forme de conférences, performances, résidences de recherches et expositions. Face aux bouleversements climatiques causés par « l’imaginaire de croissance » décrit par Fleury, Hendriks ne propose pas de designer des outils ou objets pour mieux vivre avec le vivant mais de re-designer les humains afin que même leurs idéologies les plus prédatrices ne viennent jamais à bout des ressources. Les images qu’il présente au cours de ses performances proposent alors une nouvelle perception de l’abondance. On y voit par exemple un homme tenant un poulet aussi grand que lui en laisse, tandis qu’Hendriks commente le fait que si les humains faisaient seulement 50 centimètres, un seul de ces volatiles pourrait nourrir une centaine de personnes. Retouchant la photographie de la façade d’un immeuble d’un étage auquel il ajoute de nombreuses petites fenêtres, il démontre que celui-ci pourrait abriter une vingtaine de familles. Diagrammes à l’appui, il commente ainsi que toute la population mondiale pourrait résider dans seulement deux métropoles : ainsi la nature pourrait reprendre ses droits sur le reste de la planète13, et l’espèce humaine ne constituerait plus jamais une menace pour la stabilité du climat. L’artiste et designer propose des workshops et expositions pour imaginer les environnements des futurs humains de 50 centimètres. Le premier workshop, se déroulant lors de l’événement d’art et design Transnatural14 aux Pays-Bas en 2011 proposait ainsi d’imaginer la nourriture adaptée à des humains rétrécis. On peut voir sur le site du projet un exemple de cornet de frites de quelques centimètres, ayant été cuites en 15 secondes et accompagnées d’une mayonnaise d’œufs de caille. Présenté comme une recherche en cours, le travail d’Hendriks ne propose ainsi pas d’objets finalisés, mais présente ses notes, idées, avancées, comme s’il ouvrait son atelier et y conviait le public. Images, packagings, workshops de design culinaire servent à accompagner la narration, permettent aux spectateurs de tenir entre leurs doigts les prototypes crédibilisant le récit et d’y contribuer. Par ses images et recherches de design jouant des écarts de taille, Hendriks provoque le public sur le coût écologique de la croissance et sur les limites planétaires atteintes ou en passe d’être atteintes actuellement. Aussi drôle que choquant par sa radicalité, ce projet de recherche entre design, arts et sciences a moins pour but d’aboutir que d’offrir une documentation sur les effets de la croissance et de produire un récit optimiste et appropriable sur l’écologie. « À la fin, ce n’est pas tant les histoires individuelles qui créent le changement, mais la somme de toutes. Le concept entier est né de l’idée de trouver une position juste face à l’écologie » relate Hendriks en entretien15. Il explique alors son projet comme une métaphore devant permettre de comprendre quelles interrelations nous entretenons avec les autres formes de vie, et comment nous pourrions les faire évoluer.
Figure 2. Arne Hendriks, The Incredible Shrinking Man: Next Nature, 2011.
Comme Terra Forma ou Eating Death, The Incredible Shrinking Man propose des dispositifs performatifs pour appuyer un récit ou un propos écologiste. Ces projets prennent alors à rebours une certaine tradition du design, puisque l’humain n’est pas là outillé pour agir sur son environnement mais agir sur lui, pour son environnement. Les formes et actions proposées par ces trois projets activent des imaginaires où la place des humains face à la nature n’est pas dominante mais dans une égalité de rapports affirmée : Terra Forma permet d’identifier nos interdépendances et nos places dans la trame du vivant, Eating Death de reconnaître la force de la nature, The Incredible Shrinking Man d’imaginer inhiber les capacités destructrices de l’humanité. Aucun des trois projets ne propose une solution définitive, la question n’étant pas d’imaginer des solutions techniques et esthétiques face à un problème écologique donné, mais d’accompagner une réforme des mentalités. La somme de ces prises de consciences permettrait alors un tournant culturel dans l’appréhension du vivant, capable de faire émerger une société, voire une humanité moins prédatrice des ressources.
2. Des limites de l’expérience individuelle de la nature
Bien que proposant de nouveaux imaginaires de la nature, la problématisation de l’écologie qu’ils proposent semble faire écho à des récits médiatiques plus vastes. En présentant divers moyens permettant de reconnaître la « fragilité de la planète », la « puissance de la nature », son omniprésence ou encore en utilisant le récit et la provocation pour faire prendre conscience du coût écologique de nos consommations, ces pièces font reposer leurs significations et utilités dans un accomplissement personnel. On peut les envisager comme des outils d’auto-éducation écologique proposant des épreuves afin que le spectateur puisse se détacher d’une mentalité ancrée dans une culture de consommation prédatrice du vivant. Grâce aux expériences proposées (cartographier son rapport à la nature, manger des produits naturels bruts toxiques, envisager de rétrécir), les spectateurs s’apprêteraient à considérer la réalité des bouleversements climatiques ainsi que les renoncements qu’il suppose. Grâce à cette sensibilisation, ils pourraient alors dépasser leurs croyances et cultures non durables pour « redécouvrir la Terre16 », cesser de séparer la nature de la culture. Ces projets peuvent donc également être compris comme des supports d’enseignement, comme des médiums de prise de conscience. Commencer par se désenclaver soi-même d’un système nocif pour l’environnement pour pouvoir ensuite, penser le collectif fait fort écho au credo « se changer soi pour changer le monde » tel qu’Aude Vidal a pu le décrire dans son essai sur l’idéologie des mouvements écologistes alternatifs. Elle y rappelle que ces injonctions supposent une vision du monde où toute personne/entité est capable d’agir, de se libérer des contraintes et oppressions afin de chercher le bien-être17. Être victime d’inégalités, être inséré dans un contexte sur lequel on peut difficilement agir ne sont pas des arguments selon cette logique : la condition même de victime peut être niée par le principe de responsabilité individuelle. Si une personne subit une situation, on estimera alors qu’elle n’a pas assez travaillé sur soi pour s’en émanciper ou qu’elle a manqué d’effort et de bonne volonté. Ces arguments, plus ou moins explicitement néolibéraux, utilisés par des représentants situés plutôt à droite du spectre politique « sous-estiment contraintes et rapports de pouvoir, surestiment la marge de manœuvre des personnes18 ».
Au sein des dérèglements climatiques, les trois projets présentés plus haut envisagent le spectateur comme un humain : un humain face au vivant qu’il méprise ou dont il n’est pas conscient de la puissance, un humain face à l’épuisement des ressources auquel il participe. En considérant les causes et conséquences des bouleversements écosystémiques et climatiques comme étant liés à l’espèce humaine en général, et en désignant chacun de ses représentants en particulier comme entièrement responsable, on les considère ainsi comme libérés de leurs conditions sociales, comme si chacun avait toujours été libre de choisir de son plein gré son mode de vie. De la sorte, il pourrait sembler que les gens consommeraient et détruiraient la nature parce qu’ils n’ont pas la force mentale de s’extraire du capitalisme. En proposant des expériences éprouvant nos relations à la nature et nous intimant de la respecter, l’élaboration de nouveaux imaginaires géographiques pour redécouvrir une « terre que nous croyons si bien connaître19 » ou encore en documentant par la fiction nos normes de consommation, les projets présentés plus haut se revendiquent, à quelques mots près, comme des médiums d’extraction individuels des narrations naturalistes et capitalistes. La possibilité d’agir que laisse envisager la narration de tels projets est avant tout individuelle : le spectateur doit réagir puis travailler sur soi. Le design serait alors un facilitateur de cette prise de conscience, de cet engagement dans une culture permettant la transition écologique. En somme, ces projets de design proposent de substituer aux mentalités consommatrices de leurs publics un « nouveau regard » sur la planète, puisqu’en l’état, leurs mentalités ne seraient pas adéquates pour mener à bien une transition écologique.
Par ailleurs, ces projets donnent peu ou pas de poids aux dynamiques politiques ne régulant pas les activités polluantes ou aux entreprises engagées dans la destruction de la biodiversité et des travailleurs ou habitants y étant associés (mines, monocultures intensives, surpêche, etc.). Ces acteurs politiques, comme leurs victimes humaines ne figurent pas dans les processus de prise de conscience imaginés par les designers. Ce lissage des catégories sociales en une humanité homogène se retrouve également dans la construction de la « doxa sensibilisatrice » étudiée dans les reportages de JT par le sociologue Jean-Baptiste Comby. Dans les reportages sur les bouleversements climatiques qu’il analyse, ce sont davantage les effets sur la nature que sur les humains qui sont montrés à l’écran20 : fonte des glaces, migrations animales ou élévation du niveau des océans. Il note qu’il est rarement question des causes de celui-ci, et quand la question est abordée, ce sont « les activités humaines » qui sont créditées. Celles-ci sont souvent associées à un répertoire d’images figurant des fumées d’usine ou le trafic automobile, ne ciblant ainsi aucun secteur ou acteur spécifique21, diluant ainsi la responsabilité de certains secteurs d’activités en une généralité. Si la question des causes n’est pas abordée, Comby souligne que la question des moyens permettant d’éviter ces conséquences ou de réparer les dommages déjà causés est donc hors du débat. Dépliant les origines de cette dépolitisation, entre positions des gouvernements et analyse sociologique de l’apparition d’un journalisme écologiste, il estime ainsi que :
[…] la question du climat n’est pas dépeinte comme un enjeu politique, c’est-à-dire nécessitant une redéfinition en profondeur de l’organisation sociale et des logiques de production et de consommation dominantes, mais bien davantage comme un problème se manifestant par un ensemble de désordres naturels susceptibles de susciter une réaction morale22.
En prenant à partie le spectateur comme un humain, portant le poids des actes de son espèce face à la nature, et non comme un citoyen, un habitant, un travailleur ou le consommateur de produits spécifiques, les designers éloignent également de la narration tout ce qui a trait à la société. Le recours à des institutions ou des textes de loi ne figure pas dans les imaginaires esquissés, puisque la problématisation des bouleversements écologiques n’engage pas une société précise, ni son histoire ou sa géopolitique, mais l’espèce humaine entière face au reste du vivant.
3. Du spectateur comme un humain parmi les autres
Cette critique de l’uniformisation de l’humanité en un tout global est également la principale adressée à l’appellation d’Anthropocène pour désigner la nouvelle ère géologique qui se formerait sous la pression des activités humaines sur les écosystèmes23. Cette ère serait ainsi l’ère de l’Homme en général, partageant la responsabilité des bouleversements entre tous les membres de l’humanité, quel que soit leur âge, nationalité, travail, classe sociale et mode de consommation. De fondamentales précisions sont ainsi invisibilisées par cette unification des catégories sociales en « une humanité » qui devrait se réformer culturellement (dans le cas de Eating Death ou de Terra Forma) ou physiquement (dans le cas de Shrinking Man). Ces précisions seraient pourtant libératrices de plus grandes possibilités d’agir ou de faire valoir une véritable justice environnementale. Quelques études sur le rapport à la consommation par classes sociales permettent par exemple de tordre le cou à l’idée selon laquelle une priorité face aux bouleversements climatiques serait de faire évoluer les imaginaires de la nature. Il est par exemple intéressant de noter que les classes moyennes et supérieures sont paradoxalement à la fois celles qui polluent le plus et celles qui se considèrent comme les plus engagées dans la lutte écologique. Les sociologues Joël Dozzi et Grégoire Wallenborn décrivent qu’il :
[…] existe une corrélation positive entre le degré de sensibilisation et le niveau de consommation, qui s’explique via la classe sociale […] Or les pressions qu’un ménage peut exercer sur l’environnement sont directement liées à son niveau de revenu disponible (qui garantit le type de logement et de voiture par exemple), et sont finalement très peu liées à sa « conscience environnementale » […] les ménages aisés sont ceux qui possèdent le plus grand nombre de voitures par famille, les plus gros modèles, et qui les utilisent le plus. C’est ainsi qu’ils contribuent davantage à la détérioration de l’environnement24.
D’un autre côté, les foyers les moins argentés, tout en ne se revendiquant pas nécessairement d’un engagement écologiste ont une empreinte moindre pour des raisons avant tout économiques. Ces diverses études sociologiques tendent donc à montrer que la culture des individus n’influe que très peu sur les émissions de GES par foyer, et qu’en la matière, la variable la plus déterminante est celle du capital économique25 :
Quoique de façon assez schématique il ressort de ces analyses que les individus les plus respectueux de la planète seraient ceux dont le mode de vie est structuré par un volume important de capital culturel et un niveau relativement bas de capital économique. Mais dans la mesure où l’accumulation de ressources culturelles est généralement facilitée par – et orientée vers – un enrichissement matériel, sans doute faut-il se demander avec Grégoire Wallenborn et Joël Dozzi si, « du point de vue environnemental, il ne vaut pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé »26.
Ces questions très pragmatiques font écho aux réflexions de Rab Messina sur le projet d’Arne Hendriks. La journaliste et chercheuse, née en République Dominicaine, proposait une lecture du projet depuis sa culture du « Sud Global ». Entretenant l’artiste et designer, elle pointait le fait que la taille humaine, outre les facteurs génétiques, dépend aussi de l’accès à une nourriture suffisante et équilibrée ainsi qu’à des conditions de vies saines. Elle rappelait ainsi que si certaines populations étaient petites, ce n’était pas par choix, et puisqu’elle est un marqueur social, il lui semblait complexe de réjouir et revendiquer d’être de petite taille :
Je savais que les Européens étaient plus grands parce qu’ils étaient en meilleure santé. Quand on vient d’un pays où la plupart des gens ne savent pas d’où viendra leur prochain repas et que votre taille souffre de ces conséquences, l’espoir que vos enfants soient plus grands que vous est une promesse d’abondance en elle-même27.
Elle contextualise ainsi le projet d’Hendriks comme issu de la culture d’un pays ayant permis la richesse et la santé de ses citoyens entre autres par la destruction de celles des populations colonisées. De la sorte, elle présente The Incredible Shrinking Man non pas comme la narration par le design d’une nouvelle société plus durable mais comme une tentative de résorber par le récit un sentiment de culpabilité occidental28. Le constat relevé par Dozzi, Wallenborn apparaît aussi douloureux pour le milieu culturel que primordial dans l’analyse de ses modes d’actions écologiques. De façon brutale, purement comptable, la production d’œuvres tenant à créer de nouveaux imaginaires écologiques est politiquement largement moins opérante qu’une réflexion plus générale sur la croissance et la façon dont elle organise économiquement et socialement le monde. S’auto-éduquer à consommer moins quand on a la possibilité de consommer beaucoup, n’est, selon les données étudiées, pas une variable d’une importance notable. Cela n’évacue en rien l’importance de la culture et des arts dans les débats d’écologie politique en soi, mais incite à analyser les dynamiques socio-économiques sous-tendues par la production de design dans ses milieux de circulation habituels.
4. Imaginer et fabriquer une nature en dehors du social
Analysé sous cet angle, le design, et les projets évoqués peuvent effectivement avoir un rôle politique, mais pas nécessairement celui annoncé et espéré par ses concepteurs. Ici encore, les méthodes et concepts de la sociologie permettent de documenter les modes d’agir politiques permis par le design. Une étude de Matthieu Grossetête sur les distinctions sociales apportées par les consommations écologiques démontre qu’au sein des milieux populaires, les recherches d’économie d’énergies sont invisibles car opérées dans l’espace privé29 : isolation de la maison, suivi précis de la consommation d’électricité, etc. À l’inverse,
[c]hez les enquêtés les plus argentés, la contrainte symbolique se substitue à la contrainte économique. Les injonctions environnementales s’appliquent ainsi peu ou prou sur les mêmes pans du mode de vie, mais de manière plus ostentatoire car elles sont plus fréquemment vues comme une opportunité pour marquer son rang, c’est-à-dire de se démarquer des fractions désargentées et, peut-être aussi, se faire remarquer des plus privilégiés30.
On pourrait facilement illustrer cette analyse de projets de designers tels que Ross Lovegrove ou les frères Campana. Dans une démarche éthique et écologique, ces derniers se sont intéressés à l’artisanat et à la récupération : leur iconique chaise Favela est constituée de bois récupéré, cloué et collé. Elle est présentée comme inspirée du manque de moyens de leurs débuts et se vend à 8500 euros lunité. Dans un même souci de permettre une consommation éthique, leur coupe de fruit Transneomatic est faite en pneu recyclé et vannerie traditionnelle réalisée par les communautés vietnamiennes Hmong et Rai Tai. Elle est décrite comme un produit « environnementalement et socialement conscient, transformant une vision esthétique en une solution viable pour les artisans des communautés rurales au Vietnam31 » et coûte plus de 400 euros dans son plus petit format, pour un objet n’étant pas de première nécessité et pouvant se trouver à moins de 10 euros dans d’autres circuits commerciaux que le design d’édition. Lovegrove a de son côté obtenu des prix de design écologique comme celui du Vogue Traveller Ecology qui l’ont fait connaître pour son esthétique éco-futuriste et biomimétique. Mais que ce soit son Bamboo Bike, un vélo en bambou à 5400 euros ou son Bioyot, projet de yacht fonctionnant à l’énergie solaire (présenté peuplé de jeunes femmes en sous-vêtements blancs épurés) ses objets ne sont dédiés qu’à une infime minorité fortunée et sont parfois d’un intérêt écologique douteux (« yacht écologique » ne sonne-t-il pas comme un oxymore ?). Datant du début des années 2000, ces projets s’ancrent dans une idée de « développement durable » qui a depuis été largement critiquée pour son incapacité à remettre réellement en cause les facteurs d’émissions de GES et par sa propension au greenwashing. Il en reste que ces objets, issus du luxueux domaine du design d’édition sont de parfaits exemples des « formes renouvelées d’ostentation de la réussite sociale » décrites par Grossetête, que des marques travaillent encore aujourd’hui à perpétuer32.
Sans s’inscrire dans une semblable logique de consommation, les projets que nous avons abordés plus haut peuvent toutefois être perçus comme la reformulation d’un discours écologique de classe. Que ce soit en achetant un canapé en matériaux recyclés ou en s’éduquant « aux pouvoirs de la nature » ou en proposant de rapetisser dans un effort collectif, dans tous les cas, il faudrait « prendre conscience » et agir sur soi. Les pans politiques que ces narrations occultent en abordant leurs spectateurs comme des humains universels ont déjà été abordés, je me permets toutefois d’y ajouter des précisions chiffrées. En 2015, les 10% des Français les plus riches avaient émis 31,2 tonnes de CO2 et équivalents par an et par personne contre 3,8 pour les 10% les moins riches. Aux États-Unis, ces mêmes 10% les plus riches émettent eux 84,5 tonnes de CO2 et équivalent par an et par personne contre 3,6 pour les 10% les plus pauvres33. Selon une étude du Climate Institute of Accountability, 20 entreprises, dont la française Total, auraient émis 35% du total des émissions de CO2 depuis 196534. Insistons alors sur le fait que non seulement tous les humains ne sont pas de manière égale engagés et responsables des bouleversements climatiques, mais tous ne subissent pas également les conséquences de ceux-ci : les personnes et entités émettant le plus de gaz à effet de serre sont ainsi des multinationales et les classes supérieures, tandis que les personnes souffrant le plus des conséquences sont majoritairement issues des classes populaires. Il devient dès lors difficile d’ignorer la part de l’économie capitaliste dans les dynamiques menant aux changements écologiques. Que ce soit en proposant une consommation éthique ou écologique ou en incitant les spectateurs à chercher en eux un rapport à la nature harmonieux, ces projets contribuent à constituer un récit écologique esthétisant, éloignant les problématiques liées aux bouleversements du vivant de celles des bouleversements sociaux, quand l’un et l’autre sont, nous venons de le voir, intrinsèquement liées. The Incredible Shrinking Man exemplifie parfaitement cette problématique, puisque le projet s’essaie à rendre plus crédible un rétrécissement général de l’espèce humaine par la science qu’une régulation politique et économique écologiste. Ce récit reprend alors à sa façon un positionnement proche des dirigeants GAFAM tels qu’Elon Musk ou Jeff Bezos, pour qui il est plus évident de coloniser d’autres planètes et d’extraire des ressources extraterrestres que de remettre en question l’économie de croissance et les limites planétaires qu’elle rencontre35.
Le design, incitant à de nouvelles pratiques, un nouveau regard sur le monde serait alors un médium de développement personnel conscientisant, agissant sur l’individu et ses sensations face au monde. De la sorte le design se fait le paravent des modes de consommation des classes les plus favorisées et des entités et chaînes de productions capitalistes, néo-libéraux, néo-coloniaux dont les responsabilités devraient être questionnées. En proposant de « nouveaux regards et récits » sur le monde, ces projets sont comme l’arbre qui cache la forêt, créant un récit écologiste universel, paradoxalement hors-sol, assumant que tous les humains auraient le devoir de travailler ce « nouveau regard » quand des décennies de luttes politiques et écologistes ont déjà façonné une grande diversité de contre-récits très documentés de cette « responsabilité partagée » proposant de très concrètes applications. Ces récits, rencontrant de nombreuses pressions politiques ou économiques36 sont par exemple ceux des ouvriers agricoles se battant depuis de nombreuses années contre leur empoisonnement et celui de leurs terres par des pesticides aux dangers trop peu catégorisés, ceux des habitants des îles comme celles du Tuvalu, les premières à disparaître sous la montée des eaux, ceux des personnes ayant été exposées à leur insu aux radiations des essais nucléaires, ou encore ceux des travailleurs que les changements climatiques et écologiques privent de leurs métiers. En tant que victimes humaines au sort lié à la biodiversité, faisant face aux dégradations culturelles et écologiques provoquées par ces évènements, ces groupes plaident pour une justice environnementale, permettant réparation et responsabilisation. À l’aune du nombre de ces exemples et revendications, on peut alors se demander par qui et pour qui sont imaginées ces pièces prônant ce « nouveau regard » sur la nature, sans implication politique, sociale particulière ? Est-ce la fabrication d’un récit écologiste auto-légitimant pour les classes supérieures ? Ce design narratif, spéculatif n’opère-t-il pas comme l’esthétisation d’une dilution de la responsabilité des entreprises et institutions aux fonctionnements écocidaires ?
5. Problématiser par le design une justice environnementale ?
L’écueil dans l’appréhension sociale des enjeux climatiques de ces projets réside peut-être dans la volonté d’imaginer un récit qui vaudrait pour tous les humains. La perspective des designers sur la façon d’appréhender le vivant vaudrait alors pour chacun, quand bien même les changements écologiques amplifient les fractures sociales déjà existantes et les différences d’expériences du vivant37. C’est par ailleurs ce que démontrait Rab Messina en proposant à Hendriks une lecture de son projet depuis un autre contexte géopolitique. Ces propositions produisent finalement un récit consensuel ne permettant pas l’expression de la diversité des opinions et perspectives. Sans débats, sans clivages, le designer reste ainsi le prescripteur d’une solution pour un avenir souhaitable : c’est lui, surplombant, qui définit la culture et les besoins pour son public, ses utilisateurs depuis sa propre perspective. C’est précisément au nom d’une diversité des façons d’envisager le vivant que Pierre de Jouvancourt et Christophe Bonneuil, mais également T.J. Demos nous interpellent quant aux représentations de la nature qu’un grand récit unifié de l’Anthropocène peut produire. Ce grand récit serait celui porté par une histoire linéaire et progressiste, qui voudrait qu’une humanité moderne unanime ait acquis une force exceptionnelle par la force des choses, et domine désormais la nature. Il ne tiendrait alors qu’à sa force morale de protéger la Terre de son propre pouvoir destructeur38. Le grand récit, outre sa dérangeante proximité avec les récits religieux des grands monothéismes, efface durablement les inégalités à l’œuvre autant que les paroles de tous ceux qui se sont élevés contre les projets politiques et industriels écologiquement et socialement destructeurs. Bonneuil et de Jouvancourt proposent alors de réfléchir à une :
[…] histoire non progressiste, histoire des contestations de l'écologie, histoire des décisions, rapports de forces politiques qui ont conçu le système-monde, histoire du recrutement des subalternes dans la mondialisation, anthropo-histoire locale depuis les savoirs et connaissances, cosmologies non-naturalistes, façons d'habiter la Terre différente39.
Le design peut tout à fait faire siennes de telles propositions. Les projets présents dans l’exposition Geodesign: Alibaba peuvent permettre d’entrevoir d’autres modes opératoires politiques d’un design écologique, alors pourtant que le rapport au vivant n’était pas le thème des travaux exposés. En documentant par diverses installations l’empire du géant de la vente en ligne Alibaba, l’exposition permettait de donner à voir le design au sein d’un réseau d’interactions économiques, sociales, écologiques mondiales. Le rapport précédemment cité de l’IPBES insistait sur le fait que la séparation entre les lieux de production et de consommation des objets était un obstacle à la compréhension des implications des choix de consommation sur la biodiversité40. Mais plus intéressant encore que de démontrer le coût écologique des choix de consommation permis par le site Alibaba, les projets documentent la multitude de dispositifs désignés pour faire exister un tel empire commercial au-delà de tout choix raisonné des consommateurs, des algorithmes aux outils de live streaming publicitaires. Custom Printing 4 meters Inflatable Globe d’Irene Stracuzzi est un globe terrestre rouge en plastique gonflable de 4 mètres. Stracuzzi y a fait figurer une carte mondiale où elle a indiqué les routes commerciales utilisées par Alibaba pour faire circuler sa marchandise entre les quelque 200 pays où la société est implantée. La designer a obtenu ces données grâce à « Ali research », une plateforme de recherche fondée par Alibaba, a fait réaliser le globe par Alibaba via un service de personnalisation d’objets et a également été livrée par l’entreprise. Le procédé de fabrication est ainsi autant illustré qu’éprouvé dans la forme et la facture de l’objet. De la recherche, à la conception et au transport, le globe est alors une mise en abyme des échanges commerciaux et matériels permettant la production et la réception de l’objet. S’il n’est pas là directement question de la place du vivant, la designer expose les réseaux géopolitiques organisant la production de masse et sa consommation. Elle fait ainsi exister « la consommation » non comme un imaginaire commun, une pulsion humaine à réguler individuellement et moralement, mais comme une puissante et très concrète construction économique, politique, industrielle dirigeant des échanges matériels. « La consommation » devient alors un ensemble d’acteurs rattachés à des pays, des lois, des gouvernements avec qui débattre et défendre une réelle justice environnementale.
Figure 3. Stracuzzi, Irene, Custom Printing 4-meters Inflatable Globe [en ligne] TrendNomad.com.
Conclusion : démonter le paravent ?
L’échec à montrer la continuité entre la combustion de l’énergie fossile et ses conséquences climatiques dans le cadre fictionnel d’un roman – ou d’un film, d’ailleurs – est tout à fait remarquable ; il justifie à lui seul qu’on parle d’une crise de l’imaginaire provoquée par le climat. Tant que la fiction climatique flottera au-dessus de la base matérielle de l’économie fossile, jusqu’à ce qu’elle invente des techniques narratives pour relier les points – aussi éloignés paraissent-ils –, sa capacité à éclairer la chaleur présente et future sera limitée41.
Si Andreas Malm écrit ici à propos de la littérature, le propos semblerait presque plus adapté encore au design. Malm évoque comme Lussault, Fleury, Faburel ou Despret une crise écologique des imaginaires. Ce n’est toutefois pas la culture des individus, leur faculté à communier avec le vivant ou à prendre en main leur consommation qu’il place au cœur de sa problématique, mais la capacité des auteurs à donner à voir le fondement matériel des dérèglements climatiques. Le design, à l’intersection d’acteurs politiques aux emprises économiques extrêmement diverses est un artisan de la fétichisation de la marchandise. Par la séduction des formes, matières, couleurs, il travaille à rendre désirable, envisageable et très lucrative la conception et la vente d’objets, contribuant ainsi à alimenter un rapport magique à la consommation42. Celle-ci apparaît alors détachée de son contexte de fabrication, de son coût écologique et social : elle devient grâce au talent des designers la marchandise fétiche telle que décrite par plusieurs générations de théoriciens marxistes. Le design est ainsi l’un des piliers les plus importants de « l’imaginaire de consommation ». Ce savoir-faire, cette capacité d’interagir avec les producteurs, commerciaux et consommateurs est une compétence rare et extrêmement utile : il est l’un des seuls acteurs à être en mesure de « relier les points, aussi éloignés paraissent-ils » décrits par Malm. Si des projets plébiscitant un nouveau regard sur la nature ne constituent qu’un paravent à des modes de production et consommation autant socialement qu’écologiquement catastrophiques, le designer peut exceller dans le fait de donner à voir comment se fabriquent de tels paravents. Dès lors peuvent être évitées les injonctions moralisatrices comme les tentatives de prescription d’un discours universalisant à autrui, au profit d’une capacité à renseigner et donner à voir des prises pour faire valoir une justice environnementale.
Bibliographie
Ouvrages
• Aït-Touati, Frédérique ; Grégoire, Axelle ; Arènes, Alexandra, Terra Forma, Paris, Éditions B42, 2019.
• Comby, Jean-Baptiste, La question climatique, génèse et dépolitisation d'un problème public, Paris, Raisons d'agir, coll. Cours et travaux, 2015.
• Demos, T. J., Against the Anthropocene, Berlin, Sternberg Press, 2017.
• Galluzzo, Anthony, La fabrique du consommateur. Une histoire de la société marchande, Paris, La Découverte, coll. Zones, 2020.
• Gemenne, François ; Rankovic, Aleksandar ; atelier de cartographie de Sciences Po, Atlas de l’anthropocène, Paris, Sciences Po les Presses, 2020.
• Keuyechan, Ramzig, La nature est un champ de bataille, Essai d’écologie politique, Paris, La Découverte, 2018.
• Malm, Andreas, L’anthropocène contre l’histoire, le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017.
• Poynor, Rick, La loi du plus fort, la société de l’image, Paris, Pyramyd, 2002.
• Vidal, Aude, Égologie : Écologie individualisme et course au bonheur, Grenoble, le Monde à l'envers, 2017.
Articles
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• Chancel, Lucas ; Piketty, Thomas, « Carbon and inequality: From Kyoto to Paris Trends in the global inequality of carbon emissions (1998-2013) & prospects for an equitable adaptation fund », World Inequality Database, Paris School of Economics, 2015.
• Dozzi, Joël ; Wallenborn, Grégoire, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? » dans Cornut, Pierre ; Bauler, Tom ; Zaccaï, Edwin (dir.), Environnement et inégalités sociales, Bruxelles, Éditions de l’Université de Bruxelles, 2007, pp. 49-57.
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• Ginsberg, Alexandra Daisy, Chieza, Natsai Audrey ; Messina, Rab ; Hendriks, Arne ; Vilutis, Justinas, « If You’re reading this you’re too tall », dans Journal Of Design and Science, n°4, Other Biological Futures, MIT Media Lab, Cambridge, MIT Press 2018.
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• Heede, Richard, « Tracing anthropogenic carbon dioxide and methane emissions to fossil fuel and cement producers, 1854–2010 », dans Climatic Change n°122, 2013.
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• Principaux messages et chiffres du rapport de l’IPBES Dégradation et restauration des terres, Fondation pour la recherche et la biodiversité, 2019.
Presses
• Faburel, Guillaume, « Pandémie : L’urbanisation et la métropolisation généralisée sont le creuset de la crise sanitaire », 02/04/20. [en ligne] https://www.marianne.net/agora/humeurs/pandemie-l-urbanisation-et-la-metropolisation-generalisees-sont-le-creuset-de-la.
• Laurentin, Emmanuel, Le temps du débat : Vincianne Despret : Nous sommes tous, oiseaux et humains, en fait libérés, France Culture, le 01/04/20.
• Comby, Jean Baptiste, « La lutte écologique est avant tout une lutte sociale», dans Ballast, 25/04/2017. [en ligne] https://www.revue-ballast.fr/jean-baptiste-comby/
• Steyen, Elizabeth, Space mining is not science fiction, and Canada could figure prominently, 04/04/21. [en ligne] https://theconversation.com/space-mining-is-not-science-fiction-and-canada-could-figure-prominently-155855
Sites Internet
• « Is Design Investigation Right for You ? » [en ligne] https://designinvestigations.at/the-studio/.
• Terra Forma [en ligne] https://editions-b42.com/produit/terra-forma/
• Transeomatic [en ligne] https://www.artecnica.com/interior-elements/transneomatic
Vidéos
• TEDxBrainport 2012 - Arne Hendriks - The incredible shrinking man, 2012. [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=KSNx1Ly0Jok&ab_channel=TEDxTalks
• Les mots-clés du concept de l’Anthropocène – Design et Anthropocène : business as unusual – Biennale Internationale Design de Saint-Etienne, 11 avril 2019. [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=-fAJHmPEWzE.
Crédits et légendes
• Figure 1. Aït-Touati, Frédérique ; Grégoire, Axelle ; Arènes, Alexandra, Terra Forma, Paris, Éditions B42, 2019.
© Éditions B42.
• Figure 2. Arne Hendriks, The Incredible Shrinking Man: Next Nature, 2011.
© Arne Hendriks.
• Figure 3. Stracuzzi, Irene, Custom Printing 4-meters Inflatable Globe [en ligne] TrendNomad.com.
© Irene Stracuzzi.
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Intergovernmental Science-Policy Platform on Biodiversity and Ecosystem Services. ↩
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Principaux messages et chiffres du rapport de l’IPBES Dégradation et restauration des terres, Fondation pour la recherche et la biodiversité, 2019, p. 5. ↩
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Findelli, Alain, Rethinking Design Education. Massachusetts Institute of Technology, Design Issues, vol. 17, N°1 Winter, 2001. ↩
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Gemenne, François ; Rankovic, Aleksandar, atelier de cartographie de Sciences Po, Atlas de l’anthropocène, Paris, Sciences Po les Presses, 2020, p. 116. ↩
-
Fleury, Cynthia ; Lussault, Michel, Les mots-clés du concept de l'Anthropocène, journée d’étude « Design et Anthropocène : business as unusual », Biennale Internationale Design de Saint-Etienne, 11 avril 2019. [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=-fAJHmPEWzE (consulté le 10/01/2021). ↩
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Ibid. ↩
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« Is Design Investigation Right for You ? » [en ligne] https://designinvestigations.at/the-studio/ (consulté le 09/02/2021). Traduction personnelle. ↩
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Faburel, Guillaume, « Pandémie : L'urbanisation et la métropolisation généralisée sont le creuset de la crise sanitaire », Marianne.net [en ligne] https://www.marianne.net/agora/humeurs/pandemie-l-urbanisation-et-la-metropolisation-generalisees-sont-le-creuset-de-la, 02/04/20. ↩
-
Laurentin, Emmanuel, « Le temps du débat : Vincianne Despret : Nous sommes tous, oiseaux et humains, en fait libérés », France Culture, le 01/04/20. ↩
-
Latour, Bruno, Imaginer les gestes-barrières contre le retour à la production d’avant-crise, AOC.media, 20/03/20, [en ligne] https://aoc.media/opinion/2020/03/29/imaginer-les-gestes-barrieres-contre-le-retour-a-la-production-davant-crise/ (consulté le 08/04/21) ↩
-
Présentation du livre sur le site de l’éditeur B42. [en ligne] https://editions-b42.com/produit/terra-forma/ (consulté le 08/04/21) ↩
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TEDxBrainport 2012 - Arne Hendriks - The incredible shrinking man, 2012 [en ligne] https://www.youtube.com/watch?v=KSNx1Ly0Jok&ab_channel=TEDxTalks (consulté le 28/05/21) ↩
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Ibid. ↩
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[en ligne] http://transnatural.org/ ↩
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Forslund, Lia, Arne Hendriks and The Incredible Shrinking Man A speculative art project advocates a radical form of downsizing as a response to our growth-obsessed culture [en ligne] http://kvadratinterwoven.com/arne-hendriks-and-the-incredible-shrinking-man (consulté le 28/05/21) ↩
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Présentation du livre sur le site de l’éditeur B42 [en ligne] https://editions-b42.com/produit/terra-forma/ (consulté le 08/04/21) ↩
-
Vidal, Aude, Égologie : Écologie individualisme et course au bonheur,* Grenoble, le Monde à l'envers, 2017, p. 42. ↩
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Ibid., p. 44. ↩
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Présentation du livre sur le site de l’éditeur B42 [en ligne] https://editions-b42.com/produit/terra-forma/ (consulté le 08/04/21) ↩
-
Comby, Jean-Baptiste, La question climatique, génèse et dépolitisation d'un problème public, Paris, Raisons d'agir, coll. « Cours et travaux », 2015. ↩
-
Ibid. p. 36. ↩
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Ibid., p. 34. ↩
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Malm, Andreas, L’anthropocène contre l’histoire, le réchauffement climatique à l’ère du capital, Paris, La Fabrique, 2017, p. 204. ↩
-
Dozzi, Joël ; Wallenborn, Grégoire, « Du point de vue environnemental, ne vaut-il pas mieux être pauvre et mal informé que riche et conscientisé ? » dans Cornut, Pierre ; Bauler, Tom ; Zaccaï, Edwin (dir.), Environnement et inégalités sociales, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 2007, p. 58. ↩
-
Comby, Jean-Baptiste, Op. cit., p. 179. ↩
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Ibid., p. 176. ↩
-
Ginsberg, Alexandra Daisy ; Chieza, Natsai Audrey ; Messina, Rab ; Hendriks, Arne ; Vilutis, Justinas, « If You’re reading this you’re too tall », dans Journal Of Design and Science n°4 Other Biological Futures, Cambridge, MA, MIT Media Lab, MIT Press, 2018. ↩
-
Ibid. ↩
-
Grossetête, Matthieu, « Quand la distinction se met au vert. Conversion écologique des modes de vie et démarcations sociales », dans Revue Française de Socio-Economie n°22, Paris, La Découverte, 2019, p. 99. ↩
-
Ibid. ↩
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Transneomatic [en ligne] https://www.artecnica.com/interior-elements/transneomatic (consulté le 10/11/21) ↩
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Le canapé Balenciaga x Nuriev, exposé à la Miami Design Week de 2019, dont les coussins sont faits d’invendus de Balenciaga mis sous vide dans des housses plastiques peut en être représentatif. ↩
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Chancel, Lucas ; Piketty, Thomas, « Carbon and inequality: From Kyoto to Paris Trends in the global inequality of carbon emissions (1998-2013) & prospects for an equitable adaptation fund », dans World Inequality Database, Paris School of Economics, 2015. ↩
-
Heede, Richard, « Tracing anthropogenic carbon dioxide and methane emissions to fossil fuel and cement producers, 1854–2010 » [2013], dans Climatic Change n°122, pp. 229-241, 2014. ↩
-
Steyen, Elizabeth,* Space mining is not science fiction, and Canada could figure prominently* 04/04/21 [en ligne] https://theconversation.com/space-mining-is-not-science-fiction-and-canada-could-figure-prominently-155855 (consulté le 05/06/21) ↩
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Le rapport Defending Tomorrow de l’ONG Global Witness estime, par exemple, que 212 activistes environnementaux ont été assassinés en 2019. Des films et documentaires tels que Algues vertes, l’histoire inédite, Le monde selon Monsanto, Dark Waters, Des lois et des hommes peuvent donner des exemples concrets des pressions subies et des calvaires administratifs vécus par ceux et celles travaillant à montrer les dégâts environnementaux causés par les industries. ↩
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Keuyechan, Ramzig, La nature est un champ de bataille, Essai d’écologie politique, Paris, La Découverte, 2018. ↩
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Bonneuil, Christophe ; de Jouvancourt, Pierre, En finir avec l’Épopée, 9 juin 2014 [en ligne] https://www.terrestres.org/2014/06/09/en-finir-avec-lepopee/#_ftn33 ; Demos, T. J., Against the Anthropocene, Berlin, Sternberg Press, 2017. ↩
-
Bonneuil, Christophe ; de Jouvancourt, Pierre, Ibid. ↩
-
Principaux messages et chiffres du rapport de l’IPBES Dégradation et restauration des terres, Fondation pour la recherche et la biodiversité, 2019, p.7. ↩
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Malm, Andreas, op. cit. pp. 152-153. ↩
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Galluzzo, Anthony, La fabrique du consommateur. Une histoire de la société marchande, Paris, La Découverte, coll. Zones, 2020 ; Poynor, Rick, La loi du plus fort, la société de l’image, Paris, Pyramyd, 2002. ↩