L’entretien a été réalisé le 5 avril 2025, par écrit. Soumaya Nader est une designer et plasticienne, actuellement enseignante à l’École supérieure d’art et de design de Valenciennes. Militante engagée, elle se consacre au design des communs et est active au sein d’associations et collectifs promouvant un design plus écologique et social. Dans cet entretien, elle partage ses réflexions et pratiques autour de ces enjeux.
1. Formation et situation professionnelle
Marie Desthomas1 : Bonjour Soumaya Nader. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser notre enquête sur le design et ses pratiques. Notre entretien, qui va porter sur le design et les communs, comporte quatre volets.
Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre formation et le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement?
Soumaya Nader : J’ai réalisé une Mise à Niveau en Arts Appliqués (Manaa) en 2011, pour intégrer un BTS design d’espace. J’ai ensuite intégré une école d’art pour obtenir un DNAP Design et un DNSEP design.
Aujourd’hui, j’ai co-fondé une structure qui s’appelle POULP (Pôle d’Observation Urbaine aux Langages Pluridisciplinaires) qui questionne l’espace du quotidien, commun ou intime, pour proposer des projets allant du graphisme à l’installation spatiale. Je suis également professeure d’enseignement artistique à l’ESAD de Valenciennes. La transmission est un enjeu primordial autant dans ma pratique artistique que l’approche que j’ai avec les étudiant.e.s.
2. Rencontre avec les communs
M.D : Notre présente enquête porte sur les communs et le design. Pour le design, les communs semblent surtout impliquer le partage de connaissances informatiques ou numériques — dans le cas de l’open design — et le partage de connaissances pratiques — dans le cas du design écosocial, par exemple.
À quelle occasion vous êtes-vous intéressée à cette question des communs ? De quel type de commun s’agissait-il ?
S.N : Avec POULP, tous les projets que nous menons abordent la question des communs de manière très large, en prenant le parti de dire que les communs sont tout ce qui nous entoure dans l’espace public (végétation, mobiliers urbains, paysages), mais aussi l’histoire, la technique… Nous avons aussi une démarche influencée par le design distribué (https://distributeddesign.eu/) où nous documentons toute notre démarche et créons des protocoles pour que nos projets soient transmissibles.
Quelques exemples :
- Durant la résidence Botanique Urbaine à Rosny-sous-Bois en 2024, nous avons, pendant plusieurs mois, travaillé au sein des centres socio-culturels de la ville autour des « mauvaises herbes » qu’on trouve dans l’espace public autour de ces centres. Nous avons donc créé des cartographies avec les usager.e.s des centres pour repérer les lieux où poussent ces plantes, nous en avons glané quelques échantillons pour réaliser des impressions végétales à partir de la technique du Tataki Zomé pour immortaliser ces plantes, leur donner une valeur esthétique, les regarder autrement que lorsqu’elles sont au sol.
- Pour la Cité de l’architecture et du Patrimoine, nous avons réalisé des protocoles d’architectures gonflables afin de transmettre à un jeune public des notions de géométrie et de physique pour réaliser des architectures gonflables à l’échelle de la main.
- Actuellement en résidence CLEA (Contrat Local d’Éducation Artistique) avec la Communauté Urbaine de Dunkerque, nous proposons à des publics variés (Séniors, Maison d’Arrêt, Écoles, Institutions…) de transmettre notre vision et notre approche du design par le biais d’échanges, de conférences, d’ateliers…
- Dans le cadre d’une résidence d’urbanisme et de design à Soueich, en Haute-Garonne, nous avons réalisé une série de mobiliers symboles pour le village, en lien avec les habitant.e.s qui nous ont aidé à la fabrication mais surtout en projetant des usages potentiels et des postures du corps dans l’espace public, en leur qualité de spécialistes de cet espace qu’ils pratiquent et habitent. Les plans des mobiliers ont été réalisés et transmis de manière à pouvoir être reproduits par les habitant.e.s en cas d’évolution de leurs besoins en termes de nombre de mobiliers.
3. Origine des communs
M.D : L’élaboration d’un commun implique toujours un collectif et un partage de compétences et de savoir-faire, d’où notre idée que, à l’origine des communs, il y a un besoin insatisfait, voire une souffrance. Qu’est-ce qui, à votre avis, préside à l’avènement de communs en design ?
S.N : Question difficile mais je vais essayer d’y répondre par quelques idées :
- Retour au partage dans une société où l’individualisme est de plus en plus important :
- Mutualiser nos forces et nos ressources dans un contexte social et économique parfois néfaste pour la création ou l’accès à la création.
-Valoriser des communs pour valoriser l’invisible, le quotidien.
4. Commun et tiers-lieu de recherche
M.D : Les précédentes décennies ont vu fleurir des hackerspaces, puis des mackerspaces — sous forme de FabLabs, par exemple. Dans le cadre de notre enquête, imaginons un commun qui réunirait designers, chercheurs et usagers au sein d’un tiers-lieu dédié à la recherche pratique et théorique en design. S’il existait, participeriez-vous à ce type de commun ?
S.N : Nous avons déjà participé à ce type de communs par quelques expériences de travail et d’occupation d’espaces avec Fab City Grand Paris, qui réunissait autour de projets Creative Europe ou H2020 des designers, ingénieurs, lieux…
Actuellement, une partie de l’équipe est basée à Fontenay-sous-Bois, aux Bains Douches, un tiers-lieu qui réunit artistes, menuisiers, designers, photographes, graphistes… avec également une ressourcerie textile et un restaurant, qui permettent d’ouvrir le lieu sur la ville et ses habitant.e.s. Nous sommes donc déjà dans une logique d’inscription dans des lieux où nous participons à des échanges et partages de connaissances, de ressources et d’outils, mais aussi partages de moments de vie et entraide dans nos pratiques respectives de travailleur.eu.ses indépendant.e.s.
5. Conclusion
M.D : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?
S.N : Non.
M.D : Encore merci pour le temps que vous m’avez accordé.
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Marie Desthomas est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, promotion 2024-2025. ↩