L’entretien qui suit a été réalisé, par écrit, le 9 avril 2025. Pola Noury est une illustratrice française indépendante basée à Marseille, en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Depuis septembre 2017, elle exerce en tant que freelance, collaborant à divers projets créatifs. En parallèle de sa pratique artistique, Pola Noury partage son savoir en tant que professeure à l’ECV Aix-en-Provence, une école de design. Son travail se caractérise par une fusion entre architecture et illustration, créant des ponts entre fiction, réalité et paysage. Engagée dans la transmission artistique, elle a également organisé des stages et ateliers pour les plus jeunes, notamment au Couvent Levat et avec l’association Mom’Art à Marseille, offrant aux participants une immersion dans diverses pratiques créatives.
1. Formation et situation professionnelle
Brice Barthez : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur votre formation et le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ?
Pola Noury : Je suis diplômée en architecture, formée à l’École Spéciale d’Architecture à Paris. Je vis et travaille à Marseille depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, je partage mon temps entre l’enseignement en école d’arts appliqués (perspective, design d’espace) et mon activité free-lance en illustration. Mes clients sont principalement des associations engagées sur des sujets qui me passionnent et m’animent comme le féminisme, la santé mentale et surtout l’écologie. J’ai également cofondé les « DéchaînéEs », un collectif cyclo-féministe pour lequel j’ai assuré la direction artistique de sa création, il y a cinq ans, jusqu’à septembre dernier.
2. Rencontre avec les communs
B.B : Notre présente enquête porte sur les communs et le design. Pour le design, les communs semblent surtout impliquer le partage de connaissances informatiques ou numériques — dans le cas de l’open design — et le partage de connaissances pratiques — dans le cas du design écosocial, par exemple.
À quelle occasion vous êtes-vous intéressée à cette question des communs ? De quel type de commun s’agissait-il ?
P.N : Après l’optention de mon diplôme, j’ai tout d’abord collaboré avec le collectif d’architectes ETC., sur des projets d’aménagement de l’espace public. Leur pratique est fondée sur le partage de savoir-faire, impliquant les habitant·es de la conception à la réalisation. C’était ma première expérience du genre, et j’ai adoré.
Puis, avec les DéchaînéEs, nous avons créé un collectif horizontal dont le but est d’occuper l’espace public et de hacker l’imaginaire collectif.
Pour cela, nous avons pensé et mis à disposition des affiches, mèmes, ressources, pour organiser des vélorutions et autre soutils de vulgarisation autour du vélo et du féminisme. Aujourd’hui la première génération ayant participé à la création du collectif s’est retirée. Mais, grâce aux outils mis en place, le collectif continue de fonctionner et d’organiser régulièrement des événements.
3. Origine des communs
B.B : L’élaboration d’un commun implique toujours un collectif et un partage de compétences et de savoir-faire, d’où notre idée que, à l’origine des communs, il y a un besoin insatisfait, voire une souffrance. Qu’est-ce qui, à votre avis, préside à l’avènement de communs en design ?
P.N : Cependant, lorsque des enjeux de pérennité et/ou d’encrage dans un lieu physique apparaissaient, toutes les structures auxquelles j’ai pu participer de près ou de loin se confrontaient aux mêmes dysfonctionnements :
- Des bénévoles, qui, parce que la cause est juste s’éreintaient le corps et l’esprit,
- La nécessité de faire entrer des financements extérieurs, engendrant des contradictions avec les valeurs initiales.
Pour ces raisons, il me semble que le futur du « commun » en design, pour être le plus libre possible, ne peux avoir lieu qu’en dehors de nos systèmes classiques, de manière anarchique, sans lieu fixe, éphémère. Je pense qu’internet reste, encore aujourd’hui, une des pistes principales.
4. Commun et tiers-lieu de recherche
B.B : Les précédentes décennies ont vu fleurir des hackerspaces, puis des mackerspaces — sous forme de FabLabs, par exemple. Dans le cadre de notre enquête, imaginons un commun qui réunirait designers, chercheurs et usagers au sein d’un tiers-lieu dédié à la recherche pratique et théorique en design. S’il existait, participeriez-vous à ce type de commun ?
P.N : J’ai fréquenté plusieurs ateliers partagés à Marseille, proches de l’esprit des tiers-lieux : loyers accessibles, mutualisation des outils, vie collective. Ce sont des espaces riches d’apprentissage, mais aussi très précaires : fatigue des porteurs de projets, dépendance aux subventions, baux fragiles, demande de contreparties (effet vitrine), et souvent utilisés pour accompagner des processus de gentrification.
Je participerais donc volontiers de nouveau à un commun réunissant designers, chercheur·euses et usager·es, mais à condition qu’il soit en continuel questionnement, sur ses propres limites mais aussi sur celles de ces acteur.ice.s et utilisateur.ices.s.
Pour que les espaces de « commun » puissent s’incarner dans un lieu, je pense qu’ils doivent être également être des espaces de soin mutuel. Ce sont des automatismes à défaire, des logiques de consommation, d’outil, de personnes, de savoir, à remettre en question.
5. Conclusion
B.B : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?
P.N : Je m’interroge aujourd’hui : dans un système capitaliste, ultra-libéral, les communs peuvent-ils vraiment s’inscrire dans la durée ? Peuvent-ils rester des lieux d’émancipation ou sont-ils condamnés à devenir des outils de gentrification et de substitution aux services publics dans la recherche, l’éducation ou la culture ?
J’aime à croire qu’une république pirate, ou qu’une Zone autonome temporaire à la Hakim Bey puisse exister quelque part. Si elle voit le jour, ça m’intéresse : faites passer le mot :)
B.B : Merci beaucoup pour votre temps !