Entretien avec Shahla Mazandarani
Maryam Alikhani

Shahla Mazandarani bénéficie d'une expérience entrepreneuriale de plus de 30 ans. Présidente de Scheyd'Art International et directrice de Mod'Art International Paris en Iran, elle a forgé une carrière dans l'industrie de la mode et de la culture1. De plus, elle occupe le poste de trésorière au sein du Centre Franco-Iranien, contribuant ainsi au développement des opportunités commerciales et des échanges culturels entre la France et l'Iran. Avec une expérience de plus de deux décennies dans le domaine de la mode, notamment en travaillant avec des marques telles que Promod, Mango et Sarah Pacini, Shahla Mazandarani est une figure éminente de l'industrie. Elle a accepté de répondre à nos questions posées dans le cadre d’une enquête concernant le design et ses pratiques.

1. Travail et reconnaissance

Maryam Alikhani2 : Bonjour, Madame Shahla Mazandarani. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser notre enquête sur design et ses pratiques. Notre entretien comporte trois volets. Notre premier volet concerne le travail de designer et la reconnaissance qui peut lui être attachée. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle y est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous ?

Shahla Mazandarani : Je suis à la fois designer et chef d'entreprise depuis plusieurs décennies. J'ai eu pendant 6 ans la franchise et la direction d'une école de mode à Téhéran, en Iran, bien sûr, avec le programme et les professeurs de l'école mère à Paris. En ce moment, je m'occupe d'une ligne de linge de maison fait main en France.

M.A : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client. Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?

Sh.M : Depuis la mondialisation et la délocalisation, le métier de designer est très mal interprété car il ne s'agit plus d'une passion artistique, mais plutôt de concevoir des produits avec un prix de revient dans une durée limitée pour pouvoir concurrencer les prix des produits délocalisés. Je comprends très bien qu'un styliste aimerait être dans son univers artistique, et, professionnellement, risque d'être en désaccord avec ce système qui l'emprisonne et ne lui laisse plus l'espace nécessaire ni le mental d'un designer épanoui.

M.A : Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ? Vous sentez-vous reconnu dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?

Sh.M : Notre bureau de style était situé à Paris pendant plus de 30 ans, et les 15 dernières années, nous faisions les collections d'actualisation pour les grands groupes français et européens. Nos collections étaient bien étudiées, mettant surtout en avant les tendances de la saison pour donner une impression « made in France » à l'enseigne. Mais, malheureusement, nous n'avons jamais été appréciés comme partenaires.

2. Éthique et horizon politique

M.A : Le second volet de notre entretien porte plutôt sur des questions d’ordre éthique et sur le sens politique du métier de designer. Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ?

Sh.M : Comme nous le savons tous, la politique sociale est basée sur l'économie, et donc la question d'ordre éthique n'est pas toujours respectée.

M.A : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?

Sh.M : Oui, bien sûr, nous étions un bureau de style au service de certains clients qui n'hésitaient pas à rejeter nos créations comme n'étant pas assez proches de leur direction artistique. Mais, ensuite, ils les copiaient et les fabriquaient à l'étranger.

M.A : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ? Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives…), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ?

Sh.M : Cette dernière question nécessite une analyse et un débat car il y a tout un travail de fond à faire sur la relocalisation. Nous ne pouvons plus rien faire pour le passé, mais en revanche, nous pouvons construire l'avenir en nous servant d'une riche expérience.

3. Science et design

M.A : Le troisième et dernier volet de notre enquête traite des connaissances relatives au design.

Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie ? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ?

Sh.M : Je suis née dans une famille de designers en Iran, ce qui m'a permis d'être assez à l'aise dans mon métier de designer. En France, j'ai suivi une formation en économie et commerce. Je pense qu'un designer peut beaucoup apporter à la société en combinant les tendances avec les besoins du moment. Être à la fois artiste et sociologue !

M.A : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ?

Sh.M : Je pense qu'il vaut mieux être optimiste et continuer à considérer le design comme toutes les autres sciences.

4. Conclusion

M.A : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?

Sh.M : Aider à valoriser et considérer le travail d'un designer comme une locomotive pour le reste de l'équipe.

M.A : Encore merci pour le temps que vous m’avez accordé.

Sh.M : Merci bien.


  1. À ce sujet voir https://modart-paris.ir, [consulté le 17 janvier 2024], et https://chezscheyda.com, [consulté le 17 janvier 2024]. 

  2. Maryam Alikhani est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024.