Entretien avec Sébastien Billault
Max Roos

L’entretien qui suit a été réalisé le 6 janvier 2024. Sébastien Billault est architecte diplômé de L'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Val de Seine. Après avoir travaillé au sein du grand magasin Le Printemps, il intègre en 2019 le Bon Marché où il y est directeur du pôle Luxe en architecture. Il a accepté de participer à notre enquête portant sur le design et ses pratiques.

1. Travail et reconnaissance

Max Roos : Bonjour Sébastien Billault. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser notre enquête sur le design et ses pratiques. Notre entretien comporte trois volets. Notre premier volet concerne le travail de designer et la reconnaissance qui peut lui être attachée. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous?

Sébastien Billault : Bonjour Max, ravi d'être ici. Je travaille au sein du département d’Architecture du Bon Marché1.

Le département est composé de 3 pôles.

- Un pôle quotidien, au sein duquel les architectes travaillent en relation day to day avec les équipes commerciales. Il s’agit d’un travail de conception et de réalisation (avec des partenaires), portant sur des « petits » remodeling.

-Un pôle projets/schéma qui intéresse la conception d’espaces sur de plus grandes surfaces et suivant les orientations stratégiques souhaitées par la direction du magasin (par exemple dernièrement ouverture d’un espace bijoux au rez-de-chaussée).

- Un pôle luxe/marques qui consiste en l’accompagnement du développement des espaces des marques au sein du magasin. Je suis responsable de ce pôle. Je travaille avec les équipes commerciales pour étudier les faisabilité. Puis avec les architectes des marques pour mettre au point les projets, assurer leur cohérence et leur bonne intégration et suivre ensuite la réalisation.

M.R : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client. Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?

S.B : Dans mon travail je ne ressens pas forcément d’insatisfaction. Le dialogue avec les clients ou les décideurs est nécessaire. Nous prenons le temps de la discussion pour bien identifier et comprendre les besoins afin de répondre parfaitement aux attentes.

Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ? Vous sentez-vous reconnu dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?

Nous avons une équipe qui travaille en bonne intelligence. La communication est plutôt fluide. Nous avons des réunions (rituelles) au cours desquelles nous échangeons sur des points design/recherche… échanges parfois à bâton rompu qui permettent une vraie confrontation des points de vues et une émulation nécessaire dans une équipe de designers.

2. Éthique et horizon politique

M.R : Le second volet de notre entretien porte plutôt sur des questions d’ordre éthique et sur le sens politique du métier de designer. Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ? 

S.B : En ce qui me concerne, je ne pense pas que le milieu soit dépourvu d’éthique, votre question semble vouloir enfermer une réponse dans une généralité. Les designers suivent aussi les tendances de fond et les évolutions sociétales, beaucoup composent aujourd’hui avec le souci des questions écologiques, environnementales, parce qu’ils sont convaincus qu’ils ont un rôle à jouer dans le respect des enjeux de société actuels. Certains s’engagent et ont même un design « manifeste ».

M.R : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?

S.B : Je n’ai jamais été confronté à ce genre de situations.

M.R : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ? Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives…), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ? 

S.B : Je pense que l’intuition ne suffit pas. Il est important de le savoir. À mon sens, cela doit être enseigné lors de la formation, à travers des cours d’histoire et des modules spécifiques.

3. Science et design

M.R : Le troisième et dernier volet de notre enquête traite des connaissances relatives au design. Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie ? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ? 

S.B : J’ai un parcours tout d’abord technique, où j’ai pu suivre la construction et la réalisation de projet de bâtiment. Par métaphore, je dirais qu’il s’agissait d’une partie correspondant dans ma formation à l’apprentissage d’un solfège. J’ai ensuite complété ma formation par un diplôme d’architecte obtenu à l’ENSA PVS2.

Le design se nourrit des évolutions techniques. Les ruptures ou des révolutions en matière de conception et de design sont souvent rendues possibles grâce à des évolutions techniques. Aujourd’hui, on peut même s’intéresser aux champs des possibles ouverts par le design génératif, l’IA.  

M.R : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ? 

S.B : Le design est un monde à part entière. Dans ce monde, chacun y développe son propre rapport au sujet. Certains sont des praticiens, confrontés à la problématique de l’approche pragmatique, terre à terre… D’autres designers préféreront une prise de recul pour en contempler une histoire et essayer de formuler des théories pour en consolider et transmettre une connaissance. 

M.R : C’était la dernière question, merci beaucoup Sébastien. 

S.B : Merci à toi.


  1. Le Bon Marché est un grand magasin parisien, jumelé à la Grande Épicerie, le magasin appartient au groupe LVMH. 

  2. L'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Val de Seine est un établissement public d’enseignement de l’architecture.