Entretien avec Laura Colliot
Mélina Mansouri

Laura Colliot, designer produit, est diplômée d'une école de design et titulaire d'un master en design global, s’intéresse à l'exploration des matériaux et de leurs impacts sur l'environnement. Elle propose des mini-collections allant du prêt-à-porter à l'accessoire décoratif, mettant en lumière son engagement envers une approche innovante et durable dans le domaine du design. Elle a accepté de participer à notre enquête portant sur le design et ses pratiques.

1. Travail et reconnaissance

Mélina Mansouri : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise...) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle y est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous ?

Laura Colliot : Actuellement, je suis Chef de projet designer produit au sein d'une petite société axée sur la vente en boutique et la prestation de services de design. Mon rôle englobe la création de produits destinés aussi bien aux particuliers qu'aux professionnels, couvrant l'intégralité du processus, du concept initial à la concrétisation des produits finaux.

M.M : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client. Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?

L.C : À mon sens, il s’agit plus d’un manque de connaissances sur nos métiers de création. Certaines entreprises ou clients ne se rendent pas compte du fonctionnement de nos métiers, nos méthodologies. On présente des images, des croquis pour leur présenter nos idées, mais la masse de travail effectuée n’est pas représentative de ce que l’on expose. Il y a donc un manque de compréhension, de communication et cela engendre des problèmes de temps etc... Je pencherais pour le terme frustration plus que d’insatisfaction.

M.M : Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ? Vous sentez-vous reconnu dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?

L.C : Je pense que le travail en équipe dans les métiers de création est primordial. Même si l’on est seul sur un projet, il faut pouvoir en discuter avec quelqu’un de son équipe. Cela permet de prendre du recul, de se questionner différemment et surtout cela rend les projets meilleurs.

Je pense que la notion de reconnaissance dépend du milieu ou l’on travaille. Si l’on travaille pour soi-même, nos projets portent notre nom et la reconnaissance est dans chaque projet car ils sont une partie de notre identité. Si l’on travaille pour une marque ce n’est plus nous mais la marque que l’on représente, le projet portera le logo et l’identité de cette dernière.

La reconnaissance se fait alors dans nos capacités à effectuer le travail demandé. Pour ma part je ne souhaite pas de reconnaissance particulière, je fais mon métier et si un projet plaît et abouti c’est que mon travail a été bien effectué.
Les situations de mépris ou d’indifférence que j’ai pu vivre dans mon travail sont le plus souvent liées à une méconnaissance des métiers créatifs. Par exemple, on nous demande des modifications sur le projet pour le lendemain comme si ces modifications étaient simples ou rapides à exécuter et surtout on est censé être disponible dès que l’on nous le demande.

2. Éthique et horizon politique

M.M : Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ?

L.C : Il n’y a pas de réponse fixe pour cette question. Il y a autant d'éthique de travail qu’il y a de designers. Nous avons tous des sujets qui nous touchent plus, que l’on prend en compte dans nos projets. Certains vont mettre en avant l’écologie, d’autres l’humain dans leur projet.

M.M : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?

L.C : J’ai rencontré des situations où les projets proposés étaient en désaccord avec mes principes éthiques en matière de travail. Dans ces moments-là, j'ai eu la chance de pouvoir décliner ces projets. Non seulement parce que je n'avais pas le désir de m'impliquer, mais surtout parce que je savais que je ne pourrais pas fournir un travail de qualité, étant donné que cela ne correspondait pas à mes valeurs.

Il est intéressant de noter que certains de mes collègues ont également été confrontés à des dilemmes similaires. Cependant, lorsque l'on travaille au sein d'une entreprise, il est crucial d'être conscient de l'éthique propre à cette organisation. Prenons, par exemple, la question de la production et des conditions de travail des employés au sein des systèmes de production. Si vous travaillez pour une entreprise opérant à grande échelle, il est possible que vous soyez rapidement confronté à des problèmes si ces aspects ne font pas partie de ses priorités et objectifs.

M.M : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ? Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives...), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ?

L.C : Une nouvelle fois, il existe autant de styles de designers que d'individus, et il n'est pas de mon ressort de porter un jugement sur un designer ayant travaillé sous un régime totalitaire, sans le contexte approprié. Les avancées technologiques actuelles nous offrent davantage d'informations et de perspectives sur ce qui se déroule au sein de nos sociétés.

Dans une optique plus contemporaine, je suis convaincue que le rôle des designers consiste à améliorer les usages et les fonctionnalités afin de rendre le quotidien plus agréable et plus simple. À mes yeux, il est essentiel de ne jamais perdre de vue l'aspect humain et les impacts que nos produits peuvent avoir.

À travers chacune de mes créations, j'apprécie l'opportunité de raconter une histoire et de mettre en avant l'artisanat à différentes échelles. Mettre en lumière le travail fait main, c'est non seulement communiquer sur d'autres métiers, mais aussi souligner que, malgré les avancées technologiques, le travail artisanal conserve une valeur inestimable et insubstituable.

3. Science et design

M.M : Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie ? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ?

L.C : J’ai effectué une année préparatoire en arts et design, puis un BTS design produit et pour finir un master design global recherches et innovation.

Tout au long de mes formations, l'importance de l'histoire de l'art, du design, ainsi que des techniques de production a été constamment soulignée. Nous avons systématiquement mis en parallèle les créations avec leur contexte historique, économique et social. Cette approche a façonné ma manière de travailler, car je considère qu'il est impossible d'émettre une critique pertinente sans une compréhension approfondie du contexte entourant un produit ou une œuvre.

Un exemple de cette perspective est que les contraintes de production, le public cible, etc., pour un produit créé dans les années 50 diffère considérablement de celles auxquelles on serait confronté en recréant le même objet aujourd'hui. Cette sensibilité au contexte guide ma réflexion et mon approche créative dans mon travail actuel. Ce qui a fonctionné dans les années 50 pourrait ne plus fonctionner aujourd’hui.

M.M : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ?

L.C : Je ne considère pas cela comme un rejet ou un manque d'intérêt, mais plutôt comme une situation où nous n'avons pas nécessairement une influence directe. On sollicite l'avis des grandes entreprises, mais on ne donne pas toujours la parole aux designers qui contribuent au développement des produits qui nous entourent.

4. Conclusion

M.M : Y a-t-il un autre point que vous souhaitez aborder ?

L.C : Il y a beaucoup à dire sur les sujets que vous abordez, et il faudrait plus que quelques lignes pour entrer vraiment dans le sujet. J’espère avoir été assez claire et que cela pourra vous aider dans votre étude.

M.M : Je vous remercie, Laura Colliot, pour le temps que vous m’avez accordé.