Entretien avec Cédric Rakotonindrina
Malala Ralambotiana

Propos recueillis le 20 décembre 2023. Cédric est un designer VFX1 spécialisé dans la création d'environnements pour le cinéma et la télévision. Originaire de Madagascar, il possède une vaste palette de compétences, allant de la modélisation 3D à la texture, en passant par l'éclairage et la composition. En plus de son expertise technique, il a acquis de l'expérience dans la réalisation cinématographique et le montage vidéo, manifestant ainsi une passion marquée pour la cinématographie. Dotée d'une habileté particulière à créer diverses formes d'art, il apprécie particulièrement travailler sur des projets créatifs et donner vie à des récits.

1. Travail et reconnaissance 

Malala Ralambotiana2 : Bonjour, Cédric. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser notre enquête sur design et ses pratiques. Notre entretien comporte trois volets. Notre premier volet concerne le travail de designer et la reconnaissance qui peut lui être attaché. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle y est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous ?

Cédric Rakotonindrina : Je travaille actuellement en freelance en tant qu’artiste 3D. Étant principalement en télétravail, je suis libre d’avoir un emploi du temps très flexible, tant que je livre mes projets à temps aux clients ou employeurs.

M.R : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client. Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?

C.R : Je confirme. Il m’est arrivé plusieurs fois que le client fixe une deadline pas du tout réaliste par rapport à la charge de travail donné, ni au budget. Du coup il m’arrive de précipiter et de livrer un produit qui n’est pas entièrement achevé, créant ce sentiment d’insatisfaction. Dans d’autres situations les clients demandent un changement à la dernière minute, non pas pour une simple révision mais pour une tout autre mission.

M.R : Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ? Vous sentez-vous reconnu dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?

C.R : Oui, d’après mon expérience je dirai que la coopération avec mes collègues est plutôt satisfaisante. Lors de nos meetings, par exemple, on a tendance à échanger des critiques constructives et des feedbacks pour aider à améliorer notre performance. Je trouve essentiel de se soutenir dans un environnement professionnel, surtout étant donné que le travail peut être stressant dans certains cas.

2. Éthique et horizon politique 

M.R : Le second volet de notre entretien porte plutôt sur des questions d’ordre éthique et sur le sens politique du métier de designer. Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ? 

C.R : Je dirai que dans la profession du design ou de l’art « commercial », on a tendance à se conformer aux normes morales et les obligations qui sont attendues du métier. Évidemment, cela varie énormément de personne en personne.

M.R : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?

C.R : Non, rien ne me vient, je n’y ai jamais vraiment pensé. Je ne pense pas.

M.R : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ? Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives…), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ? 

C.R : L’histoire nous apprends de nos erreurs du passé, et aide à définir certaines normes actuelles. Je pense que les designers d’aujourd’hui ont conscience de ce qu’ils produisent et de l’impact de leur travail sur la société. Donc il est clair que bons nombres de professionnels font attention à ce que leur travail sert à l’organisation de la société. D’un autre côté, certains voient le design comme n’importe quelle autre profession, nécessaire pour gagner sa vie, et ne sont pas préoccupés par ces questions sociales et politiques.

3. Science et design 

M.R : Le troisième et dernier volet de notre enquête traite des connaissances relatives au design. 

Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie ? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ? 

C.R : J’ai suivi une licence en « computer graphics »3 spécialisée dans la 3D. Personnellement, j’assimile plus le design à la créativité. C’est-à-dire design en tant que création d’un produit et moyen de communiquer un message grâce aux visuels, aux couleurs. À cela s’ajoute l’aspect esthétique qui favorise l’efficacité et le confort du produit.

M.R : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ? 

C.R : Je pense que cela peut être dû à une crainte, du fait qu’il est, depuis longtemps, difficile d’associer le design et la science. En effet, le design, tout comme d’autres formes de pratique, est souvent lié à la créativité et imagination d’un individu, ce qui fait l’authenticité et la diversité d’une œuvre. On peut aussi dire que les designs sont perçus comme subjectifs. Avec la science, beaucoup peuvent craindre qu’elle retire cet aspect créatif du design et veulent s’éloigner des aspects scientifiques. Cependant, la science existe sous plusieurs formes (technologie, psychologie, etc.) et certaines études permettent d’identifier facilement les besoins de la société. Ainsi, en combinant créativité et technicité, cela peut mener à créer des produits originaux et efficaces.

4. Conclusion

M.R : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?

C. R : Je ne sais pas si ça fait partie de ce sujet, mais on pourrait aussi parler des intelligences artificielles (IA), et comment elles peuvent impacter les pratiques du design et de l’art en général.

M.R : Oui, complètement.

C. R : L’idée que les IA puissent remplacer les artistes peut faire peur à beaucoup, notamment qu’elles sont de plus en plus performantes aujourd’hui. Cela peut également soulever des questions morales et éthiques touchant à des sujets tels que la définition même de l’art, la créativité, les droits d’auteurs… Ce qui est sûr c’est qu’on ne peut pas empêcher le développement des IA, et qu’il faudra s’adapter à cette nouvelle technologie.

M.R : Encore merci beaucoup pour le temps que vous m’avez accordé. 

C.R : Merci à vous.  


  1. Effets visuels notamment les processus par lesquels l'imagerie est créée ou modifiée numériquement, en dehors du contexte d'une prise de vues réelles.  

  2. Étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias » à l’Université Paris 1Panthéon-Sorbonne (2023-2024). 

  3. L'infographie consiste à générer des images et des œuvres d'art à l'aide d’ordinateurs.