Entretien avec Capucine Potier
Angéline Rodrigues

Capucine Potier est designer free-lance en agence. Elle travaille régulièrement pour des promoteurs immobiliers. Cet entretien a été réalisé à distance à partir d’un envoi du questionnaire qui suit.

1. Travail et reconnaissance 

Angéline Rodrigues1: Bonjour Capucine. Je vous remercie de m’accorder de votre temps pour réaliser cette enquête à distance, sur le design et ses pratiques. Notre entretien comporte trois volets. Notre premier volet concerne le travail de designer et la reconnaissance qui peut y être attachée. Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle y est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous ?

Capucine Potier : Je suis graphiste Freelance, je travaille régulièrement avec une agence spécialisée dans l’immobilier et j’ai à côté d’autres clients, travaillant principalement dans l’immobilier. L’immobilier n’est pas forcément un choix de ma part mais plutôt un hasard. Je fais principalement, pour ces entreprises, de la communication graphique print

A.R : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client.

Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?

C.P : Je partage également ce sentiment. Mais je trouve qu’il est surtout associé à certains milieux qui, souvent, manquent de temps pour la création. Je le ressens principalement dans l’immobilier. Les entreprises veulent souvent le travail rapidement et il doit souvent coûter le moins cher possible. Cela engendre de passer moins de temps sur la création et la gestion de projet. C’est donc un sentiment qui découle, selon moi, d’une incompréhension du monde du graphisme, ce qui fait qu’ils n’ont pas conscience du temps nécessaire, mais aussi des possibilités que cela peut leur apporter. Nous n’avons souvent pas assez de temps pour échanger avec les clients sur leurs véritables attentes, faisant que les projets sont moins justes, ou qu’ils ne comprennent pas certains de nos choix créatifs.

A.R : Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ?

C.P : Étant jeune designer, j’ai principalement travaillé en Freelance, donc seule. Je partage malgré tout parfois mon travail avec une agence ce qui fait évoluer ma méthode de travail. Je pense que la coopération peut parfois permettre de prendre du recul sur son propre projet. Parfois, avoir un regard extérieur permet d'ajuster le message ou enrichir la proposition. Mais j’apprécie tout autant travailler seule qu’avec des collaborateurs.

A.R : Vous sentez-vous reconnue dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?

C.P : Je parlerais pour le graphisme, dans mon cas, qui est le domaine que je côtoie le plus. Mais il est vrai que l’environnement dans lequel nous gravitons peut parfois être très critique. Le graphisme est un domaine qui est à destination du plus grand nombre, beaucoup de gens peuvent être amenés à avoir un avis sur nos créations donnant parfois l’impression que ce n’est jamais assez bien. C’est un domaine où notre créativité est mise de côté au service du message et du client, ce qui peut s’avérer frustrant face aux envies créatives.  

2. Éthique et horizon politique 

A.R : Le second volet de notre entretien porte plutôt sur des questions d’ordre éthique et sur le sens politique du métier de designer. Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ? 

C.P : À mon sens le graphisme à plutôt pour but de porter un message, qu’il soit éthique ou non. Le choix réside plutôt dans la transparence des informations communiquées afin de rendre le message éthique. Le graphisme devient donc éthique dans le choix que le designer prend en travaillant avec certaines entreprises plutôt que d’autres. 

Pour ce qui est de l’éthique dans la production des travaux graphiques, elle n’a souvent de l’importance que pour donner bonne conscience à la cible. Par exemple l’utilisation et papier recyclé et d’encre végétale pour l’achat de produit imprimé. Elle est souvent plus un atout marketing qu’un vrai choix éthique dans la plupart des cas. La différence de prix entre les différents papiers ou les encres, par exemple, est souvent un frein aux choix éthiques. 

A.R : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?

C.P : Je dirais que, de manière générale, le choix des clients et les domaines dans lesquels je travaille peuvent poser des cas de conscience. Les entreprises dans l’immobilier peuvent parfois avoir des pratiques loin de mes convictions, mais je n’ai pas encore assez de choix de clients pour me permettre d’en refuser certains. 

A.R : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ? 

C.P : Il est vrai que le design graphique en particulier a beaucoup servi les régimes totalitaires dans leur propagande au travers des époques. C’est un outil très important de communication entre le pouvoir et le peuple. Je dirais que la notion de pouvoir se fait de manière économique aujourd’hui : les entreprises, la création est contrôlée par les besoins des grandes entreprises et la création devient un outil. 

A.R : Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives…), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ? Pensez-vous que le design peut jouer un rôle dans ces questionnements ? Et comment les intégrez-vous dans vos propres démarches ?

C.P : Il me semble que le design graphique a toujours servi tout type de questionnement, et c’est toujours le cas aujourd’hui. Il permet de donner de la visibilité par exemple à des associations en les plaçant graphiquement au même niveau que n’importe quelles entreprises. Beaucoup de designers travaillent parfois bénévolement pour créer des identités graphiques pour des associations ou de lieux communautaires.

3. Sciences et design

A.R : Le troisième et dernier volet de notre enquête traite des connaissances relatives au design. Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ? 

C.P : J’ai fait cinq ans d’études en arts appliqués, j’ai commencé par une mise à niveau en arts appliqués puis un BTS en design graphique médias imprimés est un master en direction artistique en design graphique.

A.R : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ?

C.P : Je ne suis pas sûre que ce soit un rejet épidermique, c’est pour ma part la première fois qu’on me propose un entretien de ce genre. Mais j’imagine qu’il est parfois difficile de parler de sa pratique, ça peut parfois être une démarche très personnelle.  

4. Conclusion

A.R : Encore merci pour le temps que vous m’avez accordé et pour les réponses que vous apportez à notre enquête. Je vous souhaite une merveilleuse journée.

C.P : Merci à vous.


  1. Étudiante en Master 2 « Design, Arts, et Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024.