Propos recueillis le 6 décembre 2023. Né à Saint-Étienne en 1974, Benoît Beal est autodidacte : il explore divers domaines tels que la mécanique, l'électronique, la sculpture, et la création de lanceurs de projectiles. Fort de 14 ans d'expérience technique, il se passionne pour l'esthétique et le bon sens, focalisant son intérêt sur la relation homme-machine et le commerce. En 2005, il concrétise le concept novateur « Bol'appétit » en restauration. Dès 2007, il se forme en design industriel au CNAM de Saint-Étienne, puis se professionnalise en tant que designer global en 2010. Son parcours se distingue par son expertise technique, sa créativité, ses projets de design pour le secteur tertiaire, et ses reconnaissances en photographie. Il a accepté de participer à notre enquête portant sur le design et ses pratiques.
1. Travail et reconnaissance
Mélina Mansouri : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle y est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous ?
Benoît Beal : Ma structure est une micro-entreprise créée en 2010, et je suis le gérant exerçant seul mais avec un réseau d'artisans, fournisseurs, et de collaborateurs (libéraux) en tant que prestataires de service.
M.M : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client. Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?
B.B : Oui cela est vrai, mais pour moi, et par expérience, j'ai appris à synthétiser mon travail, en raccourcissant mes démarches explicatives, afin d'éviter de « perdre » mes clients qui n'ont pas forcément le même langage ou par manque de temps. Je reste simple et j'approfondis si le besoin s'en fait ressentir. Mes projets présentés parlent d'eux-mêmes en grande majorité…
M.M : Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ? Vous sentez-vous reconnu dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?
B.B : Pour ma part, avec mes collaborateurs les conditions de travail sont optimales car nos métiers sont complémentaires et non sur le même niveau de connaissance. Ayant une certaine polyvalence, ma fonction de designer avec mon propre langage est toujours bien perçu et compris sans ambigüité par tous les services.
Quand je travaille avec un ingénieur mécanique ou un architecte par ex., il se doit que mon projet soit perçu avec une certaine originalité vis-à-vis de ce qu'ils attendent, ce qui me mettra en position de force…
2. Éthique et horizon politique
M.M : Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ?
B.B : Même si je n'ai pas suivi d'étude dans le design, pour moi c'est une certaine éthique qui s'accorde et qui est assez commune dans ce milieu en mon sens. C'est aussi notre image de marque de fabrique, face aux clients professionnels ou auprès des particuliers, de ce que l'on produit avec du bon sens, à dimension humaine, et de ce que cela implique sur l'environnement.
M.M : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?
B.B : Pour l'instant je n’ai pas eu de cas immoral proprement dit, à l'exception d'un choix de naming d'un tout nouveau produit que je m'apprêtai à lancer et qui avait une connotation plutôt (trop) religieuse… Grâce à un questionnaire pour ma pré-étude, des personnes m'avaient averti de cela, je me suis donc orienté vers un terme plus généraliste.
M.M : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ? Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives…), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ?
B.B : C’est bien entendu une dimension à prendre en compte dès la genèse d'un projet. Cela demande forcément davantage de travail au préalable, notamment une bonne préparation et une bonne connaissance du terrain, mais à la clé de réels bénéfices à échelle humaine et sociale.
3. Science et design
M.M : Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie ? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ?
B.B : Étant autodidacte, ma « formation naturelle » de curieux et de touche-à-tout s'est naturellement faite depuis mon adolescence et grâce à de nombreux voyages. J'ai eu l'occasion de faire une dizaine d'heures de formations sur le design industriel qui m'a permis de me conforter dans cette vocation de designer. Je suis naturellement plus orienté par la réflexion que m'apporte l'observation de mon environnement, par l'introspection de soi-même, de la pratique que de l'histoire et théorie du design.
« Le design, c'est comme un artiste qui a une liberté propre à sa création, mais qui suit des règles, des codes, des normes établis par la profession. »
M.M : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ?
B.B : Difficile d'affirmer cela, peut-être par peur de dévoiler notre cœur de métier vis-à-vis de nos confrères et clients. Cependant, à la cité du design à Saint Etienne par exemple, tous les sujets autour du design sont bien évoqués lors de nombreuses manifestations qu'ils organisent au public.
4. Conclusion
M.M : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ?
B.B : La place du professionnel autodidacte dans le monde des métiers créatifs, reste aussi un sujet clivant en France que j'ai pu ressentir…
M.M : Un grand merci à vous, Benoît Beal, pour le temps que vous m’avez accordé.