Entretien avec Alexis Riegel
Alice L’Hotte

L’entretien a eu lieu le 9/01/2023 par échange de mails. Alexis Riegel graphiste a accepté de répondre à nos questions dans le cadre d’une enquête visant le design et ses pratiques.

1. Travail et reconnaissance

Alice L’Hotte1** : Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur le type de structure (université, école, entreprise…) dans laquelle vous travaillez actuellement ? Quelle y est votre fonction et dans quelles conditions l’exercez-vous ?

Alexis Riegel : Accessprint est une entreprise individuelle créée en 2002, j’exerce au sein de celle-ci en tant que gérant et graphiste. Les bureaux de l’entreprise sont basés dans ma maison.L’activité principale de l’agence est de faire de la création / mise en page. Essentiellement tournée vers le print (catalogue, magazine…)

A.L : Dans une précédente enquête, plusieurs designers on fait état d’une insatisfaction par rapport à leur travail. Ils disaient se sentir empêchés d’accomplir correctement les missions — les projets — qui leur étaient confiés : par exemple, de ne pas avoir le temps nécessaire pour entamer un véritable dialogue avec leur client. Confirmez-vous ce sentiment d’empêchement ? Auriez-vous des exemples de situations qui l’illustrent ?

A.R : Le temps est devenu partie intégrante du quotidien. L’urgence des demandes se fait de plus en plus sentir. Je ne sais pas si cela empêche le dialogue avec le client, car lui aussi souffre de cette urgence. Disons qu’il y a encore 20 ans, la réalisation d’une affiche pouvait prendre 3 semaines, aujourd’hui la demande doit être faite dans la demi-journée ou journée pour ne pas perdre d’argent.

En partant de ce constat vous devez faire des choix entre gestion projet et gestion du temps. À cela se greffe les modes, les obligations, les restrictions qui sont de plus fortes et demandées par les clients (par exemple, respecter l’inclusivité mais qui parfois peut aussi être contreproductif — les clients ont plus peur des réprimandes plutôt que de répondre à la demande).

De plus il y a la concurrence grandissante de l’IA et de la technique qui se démocratise par le biais des logiciels.

La seule chose qui a de la valeur c’est la puissance créative.

Le temps reste la plus grande souffrance de notre métier.

A.L : Les conditions de travail influent beaucoup sur la manière dont la profession de designer est vécue. Dans votre cas, diriez-vous que la coopération avec vos collègues (partenaires de travail) est satisfaisante ? Vous sentez-vous reconnu dans vos capacités propres ou, à l’inverse, souffrez-vous d’indifférence, voire de mépris ? Pourriez-vous décrire des situations correspondant à ce que vous éprouvez ?

A.R : Travaillant chez moi avec ma femme, il m’est difficile de parler de ce sujet.

Mais je souffre par moment d’être coincé derrière un ordinateur toute la journée.

2. Éthique et horizon politique

A.L : Avez-vous l’impression que le milieu du design est dépourvu d’éthique ? Qu’il est peu soucieux de ce qu’il produit, de pour qui les projets sont faits, de comment ces derniers sont conçus puis réalisés, etc. Ou avez-vous plutôt le sentiment que la profession suit une sorte de déontologie, même si cette dernière n’est pas toujours clairement énoncée ?

A.R : Pour commencer notre métier n’étant pas régi par une obligation de diplôme, il est donc par effet levier pas éthique. La première chose serait de limiter le métier a des gens diplômés. Du coup tout le monde va ou essaye d’aller sur un marché sans en avoir les connaissances, juste pour l’argent.

J’ai pu remarquer, qu’il y avait des clients pour tout genre, tout style (exemple, le plombier qui veut une com. originale, mais qui s'étonne de ne pas avoir de goutte d’eau dans son logo). Nous avons aussi le cas où des clients vont au moins onéreux, mais reviennent vers nous car ils s’aperçoivent assez vite que le prix n’est pas forcément un critère de sélection.

Les outils d’aujourd’hui permettent pour les novices de lisser leur manque de connaissances techniques.

Comme dit précédemment, il y a des modes à suivre et les clients collent beaucoup là-dessus surtout au travers des réseaux sociaux.

A.L : Avez-vous personnellement vécu une situation de projet (ou autre) qui vous a posé un « cas de conscience » ? Avez-vous recueilli des témoignages de collègues (ou partenaires de travail) ayant vécu ce type de difficulté morale au travail ?

A.R : J’ai la chance d’avoir jusqu’alors suivi mon éthique personnelle. Je n’ai pas eu de soucis avec ce genre de chose, j’ai toujours gardé ma ligne de conduite en rapport avec mes idées et convictions. J’ai toujours souhaité échanger avec un graphiste qui faisait des magazines pornographiques (je n’ai pas eu l’occasion) — pour ma part, je refuse de mettre des animaux morts ou torturés dans une affiche, ou un étal de poisson ou de viande, je ne travaille pas avec les commerçants ni les artisans (c’est un choix financier — mauvais payeurs).

A.L : L’histoire du XXe siècle nous apprend que des designers ont pu se mettre au service de régimes totalitaires. Pensez-vous que la profession a gardé mémoire ou a l’intuition de cette compromission ?

Dans une perspective plus contemporaine, les designers vous paraissent-ils préoccupés par des questions sociales et politiques ? Par des manières plus justes d’organiser la vie de nos sociétés (ZAD, ou autres), la distribution du travail et des produits du travail (coopératives…), l’accession à l’éducation ou à la santé, pour ne prendre que quelques exemples, et à la façon dont le design peut jouer un rôle ?

A.R : Je trouve la question très orientée ou maladroite ! Clairement doit-on être de gauche ou de droite ou d'extrême centre pour faire du coloriage ?

Clairement non, est ce que c’est servir une idéologie ou un régime totalitaire que de faire une affiche pour un groupe politique ou le KKK, la réponse est oui !! bien évidemment. Sauf que faire une affiche pour Coca-Cola, c’est aussi servir une autre idéologie du consumérisme et autre. Donc oui, quoi qu’il en soit, un graphiste se verra sans doute toujours être au service d’une cause ou d’une autre, du moins s’il travaille dans le marketing, s’il travaille pour un bulletin communal, de l’information, là c’est autre chose.

Le design joue un rôle historique, dans l’art, dans les pensées, dans la vision du monde. Maintenant doit-on avoir tous la même ligne de conduite ? Et est-ce que nous progressons si nous avons tous la même vision ?

3. Science et design

A.L : Pourriez-vous nous expliquer quelle formation vous avez suivie ? Dans une précédente enquête portant sur les formations, des designers assimilaient théorie du design et histoire. Est-ce aussi votre cas, ou auriez-vous d’autres exemples de théories concernant le design ou élaborées à partir du design ?

A.R : Formation Arts appliqués depuis la seconde jusqu'à BAC +2.

L’histoire de l’art et la culture générale sont partie intégrante de notre métier.

L’image est devenue trop éphémère et nous ne considérons plus l’image comme avant, c’est devenu un bien de consommation comme les autres. On zappe d’une image à l’autre sans en comprendre le sens. D’ailleurs, il est de plus en plus difficile de faire des références historiques ou symboliques, les gens ne les connaissent pas ou plus. La paupérisation de la société appauvrit également le travail du designer. Il doit souvent copier une tendance à la demande du client.

A.L : Il semble que, parfois, le milieu du design se tient à distance du type d’entretien que nous menons ensemble, par exemple, c’est-à-dire d’une tentative pour connaître scientifiquement le design et ses pratiques. Pensez-vous qu’il s’agisse de désintérêt, de rejet épidermique, de crainte ? Ou que ce soit là une vue faussée ?

A.R : Pour moi ce n’est rien de tout ça. Je crois qu’il y a de moins en moins de designer avec de l’expérience tout simplement. Les jeunes designers (diplômés ou non) font une expérience rapide dans le métier ou se retrouvent dans des agences ou imprimerie à faire du travail à la chaîne sans réflexion, donc par conséquent ils ne prennent pas ou plus le temps de comprendre le pourquoi. Pourquoi cette typo, pourquoi cette couleur, pourquoi ça me fait vibrer, pourquoi l’équilibre est bon…

Seuls les passionnés essaient de comprendre, que ce soit livre, affiche politique ou théâtre, ou les images qui racontent une histoire, comprendre pourquoi cette époque appel à telle couleur, ou telle police de caractère. Et surtout, ceux qui ont pris le temps d’observer les effets d’une image.

Maintenant, nous vivons le retour des images animées comme à la découverte du cinéma, sauf qu’aujourd’hui tout le monde produit. Il faut juste savoir pourquoi certains ou certaines fonctionnent mieux que d’autres ? Est-ce le sujet, la mise en scène, ou autre chose.

4. Conclusion

A.L : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?

A.R : Juste ce point : arrêtons d’imaginer que les graphistes ou designers sont des bisounours ! Rappelons qu’un célèbre dictateur était avant tout peintre et que sa frustration nous a emmenés vers la seconde guerre mondiale.

C’est parce que la question orientée est pour moi un peu satellitaire ou hors contexte, mais néanmoins intéressante. Mais c’est comme si je disais : peut-on être boucher et homosexuel ? Je sais que c’est un propos déplacé mais qui est complètement bizarre. Et pour ma part, je ne vois pas de lien.

A.L : Encore merci pour le temps que vous m’avez accordé.


  1. Alice L’Hotte est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2023-2024.