Entretien avec Moli Fernyx
Lina Amalou

Lina Amalou1 : Bonjour Moli, je me permets de te tutoyer, comme tu me l'as demandé avant le début de l'interview. Tout d'abord, merci, c'est gentil de ta part de m'accorder du temps dans le cadre de notre enquête sur le design et de ses pratiques. Tu es une jeune designer et graphiste de 29 ans, tu commences à te faire un nom dans le domaine des stickers. Peux-tu me parler de la formation en design que tu as reçue ?

Moli Fernix : Je t'en prie. C'est toujours gratifiant de savoir qu'on peut aider les étudiants. J'ai une formation de graphisme Print. J'ai obtenu un BTS Graphisme Print2 à Lyon. À l'époque, nous avions le choix entre un BTS graphisme ou multimédia, et moi j'ai choisi le graphisme print. J'étais persuadée que c'était l'avenir. Ensuite, je suis partie faire une troisième année en multimédia puisque, en sortant du BTS, je me suis rendu compte que ce n'était pas suffisant. Ma formation se résume à un BTS à Lyon puis j'ai terminé dans une école à Paris, pour finir en agence.

L. A : Tu es encore à Paris ?

M. F : Oui, mais vers Marne-la-Vallée, je me suis un peu excentrée, j'avais besoin de place pour mon activité et les prix à Paris sont exorbitants.

L. A : Tu travailles chez toi ?

M. F : Effectivement, étant donné que je suis à mon compte, je suis toute seule. J’ai une pièce à moi, c'est mon atelier.

L. A : D'accord. Y a-t-il un décalage entre ta formation et le métier de designer que tu exerces aujourd'hui?

M. F : Oui et non, finalement. J’ai étudié le print, j'ai étudié le multimédia. Mon travail, ce sont des stickers en réalité augmentée, c'est donc une combinaison de mes deux formations. J'avais une passion du print et une passion du sticker, du papier, au moment où j'ai testé mes stickers en réalité augmentée. J'avais laissé ça de côté pendant un certain temps. L'année dernière, je me suis dit pourquoi pas ? J'ai combiné les deux et j'ai vraiment aimé le résultat. J'ai alors envie de te dire oui, en fonction de tout à ce qu'on a appris. Cependant, j'ai l'impression et surtout par rapport à mon BTS, que nous étions formés comme des futurs travailleurs en agence. De ce fait, j'ai tout laissé de côté pour partir à mon compte, pour créer des stickers qui bougent. Sincèrement, je pense que si j'avais sorti ça durant mon BTS en tant que projet professionnel. On m'aurait ri au nez tellement c'est simpliste et dépourvu de sens. Pourtant, maintenant, je suis en total désaccord avec cela.

L. A : Finalement, l'important c'est que ça te plaît ?

M. F : Oui, mais je voulais simplement souligner le fait que nous avions une formation comme futur travailleur dans une agence de communication. C’est mieux de travailler dans un milieu qui te plaît, que de travailler un certain temps en agence et finir par démissionner.

L. A : Oui, je comprends. J'ai une autre question. Le temps que tu accordes à un projet a évolué depuis le début de ta carrière ?

M. F : En vérité, tout dépend le projet. Je suis à mon compte, mais j'ai également une boutique en ligne. Je suis aussi en freelance. Si c'est une activité pour un projet client, ça peut aller d'une après-midi à trois mois et pour un Magic sticker, par exemple, ça peut prendre du temps. Là, je suis en train d'en faire un nouveau et je suis en retard sur la deadline, de ce fait il va être fait en deux à trois semaines. Cela dépend aussi du projet personnel. Quand c'est pour toi, tu passes beaucoup plus de temps que sur des projets clients, et eux, ils ont des deadlines plus restreintes, et là ça va assez vite.

L. A : Les clients qui te montrent ce qu'ils veulent ?

M. F : Oui, ils arrivent généralement avec des idées de gifs. Tu vois mes stories Instagram ? J'ai eu un succès grâce à ça. Généralement, les clients viennent, on fait une nouvelle campagne de pub, on fait cinq gifs. Cela étant, ils font des allers-retours sur ce qui va et sur ce qui ne va pas. Si tu veux une anecdote, il y a deux ou trois ans, j'ai fait un partenariat avec Netflix où je devais faire des gifs en rapport avec Netflix et la Saint-Valentin. J'avais le champ complètement libre, j'avais simplement un thème à suivre, le reste n'était pas forcément très spécifié. En réalité, ça dépend vraiment des clients, ça dépend de plein de choses. En ce qui concerne mes projets personnels plus je m'améliore, plus je prends du temps à le faire. J'essaie de passer la barre un peu plus haute à chaque fois. Ma boutique par exemple, ça a commencé par petits dessins à la main, après j'ai décidé de faire mon propre packaging. Ensuite, j’ai acheté des machines de découpe pour stickers, après j'ai décidé d'utiliser la réalité augmentée. Finalement, ça prend beaucoup plus de temps et de plus en plus, mais c'est aussi de plus en plus cool, je trouve.

L. A : Je pensais qu'avec le temps, ça serait le contraire, mais finalement non. En même temps, c'est normal tu t'investis plus.

M. F : C'est ça et avec la réalité augmentée, c'est super intéressant. Dans mon projet et dans le milieu du digital, je pense qu'il y a encore pleins de choses à faire. C'est un milieu qui va très vite et moi, j'apprends de plus en plus à chaque fois. Quand tu apprends beaucoup de choses, tu as envie d'exploiter encore plus de choses. En réalité, dans certains côtés, oui, ça va beaucoup plus vite, quand je fais des animations, c'est plus rapide. Pour les clients, ça va de plus en plus vite, il me montre simplement ce qu'ils veulent et puis ça suffit. Parfois, c’est réalisable en une après-midi.

L. A : Tu aurais un exemple d'un projet réussi ? Un projet dont tu es particulièrement fière ?

M. F : Niveau personnel, je pense que ce sont les Magic stickers. J’en suis fière, cela a très bien marché et j'en suis vraiment surprise. Finalement, toute l'énergie que j'ai mise derrière a permis que ça fonctionne et je suis vraiment contente par rapport à ça. Si c'est plus professionnel, je pense la collaboration avec Netflix, c'était une expérience super sympa. Un moment, aussi, je travaillais pour Bizzbee pour une collection de vêtements et là, le fait de voir mes vêtements dans les magasins en France... Là aussi, c'était super sympa et, pour le coup, c'était vraiment mon premier projet, après avoir terminé mes études.

L. A : Concernant le contraire : tu as un projet dont tu n'es pas très fière ?

M. F : Professionnellement, je ne peux pas le dire. Mais sinon, dans ma boutique, tu sais, j'ai cette envie de créer tout local et principalement made in France : mais à l'époque j'avais voulu faire des pins en mailles et je pensais que ça se faisait en Angleterre alors que c'était fait en Chine.

L. A : Tu l'as appris quand ?

M. F : Bien après, je l'ai appris six mois après qu’il n’y avait pas d'usine de pins en Europe et que tout était en Chine : mais c'est ma faute de ne pas avoir fait assez de recherche et je n'en suis vraiment pas fière.

L. A : Je comprends. Une autre question, tu penses qu'il y a des choses dans la formation que tu as reçue qu'il faudrait changer ?

M. F : Je trouve qu'il y a un certain élitisme de l'art français et on est conditionné à penser d'une certaine façon. Oui, d'accord, la France, c'est un beau pays avec une belle culture, mais il n'y a pas une assez grande ouverture vers l'art numérique et il faut que tu trouves du sens à tout. Parfois, tu as juste envie de faire des choses qui plaisent et ce n'est pas facilement accepté. Et c'est compliqué de faire des choses qui sont, pour toi, satisfaisantes à faire et que tu trouves simplement jolies et je suis complètement d'accord d'un certain côté. Comme dirait Pierre Bernard3, « le graphisme est un sujet sociétal », c'est presque un devoir civique. Le graphisme doit être à la limite au service de la société par rapport à ça, je suis tout à fait d'accord : mais parfois, comme pour mes Magic stickers, le but, c'est simplement de faire sourire et c'est une chose aussi simple que ça. Je trouve qu'il faut avoir un peu plus d'ouverture de ce côté-là et de faire beaucoup plus confiance également aux étudiants. Après tout, ils ont meilleure conscience des réseaux sociaux et c'est quelque chose en plus, un atout pour une agence.

L. A : Tu as pu rentrer facilement dans le marché du travail après ta formation ?

M. F : Oui, j'ai trouvé très rapidement. En deux semaines, j'avais déjà signé un CDI, il me semble. D'ailleurs, je trouve que c'est important aussi de commencer à travailler dans une agence. Je travaille tout de même avec des agences, même si je suis en freelance. Je suis en contact avec des agences de communication. Je trouve que c'est important de savoir comment ils travaillent avec des prestataires. Cependant, il y a beaucoup de choses qui ne m'ont pas plus. En fait, plus je travaillais et plus j'avais envie d'y mettre mon style et souvent le client veut quelque chose qui ne me convient pas. Il y avait des aussi questions qui, pour moi, n'avaient pas vraiment d'importance, comme de débattre sur la question d'une couleur de cravate. Je me dis qu'il y a des choses beaucoup plus importantes que ça. Je n’avais jamais pensé en sortant de ma formation que j'allais travailler en freelance et j'ai tellement mis ma passion de côté, que je me suis oubliée. En travaillant mes stickers, il y a des gens qui ont commencé à me contacter : je me suis dit, c’est vraiment possible de gagner de l'argent pour quelque chose que j'aime faire. Quand j'ai eu de plus en plus de clients je suis partie. C'était compliqué de faire les deux. Finalement, j'ai dû faire un choix et je me suis dit « on va tester la freelance » et, en janvier, je pense que ça fera 4 ans. Je suis contente de travailler sur mes projets et, quand on me contacte, mes clients viennent pour mon style et ça me fait plaisir. Ils me disent, « je veux ça », mais dans ton style et c'est assez satisfaisant.


  1. Lina Amalou est étudiante en Master 2 Design, Arts, Médias, Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023. 

  2. « Le graphisme print est un processus de création visant à concevoir et mettre en œuvre une communication visuelle combinant texte et image uniquement sur un support imprimé » ARON, Cristelle, « Pourquoi le graphisme print ? », dans Strasbourg, christellearon, 2021, p. 1. Cf. https://www.christellearon.com/pourquoi-le-graphisme-print/, consulté le 1^er^ février 2023. 

  3. Pierre Bernard (1942-2015) est un graphiste français. En 2006, il a reçu le prix Érasme pour l'ensemble de son travail graphique dédié au secteur public.