Entretien avec Mélissa Wago-lala
Ninon Leal

L’entretien a été réalisé le 21 novembre 2022. Mélissa Wago-lala — set designer, directrice artistique et fondatrice de Lalastudio — a accepté de répondre à nos questions autour du design et ses pratiques.

Ninon Leal : Bonjour, Mélissa. Je te remercie de m’accorder de ton temps dans le cadre de notre enquête sur le design et ses pratiques. Pour commencer, pourrais-tu nous dire quelques mots sur la formation en design que tu as reçue ; ressens-tu un décalage entre cette formation et le métier de designer, tel que tu l’exerces aujourd’hui ?

Mélissa Wago-lala : Je suis entrée à l'École Supérieure d’Art et de Design d’Orléans et j'ai obtenu un Master 2 en Design Objet/Espace. J’y ai passé cinq années qui ont été entrecoupées de stages, et où j’ai touché à plusieurs choses. J’ai réalisé un stage en architecture d’intérieur et art contemporain mais aussi dans le bijou. Il ne s'agissait pas des stages « typiques » de design pouvant être faits chez des designers connus, dans des cabinets d'architecture purs et durs, ou tout ce que l'on pouvait entendre par design d'objet et d’espace. Aussi, j’ai effectué un échange scolaire à Rio (Brésil) en 2014. Je mets un point là-dessus parce que je pense qu'il s'est passé quelque chose dans la façon dont ça m’a construit dans mes expériences, mon approche et mon regard. Sur le moment je n’ai pas eu ce sentiment mais cela a beaucoup nourri ma sensibilité. À la suite de ma sortie de l’école en 2015, j’ai eu un petit temps d’adaptation à Paris : j'avais trouvé un job (qui n’était pas dans le milieu du design) pour pouvoir m'y installer. Un an et demi après, j'ai de nouveau réalisé des stages et me suis relancée dans cette filière. L'un d'eux a débouché en « mini » CDD1 où j'étais designer objet chez Lacoste (pendant moins d'un an) ; ensuite j'ai travaillé chez une marque de parfumerie — qui s'appelle Histoires de parfums — pendant deux ans et demi qui m'a permis vraiment de toucher à tout. Comme il s'agissait d'une toute petite équipe, j’étais à la fois designer produit, designer d’espace et visual merchandiser : j’étais au développement des parfums mais aussi en charge des réseaux. Ça a été extrêmement formateur, surtout avec l’avènement des réseaux sociaux. À cette période, on commençait à se rendre compte qu’il fallait vraiment miser dessus. Pour le coup, j'étais dans un espace où je touchais à la fois au digital, au produit, à l’espace, au développement projet comme au développement produit, mais aussi à tout ce qui était lié au marketing (ce que l'on n'apprend d’ailleurs pas à l’école).
Je me permets de rebondir sur la deuxième partie de question. Comme il y avait un fort héritage « Beaux-Arts » et manuel à l’École d’Orléans — ce qui était d’ailleurs très intéressant parce qu'on avait toujours du dessin, des ateliers manuels (pour le modelage, les métaux, les maquettes) et de très beaux ateliers pour le bois —, on avait pas mal de cours théoriques sur l'histoire de l’art et du design (par exemple sur la peinture). Une bonne partie de la semaine était consacrée à la culture générale. Mais, mis à part des workshops ponctuels dans l’année, on ne nous enseignait pas spécialement l’« après » : c’est-à-dire tout ce qui est inévitable, de l'ordre du marketing et de la communication. Je pense qu’il y avait un léger retard sur le « comment » on allait communiquer nos projets et sur le « comment » on allait nous vendre. Les écoles d'art et d'arts appliqués ne semblent pas trop vouloir mettre cette partie en avant (à mon avis dû au côté très capitaliste et très pécuniaire). Je trouve qu’il serait important de savoir se vendre, de connaître et de chercher les plates-formes ou les meilleurs outils pour faire parler de soi. On peut faire les meilleures choses mais, si elles ne sont pas visibles, elles ne le seront jamais. Je dois dire que c’est une grosse partie qui nous a manqué à l’école. Par exemple, mon compagnon était au sein d'une autre école où on lui a enseigné ces choses-là : j'ai le sentiment qu’il y avait [dans sa formation] plus une envie de se vendre que de parler du projet. Au contraire [dans ma formation], on nous faisait primer l’intention et le fond du projet avant de savoir communiquer dessus. D’un côté, je trouve que c'était une manière de préserver notre part artistique et notre sensibilité, pour ne pas trop se faire « manger » par le système.

N. L : Deuxième question : dans quel type de structure (entreprise, etc.) travailles-tu actuellement ? Quelle y est ta fonction ?

M. W : Je suis actuellement indépendante en tant que directrice artistique et set designer (en freelance depuis 2019). J’ai une grosse partie « set design » où je fais de la création d’environnements, d’univers et de décors — envers les marques, la publicité, les campagnes de marques — majoritairement pour des shootings. En ce qui concerne la direction artistique, je pense que mon regard n'est pas seulement lié au décor ou à la mise en place de l'environnement, j’essaie donc d'intervenir dès le concept au sein de mes missions (ou du moins autant que je peux). Il ne s’agit pas du concept initial, mais quand une marque me sollicite — par le biais de réunions pour parler de l'univers de la campagne — j'évite de ne pas être seulement une exécutante dans la mise en place du décor souhaité. J'essaie de poser des questions, de dire « pourquoi vous voulez plus ça que ça » et de soumettre une part de ma sensibilité pour ne pas seulement exécuter des ordres. J'interviens au maximum en amont pour que tout soit cohérent : qu’on se retrouve dans un univers qui n'est pas de l'ordre du marketing, mais qui garde une sensibilité particulière et un parti-pris.

N. L : Tu viens justement d’aborder la question suivante. Comment se déroule la conception d’un projet dans ta structure de travail, depuis la commande d’un client jusqu’à sa livraison ?

M. W : Parfois on vient me chercher en direct, c'est-à-dire qu’on m’écrit par mail ou sur les réseaux sociaux. Dans ce cas-là, je travaille en direct avec les marques — par le biais d’échanges par téléphone, par zoom ou par mail — et l'on essaie de construire une campagne (généralement avec la marque et le photographe). Il ne faut pas oublier que je ne suis pas toute seule. Ce n’est pas quelque chose que j'ai mentionné avant, mais je travaille toujours en collaboration avec un photographe. Je n’ai pas d’intérêt à faire du décor, à créer un environnement ou un univers s’il n’y a personne pour le shooter. Il y a toujours une conversation et une discussion avec la personne qui va shooter le produit et l’image. Souvent cela se passe comme ça : c’est une discussion entre plusieurs entités (le photographe, moi et la marque) pour savoir comment mener à bien la campagne. Aussi, il y a la location du studio par la marque et la location du matériel. En fonction des réunions faites, j'établis une liste de choses à créer ou à acheter. Par la suite, vient le moment de la préparation. J'ai une phase de préparation qui consiste à la création d'objets ou de décors que je fais moi-même, que je source et parfois que je récupère — j’essaie au maximum de récupérer, même si je ne peux pas toujours le faire (surtout quand les délais sont serrés). Sinon je peux aussi acheter des props2, qui sont des objets déjà manufacturés (par exemple un livre, un cadre, une petite boîte, des lunettes du commerce) que je loue, que j’achète ou que je retourne. Ensuite vient le moment du shooting. En général, on a un plan de travail (tout ce qui est de l’ordre du planning de la journée, heure par heure) où parfois on se donne une demi-heure par photographie, ou plus en fonction de sa complexité. Sont aussi pris en compte les changements de lumières et de décors qui peuvent prendre du temps. C'est comme une journée de cours : on arrive le matin à 8 heures et on finit le soir à 19 heures (s’il n’y pas de dépassements). On sait qu'on doit faire rentrer entre cinq et quinze images dans la journée — ce qui est beaucoup. Parfois on peut être aussi sur des campagnes print3, beaucoup plus luxe et haut de gamme. Lorsque c’est de « l’imprimé », les lumières prennent en général plus de temps. Dans ces cas-là, il y a un nombre d'images moindre dans une journée ; on sait que ça va prendre beaucoup plus de temps et qu’il va falloir être beaucoup plus minutieux dans la restitution de l’univers, de la lumière, du positionnement de l’objet, etc. Il peut donc y avoir un maximum de cinq images par jour, mais parfois on peut passer une journée pour faire deux images. En général, dans ce genre de campagne, les clients n’échangent pas en direct avec moi ; je travaille avec des agences qui me sollicitent en tant que prestataire.

N. L : En général, combien de temps passes-tu sur un projet ?

M. W : Je pense que ça ne dépassera pas un mois, voire deux mois. Parfois, c'est même 10 jours : on me dit « voilà, on aimerait que le shooting soit à cette date ». Dans ce cas ça va beaucoup plus vite, on fait tout pour rentrer dans les clous et dans les délais. Mais, quand ce sont des marques un peu plus grosses, on peut contacter l'agence beaucoup plus en amont et organiser des rendez-vous (ce que l’on appelle des PPM4). Ce sont des grosses réunions qui permettent de parler tous ensemble de l’univers. D’ailleurs celles-ci durent des heures, ça prend 4 heures dans ta journée et tu ne peux rien faire à côté. Donc parfois, ça prend […]. Par exemple, j'étais sur une dernière campagne Princesse Tam-Tam (pour les fêtes) qui a duré un mois, en tout et pour tout. Mais j'ai eu pas mal de réunions en amont et ça s’est accéléré par la suite. Malgré tout, la préparation ne peut jamais se faire très tôt dans le processus de création. C’est-à-dire que je ne peux jamais avoir très tôt une liste détaillée, exhaustive et complète de ce que je dois faire et acheter étant donné que tout change tout le temps à la dernière minute.

N. L : Justement, le temps accordé à un projet (toutes catégories et secteurs confondus) a-t-il changé depuis le début de ta carrière ? Et si oui comment vis-tu ces changements ?

M. W : Oui, ça a considérablement changé. Aussi, je pense que c’est parce j'ai changé un peu d’activité (même si ça reste dans le domaine de la création), et que je suis passée de salariée à indépendante. Tu es le seul maître de ton temps et de ta journée. Si tes journées ne sont pas remplies, ta rémunération sera moindre. Il faut aller chercher des projets, etc. Sur le temps consacré vraiment au projet — sur trois ans d’activité en tant qu’indépendante, si je ne me base que sur cette activité là — je pense qu’il s’est divisé par deux. Il me semble que ce sont les réseaux sociaux qui veulent ça : il y a beaucoup plus de projets qui doivent être exécutés beaucoup plus vite. Ce n’est pas facile à suivre. Dire « non » à un projet c’est une démarche, parce que possiblement on va trouver quelqu'un d’autre, et possiblement il va mieux travailler avec cette personne, donc tu perds un client. Mais tu as aussi besoin de pauses dans ton métier, tu ne peux pas enchaîner tout le temps. C’est un métier très stressant, où on te met beaucoup de poids sur les épaules parce qu'il y a beaucoup d’argent en jeu. Il y a beaucoup d’argent investi dans les images — étant donné que nous sommes dans un monde d’images — donc on mise beaucoup dessus (même si nous ne sommes pas en train de sauver le monde, loin de là). Pour le coup, il faut parfois « dealer » avec ces valeurs et arriver à prendre du recul. Tu as envie d'être minutieuse et de temps en temps tu as envie de lâcher prise. Des fois, cette tension se fait ressentir et donne le sentiment que le temps est très pressant : que tout est très pressé tout le temps. Je pense qu'il y a une diminution du temps qui est ressentie, mais aussi un poids beaucoup plus important qui est mis sur les décors (parce qu’il faut que tout soit « Instagramable », « Tiktokable » et que tout donne envie). On communique énormément sur les plates-formes digitales : les sites Internet, les réseaux sociaux, etc. Donc oui, il y a une pression qui compresse un peu le temps d’attente et les gens sont de moins en moins patients (moi la première). En rentrant dans ce système, tu te rends compte que ça va tellement vite. Tu produis tellement d'images, tu recherches sans cesse de nouveaux univers, que tout te lasse assez vite. Tu as l’impression d’avoir déjà vu beaucoup de choses. Et, il faut que tout aille vite quand tu cherches une image, une épingle sur Pinterest ou des piges dans des magazines. Je remarque que tout ce système est de moins en moins patient.

N. L : Aurais-tu un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté » à tes yeux (en dehors des critères marchands, qu’il y ait satisfaction ou non du commanditaire) ? Et quels sont, selon toi, les critères de réussite ou d’échec d’un projet ?

M. W : Je dirais qu’en général mes projets réussis sont des projets où j'ai passé du temps à y réfléchir, et aussi pris le temps d’élaborer (en collaboration avec un-e photographe). Dernièrement, je suis assez contente. C'est la première fois que j'apprécie un de mes projets. Avec une photographe qui s’appelle Amanda Sellem, nous avons réalisé un projet autour de la nature morte. Nous l’avons proposé à un magazine : il s’agissait d’une série autour du verre. C'est un projet dont nous parlions un peu avant l'été 2022 et que nous avons commencé début octobre. Cela a pris du temps, nous avons quand même mis un peu plus de quatre mois. Personnellement, ça faisait un moment que j’avais une obsession autour de la bouteille de Coca-Cola : non pas pour son côté publicitaire ou marketing mais pour l’objet en lui-même, sa forme, son côté iconique et son verre épais. Depuis trois années, je récupérais dans mon sous-sol des bouteilles de Coca-Cola ; je me disais qu’un jour j’allais en faire quelque chose. Et je suis très contente, parce j'ai enfin réussi à réaliser cette idée que j’avais en tête. J’avais envie de retranscrire une sorte d’émotion intemporelle que je peux ressentir quand je vois une bouteille de Coca-Cola en verre — et du rapport entre le Coca, le cocktail, le côté populaire mais aussi du Coca pris avec des fruits, etc. Pour le coup, nous avons réussi à l'intégrer dans une série avec d'autres objets en verre, des touches de fruits, des objets végétaux, etc. Je suis assez contente d'avoir réussi à faire une image qui me parle, et qui je pense parle à d'autres personnes (parce que j'ai relativement eu de bons retours sur cette série). Aussi, je n’aurais jamais pensé atteindre un magazine que j'aime beaucoup, qui a publié cette série de manière digitale. Cela m’a donné beaucoup de visibilité ces derniers temps, et une forme de légitimité (voire peut-être de reconnaissance sur un plan personnel). Je suis assez satisfaite du rendu de cette série, qui intègre un objet qui me tient à cœur et qui fait résonner [en moi] quelque chose de particulier5.
Dernièrement, il y a un autre projet (un peu plus complet) que j'ai réalisé avec la photographe Clémence Louise Biau. Elle est venue chez moi et chez ma grand-mère à la campagne. J’ai une amitié intergénérationnelle assez forte avec ma grand-mère — qui a une sensibilité artistique (elle a fait l’École Boulle et était décoratrice tapissière) — et l’on crée beaucoup de choses ensemble. Cela fait d'ailleurs un moment que nous faisons de la teinture naturelle ensemble. J'ai donc invité Clémence — qui est une photographe de reportage — à venir quatre jours chez nous à la campagne. Elle a réalisé un reportage de ces moments que je passe [avec ma grand-mère], de nos journées à créer et à vivre ensemble. Nous nous sommes aussi amusées à faire des images avec les teintures naturelles ; c’était une sorte de set design spontané dans la vraie vie. Les objets n'étaient pas posés au millimètre près, mais il y avait un rapport plus grand à l’espace. Pour moi c'est un projet réussi : il me touche, tout comme ma grand-mère qui est très heureuse d'avoir des images de nous ensemble. Cette photographe a réussi à immortaliser des moments de création. J’étais très heureuse de pouvoir mettre en œuvre mon savoir-faire (en termes de set design ou de design d’espace) pour une série qui parle d’héritage, de ma famille et tout simplement de transmission ; ce n’était pas seulement voué à vendre quelque chose. J’ai d'ailleurs de la satisfaction et suis émue face à une série où j'ai réussi à transmettre quelque chose, et à donner un petit peu de moi — ce n’est pas si simple en image, surtout dans la nature morte. Ici ce ne sont que les couleurs, les formes, les objets, la lumière et les textures qui parlent. Et quand tu arrives à donner un peu de toi à travers ça, c'est un peu comme du cinéma6.
Pour le coup, je dirais que tous les projets « ratés » sont ceux qui ne me font « ni chaud ni froid » ou que j'ai déjà vu mille fois. Par exemple, je travaille beaucoup pour des marques de parfum — j’adore travailler pour ces marques parce que j'aime sourcer des choses liées à des odeurs — mais souvent on fait la même chose. C'est aussi très genré ; ils ont beaucoup de mal à sortir des carcans du marketing. Tu finis donc par sortir des photos que tout le monde voit tout le temps. Cela peut être très inintéressant.

N. L : D’après toi, que faudrait-il changer dans la formation, ou dans l’exercice du métier, pour améliorer les projets du point de vue des concepteurs et des utilisateurs ?

M. W : Je pense qu'on a des très bons outils accessibles aujourd’hui, comme toutes les plates-formes qui permettent de faire des sites Internet. On a aussi accès aux réseaux sociaux qui donnent un aperçu un peu plus large de ton univers. Je pense qu'il faudrait arriver à intégrer au sein de la formation toutes ces plates-formes-là. Par exemple, à l’école, on a déjà eu des formations sur les sites Internet (ou autres) où l’on présentait nos projets, accompagnés du texte de notre concept. Mais je pense que dès que tu as une âme créative, que tu es sensible ou que tu es vouée à être designer, il faudrait qu'on t’apprenne à développer ta sensibilité d'une manière plus globale. Qu’on t’apprenne à utiliser ces plates-formes comme moyens de te donner de la visibilité et de te montrer, mais pas seulement à travers les projets. Par exemple, j'ai mon site Internet où je mets mes projets (avec les séries de photos rangées dans un portfolio) et j'utilise mon Instagram pour donner « un peu plus » de choses à voir et à comprendre. Je peux poster des couleurs et des textures qui m'ont attirées lors de voyages ou près de chez moi dans la journée. En fait j’utilise ce support pour compléter mon site ; comme si le site était composé des « gros chapitres » et Instagram des « sous-chapitres ». Cela va donner un peu plus à « manger » et à voir de l'univers complet de la personne. Et pour revenir à la formation, je pense qu'il serait bien d'avoir une partie où l'on apprend à apprivoiser ces plates-formes-là. Elles ne te servent pas seulement à te vendre ou à mettre tes projets en vrac, par contre elles t’aident à donner un aperçu plus complet de toi, de ta personnalité, de sensibilité et de ce qui te touche. Parce que malgré tout, ce qui va faire la différence entre toi et une autre personne c’est ta sensibilité. Elle est unique, tout le monde ne l’a pas. Et je pense que pour que les concepteurs soient davantage satisfaits lorsqu’ils sortent de l’école — ou davantage « repérés » pour telle qualité intrinsèque à eux-mêmes — il faudrait qu’ils aient la possibilité de déployer leur univers pour mieux le comprendre. Qu’on le sente et qu'on le lise. Même si ce n'est que derrière un écran — et c'est dommage parce qu’après tout, il n’est question que d’image — il ne faut pas hésiter à être généreux là-dedans. Je pense que la personne en face (le commanditaire) ressent ça aussi. À mon avis, il ne faut pas penser que les personnes ne veulent que des exécutants (même si ça doit être encore le cas dans certains endroits). Tu vas être davantage force de proposition si ton univers est complet et que tu es capable de le mettre en image, de l’argumenter et de l'écrire. Il faut être beaucoup plus complet, et montrer que ta sensibilité peut l'être aussi.

N. L : J’aimerais revenir sur ta pratique, d’où t’es venue cette volonté d’utiliser ce procédé de teinture naturelle dans tes projets ?

M. W : C'est venu assez récemment. Justement, je ne suis pas revenue sur cette partie de mon voyage au Brésil, et à Rio. Je n’ai pas expérimenté là-bas (j'étais en école de design industriel) mais, par contre, je pense que ça a confirmé mon goût pour les couleurs, le monde végétal, naturel et celui du vivant. Comme je viens de la campagne (d’un petit village entre Orléans et Chambord), j'ai toujours été beaucoup dehors : dans la forêt, dans les champs ou près de la Loire. J’ai un lien très fort avec le vivant et la nature. Je suis une citadine, mais pas du tout une citadine d’origine (la ville me tend un peu). Quand j‘étais très jeune, ma grand-mère m’a initiée à plusieurs techniques différentes de création. Par exemple, j’ai un souvenir très fort où je faisais de la peinture avec des baies de sureau. Mais en grandissant, je n'ai pas vraiment repensé à ces choses-là. Ma grand-mère était décoratrice tapissière et, chez-moi, j’accumulais beaucoup de bouts et de rouleaux de tissus, de chiffons, etc. Je me suis d'ailleurs demandé « pourquoi j’accumule autant de choses ? ». Et je me suis rappelée — du fait d'avoir vécu chez mes grands-parents pendant un temps — qu’il y avait beaucoup de tissus à la maison qui provenaient de la formation de ma grand-mère. Elle aussi a toujours eu un amour fort pour le textile. En commençant mon activité de freelance, j'ai commencé à teindre des petits bouts de tissus avec de la teinture végétale. Au début je le faisais sur mesure, c’est-à-dire de manière très ponctuelle. Il y avait déjà pour moi un côté responsable (de ne pas en faire toutes les semaines et de ne pas utiliser des produits chimiques). C'est vraiment en parlant avec ma grand-mère — qui m’a exprimé sa volonté de faire des ateliers de teinture végétale à la maison — que j’ai également voulu trouver une alternative pour les shootings, d’un point de vue éco-responsable. Nous nous sommes donc lancées toutes les deux dans cette aventure. Au sein de Lalastudio, je m’occupe de la création des teintures et des tissus sur mesure (pour les shootings, etc.) que je garde et qui me durent très longtemps. Cela me permet de ne pas en refaire — étant donné que le set design est un monde où l’on jette énormément — et de les proposer à la location. Et l’autre partie de ce studio — que je développe avec ma grand-mère justement — est orienté vers la teinture naturelle à plus petite échelle (plutôt faite dans la vallée de la Loire). Voilà pour la petite histoire.

N. L : Merci Mélissa.


  1. Contrat à Durée Déterminée. 

  2. Accessoires. 

  3. Ensemble des supports imprimés utilisé en marketing. 

  4. Pré-Production-Meetings. 

  5. À ce sujet voir https://www.melissa-wagolala.com/work/bound-magazine, [consulté le 01 janvier 2023]. 

  6. À ce sujet voir https://clemencelouisebiau.com/Natural-Dyes-a-Family-Heritage, [consulté le 01 janvier 2023].