Entretien avec Kitesy Martin Lefort
Juliette Schmittler

L’entretien a été réalisé le 11 novembre 2022. Kitesy Martin Lefort, designer, fondatrice de Kitesy Martin Studio et d’Humble Warrior, concept de Hip-Hop yoga, a accepté de répondre à nos questions sur le design et ses pratiques.

Juliette Schmittler1 : Bonjour Kitesy Martin. Pourrais-tu tout d’abord te présenter, dire quelques mots sur la formation en design que tu as reçue ? Y a-t-il un décalage entre ta formation et le métier de designer tel que tu l’exerces ?

Kitesy Martin Lefort : Je vais répondre à ta première question qui est sur mon nom : donc je m'appelle Martin. Mon nom de famille, c’est Martin, mon prénom Kitesy. J'étais en formation à Olivier de Serres et aux Arts Décoratifs : des écoles d’arts appliqués.

Est-ce qu'il y a un décalage entre ma formation et ce que je fais actuellement ? 

Pas du tout, moi, j'ai vraiment fait une formation pour travailler dans le design lié à la mode, alors on est en plein dedans. Avant d'avoir ma marque, moi, j'étais designer dans des maisons de couture. Ce sont exactement les études que j’ai faites ainsi tout est lié.

J. S : Dans quel type de structure (université, école, entreprise…) travailles-tu actuellement ? Quelle y est ta fonction ?

K. M. L : Alors actuellement, mon entreprise2 est une SARL3. Je travaille avec d'autres personnes comme tu le sais déjà. Il y a environ quatre ou cinq personnes qui travaillent avec moi : quatre personnes sont auto-entrepreneurs, donc elles travaillent avec moi sous des contrats de free-lance, et j'ai une stagiaire en contrat de stagiaire avec son école.

J. S : Dans ta structure de travail, comment se déroule la conception d’un projet, depuis la commande du client jusqu’à sa livraison ?

K. M. L : La commande d'un objet, quand c'est une commande personnalisée, en général, je demande aux clients de m'envoyer des captures d'écran des bijoux qu'ils aiment, bien sûr, sur mon site ou sur l’Instagram (de la marque). En fonction de ce qu’ils m'envoient, j'essaye de faire une espèce d'entre deux de ce qui peut leur plaire. Je fais une première proposition, je leur envoie une photo. Ils disent ce qui leur plaît ou ce qui leur plaît moins. Je recorrige, je leur montre une seconde photo de ce que j'ai fait et là, en général, ça passe et je leur envoie.

Sinon quand ce ne sont pas des commandes personnalisées et que ce sont juste mes collections, je fais des recherches d'inspiration. Je choisis un thème et, ensuite, je choisis des (bijoux ou objets) vintages en fonction de ce thème ou, parfois, c'est l’inverse : parfois, c'est un vintage que je trouve qui me donne envie de travailler sur un thème en particulier. Un exemple précis : si je trouve des pampilles de cristal, ça va me donner envie de travailler sur le XVIIIe siècle, sur Marie-Antoinette, sur Louis XIV. Donc, je fais des recherches d'inspiration sur ce thème-là et, après, je construis une collection. D'abord, je fais des essais de matières, des essais de combinaison d'objets, de fournitures, puis, je décline ça en bijoux : en colliers, en boucles d’oreilles, en bagues, etc.

Évidemment, il faut déterminer un prix. Le prix, je le détermine en fonction du temps que je passe sur chaque bijou ainsi qu’en fonction de la matière première.

Ensuite, le plus long, c'est de faire des photos de chaque pièce unique, de tout mettre sur l’e-shop, de rentrer toutes les fiches techniques sur l’e-shop. Ça, c'est hyper long à faire.

Puis une fois que l’on a fait ça, il faut, bien sûr, communiquer sur la collection et pour communiquer dessus, il faut des photos un peu éditoriales, pas que des photos sur fond blanc, donc il y a un shooting photo à faire. Il faut communiquer dessus, je pense bien deux à trois semaines avant la sortie de la collection.

Une fois que la sortie de la collection est faite. Il faut tout envoyer : tout emballer, tout mettre dans des enveloppes, tout envoyer à la poste, faire les bordereaux, etc.

J. S : Le temps accordé à un projet (toutes catégories et secteurs confondus) a-t-il changé depuis le début de ta carrière ? Par exemple en fonction des différents statuts que tu as pu avoir. Comment vis-tu ces changements (s’il y en a) ?

K. M. L : Le temps passé sur mes collections et mes collaborations n'a pas changé, c'est toujours la même chose. Franchement, il n’y a pas grande différence. La différence, c'est que contrairement à avant, je ne suis pas seule. Je me fais aider et le fait d’être aidée ne va pas rendre les choses plus rapides, mais rend les choses plus qualitatives. C’est ça la différence.

J. S : Aurais-tu un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté » à tes yeux, en dehors des critères marchands, c’est-à-dire qu’ils aient (ou pas) entraîné la satisfaction du commanditaire ? Quels sont, selon toi, les critères de réussite ou d’échec d’un projet ? Et pourquoi ?

K. M. L : Oui, j'ai eu des projets ratés et des projets réussis. Pour moi, le projet le plus raté, c'était une collaboration avec une marque de doudounes responsables. Selon moi, c'est raté, car cela s'est fait trop rapidement : de ce fait, on n'a pas eu le temps de bien communiquer dessus. J’ai pas assez bien dealé mon contrat avec eux.

Je pense que je n'ai pas été assez rémunérée pour ce projet : donc, j'ai fait le projet en étant moyennement satisfaite. Ça m'a servi de leçon, je pense qu'il ne faut jamais accepter le projet en se disant qu'on n'est pas payé à la hauteur de son travail. Après, on le fait avec frustration, forcément ça ne fonctionne pas. Ensuite, prendre le temps de communiquer, puisque quand on ne communique pas assez, le message ne passe pas auprès du client.

Des projets réussis, j'en ai beaucoup. Je pense, ceux qui me viennent en tête, c'est quand je travaille avec Nike4 parce que quand ils viennent vers moi, ils ont déjà confiance en mon travail. Ils sont déjà contents de travailler avec moi. La marque rémunère d'une façon plus que correcte et tout est super bien organisé chez Nike. Quand on sent que le travail est valorisé et que les clients viennent te chercher pour les bonnes raisons, ça change tout.

Selon moi, les critères de réussite d'un bon projet, c'est ce que je dis, c'est la valeur que l'on met dans ton travail face aux clients, que le client mette de la valeur dans ton travail. C'est un gros critère de réussite.

Un critère d’échec d’après moi, c'est quand justement le client ne met pas de valeur dans ton travail et que l’on fait tout trop à la va-vite.

J. S : Que faudrait-il changer dans la formation et/ou dans l’exercice du métier pour améliorer les projets du point de vue des concepteurs et des utilisateurs ? Si aucun changement à faire, quels sont les points forts de la formation du point de vue concepteur?

K. M. L : Alors qu'est-ce qu'il faudrait que je change dans les formations ?

Selon moi, les formations ne sont pas assez axées vers le monde professionnel, en tout cas dans la création. Je trouve que c'est toujours un peu trop loin du monde professionnel. Il devrait y avoir beaucoup plus de stages obligatoires. Je pense que, chaque année, il devrait y avoir un stage obligatoire : même un stage court, selon moi, c'est indispensable. Aussi sensibiliser, un peu, les designers au fait que la communication est indispensable, que sans communication un produit ne se vend pas.


  1. Juliette Schmittler est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023. 

  2. Kitesy Martin Studio,https://kitesymartin.com Consulté le 11 novembre 2022 

  3. SARL : Société à responsabilité limitée. 

  4. Voir la collaboration entre Kitesy Martin Studio et Nike, Nike D/MS/X x Kitesy Martin, 2019
    https://kitesymartin.com/nike-dmsx consulté le 11 novembre 2022