Entretien avec Justine Fallet
Audrey Fréville

L’entretien a été réalisé le 15 novembre 2022. Justine Fallet, designer au sein de l’agence Yannacommunication à Saint-Valéry sur Somme, en Picardie, a accepté de répondre à nos questions autour de la question du design et ses pratiques.

Audrey Fréville1 : Bonjour, Justine Fallet. Je vous remercie de m’accorder un peu de votre temps dans le cadre de notre enquête sur le design et ses pratiques.

Pourriez-vous tout d’abord nous dire quelques mots sur la formation en design que vous avez reçue ? Y a-t-il un décalage entre votre formation et le métier de designer tel que vous l’exercez ?

Justine Fallet : Alors j’ai un MBA2, un Master d’école privée en communication et stratégie digitale, donc ce n’est même pas vraiment une formation en design. C’est vraiment global.

A. F. : Dans quel type de structure (université, école, entreprise...) travaillez-vous actuellement ?

J. F. : Nous, on est une agence qu’on peut appeler 360°3, puisqu’on s’occupe à la fois de la partie digitale et de la partie qu’on appelle print.

A. F. : Quelle y est votre fonction ?

J. F. : Je gère cette agence.

A. F. : Dans votre structure de travail, comment se déroule la conception d’un projet, depuis la commande du client jusqu’à sa livraison ?

J. F. : Vaste question ! Et bien tout d’abord le client vient vers nous avec une problématique, ensuite pendant le rendez-vous on essaye d’y voir un peu plus clair en lui posant des questions, en essayant d’avoir des réponses objectives. On essaie de lui faire prendre de la hauteur sur sa problématique et ses attentes. Parce qu’il est vrai que souvent les clients sont un peu « la tête dans le guidon », et ne se rendent pas vraiment compte. Ils ne sont plus vraiment objectifs. Ensuite, admettons que ce soit l’étape 2. Étape 3, on établit un devis qu’on essaye d’être le plus complet et détaillé possible. Étape 4, on recontacte le client et puis on refixe un rendez-vous idéalement pour pouvoir balayer le devis ensemble, puisqu’il est vrai que, parfois, dans les devis il y a des termes qu’on utilise qui ne sont pas forcément clairs, et que les clients ne comprennent pas toujours. Étape 5, si le devis est validé on peut éventuellement revoir le client ou non si on a déjà eu toutes les informations nécessaires. Après ça dépend des missions, mais quand c’est une mission vraiment globale on s’occupe de l’identité visuelle et de tout ce qui est web donc : site internet, référencement etc. On commence bien sûr par réfléchir à l’identité visuelle, et faire valider la charte graphique au client.

Une fois que c’est validé, on part sur la création du reste, donc tout ce qui va être support print. Alors, encore une fois, ça va dépendre des missions, mais ça peut être carte de visite, flyer, brochure, dépliant etc. Parfois même cela va jusqu’au covering de véhicules, mais là ça dépend vraiment de la demande. Et ensuite on s'occupe de tout ce qui est web, donc premièrement la création du site internet et puis la partie référencement. Voilà et après le client valide bien entendu et puis à partir de là la mission principale on peut considérer qu’elle est finie. Nous proposons aussi des prestations de maintenance mensuelle, mais là encore une fois ça dépend si le client valide ça ou non.

A. F. : Très bien merci beaucoup. Le temps accordé à un projet (toutes catégories et secteurs confondus) a-t-il changé depuis le début de votre carrière ? Comment vivez-vous ces changements s’il y en a ?

J. F. : Forcément il y a un changement parce que, quand on commence, on prend plus de temps à faire les choses. Parce qu’on commence tout simplement ! Après il faut quand même prendre le temps de réfléchir, c’est important de bien réfléchir aux projets des clients, bien-sûr, mais sur la partie vraiment opérationnelle, avec le temps, on va plus vite ça c’est sûr, parce qu’on est plus habitué. Vraiment, concrètement, par exemple on est plus habitué à manipuler illustrator, photoshop que quand on commence. Et puis les réflexions que nous apportons sont finalement toujours plus ou moins similaires, donc forcément aussi au niveau de la réflexion ça va plus vite.

A. F. : D'accord. Pour ce qui concerne le temps, vous allez plus vite dans l’exécution par rapport à une certaine aisance avec les logiciels : mais est-ce qu’au niveau de la demande client vous ressentez un besoin de faire des projets rapidement ? Est-ce qu’il y a une exigence ?

J. F. : De la dead line ? Que nous imposent les clients c’est ça ?

A. F. : C’est ça. Est ce qu’ils sont exigeants au niveau de la rapidité ?

J. F. : La deadline (rire.) Les clients sont toujours super pressés. D’ailleurs étonnamment ils sont super pressés, mais malgré tout on a quand même des sites internet en cours depuis plus d’un an parfois, parce qu’ils mettent énormément de temps à répondre, parce qu’ils ont minimisé les éléments dont nous avions besoin, parce qu’on a besoin de contenus. De plus, même si parfois sur certains projets on travaille avec un rédacteur web, souvent les clients préfèrent rédiger eux-mêmes ou par exemple faire leurs propres photos et alors là c’est parti pour des mois et des mois d’attente (rire). Donc il y a vraiment un peu de tout. Ça dépend aussi du calendrier marketing : par exemple, en ce moment je sais très bien que mi-décembre il y a des personnes qui vont se réveiller en nous disant « vite, vite il nous faut un calendrier pour 2023 » ou des cartes de vœux et là, pour le coup, c’est obligatoirement rapide, on ne peut pas attendre. Là vraiment je n’ai pas véritablement de réponse à donner d’un côté ou d’un autre car ça dépend un peu des cas.

A. F. : Auriez-vous un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté » à vos yeux, en dehors des critères marchands, c’est-à-dire qu’ils aient (ou pas) entraîné la satisfaction du commanditaire ? Quels sont, selon vous, les critères de réussite ou d’échec d’un projet ?

J. F. : Alors un projet réussi je dirais… D’ailleurs c’est un client qu’on a en mensuel, en suivi régulier. C’est une association qui s’appelle Airemploi. Et Airemploi a une branche qui s’appelle « Féminisons les métiers de l’aéronautique et du spatial » et cette association est financée et liée à Air France, Airbus, la FNAM4 etc. On travaille pour eux depuis … deux ans je pense, trois ans je ne sais plus exactement, et à mon sens c’est un projet réussi parce que tous les ans ils renouvellent le contrat. On fait pas mal de missions pour eux, notamment les sites internet et puis la maintenance du site mensuel. Mensuellement on effectue aussi le community management. Très régulièrement on se déplace dans les entreprises pour faire des vidéos sans rentrer dans les détails, mais voilà. Ça c’est réussi! Selon moi parce que, outre le fait que ce soit un contrat intéressant financièrement pour nous, c’est aussi que si c’est renouvelé, c’est que le client est content.

Et ensuite un projet qui ne serait pas réussi. Pour moi ce serait un projet où le client n’est pas satisfait. J’essaie de trouver un exemple, mais ce n’est pas forcément… Si j’ai un exemple ! Mais on ne peut pas vraiment dire que c’est un client étant donné qu’on a participé à un concours pour réaliser le nouveau logo pour une structure en Picardie. On a proposé une dizaine de logos différents, mais on savait pertinemment qu’on était en concurrence — le client l’avait dit —, avec une autre agence. Et malheureusement on n’a pas gagné ce concours, donc c’était décevant parce qu’on a passé beaucoup de temps à réfléchir au logo puisque l’agence qui remportait le concours avait ensuite toute la déclinaison à effectuer. Donc là, vraimen,t c’était énorme parce qu’il y avait tous les supports print, tous les supports web, le site internet, enfin les sites internet parce qu’il y en avait plusieurs etc. Là je pense qu’on peut dire que c’était une déception.

A. F. : Donc pour vous les critères de réussite ou d’échec d’un projet sont surtout liés au commanditaire ( à sa satisfaction) ?

J. F. : Par rapport à l’avis que donne le client oui. Enfin à l’avis qu’il donne, pas forcément sur Google en s’entend mais (rire) à ce qu’il nous dit en tout cas, oui.

A. F. : Que faudrait-il changer dans la formation ou dans l’exercice du métier pour améliorer les projets du point de vue des concepteurs et des utilisateurs ?

J. F. : Ce qu’il faudrait changer alors je peux répondre hyper facilement à la question parce qu’à chaque fois que je parle de ça je réponds toujours la même chose. Ce qu’il faudrait changer selon moi, c’est vraiment faire beaucoup plus de stages. Mais à mes yeux c’est plus important d’être en alternance parce que je n’ai pas fait mes 5 ans d’études en alternance. Uniquement la dernière année, et c’est vraiment quelque chose que je regrette. D’ailleurs je ne sais même pas si ça aurait été possible de faire 5 ans en alternance, j’imagine que non, mais c’est vraiment pendant la dernière année que j’ai appris à faire des choses tout simplement. Pour moi ce qu’il faudrait changer c’est ça. Rendre les choses plus professionnalisantes. Mais ça franchement à par faire des études en alternance je ne vois pas trop d’autres solutions.

A. F. : Oui quelque chose de plus concret en fait.

J. F. : En fait il faut aller en entreprise ! Parce qu’on peut avoir un Bac+12 mais, pour autant, qu’est-ce qu’on sait faire vraiment ? C’est vraiment ce que j’ai ressenti quand j’ai commencé mon alternance. J’avais quand même fait 4 ans d’études, mais en fait je me suis rendu compte dès le premier jour que je ne savais absolument rien faire. Donc, certainement que je savais réfléchir parce qu’on ne fait pas des études pour rien quand même. Mais je ne savais pas faire des choses concrètes vraiment. Je savais à quoi correspondaient les mots quand on me demandait quelque chose, mais je me suis rendu compte très rapidement que les études que j’avais faites, en tout cas les 4 premières années, n’étaient pas du tout assez concrètes. Et c’est grâce à la dernière année que j’ai faite en alternance que j’ai vraiment appris à faire des choses vraiment utiles pour faire gagner de l’argent à une entreprise, parce que sinon il n’y a pas d’autre intérêt à travailler pour une entreprise que de lui faire gagner de l’argent. Donc c’est important de savoir faire des choses pour de vrai, mais ça on l’apprend en alternance.

A. F. : Y a-t-il un point sur lequel vous souhaitez revenir ? Un autre que vous souhaitez aborder ?

J. F. : Un point qui me semble important quand on fait notre métier c’est de rester toujours informés sur ce qui se passe. Tant sur la technologie que sur les tendances de manière générale. Ce n’est pas forcément quelque chose qu’on m’a conseillé de faire enfin en tout cas pour les études que j’ai faites on ne m’en a jamais parlé à vrai dire. Mais c’est vrai que nous on est abonnés à quelques newsletters importantes : nouvelles technologies, tendances, design etc. Parce que sinon on perd vite le fil. Il est vrai que quand on finit ses études on est OK, mais les choses évoluent tellement rapidement que si on ne se tient pas informés on est « has been » direct.

A. F. : Je voulais revenir sur le fait que vous disiez que le travail en alternance pendant la dernière année de vos études a eu une grande importance. Est-ce que vous considérez que les 4 années réalisées auparavant ont été bénéfiques aussi ? Est-ce que le fait d’avoir aussi été dans quelque chose de peut-être plus théorique ça vous a aussi apporté dans votre travail de tous les jours ?

J. F. : Ah, oui oui, la théorie c’est super important ! C’est important aussi d’apprendre à réfléchir. Mais je trouve qu’il n’y avait assez de choses concrètes. Après la théorie c’est bien. Peut-être un peu moins c’est bien aussi (rire). Mais oui pour répondre à la question. Manque de concret malgré le fait que bien sûr il faille quand même apprendre la théorie des choses.

A. F. : Et n’ayant pas eu forcément une formation en design pur est ce que vous considérez que c'est aussi important parfois de ne pas forcément avoir étudié uniquement le design, mais justement d’apporter des éléments d’un autre domaine d’étude pour enrichir potentiellement le travail en entreprise ?

J. F. : Oui en fait ça dépend vraiment de l’entreprise dans laquelle on veut évoluer plus tard ou l’entreprise qu’on veut créer plus tard. Par exemple, moi, j’ai aussi une licence en histoire de l’art. Donc là pour le coup c’était à 150% que de la théorie, mais ça me sert quand même (pas tous les jours) mais ça me sert quand même. Notamment les codes qui sont utilisés dans les tableaux, même les vieux tableaux, c’est des codes qui existent toujours aujourd’hui.

Mais pour revenir à la question, c’est bien de faire des études hyper précises sur un sujet si on est sûr de ne faire que ça plus tard. Plus on fait des études avec un champ élargi, plus on peut faire de choses. C’est vrai que le Master que j’ai fait était très élargi dans les matières qu’on avait mais, du coup aujourd’hui, l’agence que j’ai est 360, alors qu’il y a d’autre agences qui vont être spécialisées uniquement en référencement par exemple, ce qui ne marcherait absolument pas hors grandes villes. Nous, à Saint-Valéry-sur-Somme, c’est clair et net que si on était une agence spécialisée uniquement en référencement ça ne fonctionnerait pas. Donc ça dépend aussi d’où on veut vivre je dirais.

A. F. : Très bien. Merci beaucoup !


  1. Audrey Fréville est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023. 

  2. Le Master of Business Administration (MBA) est un diplôme d'études supérieures dans le domaine du marketing, finances, ressources humaines et management. 

  3. Une « agence 360 » couvre à la fois la stratégie, la production et la diffusion des campagnes marketing et communication sur tous les points de contacts. 

  4. Fédération Nationale de l’Aviation et de ses Métiers