Entretien avec Emmanuel Hugnot
Audrey Japaud-Garcia

L’entretien qui suit a été réalisé le 14 novembre 2022. Suite à l’obtention d’un DNSEP option Design mention « Design des communs » parcours « Objets et arts de faire computationnels, à l’École Supérieure des Arts et de Design d’Orléans, Emmanuel Hugnot est étudiant-chercheur, associé à l’ÉCOLAB, en troisième cycle et enseignant en « Introduction aux pratiques de l’impression 3D céramique » dans la même école. Cet entretien fait référence à une enquête sur « Le design et ses pratiques » dans le cadre du séminaire de recherche Vers une théorie critique du design dirigé par Catherine Chomarat-Ruiz à l'École des Arts de la Sorbonne.

Audrey Japaud Garcia1: Je te remercie de m'accorder ce temps dans le cadre de l'enquête sur le design et ses pratiques. Est-ce que tu peux me confirmer que tu es d'accord pour cet enregistrement ?

Emmanuel Hugnot : Oui je suis d’accord.

A. J.-G : Première question : pourrais-tu me dire d’abord en quelques mots quelle est la formation en design que tu as reçue et s’il y a eu un décalage entre ta formation et le métier de designer tel que tu l'exerces et tel que tu t’attendais à l’exercer ?

E. H : Alors, j’ai commencé par une licence en design à l’ESAD d’Orléans, qui est donc une école d’art et de design originellement spécialisée en design d’objet et design graphique. Après avoir passé cette licence, un DNA en Design d’Objets, j’ai continué mes études à l’ESAD dans un des nouveaux masters qu’ils proposaient : il y avait deux parcours « Design des communs » ou « Design des médias ». L’année dernière, j’ai donc obtenu mon master en « Design des communs », qui est une spécialité un peu large, mais qui comprend globalement toutes les questions de propriété intellectuelle, de partage de projet et de design collectif. Cette formation à plusieurs pôles, la spécialité que j’ai choisie se porte sur un axe numérique et plus concrètement sur l’artisanat numérique : « Object, craft and computations ». Elle est articulée sous la forme d’un programme de recherche qui travaille autour de la fabrication numérique associée à des savoir-faire traditionnels. Nous nous sommes donc concentrés sur l’impression céramique par différents projets, en mélangeant la computation et le paramétrage de fichiers numériques avec des matériaux naturels et des cuissons au feu de bois. Cela faisait déjà un certain moment que je faisais de la fabrication numérique et ce diplôme m’a permis d’hybrider mes compétences à des réalisations traditionnelles afin de mettre en place, pour mon diplôme, une nouvelle forme d’artisanat numérique en réinventant les règles propres à ces techniques et à ces nouveaux savoir-faire.

A. J.-G : Est-ce que vous ne faites que de la céramique, ou vous travaillez avec d’autres matériaux ?

E. H : Nous utilisons d’autres techniques, par exemple le fraisage de bois ou de plâtre, toujours en utilisant des outils de fabrication numérique. Nous nous ouvrons de plus en plus à d’autres matériaux : au-delà de la céramique, nous imprimons d’autres pâtes différentes que la céramique. Par ailleurs, à la manière des artisans, nous fabriquons aussi des outils au sein des programmes de recherche : dans le cadre de mon diplôme, j’ai fabriqué ma propre machine pour pouvoir travailler à partir d’elle. En l’adaptant selon mes besoins et dans le cadre de notre programme de recherche, nous avons fabriqué une autre machine afin d’imprimer en grand format avec de la pâte de céramique. Finalement, la formation que j’ai reçue est proche de la pratique de design que je fais.

A. J.-G : Dans quel type d’université, école ou entreprise tu travailles actuellement et quelle est ta fonction ?

E. H : Je suis resté en recherche, qui est un équivalent d’un doctorat. Je suis donc en première année de DSRD, Diplôme Supérieur de Recherche en Design, et cela peut durer trois ans au sein de l’ESAD d’Orléans. Nous pouvons avoir des subventions pour des projets, des suivis avec des profs et accès aux ateliers, que ce soit celui de céramique, de métal ou les locaux de l’ESAD.

À côté de cela, j’occupe le poste d’enseignant-tuteur, en donnant des cours ouverts à des groupes d’amateurs sur la fabrication numérique à travers l’impression 3D de pâtes.

A. J.-G : D’où proviennent les subventions ? De l’école ?

E. H : Oui, ce sont des aides de la région, ou par exemple, du Ministère de la Culture dans un projet d'urne funéraire imprimée et fraisée avec des matériaux naturels, et où cela nous a permis de nous répartir l’argent au sein des étudiants du PAD OCC pour que le projet ne soit pas à nos frais.

A. J.-G : Dans ta structure de travail, comment se déroule ta conception d’un projet, en passant par la commande du client jusqu’à sa livraison ?

E. H : Est-ce que je développe le travail que je peux faire avec le programme de recherche qui est plutôt collectif ou le travail que je fais de mon côté pour des clients?

A. J. G : Tu peux commencer par la pratique que tu préfères et parler de la deuxième pratique pour dire ce qu’elle apporte à la première ?

E. H : Le projet dans le programme de recherche, le PAD OCC, commence en général avec un appel à projet que nous devons désavantageusement aller chercher auprès du Ministère de la Culture ou d’autres institutions. Ce projet commence donc avec une réflexion collective et une mise en parallèle des savoir-faire qu’on aura acquis dans le programme avec les techniques de fabrication numérique. Nous nous divisons souvent en plusieurs groupes, un pôle qui réfléchit et dessine la forme et pense quelles données nous pourrions obtenir et utiliser pour le projet, d’autres pôles qui vont plutôt s’occuper du graphisme et de la communication autour du projet, ou aussi un autre pôle qui va chercher les partenaires. En l'occurrence je peux parler de l'appel à projet Euro Fabrique organisé par le Ministère de la Culture avec le Grand Palais Éphémère. Nous devions amener une réponse sur notre vision de l’Europe en 2022. Un ensemble d’écoles d’arts de France y a participé et nous avions décidé de travailler autour de l’impression céramique à travers une carte de l’Europe qui avait des formes modulées par le son des différentes langues et des accents des pays.

Nous avons débuté ce projet en dessinant la forme, puis en imaginant la carte et finalement par la réalisation de la scénographie avec le travail de montage en bois. De ce fait, nous nous sommes là encore répartis en plusieurs groupes : un pôle travaillait donc le bois ou encore un autre était sur la céramique.

De mon côté, quand je travaille seul pour des clients, cela va commencer par un entretien où il va me communiquer ses attentes et son objectif final. Dans les environs d’une semaine de délais, je lui envoie un premier devis avec l’estimation de la charge de travail : en fonction du projet cela peut être seulement de l’expertise de fichier sans fabrication, ou alors, au contraire, cela peut passer par toutes les phases, en passant par le dessin à la 3D jusqu’à la fabrication. Suite à ce premier devis, nous débutons le projet : une fois les fichiers générés, j’ai pour habitude d’aller chez l’artiste ou le designer en prenant mes machines pour imprimer au sein de son atelier. Cette commande peut aussi se dérouler à distance, mais c’est un peu plus compliqué car je n’ai pas le regard du client face à la technique, il ne peut donc pas se rendre compte des problèmes que je vais rencontrer au cours de la fabrication. Quand je travaille en autonomie, je dois rebondir seul, alors que si je suis avec le client, nous avançons à deux et la fabrication va correspondre à ces attentes finales.

A. J.-G : Par rapport à tes choix, ce qui t'intéresse davantage, c’est le travail en groupe ou en collectif, mais vis à vis de tes commandes, t'intéresses-tu au travail avec le client pour la réponse à sa demande ou parce que tu as besoin d’un regard extérieur qui nourrit ta créativité ?

E. H : J’aime beaucoup travailler à plusieurs, mais travailler seul ça a beaucoup d'avantage, quand bien même les risques ne sont pas divisés avec l’ensemble du collectif. Le projet est amené plus loin du fait de travailler en groupe car nous nous apportons plein de choses : des personnes vont voir des choses que je ne vois pas forcément. Cela s’applique vraiment quand je travaille avec le client, le travail d’échange que nous menons à deux sur ces techniques artisanales de fabrication est important pour moi : nous avançons plus vite et plus loin.

A. J.-G : C’est important dans la démarche du designer d’être pluri-disciplinaire. Est-ce que tu as un exemple qui t’as marqué sur des choses que tu n’aurais pas vues et sur cette notion du « regard extérieur » ?

E. H : L’année dernière j’ai travaillé avec une artiste à Paris qui voulait réaliser une sculpture en forme revisitée d’un Sphinx. Le souci c’est que sa pièce était vraiment compliquée à réaliser en impression céramique et que celle-ci, selon moi, n’est pas la technique la plus pertinente pour la forme en question qu’elle voulait avoir. Ceci-dit, elle a quand même insisté pour utiliser cette technique-là : on a rencontré beaucoup de problèmes sur la tenue de la matière car les formes en question ne sont normalement pas imprimables. Cela m’a amené à utiliser mes machines autrement qu’à mes habitudes et, sur le choix des matériaux, elle a utilisé une terre que je n’avais jamais utilisée avec une chamotte qui était un peu épaisse : le risque était que cela bouche ma machine et que cela casse les pièces. Finalement, nous avons décidé quand même de le faire et cela a bien marché ; et puis quand nous cherchions des solutions aux problèmes, elle avait un regard extérieur à ces techniques-là qui n'était pas formaté par des années d’expérimentation. Elle trouvait des pistes d’ouvertures que moi je n’aurai pas trouvées seul et qui ont fait que le projet à très bien marché.

A. J.-G : Est-ce que le temps accordé à un projet toutes catégories et secteurs confondus a changé depuis le début de ta carrière ? Comment vis-tu ces changements s’il y en a ?

E. H : Je n’ai pas une grosse carrière, mais je pourrai dire que le changement que j’ai remarqué est le temps d’attente pour la réception des subventions. Souvent quand nous travaillons avec des artistes ou des designers, ils vont chercher et trouver des aides et des subventions à 50% ou 75% sur des projets, et donc le temps que ces associations-là fournissent les aides cela peut prendre un peu de temps. J’ai donc l’impression que depuis un an les aides que fait le Ministère de la Culture arrivent plus rapidement qu’avant.

A. J.-G : Est-ce que tu aurais un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté », évidemment dans ta façon de les considérer comme tels ? En dehors des critères marchands, c'est-à-dire qu’il y ait ou pas satisfaction du commanditaire. Peux-tu aussi décrire ce que, selon toi, sont les critères d’un projet « réussi » et de son « échec » ?

E. H : Le projet qui à mes yeux a été réussi, n’est pas un gros projet, mais c’est celui d’un petit extrudeur open source. J’ai conçu cette machine comme une extension aux imprimantes 3D classiques pour imprimer avec du plastique. C’est un outil qui imprime de la pâte plutôt que du filament et j’ai donc décidé de diffuser cet outil-là en open source sur un site. Une fois diffusée, j’ai vu différents profils d’utilisateur la reprendre, tous avec des objectifs différents : par exemple, des étudiants en master qui imprimaient avec des pâtes à base de chutes de textiles. Pour moi c’est une réussite, car le projet ne s'est pas arrêté là : la raison pour laquelle je l’ai diffusé en libre accès c’est pour que chacun puisse s’en saisir et l’adapter selon ses besoins, produire d’autres versions et produire de la data si besoin. Un autre exemple est celui d’un ingénieur à Paris qui s'appelle TexLab : il a pris ce projet-là pour en faire une version améliorée afin de développer des biomatériaux à base de déchets de la mer, de la terre ou des forêts. Il a vu la petite cartouche que j’ai produite afin de faire des essais d’échantillons de matière avec sa machine. Sa deuxième version représente un enchaînement de diffusion, adaptation rediffusion, et c’est pour cela que mon projet est à mes yeux réussi.

A. J.-G : Est-ce que dans ce projet il y a des choses auxquelles tu ne t’attendais pas et des appropriations qui ont fait avancer ta démarche de recherche ?

E. H : Je dirai que le fait de l’avoir diffusé, et de le voir utiliser par d’autres designers, cela a soulevé des problèmes que je n’avais pas rencontrés avec ma machine, parce qu’ils utilisaient d’autres matières que les miennes. Son libre accès peut me permettre d’améliorer mon projet : dès qu’un designer rencontrait un problème, on en discutait ensemble tout en rebondissant pour perfectionner la machine.

A. J.-G : Est-ce que tu as un exemple de projet « raté » ?

E. H : J’ai essayé de faire un assemblage de pièces imprimées en 3D avec une de mes machines. Elle me permet de produire des pièces jusqu’à 40 cm de haut, alors que mon objectif à ce moment-là était de faire quelque chose d’une plus grande ampleur. Comme je voulais sortir des dimensions que m’imposait ma machine, j’ai voulu produire des modules, des sortes de briques en forme de tubes qui s'entremêlaient entre eux. La forme était un peu trop ambitieuse alors je l’ai imprimée en trois blocs afin de l’assembler après l’impression. Ce projet a été, de bout en bout, bancal car aux premiers assemblages nous avions essayé d’enfourner la pièce qui faisait 1m20 de hauteur et au moment de l'insérer dans le four, la pièce se casse en deux. Cela m’a obligé à refaire les pièces pour de nouveau les réassembler, et finalement nous avons constaté que les parois sont tellement fines, de par l’impression, que l’assemblage ne tenait pas bien. La deuxième tentative a tenu mais les finissages n'étaient pas ceux que j'attendais car les parois qui étaient plus ou moins jointes commençaient à se délaminer, avec des jours entre les jonctions. Je pense recommencer ce défi afin de l’accomplir.

A. J.-G : Tu veux faire des installations en céramique ?

E. H : Oui c’était l’idée, produire quelque chose sans être contraint par l’échelle de la machine et de penser un objet autrement que par les dimensions qu’elle m’imposait. Quand bien-même j’aime l’idée et le processus d’assemblage, je réfléchis maintenant à adapter ma machine plutôt que l’inverse avec des assemblages : une machine qui puisse imprimer une pièce plus grande directement, c’est-à-dire qu’une pièce soit finie une fois que l’imprimante l’a produite. Il faut tout de même que je me perfectionne et que je maîtrise l'étape manuelle de l'assemblage ou encore de l’application de la couleur.

A. J.-G : Que faudrait-il changer, selon toi, dans ta formation et dans l’exercice du métier pour améliorer les projets du point de vue des concepteurs et des utilisateurs?

E. H : Je pense que c’est propre à chaque formation car elles sont diverses selon les écoles supérieures d’art et de design. Dans notre cas, à l’ESAD d’Orléans, ce serait d’ajouter plus d’intéractions avec le monde extérieur par des commandes réelles et non par des projets fictifs. Le piège, selon moi, dans nos projets fictifs c’est que nous n’avions pas d’objectifs lors de l’obtention du diplôme et que certaines parties du projet n’étaient pas réalistes dans la fabrication, notamment dans l’aspect financier des projets. Cela peut beaucoup compter dès lors qu’un projet commence. Connaître aussi les techniques afin de savoir où et comment chercher et trouver de l'argent pour nos projets mais aussi comment chercher et développer un réseau de clients : nous restons dans une bulle méthodologique de la conception à la réalisation d’un projet mais nous nous ne confrontons pas au monde réel.

A. J.-G : De par ton discours, je peux déduire qu’il y a une confrontation entre design fictif et design réel. Est-ce que tu penses que le design doit être seulement applicable ou peut-il être aussi fictif ? Est-ce que tu te diriges strictement vers le design applicable, c'est-à-dire « réel » dans un sens « utile »?

E. H : Je pense que oui. Ce qui se passe c’est que l’ESAD d’Orléans va produire deux types de designers : l’artiste-auteur qui va élaborer un univers personnel dont [la part] d’imagination et de fiction sont importantes en utilisant la technique, et un deuxième profil, plus designer, qui va répondre à des commandes pour des clients, donc des projets applicables. Je me dirige vers un design applicable. Peut-être que l’école n’a pas choisi une position assez définie entre le design fictif et le design applicable. Cela produit un malentendu pour les personnes qui veulent construire un profil car l’école est à cheval entre les deux.

A. J.-G : Donc le design artistique, associé à ce fictif, dans le sens où il ne peut pas être utile. Selon toi, est-ce que le numérique est seulement applicable ou peut-il s’amuser à faire des choses absurdes ou avec une marge d'erreurs ? Est-ce que tu as des projets où il y a une marge d’erreur ou tu aurais laissé la machine « libre » ?

E. H : Je reviens à la question d’avant : je pense que c’est bien d’avoir les deux types de profils, car si nous veut réaliser un projet de design appliqué, nous avons toujours besoin de passer par une phase d’inspiration, de création et donc nous ne restons pas cloisonnés par les aspects techniques de la réalisation de la forme. Je pense que c’est important d’être au courant des deux manières de procéder et de faire des allers-retours entre le design fictif et applicable.

Je pense que, dans le numérique, cela consiste beaucoup à faire du design expérimental où il n’y a pas forcément d’application immédiate. Dans ma pratique, avant de pouvoir offrir des techniques et donc en retirer une expertise aux clients, je suis passé par des phases d’explorations libres et spontanées où il n’y avait pas de réel but de projet. Par exemple, je pense à la réalisation où je scannais des formes que je trouvais dans la nature : les souches d’arbres ou des rochers qui me disaient quoi prendre. Il n’y avait pas de cloisonnement envers une vision prédéfinie par la technique pour produire des formes. À ce moment-là, je laissais ma machine produire la forme telle qu'elle avait été scannée, tout en créant des effondrements de la matière qui n’était pas prévue pour l’impression : produire des accidents avec ma machine afin de fabriquer une pièce à travers l'incontrôlable. Cette phase expérimentale afin de pouvoir établir une sorte d’inventaire de possibilité que je peux offrir aux clients. J’utilise le design fictif comme enrichissement de mes capacités afin de les produire et les appliquer sur des projets applicables.

A. J.-G : C’est intéressant car nous retrouvons l’ambivalence entre art et industrie, et je pense que le design se promène entre ces deux notions. L’école dans laquelle tu as fait ta formation descend à mon sens d’une lignée d’enseignement du design à travers la philosophie du Bauhaus. Cela se ressent beaucoup dans les différents espaces qui sont des ateliers où l’on vous voit pratiquer et chercher à travers la matière : il y a décloisonnements d’espaces par pratiques différentes afin de se les réapproprier et d’enrichir son travail. Mais le numérique, comment est-ce que tu le conçois au quotidien ? Quelles sont les sources numériques qui t’inspirent ?

E. H : Les réseaux sociaux sont une source d’inspiration pour moi car cela m’a permis de me connecter à des gens qui étaient déjà dans des pratiques similaires avec les miennes. Nos échanges portent sur les avancées de nos projets respectifs, aborder des problèmes comme des solutions, pour aussi développer et ouvrir nos regards. Je peux avoir des relations avec des personnes qui sont aux États-Unis comme au Liban, et je constate que c’est très enrichissant de voir tout ce qu’il se passe dans le monde quand finalement je suis dans une petite ville en France. Cela permet de s’entraider entre nous mais aussi de ne pas refaire la même chose.

A. J.-G : En effet, cette hybridation mondiale grâce au numérique est intéressante. Mais autrement, est-ce que tu as déjà travaillé avec des chercheurs-théoriciens ?

E. H : Non et dans notre programme de recherche je ne pense pas non plus.

A. J.-G : La matière de la recherche théorique passe par les textes et les auteurs que nous étudions alors, pour faire un parallèle avec le numérique, je dirai que ce dernier prend une place hybride entre recherche théorique et pratique. Qu’est-ce que tu peux dire sur ça ? Je fais référence au workshop sur l’artisanat numérique, que nous avons réalisé entre l’université de la Sorbonne avec les étudiants du mastr 2 « Design, Arts et Médias », et votre école l’ESAD. Notre professeure, théoricienne et designer de formation, nous demandait plus de DATA dans notre projet. Est-ce que tu travailles avec les données ?

E. H : C’est une pratique que j’ai pu avoir il y a quelques années, mais maintenant je ne suis plus du tout axé dedans. J’utilise de la donnée pour produire des formes car c’est du code paramétrique, mais c'est de la donnée que je module personnellement en fonction de l’esthétique que cela va produire. En général, ce ne sont pas des données réelles que je vais piocher, comme une démographie d’habitants. Je pourrais le faire mais j’ai du mal avec le fait que ce soit les données qui décident de la forme à la place du designer. Personnellement, je me suis situé comme la personne qui inventait des données pour une forme désirée. Travailler à partir des DATA ce n’est pas ma pratique à moi.

A. J.-G : Emmanuel, je te remercie pour cet entretien. Maintenant, je veux bien que tu me fasses découvrir le projet sur lequel tu travailles actuellement…


  1. Je suis étudiante en master 2 Design, Arts, Médias, à Paris 1 Panthon-Sorbonne, en 2022-2023. Un film a été réalisé par mes soins à l'occasion de cet entretien. Il peut être visionné sur https://youtu.be/8lxT--A_QOQ