Entretien avec Diane Collongues
Marie Goussot

L’entretien a eu lieu le 15 novembre 2022 dans le 15e arrondissement de Paris, dans l’atelier de Diane Collongues qui est licière. Il a été réalisé dans le cadre du séminaire de recherche sur Rosa Hartmut1 dirigé par Catherine Chomarat-Ruiz à la Sorbonne pour le Master 2 Design, Arts et Médias.

Marie Goussot2 : Bonjour Diane Collongues. Je vous remercie de m'accorder de votre temps dans le cadre de notre enquête sur le design et ses pratiques. Pourriez-vous tout d'abord nous dire quelques mots sur la formation en design que vous avez reçue ?

Diane Collongues : Oui, alors j’ai commencé par du design « pur », avec un BTS design de mode et textile à l’ENSAAMA3 et c’est dans cette école que j’ai découvert les métiers d’arts. Je me suis donc ensuite spécialisée. J’ai intégré la formation au Mobilier National en tapisserie de haute lisse au sein de la Manufacture des Gobelins. Elle se déroule en quatre ans avec un CAP4 et un BMA5.

M.G : D’accord, vous avez changé de voie en cours de route. Y a-t-il un décalage entre votre formation et le métier tel que vous l'exercez ? Des peurs liées au fait d’exercer ce métier ?

D.C : Oui, c’est assez particulier la formation dans laquelle je suis, parce que je suis intégrée au Mobilier National qui forme ses propres artisans pour ensuite qu’ils intègrent leurs propres ateliers professionnels. Mais c’est quelque chose que je ne veux pas du tout faire et c’est pour cela que j’ai lancé ma propre activité. Ce que je vais faire diffère de ce qui peut être fait dans les ateliers du Mobilier National : en effet l’expérimentation y est moins présente. C’est aussi pour cela que je m’en détache.

M.G : Finalement vous avez créé votre propre entreprise afin d’être plus libre dans votre pratique ?

D.G : Oui exactement, la tapisserie est un savoir-faire créatif et enrichissant et cette formule des manufactures de prendre un artiste et de lui faire tisser une œuvre, je trouve qu’il y a une déconnexion entre le monde de l’art et la passion que l’on peut avoir pour la création. Et donc travailler à mon compte est ce qui me manquait.

M.G : Et donc, dans quel type de structure travaillez-vous actuellement ?

D.C : J’ai ma propre entreprise, Mérigot Sanzay : j’ai le statut d’auto-entrepreneur et mon atelier se trouve dans un ancien couvent qui est géré par Plateau Urbains, une association qui gère des lieux pour des occupations temporaires. Donc là j’ai encore un an d’atelier et après il faudra que je trouve un autre endroit.

M.G : Est-ce que vous avez des salariés ?

D.C : Oui, j’ai une personne qui m’aide ponctuellement, en ce moment je prépare un salon donc j’ai besoin de main d’œuvre. Mais sinon je suis seule.

M.G : Pourquoi avoir choisi le nom Mérigot Sanzay pour votre entreprise ?

D.C : C’est les noms de jeune fille de mes grand-mères. Ce sont-elles qui m’ont initiée aux travaux manuels (tricot, broderie etc.) et c’était une belle façon de leurs rendre hommage. Puis je ne voulais pas garder mon propre nom, car j’aimerais un jour pouvoir engager des personnes, et donc ça ne serait plus moi qui travaille seule, mais un travail pour l’entité Mérigot Sanzay.

M.G : Dans votre structure de travail, comment se déroule la conception d'un projet, depuis la commande du client jusqu'à sa livraison ?

D.C : Pour l’instant il n’y a pas de commande car je suis au début de ma production. Mais, en tout cas en tapisserie, quand je vais créer une tapisserie, je travaille dans un premier temps sur un carton, c’est le modèle de base sur lequel on va se référer. Et donc je crée ce carton en fonction des techniques que j’aime, par exemple avec la technique de la demi duite, qui donne un aspect un peu piqué, un effet de « points » qui permet le passage de couleurs. Je fais des cartons à l’aspect flous. C’est comme ça que je commence mon travail, par le carton. Ensuite il faut choisir les couleurs avec lesquelles on veut travailler. Pour le choix des matières premières, j’essaye de me fournir au maximum en France. Les laines proviennent d’Aveyron. Après le tissage commence, c’est la partie la plus longue, c’est même extrêmement long. Quand la pièce est finie, pour les plus petits formats, je collabore parfois avec un menuisier pour monter mes tapisseries sur des structures en bois ou avec un artisan encadreur pour encadrer la tapisserie et avoir un bel objet fini.

Pour les grandes tapisseries, elles sont posées sur le mur et ne bougent plus.

M.G : La question sous-entendu est le temps. Combien de temps mettez-vous pour réaliser une tapisserie, du carton jusqu’à la finalisation avec l’artisan menuisier ou encadreur ?

D.C : Cela dépend de la taille de la tapisserie, je dirais environ un mois, un mois et demi, mais en fait on tisse plusieurs tapisseries à la suite. Pour les grands formats, je vais en avoir une seule sur mon métier et je peux y passer du temps. Pour la plus grande, j’ai mis cinq mois.

M.G : Est-ce que vous pouvez travailler sur plusieurs tapisseries en même temps ?

D.C : Oui parce que j’ai plusieurs métiers haute lisse (disposition verticale de la lisse du métier à tapisser). Et donc cette configuration est pratique puisque lorsque je me lasse d’un projet, ou je suis bloquée, et bien je peux faire autre chose sur un autre métier.

M.G : Auriez-vous un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté » à vos yeux, en dehors des critères marchands, c'est-à-dire qu'ils aient (ou pas) entraîné la satisfaction du commanditaire ?

D.C : J’ai un exemple qui remplit les deux. C’était pour un concours, il fallait produire uniquement du grand format, je me suis donc lancée sur une grande tapisserie mais je n’ai pas été retenue pour ce concours. J’ai donné beaucoup de mon temps et la déception était présente. Mais à la suite de cela, j’ai proposé cette tapisserie pour des concours ou des Labels : et c’est comme ça que j’ai pu démarrer mon activité plus en profondeur. J’ai gagné le label « Fabriqué à Paris » avec un prix, et ce projet a été présenté à l’Hôtel de Ville de Paris. Et récemment j’ai gagné le prix « Mathias » de l’association Matières Libres, j’ai remporté le coup de cœur du jury avec cette tapisserie.

M.G : Donc finalement, c’est sur ce raté que vous avez pu débloquer certaines choses pour votre carrière?

D.C : Oui lorsque j’ai été refusée, je me suis remise en question, en me disant est-ce que je n’ai pas vu trop grand ? Et puis assez rapidement on m’a dit que ça valait la peine de continuer et puis j’ai eu des opportunités grâce à ce début d’échec qui est devenu une réussite.

M.G : Que faudrait-il changer dans la formation et/ou dans l'exercice du métier afin de l’améliorer ?

D.C : Cela serait vraiment par rapport à la formation qui n’est pas adaptée à l’entreprenariat. Nous n’y apprenons pas les notions de relations client, de s’adapter à une demande tout en restant dans notre univers créatif. Après ce sont aussi des choses qui s’apprennent sur le moment, je mets du temps à y parvenir. J’ai commencé à prospecter auprès des galeries pour les grands formats, donc ce sont des choses qui se développent.

M.G : Est-ce que vous avez mis de côté votre formation en designer textile ou maintenant, vous vous considérer comme une artisane ?

D.C : Oui, maintenant, je préfère faire de la pièce unique. Je fais toujours du tissage avec différent cadres mais pour faire des pièces uniques, pas dans le cadre du design. Je me retrouve entre ma passion et l’élaboration de mes projets.

M.G : Un dernier mot pour la fin ?

D.C : Oui si vous voulez voir mon travail, vous pouvez aller sur mon Instagram6.


  1. Rosa Hartmut est un sociologue et philosophe allemand dont les analyses renvoient à l’École de Francfort, fondée en 1923. 

  2. Marie Goussot est étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias », à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023. 

  3. ENSAMAA ou Olivier de Serres : École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art, à Paris. 

  4. CAP : Certificat d'aptitude professionnelle. 

  5. BMA : Diplôme national des métiers d’art. 

  6. Par souci d’objectivité, le lien ne peut être reproduit ici. Mais il peut être obtenu en contactant l’auteur de l’entretien.