Entretien avec Christina Touma
Jihane Nasrallah

L’entretien a été réalisé le 22 octobre 2022. Christina Touma, designer de produits au Liban, a accepté de répondre à nos questions dans le cadre de notre enquête sur le design et ses pratiques. Cet entretien est traduit de l’arabe.

Jihane Nasrallah1: Bonjour Christina Touma. Je vous remercie de m’accorder de votre temps dans le cadre de notre enquête sur le design et ses pratiques. Pourriez-vous me dire quelques mots sur la formation en design que vous avez reçue ? Y a-t-il un décalage entre votre formation et le métier de designer que vous voulez exercer ?

Christina Touma : J’ai étudié le design d’intérieur et le fashion design, le stylisme à l'université Américaine des Sciences et technologies, à Zahlé, au Liban. Après avoir été diplômée en 2018, j'ai ouvert mon propre atelier — « Cee Design »— où je crée des objets décoratifs et des cadeaux personnalisés, et j’enseigne l’art aux enfants. Les techniques, les cours théoriques et pratiques de la conception et les logiciels que j'ai appris pendant mes années de formation, j'ai été en mesure de les appliquer aujourd'hui dans le design des objets, et j'ai été capable de conseiller mes clients, et de les aider à choisir les couleurs, les matériaux et les tailles adaptées à leurs salles. Par ailleurs, en ce qui concerne la mode, je vais bientôt lancer un nouveau projet qui consiste à peindre sur des vêtements, tels que des sacs et des chapeaux.

J. N : Dans quel type de structure (université, école, entreprise…) travaillez-vous actuellement ? Quelle est votre fonction ?

C.T : Il s'agit d'un atelier personnel, que j'ai ouvert en 2018, en coopération avec une imprimante qui dispose des machines à graver et découper au laser. Je conçois les objets et, après que le responsable de l’imprimerie découpe les formes au moyen de la machine, j'applique la teinte et le collage dans mon atelier.

J. N : Dans votre structure de travail, comment se déroule la conception d’un projet, depuis la commande du client jusqu’à sa livraison ? 

C.T : Évidemment, tout dépend de l'objet. Mais normalement, une pièce prend une journée à une semaine tout au plus. Pour les pièces qui finissent en un jour, ce sont des cadeaux à la hâte, et pour ces cas, j'ai déjà préparé les dossiers de dessin à découper. Ainsi, les choix sont limités, mais la commande se termine en moins de 24 heures. Et pour les pièces qui prennent plus d'un jour, en temps normal, le dessin de l’objet prend de 10 minutes à 3 heures, tout dépend des détails qui composent cet objet. La découpe dure 50 min à 1h30, s'il y a de l'électricité, ensuite j'applique la peinture et/ou le collage, en fonction de chaque pièce.  Le temps de séchage de la peinture et de la colle est d'un jour. J'utilise le bois de MDF pour que la peinture se colle bien et c’est plus rapide.

J. N : Le temps accordé à un projet a-t-il changé depuis le début de votre carrière ? 

C. T : Aujourd'hui, les commandes sont plus nombreuses qu'auparavant, notamment après la situation financière au Liban en 2020. Les gens ont commencé à commander davantage de cadeaux personnalisés puisqu'ils sont moins coûteux, vu qu’ils sont fabriqués localement. De plus, l'idée de personnaliser les cadeaux est devenue plus reconnue et appréciée de nos jours. En outre, après la COVID-19, les gens se sont familiarisés avec l’idée de commander en ligne, c’est une solution rapide pour eux. 

J. N : Comment vivez-vous ces changements ?

C. T : Comme je l’ai déjà mentionné, je prépare déjà des fichiers pour accélérer la commande et satisfaire les besoins de mes clients plus rapidement. En outre, j’ai affranchi les matériaux qui prennent plus de temps, pour cela j’utilise le bois au lieu du plexi. J’ai commencé à poursuivre une conception moins complexe et simplifiée qui ne prend pas trop de temps pendant la fabrication. J’ai réduit les choix parce que le fait de choisir parmi des options diversifiées prennent plus de temps et sèment la confusion chez le client.

J. N : Auriez-vous un exemple de projet « réussi » et un exemple de projet « raté » à vos yeux, en dehors des critères marchands, c’est-à-dire qu’ils aient (ou pas) entraîné la satisfaction du commanditaire ?

C.T : Si un objet est vendu davantage que l'autre, cela me laisse conclure que c’est plus spécial, qu’il est d’une bonne qualité. Et si une idée d'objet a été copiée après moi par d’autres designers, je m'aperçois que l'objet a été un succès. En revanche, si un objet n'a pas été demandé, il me donne une impression d’échec : j'avais des exemples d’objets cadeaux exposés sur ma page Instagram, ils n'étaient demandés qu'une fois et peut-être en raison de leur prix. La plupart des projets ou des articles vendus sont des décorations de Noël, tels que les boules en bois gravées avec les prénoms des membres de la famille, ou les sapins en bois avec des motifs de Noël. Ce sont les plus réussis.

J. N : Quels sont, selon vous, les critères de réussite ou d’échec d’un projet ?

C. T : À mon avis, le projet à succès est un produit qui est créatif et spécial, de bonne qualité, bon marché, rapide à réaliser et peu coûteux.

J. N : Que faudrait-il changer dans la formation et/ou dans l’exercice du métier pour améliorer les projets du point de vue des concepteurs et des utilisateurs ? 

C. T : Premièrement, étant donné que nous sommes dans l'univers des réseaux sociaux, et comme nos projets sont exposés à l'ensemble du public, les créateurs doivent respecter les droits d'auteur, parce que je connais des personnes qui n'ont rien à voir avec le design et qui essaient de plagier des idées de projet. En outre, c'est un emploi saisonnier, qui dépend de la période des fêtes et des anniversaires, et cela m'a forcée à chercher un autre emploi, qui est l'enseignement. Alors, je travaille de 7 heures du matin à 20 heures du soir, toute la semaine, de ce fait je me suis rendue compte que je n’ai pas de vie sociale. Donc, J'espère que cette profession sera davantage appréciée sur le marché libanais et conservera les droits des auteurs (designers) qui leur permettent d'être mieux rémunérés.
Deuxièmement, au niveau personnel, je souhaite développer davantage mon atelier en y intégrant une machine de découpe au laser qui m’aidera à réaliser les projets plus rapidement.
Quant aux clients, ils choisissent leurs commandes selon leur choix, car c’est une création personnalisée, et il y a une option de commande rapide, donc je n'ai pas encore rencontré des consommateurs qui se plaignent énormément.

J. N : Avant de terminer notre discussion, j’aimerai revenir sur la question du temps, vous avez mentionné avant qu’il y ait une coupure d'électricité, comment ça affecte vos projets ?

C.T : La plupart du temps, je gère les plannings de découplage en fonction du programme électrique, ce qui me limite parfois et me force à reporter les étapes. À cet égard, j’ai mentionné que la commande prend jusqu'à une semaine. Mais comme tout le monde, je suis désormais accoutumée à ce système de travail.


  1. Étudiante en Master 2 « Design, Arts, Médias » à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2022-2023.