Entretien avec Jean-Claude Paillasson
Yann Aucompte

Entretien avec Jean-Claude Paillasson réalisé le mardi 13/02/24

Les questions sont déterminées à l’avance et envoyées par mail. L’entretien est transcrit par le chercheur mais réécrit par la personne entretenue.

Yann Aucompte1 — Quelles formes sont produites et leur référentialité de sens ? Que dire des tendances formelles et du style. Que faire des formes historiques ? Faut-il se débarrasser du sens ? Amener une connaissance encyclopédique des formes ? Comment savoir ce qu’on manipule ?

Jean-Claude Paillasson2 — La question de la forme est inévitablement liée à la question du sens. Pour le graphisme et sa pédagogie, il est important d’en avoir conscience. Avant de mobiliser des formes, et avant de les agencer, pour produire du sens il faut s’interroger sur ce que ces formes produisent comme sens isolément. Je pense que c’est quelque chose que j’essaye de faire avec les étudiant*es, j’essaye d’interroger les formes. Cela peut être une forme graphique ou une forme plus générale ou plus culturelle en lien avec le style. Pour donner un exemple ici : cette année je travaille avec des troisièmes années et j’ai lancé un sujet “tentative d’épuisement d’un signe : la flèche”. Je leur ai demandé de travailler sur des organisations graphiques avec la flèche : de regarder des flèches, d’analyser des flèches et d’écrire des textes sur ce qu’est la flèche, sur son origine. Ce sont des textes de natures très différentes au final : ils peuvent faire des fictions, des tentatives de définition, etc. La flèche est un élément graphique de base, et premier. Mais cela peut être aussi à partir de notions comme la trame. Avec la trame, au-delà du fait que ce soit une technique de reproduction, c’est avant tout sa nature physique et ce qu’elle produit sur l’image : ce sont des points mais c’est aussi du vide. Mine de rien, tout cela produit une forme de sens. Ce n’est pas un sens dont on peut dire exactement ce qu’il est : ce n’est pas un sens direct, mais il faut en prendre compte. Les références que j’aime utiliser sont aussi des références artistiques, des gens comme Peter Halley. À partir des formes élémentaires (c’est une référence à l’abstraction géométrique chez lui), que sont celles de la cellule, celle du cadre — il va bâtir toute une œuvre. On se rend compte lorsque l’on se promène, partout, peut-être sauf à la campagne, en tout cas dans les villes, ces formes apparaissent tout le temps. La question du graphisme est nourrie par toutes les significations préalables. Je pense que c’est important lorsque l’on organise n’importe quelle composition (pour parler très généralement de nos activités) de mesurer cela. C’est une chose importante pour moi. Si l’on fait une extension au-delà de la forme je pense que cela produit un questionnement général. Cela pose la question générale du style : au sens où pour moi il semble que le style ce soient des moments particuliers d’organisation des formes qui correspondent à des discours et à des idéologies. On peut dire que même les styles décoratifs correspondent à des idéologies. C’est toujours important de connaître l’arrière-fond qui organise cela pour pouvoir travailler avec. Dans le cadre d’écoles qui sont des lieux de pratiques, où l’on va répondre à des commandes, où l’on organise des messages bien sûr ; mais où en fait on va utiliser tout un tas d’outils dont il faut maîtriser la puissance du sens. L’utiliser, cela ne veut pas dire être inhibé, cela veut dire “savoir jouer avec”. Les sens s’accumulent. Il y a des formes qui au cours du temps acquièrent des sens différents. Lorsque l’on utilise un signe, on va utiliser toutes les couches en même temps. C’est cette polysémie qui est intéressante à mobiliser. En tout cas c’est important lorsque l’on travaille beaucoup avec ces formes, en tant que graphistes ou en tant qu’enseignant*es avec des étudiant*es. Nous passons notre temps à regarder des formes qui ont déjà existées : années 1970, 90, etc. Il est possible de les utiliser de manière très gratuite parce que le style nous plaît, c’est souvent ce que l’on fait, le “côté sympathique” de l’esthétique c’est bien. Et en même temps, peut-être que les formes molles des années 1970, il faut les interroger : et pas seulement par rapport au plaisir qu’il y a à s’asseoir dans de la matière plastique, mais aussi par ce qu’elles veulent dire dans l’amollissement de certaines formes acérées qui pouvaient exister auparavant. Cela dit comment la société se lisse ou se police à certains moments. Même si l’on fait des citations ou si l’on fait des références, jusqu’au pillage, parce que cette idée aussi est valable, on est obligé d’en tenir compte car on ne fait rien de manière neutre. L’exemple le plus évident c’est le graphisme suisse, mais tout le monde le sait maintenant, on a bien compris que ces formes n’étaient absolument pas neutres, qu’il y avait des choix derrière. Même les formes les plus anodines sont porteuses d’idéologies.

Il me semble que derrière cela il y a des enjeux : pourquoi le graphiste va-t-il rendre compte de l’ordre ? Pourquoi parfois c’est du désordre qu’il fera état ? Éventuellement jusqu’à frôler le chaos : dans les années 1990, on déstructure la page et ce n’est pas seulement un jeu esthétique, on le sait bien. Alors qu’on pourrait avoir une approche complètement intuitive et libre du graphisme, c’est quand même bien de repérer ce qui correspond : ces mises en ordre et ses mises en désordre. Je parle d’ordre parce que c’est vraiment inhérent à la question du graphisme : le graphiste, c’est un policier d’une certaine façon : un policier des formes mettant de l’ordre dans tout cela. Parfois il met le désordre : il est là pour gérer des équilibres et des déséquilibres. Bien entendu le fond de tout ça n’est pas qu’esthétique. C’est aussi parce qu’il y a quelque chose d’important sur ce point qu’est la question de l’inscription. Il me semble que ce qui fait le lien entre toutes les formes de graphisme c’est l’inscription : qui réside dans son étymologie. S'il y a inscription, il y a transmission d’un message. Ces inscriptions n’existent pas en dehors de cette transmission de messages. Dans le rapport que l’on a entre enseignant*es et étudiant*es, le crucial c’est faire prendre conscience de cela. Le graphisme n’est pas du brillo, ou savoir bien faire tel ou tel objet graphique. Fondamentalement c’est de se dire : c’est quoi la discipline que je veux aborder ! Manifestement, c’est une discipline d’inscription et de transmission. La discipline du graphisme, elle concerne les graphistes, mais pas seulement : le graphisme concerne tout le monde et donc à un moment donné, tout le monde est graphiste. Ce qui devient important c’est de se demander comment un enfant va faire un dessin et transmettre quelque chose avec cela, comment quelqu’un va rendre les choses un peu plus abstraites un moment donné et les organiser pour transmettre des données avec du texte. La question de la signification est importante.

On peut interroger les objets que l’on utilise, puis en allant chercher du côté de l’histoire en repérant les grandes structurations de forme, et en regardant aussi du côté de l’histoire des techniques. Il est intéressant de se dire qu’il n’y a pas de transformations de formes “comme ça”, qu’il n’y a rien de naturel là-dedans. Il n’y a pas d’inscriptions s'il n’y a pas d’outils de traçage. L’intérêt de s’attarder sur l’outil de traçage est vaste : aujourd’hui cela peut aller jusqu’à des logiciels de génération d’intelligence artificielle. Les premiers tracés fait à la main relèvent d’une technique, ils relèvent d’un geste technique. Petit à petit, cela se complique avec la mécanisation des choses. Il faut avoir conscience que ce geste de traçage au fil du temps est transformé par les différentes techniques, qui se superposent les unes aux autres. Il est important que les gens qui produisent du graphisme de manière organisée dans un métier aient conscience de ces formes, de l’idéologie de la transformation des formes par la technique, et de la compréhension des techniques. En vérité, ce que je décris n’est pas totalement vrai, on va apprendre au fur et à mesure tout cela pour devenir le plus conscient de ce que l’on fait. Pour faire du graphisme, certes on peut ignorer tout cela, mais puisqu’existent des écoles, au moins essayons de faire comprendre qu’il y a une histoire et une théorie derrière cela. La connaissance des formes, fait que l’histoire est une grande armoire dans laquelle on va pouvoir piocher librement — on va pouvoir faire ce que l’on veut, empiler les formes comme on veut. Ce qui est bien c’est d’avoir accès à tout cela. On peut se les approprier et l’appropriation de ces formes est importante. Je pense que la copie est importante, en lecteur de Borges de longue date. (Je ne sais plus dans quel entretien Borges faisait l’éloge de la copie). C’est quelque chose que j’ai repris à mon compte. Je pense aussi que c’est bien de le transmettre ; souvent il y a une espèce de respect de formes des autres comme si cela relevait d’une propriété privée. Alors qu’en fait non, il s’agit de savoir intellectuel, on a donc le droit de s’en servir pour aller plus loin. Je crois beaucoup dans l’importance de connaître beaucoup de formes et de se les réapproprier… intelligemment bien sûr. Il ne s’agit pas juste de prendre quelque chose qui brille et qui est joli. Si j’ai envie de faire du graphisme suisse, j’ai le droit; de même si j’ai envie de faire du constructivisme, en me posant la question de pourquoi je fais du constructivisme cent ans après. Ce sont des choses qui me semblent importantes à transmettre.

YA — Quelle est la place de la théorie dans la pratique ? Quelle est ta position sur ce point ?

J-CP — Pour moi c’est très important. Cela ne doit pas se faire l’un après l’autre. Il n’y a pas de pratique sans théorie et il n’y a pas de théorie sans pratique. Sinon, ce serait un manque sans doute. Ce sont des allers retours permanents. Après, il faut définir ce qu’est la théorie. Là on a parlé de l’histoire des formes et de la signification de celles-ci, cela en fait partie bien sûr. Pour moi ce serait d’une part, la question de l’histoire. Elle est souvent traitée de manière chronologique, mais cela ne suffit pas, cet empilement chronologique. Il y a des enjeux dans le graphisme, dans les formes et dans les concepts qu’il faut arriver à identifier. Cela fait partie — me semble-t-il — de la théorie. Il y a d’autres approches comme les conditions de production et de diffusion. L’économie du graphisme comme l’économie de toute chose est importante. Je ne vais pas prioriser l’un ou l’autre, je pense que c’est une somme de discipline. Pour un graphiste que ce soit dans son activité quotidienne, ou dans l’expérimentation, dans la commande ou pour un enseignement auprès d’étudiant*es qui sont en phase d’évolution autour de cela, c’est vraiment important d’avoir ce travail en parallèle. Je propose aux étudiant*es en parallèle de leur projet graphique un projet d’écriture pour affiner leurs idées sur ce qu’ils sont en train de faire. Ce n’est pas une description des processus, même si cela peut être nécessaire aussi. Décrire le processus, les étudiant*es le font naturellement. Ce sont plutôt des textes où je leur demande d’identifier dans le travail ce qui serait conceptuel. À elleux d’écrire sur ce qui leur apparaît être des enjeux dans ce cadre-là. Parfois iels identifient très bien les enjeux, c’est moi qui leur propose dans le sujet. Bien entendu, je suis souvent surpris par l’approche des étudiant*es, je vois bien qu’il y a des approches qui apparaissent. Quand iels apportent des productions plus personnelles, c’est important d'arriver à identifier cela. Cela passe par des questions d’étymologies, ou de définitions dans une approche un peu fondamentale de ce qu’iels sont en train de faire. Tout à l’heure j’ai donné l’exemple d’un sujet sur la flèche en disant que certains étudiant*es écrivaient des textes de fictions, de définition ou de réflexion sur le sens. Sur la flèche c’étaient des textes précisément sur la flèche. Ce n’étaient pas des textes qui expliquaient la signalétique. Forcément iels ont pu l’aborder un peu, mais fondamentalement ils parlaient de cette forme particulière voire de l’évolution d’un objet ou d’un signe.

Cette approche théorique doit être riche de plusieurs niveaux. La question anthropologique est fondamentale dans nos écoles, alors il est important qu’il y ait une approche philosophique ou anthropologique. C’est difficile, certes, mais au même titre que l’approche sociologique c’est important. La théorie peut se nourrir de tout cela : la sémiologie aussi par exemple. C’est un ensemble de disciplines qui peuvent être convoquées pour notre discipline. Même si je sais bien que la pratique n’est pas aussi cérébrale que cela : en vérité à certains égards elle l’est, mais c’est qu’il y a une part intuitive, gestuelle qui se met en place aussi. L’idée est de se dire “qu’est-ce que je suis en train de faire émerger ?”. Si quand on est en train de faire du graphisme on est en train de lire un livre de Deleuze je pense que le graphisme qu’on fait va s’orienter autrement. Pour prendre d’autres papes : si on lit Bourdieu, le graphisme qu’on fait va s’orienter autrement. Tout le monde ne le fait pas, parce que c’est dur de le faire. Dans les écoles, ce n’est pas si évident. Les gens ont souvent lâché prise sur la question de la théorie il faut alors les ramener gentiment et intuitivement à une approche un peu plus conceptuelle,une approche de la pensée dans leur travail. Parfois c’est contradictoire avec la question de la commande. La commande c’est un moment où l’on doit être déjà super bien outillé ou armé pour répondre. Sinon on ne se pose pas de questions, on est déjà satisfait de proposer une réponse. On ne peut se contenter seulement d’apprentissages de réponses à la commande. Il y a une nécessité de temps long pour pouvoir interroger les formes graphiques que l’on produit. Ce sont des questions de temporalité. Pour arriver à conceptualiser le graphisme il faut passer du temps. Or, lorsque l’on arrive à la commande, il y a une temporalité souvent plus courte. On doit avoir des résultats d’une certaine façon. Ainsi ce qui est bien c’est l’expérimentation. Le fait de travailler dans une école qui est d’abord une école d’art, même si c’est une école d’art et design, implique que la notion artistique est vraiment première. Peut-être que dans le travail artistique on accepte plus d’un*e étudiant*e qui désire être artiste, faire de la création, de passer plus de temps à évoluer ? Sinon, il y a des injonctions, d’être plus rapide, plus efficace et professionnel. Il me semble que pour développer la théorie il faut avoir du temps ou un temps plus long.

C’est la façon de formuler les sujets ou les projets qui peut orienter la question théorique. Si on demande de faire un objet qui est très identifié, peut-être que la question théorique va sauter. On aura déjà des modèles en tête de ce que l’on voudra faire. Si l’on veut interroger les modèles de manière un peu plus théorique, c’est aussi dans les sujets que l’on donne que l’on peut demander à interroger ces choses. Un des sujets avec lequel je travaille cette année c’est “la bande-dessinée comme système graphique”. A priori, deux mondes qui semblent disjoints. Ce qui m’intéressait c’était de faire travailler les graphistes sur la narration et la séquentialité, donc sur la narration et les séquences qui existent peu en graphisme. À l’épreuve d’un système qui est celui de la bande-dessinée, définissable par l’idée que c’est un récit fait avec un certain nombre de cases, ou pas de cases d’ailleurs, avec du texte ou sans texte, organisé dans une page ou en strip. Il y a bien une idée de temporalité plus ou moins narrative. Ce n’est pas quelque chose qui est a priori lié à l’idée du graphisme et du design graphique. Comment va-t-on faire entrer les deux ensemble ? Pour arriver à faire cette alliance, il faut se poser la question des définitions de ces deux modèles. Il existe des bande-dessinées abstraites et graphiques mais ce n’est pas le modèle mainstream. Souvent dans les questions posées, les étudiants*es veulent tout de suite savoir ce qu’il faut faire, je réponds : “Alors, moi je ne sais pas”. Je leur pose des questions pour que ce soit elle*ux qui amènent des réponses. J’espère que là aussi en écrivant et définissant les objets iels vont arriver à interroger leur discipline et les formes qu’iels agencent ainsi que les modes d’organisations de ces formes.

Je fais aussi partie d’un laboratoire de recherche3 , si tant est que l’on peut le définir comme cela. Nous sommes des météorites en école d’art car nous faisons de la recherche sans vraiment avoir le statut de chercheur. En tout cas on essaye d’en faire. Depuis l’an dernier nous avons trouvé une forme de concept proposé aux étudiant*es qui est l’ultra-graphisme, au sens de ce que serait un graphisme au-delà du graphisme. Pour voir ce que cela peut produire, quelles sont les formes d’ultra graphisme. Ce n’est pas un concept que l’on maîtrise vraiment, nous ne l’avons pas énoncé ou défini si précisément que cela. Si ce n’est que l’on avait envie que ce soit quelque chose qui sorte du cadre. De passer à un autre statut. Il y a des retours sur ce que pourrait être ce concept et permettre de le définir alors qu’il n’existe pas encore. Partir d’un mot qui nous intéressait, parce que cela semblait fertile et que cela pouvait ouvrir des portes en demandant aux personnes avec qui l’on travaille d’imaginer ce que ce serait. Ce travail fait suite à un séminaire appelé “graphisme et image” puis “graphisme et fiction” sur plusieurs années où l’on a essayé à partir de l’idée de fiction, de construire du possible avec du graphisme. L’idée est aussi de se dire que l’on est obligé de fabriquer plastiquement des choses un peu conceptuelles et en même temps d’essayer de les énoncer en les nommant, pour que la théorie rejoigne la pratique.

Je pense qu’il est important d’avoir des enseignant*es de l’histoire du graphisme dans les écoles d’arts, ce qui existe dans certaines écoles mais pas dans toutes. C’est quand même une nécessité. Si en plus il y a des philosophes et des anthropologues qui ont envie de parler de graphisme, c’est une ouverture qui peut être vraiment riche.

YA —Peut-on aborder maintenant la question des étudiants — tu as un peu répondu — et de la pédagogie ? Des questions d’évaluation et d’auto-évaluation ?

JCp — Il me semble que l’auto-évaluation est quelque chose d’intéressant et souhaitable. Elle est nécessaire. À partir du moment où l’on arrivera à mettre en place des espaces d’auto-évaluation, des processus ou des formules, je pense que l’autonomisation sera là. Je regrette cela aujourd’hui : nous sommes dans des espaces de liberté, en tout cas c’est le titre que nos écoles se donnent souvent “les écoles d’art sont des espaces de liberté” parfois de “résistance” dit-on. Ce qui prête à sourire, nous sommes quand même dans des académies ! Mais nous sommes toujours aux prises avec des modes d’évaluation hyper-traditionnels. On donne des notes (des A, B, C, D…) qui valent des équivalents chiffrées (13, 14, etc.), des crédits, etc. Je trouve cela complètement hallucinant. Pourtant il est impossible d’en sortir. C’est une discussion que l’on peut avoir avec l’ensemble des enseignant*es, j’aimerai bien connaître le pourcentage des gens qui aurait envie qu’il y ait de l’autoévaluation. Cela s’explique, c’est une perte de pouvoir pour les enseignants*es peut-être ? Je pense que l’on peut faire beaucoup sans utiliser de pouvoir, car c’est un pouvoir de sanction. Et puis qui sommes-nous pour dire “cela vaut 12 et cela vaut 13” — on peut encourager quelqu’un à aller plus loin, on peut dire aussi parfois “Ce n’est pas le bon endroit pour toi ici, tes compétences sont ailleurs”, ça on peut la faire. Alors mettre des notes entre 12, 13 ou 14 même si la fourchette est plus grande… L’auto-évaluation en terme positif… les formes sont complexes. Honnêtement j’ai essayé, ça a été un fiasco, parce que je ne savais pas faire. Cela donnait des choses qui n’étaient pas justes… Ce qui est bien c’est le processus. Lorsque les étudiant*es se sont rendu compte qu’ils se retrouvaient à faire leur évaluation, ils ont dû se poser un certain nombre de questions. Après, comme c’était repris dans une grille générale de crédits, en fait ce que j’avais fait ne servait à rien. Je pense que cela doit être plus puissant, à l’échelle de toute la pédagogie. Cela veut dire que les écoles doivent être aidées par des personnes qui en ont l’habitude et qui connaissent les écueils pour savoir ce qu’il faut faire et ne pas faire. Ce serait un grand chantier à lancer dans nos écoles. Par ailleurs, les formes pédagogiques dont l’on peut disposer ont un peu été mises en péril par le processus de Bologne, en tout cas l’organisation en crédits, qui a cassé une certaine temporalité. Je pense que l’important c’est l’évolution d’un individu dans un cadre pédagogique et pour cela il faut du temps. Ce n’est pas le même temps pour chacun. Ce temps-là, il faut pouvoir le prendre. Ce processus est un processus de passerelle, mais il s’est accompagné d’un système de crédits et il est devenu un système comptable. Pour attribuer des crédits, la semaine est découpée en tant de cours, qui correspondent à tant de crédits. Suivant comment les écoles sont organisées il peut y avoir beaucoup de crédits et beaucoup de cours…

Ce n’est pas cela qui devrait compter, c’est l’intensité et la profondeur. Comment quelqu’un va se découvrir dans une pratique et dans une réflexion autour de cette pratique.

Il faut un certain temps, ce n’est pas accumuler des disciplines ou accumuler des sujets avec des crédits à la clef qui est la solution. Il faut repenser la question de la temporalité : Lorsque l’on essaye de le faire, on est pris dans un système, même avec la meilleure des volontés je ne crois pas que l’on puisse changer grand-chose si l’on n’agit pas globalement. Il me semble que l’on ne met jamais vraiment en cause les systèmes dans lesquels on est pris.

Alors que c’est une force, car se bâtir en opposition contre les systèmes c’est intéressant : on va dire que je suis gauchiste. Autre exemple : l’imitation je trouve cela intéressant ; mais pas l’imitation du maître ! Ce qui est intéressant c’est d’imiter tout le monde et ensuite de faire son choix à l’intérieur de cela. Paradoxalement, on est souvent encore dans ce fantasme de l’atelier du maître dans les écoles d’art : c’est étrange de penser comme cela aujourd’hui. Certes, c’est un peu une vision adolescente du monde que je prends là, mais peut être que c’est intéressant ces visions adolescentes du monde parfois. Je crois que dans le rapport de pouvoir qui s’entretient dans les écoles il y a pas mal de choses à faire sauter, je dirais qu’il faudrait que ce soit réorganisé. Le but n’est pas de désorganiser, mais de trouver d’autres modes d’organisations à l’intérieur.

Après dans les formes pédagogiques que l’on utilise beaucoup il y a les formes workshops. Ce que j’apprécie c’est ce temps bloqué, avec une personne qui est en dehors du processus pédagogique, qui intervient et amène d’autres choses. S’il n’y avait que des workshops je pense que ce serait une erreur : ce serait une sorte de pédagogie par projet. On a besoin de cette temporalité longue, du suivi des étudiant*es, pour pouvoir évoluer au mieux et en même temps des temporalités plus courtes, avec d’autres urgences, des nécessités de finaliser quelque chose qui peuvent être d’un autre type. Il s’agit d’une vraie richesse de pouvoir utiliser ces outils pédagogiques.

Il y a également le travail en vraie grandeur, dans le monde réel. J’essaye de faire un travail un peu conceptuel avec ça, mais en tout cas je ne propose de fausse commande. Je ne saurais pas comment faire d’ailleurs. Je n’ai aucune idée de comment faire pour répondre à une fausse commande, peut être avec des fausses réponses ! En revanche, le travail en vraie grandeur, c’est intéressant. Il y a toutes sortes de personnes, des institutions, des industriels qui viennent vers l’école avec des propositions de travail que l’on définit précisément, car cela ne doit pas être de la sous-traitance moins chère ou gratuite. C’est vraiment un travail où il n’y a pas d’obligation de résultat. Nous produisons, par exemple, des cahiers de réflexion, plutôt que de fabriquer un objet fini très rapidement. Tout le monde va être dans la vraie situation, où il y a la vraie économie. Quoiqu’encore pas tout à fait, en tout cas, c’est une situation où il y a un donneur d’ordre. Quelqu’un qui a un désir de produire telle ou telle chose, plus ou moins précise. Et des gens qui peuvent amener des réponses, parfois un peu stupéfiantes par rapport au monde professionnel : parce que plus libres ou désinhibées. Voilà ça c’est vraiment intéressant. Quand l’on peut faire ces projets, par exemple nous avons travaillé avec une association de villes d’eaux qui voulaient valoriser leur patrimoine thermal d’affiches. Nous avons travaillé avec des étudiant*es pour refaire des affiches pour cette association. Ensuite, une étudiante a continué et réalisé une affiche. Elle l’a traité par elle-même avec la ville d’eau concernée. Nous avons fait une édition pour rendre compte de l’ensemble du travail réalisé avec les étudiant*es. Il y a donc une édition qui n’est pas d’abord un objet de communication et qui a servi aussi à la communication de cette association, mais c’est surtout un objet finalisé avec les étudiant*es. Nous avons aussi eu l’occasion, plusieurs fois, de faire la communication de la Biennale de Design. C’est un vrai travail où il y a tous les enjeux, de communication, esthétiques et politiques, là où est attendue institutionnellement une certaine image, parfois il y a de la souplesse pour laisser l’école gérer les choses. C’est ce qui est bien alors, dans le fait d’avoir des enseignants qui sont de vrais praticiens : cela permet de faire ces projets et d’expliquer aux étudiants certains enjeux un peu occultes. Quand ces enjeux peuvent rentrer dans la pédagogie, dans nos espaces protégés que sont nos écoles, c’est pertinent. Mais il ne faut pas le faire tout le temps. Ce sont des équilibres qu’il faut trouver.

YA —Quel est le rapport au monde professionnel ? Au Statut d’exécutant ?

Faut-il aller vers le monde professionnel ? L’alternance ? produire de l’artisan efficace ? Quel est le statut des professions libérales là-dedans ?

JCP - Notre but, enfin le mien, est de former des auteur*ices qui ont un savoir-faire. Qui vont travailler de manière indépendante, dans des collectifs et des coopératives ou en agence. Théoriquement, iels peuvent tout faire, ensuite être exécutant ce n’est jamais souhaitable pour nous. Je considère que ce n’est pas ce qui est le plus attrayant. Parfois ce peut être intéressant de se retrouver dans une équipe d’exécution pendant un stage. Bien que de toute façon on soit toujours l’exécutant de soi-même… C’est bien le but d’une école d’art et design que les étudiant*es qui en sortent aient une certaine ambition. Le fait d’être exécutant n’est pas un manque d’ambition mais un autre type d’ambition. Qu’il y ait une ambition d’inventer quelque chose et de réfléchir sur cette chose-là plus que d’être un rouage d’une machine. Il faut être aussi réaliste, celle*ux qui sortent des écoles d’art et design ne font pas tous exactement la même chose. Tout cela dépend d’eux : certain*es ont besoin de travailler immédiatement et il est plus simple d’aller travailler dans une grosse structure. Après il y a grosse structure et grosse structure. Je souhaiterais plutôt que nos étudiant*es aillent travailler dans des studios de graphisme et pas forcément dans des agences de communication. Il y a une différence entre graphisme et communication. Mais ce n’est pas à nous de présager de cela. Ce sont les étudiant*es qui feront leurs choix. Il est possible aussi d’imaginer qu’iels se positionnent comme des personnes avec un certain savoir-faire sur le graphisme. Pas forcément dans le monde du graphisme d’ailleurs : on pourrait aussi voir des graphistes qui travaillent dans un groupe de chercheur*euses, dans une forme d’interdisciplinarité ou d’indisciplinarité. Je pense que le graphisme est un savoir-faire, vraiment puissant. Personnellement je ne pense pas être un graphiste qui a apporté des inventions dans le graphisme. Mais c’est un outil qui m’a beaucoup servi tout le temps. Dans des moments où je faisais autre chose que du graphisme (vidéo, théâtre…), j’en ai aussi fait le graphisme. Il est important que lorsque des étudiant*es sortent de nos écoles ils aient des portes ouvertes. En tout cas le plus possible, puis aller d’un côté ou de l’autre.

Sur la question de l’impermanence des comportements et des métiers et comment l’on organise la pédagogie autour de ça, c’est vrai qu’il y a beaucoup de choses qui changent. Mais en même temps les qualités essentielles du graphisme sont toujours les mêmes. Je pense que le graphisme, c’est de l’inscription ou de la communication de messages : c’est dire que c’est le cœur de tout. Si l’on est clair avec cela ensuite l’évolution des techniques, elle est inévitable et intéressante, mais pas vitale : on peut s’adapter à des techniques différentes. C’est ce qui se passe, quand on voit les graphistes d’aujourd’hui qui ont commencé dans les années 1980 : ils ont connu une époque où l’ordinateur n’existait pas, ils faisaient des films avec des grosses machines, des bancs de reproduction, etc. Ils faisaient des découpages sur des tables de montage. Ensuite l’ordinateur est arrivé et avec cela, tout s’est démocratisé complètement. Cela a ouvert des portes à plein de gens. C’est génial. Aujourd’hui, de nombreuses personnes sont contre les logiciels Adobe et pour le logiciel libre. Mais heureusement que toute une génération a rencontré Illustrator, Photoshop et QuarkXpress puis Indesign. Ils avaient alors la possibilité, sans acheter de matériel trop cher, de pouvoir faire des choses en graphisme. Attention, je pense aussi qu’aujourd’hui il y a un monopole de gros trusts. Néanmoins ces logiciels ont permis à l’époque de faire plein de choses. L’évolution technique va continuer : je trouve important de travailler avec des logiciels de génération de formes visuelles, d’intelligence artificielle parce qu’il faut savoir comment ça marche. Bien entendu on sait ce qu’il y a derrière. On sait bien que c’est tout un système idéologique qui tient ça. Mais c’est intéressant de tester des choses, on ne peut pas se permettre d’être dans une situation de retrait par rapport à cela. Il y a des gens qui s’en servent et qui s’en serviront inévitablement : eux, n’ont pas les mêmes préventions et ils vont y aller à fond. Je trouve ça cela vraiment indispensable de savoir comment ça marche. Après, l’on n'est pas obligé de les utiliser de manière débridée.

Un ancien étudiant a ouvert une start-up et vend un logiciel de traduction de bande-dessinées. D’accord il va enlever du travail à tous les traducteurs, mais s’il ne le fait pas un autre va le faire. En tout cas c’est intéressant de poser cette question-là, la question de la traduction se déplace ailleurs. Mais, qui va en profiter ? C’est une question éthique ou morale, où je n’ai pas de réponse à apporter. Il y a des positionnements très tranchés sur la question. Moi je n’en sais rien, il faut quand même essayer les choses. Après on verra si on les utilise ou si on ne les utilise pas. On ne pourra pas recourir à notre éthique si l’on ne sait pas comment marche l’outil. On est plutôt dans une phase d’expérimentation, il faut connaître l’outil. Tout bouge vite, les pensées bougent vite, la technique bouge vite, etc., Il y a quelques années j’ai entendu l’interview de David Tartakover, un graphiste israélien, qui répondait à la question “quel est le graphisme le plus intéressant ?”, et lui disait, je paraphrase certainement, c’est le “message que l’on écrit au doigt à l’envers sur la buée d’une vitre lorsque l’on est embarqué par la police”. Je trouvais ça juste : c’est exactement ça. Je pense que l’impermanence de la technique et de l’évolution est forcément confrontée à la permanence de ce qu’est le graphisme. Il faut expérimenter tout un tas de choses pour voir si on les garde ou si on ne les garde pas.

YA — De quel type “d’auteur” tu parles ? Le fait d’avoir un style, une parole politique ou de produire le contenu ?

JCP — Je pense que ce n’est pas une question de style. L’expression politique chez Grapus, je la trouve intéressante. J’aime bien Grapus, mais il y aurait un graphisme d’extrême droite qui s’exprimerait, ça ne m’intéresserait pas tellement. Peut-être que ce qu’il faut, c’est mettre le nez dans le contenu. Après, tout le monde n’a pas envie de le faire. Le mot “auteur” est peut-être un peu vague. La notion de responsabilité me semble importante dans la notion d’auteur, c’est-à-dire que lorque l‘on fait une forme graphique, on en porte la responsabilité. Même si on fait une “merde”. Tu en portes la responsabilité et ce n’est pas juste une posture. Sinon c’est trop facile. C’est pour cela que le rapport à la commande est particulier. Quelle commande on accepte ou comment on discute la commande. On est aussi pris dans un mouvement : toute commande est une responsabilité. Il faut savoir si on l’accepte. Les formes ont des significations, et produisent des transformations sur les gens qui les regardent. Si l’on est cynique, il est possible de faire de la propagande. Après il faut assumer le type de graphisme que l’on veut faire et pour qui on veut le faire. Là c’est une question d’éthique. En ce qui concerne l’enseignement, cela appartient aux étudiant*es, ce n’est pas à nous de décider, mais on peut leur dire : “ça on peut discuter, l’accepter ou pas l’accepter”. Il n’y a pas d’évidence de la commande. Ce n’est pas parce qu’il y a une commande que l’on doit y répondre. Quand j’ai commencé à travailler j’étais avec quelqu’un qui passait son temps à remettre en question la commande. Il disait que c’est un travail pédagogique qu’il faut faire avec le client : “vous me demandez cela, mais ce n’est pas cela qu’il vous faut”. Je trouvais ça intéressant. Il me disait “On croit que la situation de communication est comme ça mais en fait non”. Globalement, la question d’être auteur cela reprend tout cela, cet ensemble de responsabilité. Qu’est-ce que je fabrique comme graphisme, qu’est-ce que j’aurais fabriqué comme graphisme dans ma vie ? Encore une fois cela a de l’influence. La question du graphisme est liée à la question de l’impact. Quand on fait des livres c’est peut-être moins évident, quoique quand on fait des livres, on va créer une temporalité de lecture chez le lecteur, il va se passer quelque chose : cette personne va être transformée. C’est moins évident, parce qu’il y a le grand mythe de la transparence, qui nous a illusionné pendant longtemps. Bien sûr qu’il n’y a pas de transparence. Même un livre produit des transformations. Une affiche, un journal, de la signalétique, etc. Toutes les catégories du graphisme produisent cette transformation des gens, mais aussi du monde. Cette responsabilité est importante. Elle est moins visible qu’un architecte qui construit un bâtiment qui risque de s’écrouler. Quand même ! Il y a des signes qui sont hyper forts. On peut s’intéresser aux signes malsains qui ont été hyper forts. Pourquoi ils ont autant marqué. Est-ce qu’ils ont été associés à une idéologie forte ? Ce sont de vraies questions. On peut regarder n’importe quel signe à cette échelle-là.

YA — Qu’est-ce que tu peux dire des structures pédagogiques : les équipes, les structures officielles, et les gouvernances ? La question du statut de l’établissement ? Les tiraillement internes ?

JCP — Dans une école territoriale d’art et design, le fait de savoir qui va rentrer dans l’équipe dépend beaucoup de la direction. Les équipes se fabriquent comme ça. Puisque de toute façon les concours ne sont pas la priorité. Ce sont des situations locales, qui correspondent aux projets des directions. Et puis le temps passe, les directions changent, les équipes évoluent. S’il y a une logique, elle est d’ordre territoriale. Pour cela il n’y a pas deux écoles qui se ressemblent. Il n’y a certainement pas deux façons d’enseigner le graphisme par exemple. Une chose qui serait intéressante, ce ne serait pas d’unifier les écoles mais plutôt d’arriver à les différencier, à les identifier sur le territoire national en fonction de ce qu’elles produisent réellement. De dire “là on fait ça et là on fait ça”.

A Saint-Etienne, par exemple, il y avait autrefois une option communication qui a disparu puis nous sommes en train de restructurer actuellement un master en graphisme. C’est en train de revenir tout doucement. Je ne sais pas si les écoles nationales fonctionnent ainsi. Par contre, cela crée une différence. Nous sommes dans des îlots territoriaux. Les écoles territoriales ne sont pas sous la tutelle pédagogique du ministère de la Culture, qui exerce juste un contrôle pédagogique : ce qui n’est pas la même chose. Aujourd’hui le contrôle pédagogique est beaucoup exercé par l’HCERES avec l’évaluation des diplômes et des établissements.

Nous sommes très territorialisés. Avec le risque d'être instrumentalisé par nos financeurs qui sont majoritairement les collectivités territoriales. Cette situation pose question, les professeurs (PEA) n’ont pas de statut d’enseignement supérieur, ce qui pose question sur la pérennité de l’enseignement. Cela, pour toutes les disciplines des écoles d’art et design. La question s’étend à la recherche mais aussi sur les 3e cycles et sur les doctorats. Il n’y a pas, comme en école d’architecture, de doctorats en école d'art et design, ou alors sous forme de partenariat avec l’université. Pourtant, notre objectif serait d’arriver à produire un certain type de savoir avec des étudiant*es qui sont à la fois des praticien*nes et des théoricien*nes et qui arriveraient à l’exprimer à travers des diplômes type doctorat. La solution — que personne ne semble vouloir entendre dans les écoles d’art, parce que tout le monde pense que nous sommes une exception culturelle — c’est qu’il faudrait une vraie alliance avec l’Université. Il faudrait que les écoles d’art et design soit fondues dans l’enseignement supérieur ; pas dans le ministère de la Culture mais dans le ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Ce que je soutiens est très minoritaire comme position dans les écoles d’art. Ce serait faire en sorte que notre enseignement aille au-delà du master, vers des doctorats de nos disciplines. On ne peut pas le faire aujourd’hui. Nous avons une spécificité : la pratique. Il est dit que dans les écoles d’Art que ce sont des praticiens qui enseignent la pratique : c’est bien, c’est ce qu’il faut. Demain, on aura aussi besoin de théoriciens-praticiens en même temps. Néanmoins, dans l’état actuel, je pense que l’alliance avec l’Université ne se fera pas : mais c’est dommage. Alors on intégrera des docteurs en provenance de l’Université pour enseigner la théorie : ce qui est bien parce que cela apporte la diversité et le mélange, mais la question pratique ne sera pas mise au niveau où elle devrait être mise et cela va rester une pratique au-dessous, ou à côté de la théorie. Alors que l’intérêt serait d’avoir une pratique et une théorie à égalité.

D’un point de vue statutaire, le statut de professeur d‘enseignement artistique (PEA) n’est pas identifié. Il y a un concours dans la fonction publique territoriale mais le plus souvent les professeurs intègrent les écoles en CDD qui à terme deviennent des CDI ou bien, de temps en temps ils passent le concours, parfois il y a des lois de déprécarisation. Il y a un décalage entre nos écoles et la fonction publique territoriale de nos établissements. Tout ça est très flou pour beaucoup de professeurs mais cela fonctionne à peu près. Cela pourrait être plus fluide pour permettre d’aller vers la recherche et l’enseignement supérieur. Si les diplômes des écoles d’art et design ont le statut d’enseignement supérieur, si les établissements ont été labellisés enseignement supérieur, les professeurs eux ne le sont pas. Alors, est-ce que pour les étudiant*es cela change les choses au quotidien ? Je ne suis pas sûr, mais je pense cependant que cela peut avoir de l’influence sur la représentation que les étudiant*es se font d’elles ou d’eux-mêmes, de leurs études, de leur statut.


  1. Yann Aucompte est docteur en esthétique et sciences des arts de l'université Paris 8 est membre du collectif Arts Écologies Transitions, il est professeur agrégé de Design et Métiers d’art, il coordonne le DNMADe Graphisme, design du livre et de l’édition ; Narration et médiation scientifiques par le design graphique et l’illustration Lycée Jean-Pierre-Vernant, Sèvres (92), France. 

  2. Jean-Claude Paillasson est graphiste, réalisateur et enseignant à l’ESADSE de Saint-Étienne en DNSEP design mention Graphismes et Images dont il est responsable, il dirige le laboratoire IRD. 

  3. IRD: Images-récits-Documents