Quels enjeux pour une exposition transversale entre design, arts et sciences aujourd'hui ?
Olivier Zeitoun, Mathilde Tissot

Séance n°8, mercredi 16 mars 2022. Compte-rendu rédigé par Kay Samaha.


Figure 1. Conférence 8, master 2 « Design, Arts, Médias », promo. 2021-2022.
Podcast 8

1. Ouverture

La 8èmeconférence a réuni Olivier Zeitoun (attaché de conservation, Design et prospective industrielle, Mnam-Cci, Centre Pompidou) et Mathilde Tissot (chargée de production, service des expositions, Direction de la production, Centre Pompidou).

Lors de cette conférence, ils ont retracé l'histoire du Centre de création industrielle (Cci), et envisagé la question d'une recherche possible à travers le format d'une exposition en illustrant le propos de différents exemples. Les intervenants se sont penchés principalement sur les expositions intitulées Les Immatériaux1, La Fabrique du vivant2 et Réseaux-mondes3. Leur but était de nous montrer, à travers des plans d'expositions et des œuvres spécifiques, comment un projet d'exposition évolue.

2. Intervention d'Olivier Zeitoun

2.1 Le CCI et les collections Design du centre Pompidou

Pour introduire les collections Design, Olivier Zeitoun se pose la question « Qu'est-ce qu'une collection ? ». Il montre qu' une collection se fonde sur des grands principes d'organisation, de classification des objets (qui ont des fiches d'identité, un nom, une nationalité, une date de création) et de leur collecte par des institutions. Cette collecte est une tâche qui reflète l'évolution permanente des rapports de production au sein de la société.

Le Cci a été créé en 1969, à l'époque du musée des Arts décoratifs. Il devient un département du Centre national d'art et de culture Georges Pompidou qui, dès son ouverture, en 1977, est pensé comme une institution culturelle pluridisciplinaire susceptible de révolutionner l'idée même de musée à travers son projet architectural et ses programmations. En 1992, le Cci fusionne avec le musée national d'Art moderne du Centre Pompidou et devient le Mnam-Cci. Le Cci prend en compte cette vocation et organise des expositions d'architecture et de design qui vont aussi intégrer de l'art. On pense notamment à l'exposition inaugurale de 1969 : Qu'est-ce que le design4 ? Cette dernière donne le ton de ce que sera le Cci et de la création industrielle qui va largement marquer le design. On demande aux artistes d'exposer leur propre définition du design. On est face à une nouvelle définition du design né en France et qui présente les différentes démarches des designers.

Le Cci fait son chemin au sein du Centre Pompidou et un certain nombre d'expositions ont lieu. De nouveaux modes de vie présentent un changement de paradigme que l'on retrouve tout au long des années 1980 lors des expositions du Cci. Nous entrons dans des environnements immersifs où la scénographie fait œuvre. Les objets sont présentés dans l'espace même du visiteur, c'est une déconstruction totale du dispositif muséal. Aujourd'hui, on ne voit plus beaucoup d'expositions qui font cette rupture et qui osent cette déconstruction. C'est une présentation fascinante du design qui a marqué les années 1980. On peut retenir l'exposition presque organique de Gaetano Pesce, Le temps des questions5, qui avait une volonté de faire évoluer la scénographie. Chaque jour, un objet est retiré et changé. Gaetano Pesce a la volonté de faire de l'exposition une promenade, une dérive dans laquelle le spectateur beigne dans la scénographie immersive. On y retrouve les notions de hasard, de chance et de sérendipité dont on parle beaucoup aujourd'hui.

2. 2 Les Immatériaux

Nous en arrivons donc à l'exposition mythique Les Immatériaux6, devenue une source théorique pour la scène artistique. Organisée sous le commissariat général de Thierry Chaput et Jean-Francois Lyotard, elle engendre une réflexion sur la postmodernité et l'immatérialité qui devient pressante avec l'émergence des nouvelles technologies. On assiste clairement au passage de la modernité à la postmodernité, notamment à travers les formes qu'adopte l'exposition. Elle traite d'Art, de littérature, de modes de vie et de technosciences, en valorisant le design industriel français. Le parcours de l'exposition a une grande importance. Il est labyrinthique et se divise en cinq axes ou cinq séquences. Dans un tourbillon de chemins, le spectateur dessine lui-même son parcours, il n'y a rien de prédéfini. Entre sites de biogénétique, d'architecture, de musique, et d'autres encore, la juxtaposition d'objets issus de contextes différents fait que le spectateur invente le sens de son exposition. Pour parcourir les différents sites de l'exposition, des casques audios. avec bande sont mis à disposition du public et s'activent selon les zones où se trouve le spectateur aux différents moments du parcours. La trace des divers trajets a été conservée par une carte magnétique, que l'on peut échanger contre une cartographie imprimée à la sortie. Une part importante de l'exposition a été donnée à l'art télématique, notamment au minitel dans le labyrinthe du langage.

Les Immatériaux a été une manifestation interdisciplinaire qui caractérise l'idéal prospectif et pluridisciplinaire aussi bien du Cci que du Centre Pompidou. On y retrouve la volonté de promouvoir la création industrielle dans un sens large à travers une réflexion sur les modes de vie contemporains, et à travers une manifestation plus interrogative que démonstrative. Les Immatériaux s'intègre donc dans des cycles d'exposition qui ont été déterminants dans cette articulation entre l'innovation technique et scientifique, la création artistique et le design industriel.

D'autres expositions relèvent de ces cycles et prennent la forme d'une plateforme intitulée Mutations/Créations.

2.3 Mutations/Créations

Ce titre désigne une plateforme tournée vers la prospective des technologies numériques, un territoire entre art, innovation et sciences. Ce sont des expositions transversales dans lesquelles ont été présentés des travaux de designers, d'architectes, de scientifiques mais aussi d'artistes et de laboratoires scientifiques. Chaque année, les expositions s'articulent à une programmation de rencontres qui visent à faire du Centre Pompidou un lieu d'expériences pluridisciplinaires.

La Fabrique du vivant7 par exemple traite des biotechnologies. Il s'agit de poser ce qui relève aujourd'hui de la notion de vivant ou d'artificiel. De nouvelles matérialités sont dévoilées pour remettre en cause la place de l'homme dans la nature.

Réseaux-Mondes8 est une autre exposition qui met en scène cinquante-trois artistes designer et architectes. Les réseaux ont permis de mettre en place une synthèse de ce que Mutations/Créations a pu proposer. Il est difficile de définir ce que sont les réseaux. Ils traversent la société dans toutes ses dimensions. Plusieurs formes sont explorées au sein de l'exposition. Le filet et le nœud, le réseau informatique, le réseau politique, le réseau du vivant, etc. De nouvelles écologies artistiques sont évoquées face à la crise environnementale intégrant des principes de continuité entre les formes du vivant.

2.4 Scénographie

Olivier Zeitoun aborde aussi la question de la scénographie. Dans ce format d'exposition, il faut compter une année consacrée à la recherche et à la conceptualisation de l'exposition. Au bout d'un an, une liste d'œuvres est soumise au scénographe qui a la charge de mettre en espace l'exposition, mais qui finit par la faire rebondir, faire évoluer le propos. Il est intéressant de voir l'évolution de certaines œuvres en fonction de la scénographie. Leur forme, structure, taille, fonctionnalité peut changer dépendamment de l'espace et des moyens. D'un autre côté, l'artiste a souvent lui-même des contraintes qui donnent du fil à retordre au scénographe, c'est à son tour de faire des changements dans ses plans pour que les œuvres puissent tenir en place.

3. Intervention de Mathilde Tissot

3.1 Production et mise en œuvre

Mathilde Tissot nous offre une vision plus claire de la constitution d'une équipe projet. Elle explique que l'équipe se constitue d'un architecte scénographe, d'un chargé de production, d'un régisseur d'œuvres, d'un régisseur d'espace, d'un responsable audio-visuel et d'une équipe de techniciens, peintres et autres artisans qui accompagnent les régisseurs. La direction de production c'est une direction support. Elle s'occupe des expositions temporaires, de la coordination de l'équipe, du pilotage, du planning et du budget tout en étant au plus proche de ce que les commissaires veulent réaliser. Chacun membre de l'équipe a sa propre expertise. Elle explique que travailler sur Réseaux-mondes c'est quelque chose de différent. Par rapport à la complexité des œuvres, il y a un travail d'accompagnement pour l'étude de faisabilité et le suivi de production. Certaines œuvres prennent plus de temps pour être réalisées, elles ont besoin d'effort et de préparation en amont. Il faut également garder en tête toute question liée à la sécurité de l'œuvre et du public. Contrairement à ce que l'on peut penser, la période d'ouverture d'exposition n'est pas de tout repos pour l'équipe. Il faut être en alerte, savoir s'adapter, modifier des choses en fonction des réactions du public et du rendu des œuvres.

3.2 Recycler, créer

Souvent, les scénographies sont réutilisées. On réutilise de plus en plus des dispositifs d'exposition, des plans de scénographie, etc. dans une perspective budgétaire et environnementale. C'est un enjeu supplémentaire pour l'équipe projet qui se retrouve contrainte de créer sur une base de quelque chose d'existant. Différents plans sont proposés, des tests sont réalisés afin de créer une scénographie harmonieuse et unique à l'exposition en question. Quand on est dans le public, on reçoit l'exposition dans toute sa magie, on l'apprécie. C'est intéressant de comprendre tout le travail remarquable et passionnant qu'il y a derrière et de prendre conscience de l'effort collectif qui est mis en œuvre pour la réussite des expositions.


  1. Les Immatériaux, Centre Pompidou, 28 mars au 15 juillet 1985. 

  2. La Fabrique du vivant, Centre Pompidou, 20 février au 15 avril 2019. 

  3. Réseaux-monde, Centre Pompidou, 23 février au 25 avril 2022. 

  4. Exposition inaugurale du Centre de Création Industrielle, 24 octobre 1969 au 15 janvier 1970. 

  5. Le temps des questions, Gaetano Pesce, Centre Pompidou, 3 juillet au 7 octobre 1996. 

  6. Les Immatériaux, Centre Pompidou, 28 mars au 15 juillet 1985. 

  7. Fabrique du vivant, Centre Pompidou, 20 février au 15 avril 2019. 

  8. Réseaux-mondes, Centre Pompidou, 23 février au 25 avril 2022.