Séance n°2, mercredi 7 février 2024. Compte-rendu rédigé par Paul Floutié et Adis Karac
Podcast 2
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Cette seconde conférence intitulée « Que peut le design pour les territoires ? » venait interroger les rapports pouvant se créer entre le design et la ruralité, en se centrant principalement sur un projet d’aménagement du territoire dans la commune de Nontron, fruit d’une collaboration entre des étudiants de l’ENSAD1 et la Maire de la ville. Les intervenants ont essayé à travers la présentation de leur méthodologie de projet d’expliquer leur approche, qui pourrait potentiellement s’appliquer à d’autres territoires ruraux, soulignant de fait, un besoin de considérer davantage l’espace rural.
1. Présentation des enjeux et des intervenants
Jacqueline Febvre, présidente de l’association FAIRE Par l’art & la culture2, a commencé tout d’abord par présenter les intervenant(e)s : Nadine Herman-Bancaud (Maire de Nontron, commune de Dordogne), Emmanuel Tibloux (Directeur de l’ENSAD de Paris) ainsi que Rose Schwab et Julie Emery, deux architectes, anciennes étudiantes du post-master « mondes ruraux » de l’ENSAD3. Pour baliser le discours, il a été nécessaire d’en définir le cadre, en spécifiant les facettes essentielles de la notion de territoire. Ainsi, elle introduit le caractère polysémique du terme « territoire », ouvrant à une pluralité d’enjeux et de phénomènes pouvant lui être associés.
J. Febvre énonce : « Nontron porte toutes les caractéristiques que peut porter un territoire, c’est-à-dire une dimension politique, une dimension de pouvoir [...] Après il y a la question de l’espace [...] le pouvoir, il peut se positionner sur d’autres dimensions qu’uniquement le politique ; un pouvoir social, un pouvoir relationnel, un pouvoir presque immatériel, il faut ouvrir ces mots-là. Et il y a bien sûr la dimension de l’espace [...] l’air c’est l’espace. Et puis la troisième dimension qui est celle d’une spécificité : comment on va le caractériser, comment on va le situer. »
Tout au long de la conférence, l’accent sera mis sur la nécessité de s’attarder sur une reconsidération des territoires ruraux. Par la mise en place d’une méthodologie de conception propre au design, qui sera explicitée par les étudiant(e)s en résidences à Nontron, les divers aspects de la notion de territoire seront alors explicités dans un rapport à l’échelle humaine, par un focus sur la contribution active des habitant(e)s de la commune dans l’élaboration du projet proposé par l’équipe en résidence dans le cadre du post-master : Yannick Aly-Beril, Thierno-Sidi Barry, Jessica Brignola, Julie Eymery, Éléonore Grignon, Rose Schaw, et Clara Soleilhavoup, accompagnés par la designer Florence Doléac.
2. La nécessité d’innover face à un monde rural en déprise
Nadine Herman-Bancaud, la maire de Nontron, est venue aborder les problématiques que peuvent rencontrer des territoires ruraux comme sa commune, introduisant le terme de « déprise », et évoquant le rapport à la participation démocratique dans les communes rurales. En ce qui concerne la « déprise », qui se rapporte à une diminution de la population, des services et de l’offre d’emploi (Nontron n’étant pas touchée sur ce dernier point nous a t-elle expliqué), elle est liée à l’effacement progressif de l’État dans la politique d’aménagement des territoires qui s’était mise en place dans les années 1970. Pour ce qui est des revendications de participation de la population, l’élue a témoigné d’une volonté croissante de démocratie plus « directe » de la part des habitant(e)s, ce qui s’oppose au système représentatif actuel ; volonté mise en difficulté par le fonctionnement directif de l’État qui a une longue tradition d'accompagnement et de centralisation. Elle a évoqué 4 points de préoccupation majeurs pour la commune concernant les services, à savoir : les déserts médicaux, le tourisme vert et « de pleine nature », la mobilité et le logement.
L’intervention des étudiant(e)s avec la mise en place d’un projet de design est ainsi perçue comme un frein face à cette déprise, et en même temps, améliore les liens entre la population et les élu(e)s, en incluant les habitant(e)s dans le projet, leur permettant une meilleure osmose avec leur territoire.
La Maire insiste sur l’un des enjeux capital de l’identité de Nontron qui est l’eau, d’où découle a fortiori les aménagements d’espaces et le mobilier urbain réalisés.
Elle évoque avec enthousiasme le partage et la mise en confiance qui a débouché sur l’aménagement du Faubourg Magnac, qui a permis la création d’un espace inédit pour se reposer, précisant qu’il s’agit du seul endroit à Nontron où il est maintenant possible d’avoir une relation directe et charnelle avec la rivière (le Bandiat) qui irrigue ce territoire.
L’aménagement d’un ponton sur lequel on peut s’asseoir les pieds dans l’eau et d’un autre lieu à proximité permettent de profiter du paysage naturel. Des bancs y ont été installés afin de profiter au maximum du site patrimonial de la vallée de Nontron.
3. Faire dialoguer le design et les mondes ruraux
Emmanuel Tibloux souhaitant éclaircir le contenu du post-master et expliquer sa signification, vient présenter son programme « design des mondes ruraux », mettant en lumière les apparentes contradictions et articulations entre ces mondes ruraux et un design issu d’une histoire industrielle liée aux centres urbains, qui se nourriraient l’un de l’autre.
Le directeur de l’ENSAD rappelle que tout design est design de service, ce qui est particulièrement le cas pour le projet mis en place à Nontron, faisant appel à la participation de la population locale, permettant aux habitants d’être acteurs.
Il emprunte le concept de « vie habitante » au poète allemand Hölderlin4, affirmant l’idée que « l’usager sait au mieux ce qui lui convient » ; le rôle du designer étant dès lors de révéler, de laisser émerger, et non d’imposer et d’avoir une attitude de colon. Le design et les mondes ruraux sembleraient ainsi fonctionner l’un avec l’autre, en symbiose.
Voulant mettre en avant les points positifs du post-master de l’ENSAD, E.Tibloux a souligné que le programme mis en place à Nontron n’adopterait pas une forme largement répandue dans de nombreuses résidences artistiques en monde rural, profitant plus à l’artiste qu’à la commune, mais qu’ici les étudiants s’impliqueraient dans la vie de la ville, participant notamment à la vie des associations et faisant un projet non pas pour, mais avec les habitants. Il souhaite aussi nuancer le phénomène de déprise à Nontron, certes présent, mais contrebalancé par la présence d’un réseau local d’artisans ayant des savoir-faire propres à valoriser.
Il a également annoncé sa volonté de mettre la ruralité au premier plan, en envisageant la duplication de ce dispositif dans d’autres types de milieux ruraux, en moyenne montagne, en zone insulaire et en littoral notamment.
4. La recherche d’une collaboration territoriale
Les étudiant(e)s du post-master ENSAD « mondes ruraux » ont explicité la démarche de recherche et de conception, mettant l’accent sur la collaboration avec les habitants de la commune. Ils prônent la nécessité d’un faire « ensemble » ; et pas uniquement d’un faire « pour », qui réduirait la finalité du projet à l’idée de réponse à un destinataire. Ainsi l’expression du territoire pourrait rester centrale et souveraine dans la mise en forme et l’émergence du projet, évitant ainsi tout rapport « colonialiste » au territoire, tel que l’évoquait plus tôt E. Tibloux.
La présentation explicite la méthodologie employée, divisée en 3 temps. Tout d’abord une phase d’immersion dans la commune, permet d’expliquer la démarche en allant à la rencontre des habitants et des acteurs locaux afin de définir un cahier des charges « en construction ».
Une volonté d’incarner visuellement ce projet a semblé une étape nécessaire à l’acceptation de l'implantation du projet. Les étudiantes ont souligné l’importance d’arriver avec des images permettant aux habitants de se projeter visuellement afin d’expliciter ce à quoi pourrait ressembler la concrétisation du projet. Afin qu’il soit plus facile pour eux d’adhérer à cet aménagement, elles font références également à la réalisation de courtes vidéos, se présentant comme diverses déambulations dans Nontron, avec l’utilisation en voix off d’habitant(e)s de la ville, comme une manière de les inclure et de valider leur adhésion aux usages issus du projet.
Enfin, la matérialisation du projet a été l’occasion une fois de plus d’aller dans le sens d’un « faire ensemble » avec la collaboration avec une artisane locale qui les a accueilli dans son atelier et accompagné dans la réalisation concrète du mobilier. Le bois de châtaignier présent sur le territoire a été utilisé en priorité, allant dans le sens d’une valorisation du local.
5. Une médiation par le design, vers plus d’immatérialité
La démarche de design réside ici surtout dans les différents ateliers ayant permis la participation de la population locale, ce qui interroge la nécessité d’une médiation entre les différents acteurs locaux, révélés par la présence d’une résidence de créateurs, dont le geste aurait eu pour levier d'innovation majeur un effet collaboratif.
La première phase a consisté en une immersion de terrain permettant d’expliquer à la population la raison de leur présence, afin de favoriser au maximum l’accueil du projet et la possibilité de rencontres avec l’ensemble du public et de ses acteurs locaux. L’essentiel du sujet travaillé portrait autour de l’identité du territoire, afin de donner une identité plus visible et lisible à la ville de Nontron, dans ces aménagements et sa signalétique.
Des rencontres se sont ainsi organisées afin de recueillir des témoignages lors d’ateliers divers, convoquant plusieurs générations d’habitants de Nontron : l’un s’est déroulé dans un EHPAD, un autre avec des adolescents sur la place de la Mairie, et un dernier a eu lieu sur la place du marché. Cette récolte d’information sur plusieurs mois a été compilée sous la forme de 3 livrets attestant du travail de médiation effectué.
6. Conclusion
Les intervenant(e)s présentent une façon de faire du projet répandue et couramment enseignée, qui si elle semble appropriée au projet présenté, n’élabore pas un mode de “faire” spécifique à la question du design de la ruralité. La conférence s’est principalement centrée sur la promotion du cursus de post-master « Design des mondes ruraux » proposé à l’ENSAD et des résultats issus de son programme de résidence à Nontron.
La diffusion de la démarche de design auprès d’une population rurale, éloignée par méconnaissance de cette pratique, semble favorable à son accueil et à une reconnaissance plus large de la pratique du métier de designer, et de sa capacité à apporter de l'innovation sur le plan social, mais on peut cependant regretter une forme d’inadéquation du discours face au public présent et un manque d’approfondissement de la notion de territoire, abordée sous l’angle critique du design.
Se demander en retour, ce que les territoires peuvent apporter au design, n’est-ce pas simplement un moyen de s’intéresser aux rapports humains ? Finalement, le besoin d’une échelle de réalisation plus en lien avec de futurs usagers et d’une meilleure habitabilité du monde, plus proche de la nature notamment, n’est-t-elle pas une voie rédemptrice pour favoriser un respect écologique à l’ère de l’anthropocène ? Penser un rapport à la planète, semble être le prérequis à toutes nouvelles élaborations de manières d’être au monde, d’habiter, mais aussi de rendre un territoire plus habitable, en redonnant à rêver peut-être, un monde non seulement meilleur, mais possible.