Séance n°5, mercredi 13 mars 2024. Compte-rendu rédigé par Haïlé SAINT-ELOY et Thalia AZOUT
Podcast 5
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Au cours de la cinquième conférence intitulée « Le son comme médium en art et design », les quatre intervenants exposent leurs recherches ainsi que leurs théories sur la place du designer sonore dans son travail. Ils traitent aussi de ce que la matière sonore dévoile sur son environnement.
1. Fonctionnalités du design sonore
Comment fait-on du son aujourd’hui ? C’est la question que se pose Franck Pecquet, professeur à l’École des Arts de la Sorbonne. À travers son approche philosophique, il détermine comment le designer sonore répond à des commandes, mais aussi pourquoi il est important de le distinguer des autres corps de métier similaires tel que les ingénieurs sonores. Les arts sonores englobent tout type d’art qui a à voir avec le son à la différence de la musique qui a une vocation à produire une œuvre unique. Le design sonore se destine à un produit ou un service audio sérialisé. L’œuvre d’art est diffusée dans un espace dédié comme les salles de concert alors que le produit de design est pluriel et répété dans sa représentation. Il a une fonction et un usage.
Qu'est-ce que recherche le design sonore précisément ? Le son nous assiste au quotidien dans le fonctionnement des objets par exemple. On sait que les machines issues de l'électroménager qui sont de bonne qualité ont une bonne pastille verte lorsque le son produit est minime et non dérangeant. Ce dernier doit révéler le fonctionnement et les rouages de la machine afin d’aider à son utilisation quotidienne. C’est ce qu’on appelle son causal, un son étudié pour qu’il soit le plus agréable possible pour l’utilisateur.
Il n’y a pas de beau son, mais des bons sons, il n’y a pas d’esthétique comme dans l’art. Le produit doit faire en sorte d'être le plus fonctionnel possible par rapport à sa forme.
À la fin de son intervention, Franck Pecquet nous présente un exemple d’un appel d’offre ainsi que ses propositions sonores. Il s’agit de sonoriser une séquence télévisée de 8 secondes pour la publicité d’une banque. Différentes propositions sont émises et le client choisit en fonction de sa direction artistique. Pour la publicité avec la moto qu’il montre, la version cartoon est retenue. La voix humaine qui imite la machine semble mieux retranscrire l’idée du jeune qui souhaite faire un prêt à la banque pour acheter une moto. Le son renforce l’image car, sans elle, l’image n’a presque aucun sens. Regarder une publicité sans son, ne provoque quasi aucun effet sur le consommateur.
2. Les sons naturels, témoignages de la nature
Comment traduire les sons naturels grâce au travail de Knud Viktor ? C’est ce que tente d’analyser Julie Michel, deuxième intervenante, dans sa thèse sur les archives de l’artiste danois Knud Viktor. Ce dernier débute ses expérimentations sonores via le cinéma et à la manière de la musique concrète, il va expérimenter manuellement les joies de la bande à travers les procédés de sélection, de coupes, de collage, de manipulation des sons, d'accélération. Chez Knud Viktor, nous retrouvons une pratique extrêmement localisée, qui revendique ses sources sonores, qui documentent les êtres en présence et qui les situent très largement. On est dans une pratique dont la raison d'être est le contexte lui-même.
Julie Michel donne alors accès à un enregistrement audio de l’artiste qui définit sa pratique comme une peinture sonore.
Knud Viktor va systématiquement emprunter au vocabulaire du champ visuel pour référer à sa pratique du son. Il dit que les trois sons caractéristiques des pays méditerranéens sont ceux du petit duc, de la cigale et du grillon, et ajoute que ce sont pour lui comme trois couleurs primaires en peinture. Cette analogie entre le pictural et le sonore va assez loin puisqu'elle va notamment aboutir à la création d’un outil de diffusion spécifique, un outil qui va lui permettre de prolonger le geste pictural.
Il crée le « tétra mix », une sorte de table de mixage à 4 voies qui lui permet de spatialiser directement les sons en dessinant la trajectoire sur une feuille. Cet appareil lui offre une certaine matérialité du son, de même qu'on a une matérialité de la peinture. C'est un objet qui cristallise sur tout le caractère artisanal de sa pratique et qui témoigne aussi d'une forme d'ingéniosité qu’il a déployée dans les différents outils de captation, fabriqué avec une certaine économie de moyens.
Julie Michel nous donne à entendre à nouveau un enregistrement de Knud Viktor. Ce dernier explique comment il fait de l’enregistrement avec peu de moyens, ce qui reste en cohérence avec son style de vie.
Selon lui, l’inaudible est très intéressant si on lui fait une place. Sa démarche est rapprochée de celle de l’artiste John Cage. Le silence n'existe pas. Cette manière d'écouter, d’être extrêmement attentif. L'enregistrement de terrain est une manière d'amplifier l'expérience du monde. Le microphone et tous les outils conçus par Knud Viktor sont des amplificateurs d'expérience. Le son nous apprend quelque chose de l'écosystème auquel il réfère. Il témoigne d'un problème écologique majeur.
3. Vers un dialogue entre l’humain et l’environnement sonore
Dans une perspective trans-médiatique, Agathe Simon est venue apporter un regard sensible et engagé sur le son, en voyageant et se documentant dans divers endroits excentrés du monde urbain. À travers trois exemples d’œuvres issus de ses travaux, elle questionne les rapports entre le son et nos responsabilités collectives vis à vis de la culture et du monde de demain.
Comment créer dans divers médias avec des enregistrements de terrains ? C’est la question que se pose Agathe Simon, en déclinant ses axes de recherches sous trois médiums différents : l’installation sonore, la performance, puis le triptyque vidéo.
L’artiste reprend les mots du compositeur et théoricien Raymond Murray Schafer : « le paysage sonore est n’importe quel champ d’étude acoustique, on peut parler d’une composition musicale comme d’un paysage sonore, d’une émission de radio comme d’un paysage sonore, ou d’un environnement acoustique comme paysage sonore. »
C’est en explorant cette réflexion qu’Agathe Simon a témoigné d’une conceptualisation singulière. Pour elle, le design sonore est un environnement créé par une immersion spatiale, ou par une narration. En travaillant à partir de sons bruts, Agathe Simon a observé plusieurs aspects du design sonore pris sur le terrain (forêt Amazonienne, Antarctique, Asie, Argentine…) : il y a une dimension plastique et esthétique, notamment concernant l’auditeur et sa position face au design sonore, une dimension kinesthésique dans la spatialisation du son, puis enfin une dimension politique, témoignant des enjeux climatiques et sociaux d’aujourd’hui. « Le son devient l’inconscient de l’image », dit-elle.
Tout au long de l’intervention, les prises de paroles d’Agathe Simon sont ponctuées d’extraits sonores diffusés dans la salle. Pour elle, il est important de savoir expérimenter sans forcément concevoir une attente d’un résultat particulier, notamment lorsqu’on travaille sur le son, car il s’agit du médium qui va nous toucher le plus inconsciemment. Au fil du temps, on constate que le son a pris une place à part entière dans le champ des arts contemporains et qu’il est dommage que ses moyens de diffusion ne soient pas aussi bien traités partout. L’artiste et chercheuse a alors terminé son intervention en exprimant sa position militante pour une démocratisation des espaces sonores à la hauteur des œuvres.
4. Technologie et Art, penser le corps à travers le son
Enfin, dans une approche centrée autour des nouvelles technologies et du corps, l’artiste Miguel Almiron nous a présenté des portraits de figures contemporaines d’artistes qui ont su penser les corps à travers l’organique et la technologie.
Comment utiliser la technologie pour créer de l’art, à travers le son ? Dans ce contexte de recherche, l’artiste se questionne sur les rapports entre le mouvement du corps et la création artistique sonore. Issu du monde de la musique, en passant par l’industrie du son, Miguel Almiron s’appuie sur nombre d’artistes et créateurs tels que David Rosenboom, Moon Rivas, Christophe De Boeck, George Khut… Parmi ceux-ci, Laurie Anderson, s’exprime musicalement en utilisant son corps en tant qu’instrument, ce qui va donner à percevoir le son à partir d’une dimension physique. C’est de ce point que part Miguel Almiron dans son approche de la création sonore : on parle de système électro-cephallogramme, les captations électriques provenant des neurones.
Au-delà de la pensée, il s’agit alors de construire un espace sonore qui provient d’une zone cérébrale jusqu’au mouvement physique. L’empreinte sonore vient du corps. Dans toutes ces approches, il y a une dimension symbiotique entre les corps en chair et en os, les corps numériques et les corps accompagnés par les nouvelles technologies. La virtualité est alors traitée au contact des dispositifs technologiques modernes. Des imageries populaires issues de l’imaginaire collectif sont alors sollicitées : les cyborgs, la bio-mécanique et les corps cybernétiques sont des extensions de l’humain, dorénavant tangibles qui se rapprochent de notre perception sensorielle. Pour finir, Miguel Almiron a abordé la substitution humaine à travers la virtualité, notamment en s’appuyant sur le travail de l’artiste mexicaine Teresa Margolles, qui met en avant la dimension mortuaire du corps. On parle alors d’image évanescente : l’utilisation d’hologrammes et de projections pour combler une absence physique.
5. Conclusion
Les quatre intervenants se ressemblent sur bien des aspects. En effet, ils sont issus tous les quatre du milieu universitaire ce qui leur confère une méthodologie d’analyse très proche. Ainsi, nous pouvons conclure, grâce aux quatre présentations et aux questions posées dans la salle, que le designer sonore est nécessaire au bon usage d’un objet, car il peut nous guider et nous initier à sa pratique. Le designer a à voir avec la technique, mais pas qu’avec elle, il conçoit un objet qui facilite l’habitabilité du monde, ici dans le domaine du son avec ses objets sonores.
Dans les travaux d’analyses d’archives de Julie Michel et les enregistrements de terrain d’Agathe Simon, le son semble être un langage à part entière pour comprendre le terrain et la vie qui l’entoure. L’analyse du son devient une traduction sensible d’un milieu et d’une population donnés.