Un doctorat par, pour et sur le design à Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Margaux Moussinet, Margot Laudoux, Karim Allain, Camille Mançon, Inès Ben Mansour

Séance nº 4, mercredi 15 février 2023. Compte rendu rédigé par Lina Amalou et Jihane Nasrallah.


Figure 1. Conférence 4, master 2 « Design, Arts, Médias », promo. 2022-2023.

Podcast 1

Pour la quatrième année consécutive, les doctorants de notre université reviennent sur leurs motivations, leurs sujets de thèses et l'avancée de leurs travaux de Karim Allain, Inès Ben Mansour, Margot Laudoux, Camille Mançon et Margaux recherche pour éclairer comment et pourquoi faire un doctorat dans le champ du design.

Sous un même « écosystème », les doctorants en design de l’institut ACTE —Moussinet—ont présenté leurs parcours et sujets de thèses aussi différents que riches. Ils sont tous dirigés par Catherine Chomarat-Ruiz, professeure en Théories du design à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, inscrits à l’école doctorale APESA1 et rattachés à l’Institut de recherche ACTE pour une mention de diplôme intitulée : « Arts et sciences de l’art spécialité Design ».

1. Karim Allain, première année de doctorat 

Après le BTS en design de mode, Karim Allain a dû choisir entre deux voies : se perfectionner et être un technicien ou aller vers l’approfondissement des sujets techniques réalisés en BTS. En raison du plaisir éprouvé à lire, documenter et développer un concept, il s’était dirigé vers un DSAA où il a validé son diplôme par un mémoire portant sur la question suivante : « Qu’est-ce qu’un vêtement virtuel ?». Intéressé par poursuivre une thèse de doctorat, il a entendu une conférence au sujet du PhD à Paris 1 : il s’agissait du cycle de conférences auquel il participe cette année ! Cependant comme la DSAA ne requiert pas de recherche scientifique, il a rédigé un second mémoire durant son master 2 « Design, Arts, Médias » à Paris 1 Panthéon-Sorbonne,  inspirés de son mémoire rédigé en DSAA. Son second mémoire s’intitulait « Passeport du vêtement dans l'iconographie populaire et créative » : il entendait analyser les liens du vêtement virtuel et une forme de folklore.

Karim Allain restitue son parcours, et considère l’image The Fabricant, Iridescence2 comme élément déclencheur de son premier sujet de recherche en DSAA. Ce qui lui a permis de questionner la non-réalité d’un vêtement en s'interrogeant : qu’est-ce qu’un vêtement qui n’est pas réel en sens du tangible et que signifie le posséder physiquement? Il voulait être le témoin d'un changement, à savoir la proposition de s'habiller sans vêtement. Et étant donné qu’il est issu d’une formation de designer, il s'intéresse à la fonction des objets, leurs usages et leurs esthétiques. Durant son master 2, il a voulu approfondir cette question du vêtement virtuel. En outre, à la fin de ce diplôme, après avoir lu son mémoire et bien qu'il soit très satisfait de ce qu'il a écrit, il estime que les conclusions tirées ne sont pas assez complètes et satisfaisantes. Il a voulu remonter et chercher dans l'histoire des techniques, des pratiques et des objets impliqués dans la création et la modification de l'apparence, mais sans aller jusqu’au bout des choses. Selon ses mots, le doctorat était l’outil pour remédier à cette insatisfaction.

Son doctorat s’intitule « Vêtement et système de la mode virtuelle. Pour une archéologie des dispositifs de l’apparence ». Par ailleurs, en marge de sa recherche théorique, Karim envisageait de créer un vêtement virtuel à l'issue de sa thèse.

Selon lui, être doctorant, c'est avoir toujours le statut d'étudiant. Cela signifie avoir des besoins quotidiens et un financement pour les couvrir. Et comme il n'a pas reçu un contrat — CIFRE3 ou autre—, Karim Allain réfléchit à une activité professionnelle à côté de son doctorat qui soit compatible avec son sujet de recherche afin que l'un nourrisse l'autre.

Au terme de sa présentation, Karim Allain décrit le doctorat comme une période académique d'apprentissage d'un métier — celui d’enseignant-chercheur—, et de validation de compétences, en affirmant que « le doctorat est plus que lire et écrire, c’est un métier à apprendre aussi ». 

2. Inès Ben Mansour, première année de doctorat

Après une licence fondamentale en design d’espace à l'institut supérieur des beaux-arts de Tunis, Inès Ben Mansour a poursuivi un master de recherche en design d’espace, toujours au même institut. Durant son master de recherche, elle a effectué un stage d'enseignement en tant qu'assistante d'un professeur d'université. Et comme elle était intéressée à l'enseignement, elle a pensé au doctorat étant donné qu’il constitue une porte ouverte sur l'enseignement et la recherche. Pendant sa recherche d’un directeur de thèse, elle n’a pas pu trouver à Tunis énormément de professeurs travaillant sur son axe de recherche dans le design d’espace : donc elle a fait ses recherches en ligne pour tomber finalement sur l’institut ACTE. Après sa proposition d’un sujet de thèse de doctorat à Catherine Chomarat-Ruiz, et être acceptée, elle a pu commencer en octobre 2022. Elle a cité trois raisons principales pour expliquer son désir de poursuivre un doctorat. Premièrement, la raison pratique et la raison professionnelle : elle était intéressée par l’enseignement universitaire dès son stage pédagogique à Tunis. Deuxièmement, son intérêt pour le domaine de la recherche scientifique, et le plus important, troisième élément, c’est le plaisir d’approfondir un sujet qui l'intéresse et de le creuser davantage.

À l'instar de nombreux autres doctorants, son sujet de thèse s'inspire de son sujet de master s’intitulant « La conception de l’espace fictif comme acteur de la perception de l’espace réel ». Elle avait travaillé sur l'interprétation de l’espace réel historique au sein d’un film populaire. Selon ses mots, généralement dans les films, l'identité, la fonction et l’ambiance de certains espaces sont modifiées pour acquérir de nouveaux aspects. Elle a travaillé en Tunisie sur les espaces qui ont été utilisés dans le film Star Wars, ayant un intérêt non pas pour leur identité initiale mais pour la nouvelle ambiance qu’ils ont acquise. C’est pourquoi elle a étudié la juxtaposition de plusieurs récits et histoires pour un même espace. En parlant du design, du cinéma et de l’exposition du design au cinéma durant son master, elle était intéressée par ce thème. Mais elle s’est concentrée sur la partie espace et film populaire sans aborder le côté capital artistique et exploitation commerciale de ces productions design. Au cours de ses recherches, elle a trouvé un intérêt aux effets que ce type d'exposition peut avoir sur ces productions de design et sur les spectateurs. Elle a donc commencé à traiter la question du capitalisme artistique, de l’exploitation économique et l'éthique du design.

Finalement, elle a précisé que le doctorat ne se réduit pas à la défense et à la rédaction d'une thèse, mais que les doctorants doivent remplir un portfolio en quatre parties : participation à des séminaires, production des publications scientifiques et communication de celles-ci lors de conférences et de colloques, encadrement via des tutoriels et des enseignements, formations professionnelles. Le respect de ces exigences est nécessaire pour pouvoir soutenir la thèse.

3. Margaux Laudoux, deuxième année de doctorat

Margaux Laudoux a passé un Baccalauréat Littéraire en 2016 avec l’option « arts plastiques » au lycée B. Pascal à Ambert. Elle a poursuivi en Classe préparatoire aux grandes écoles en art et design à Nevers (CPGE en Arts et Design ESSAB). Ensuite, elle continué ses études en DSAA Espace-Evénements ESDM à Marseille. Elle écrit dès lors son premier mémoire sur la synesthésie et plus particulièrement sur comment on pouvait la méditer et la vulgariser. Après avoir terminé son DSAA, elle décide d’entreprendre un Master Recherche « Design, Arts, Médias » de l’université Panthéon-Sorbonne.

Le sujet de sa thèse est inspiré de son cheminement personnel. Elle a un intérêt pour la participation, la co-conception, la médiation et la vulgarisation, et pour tout ce qui a trait à la communication et à la transmission. En outre, son sujet est parti d'une intuition et d’un intérêt pour les demandeurs d'asile, principalement des primo-arrivants. C’est de là que lui est venu son intérêt pour l'outil nommé « carte sensible », et notamment la carte sensible participative. Elle a travaillé sur ce type de carte, comme outil de narration à destination des demandeurs d'asile mais aussi comme un outil exploité via des ateliers collectifs. Elle s’est intéressée à toutes ces notions d'agir ensemble, de médiation, d'hospitalité, de militantisme et d'espace. En finissant sa soutenance de Master 2, elle s’est retrouvée frustrée en se disant que son sujet méritait plus : c’est à partir de là que la question du doctorat et que sa problématique s’est établie. Il s’agit de : « La cocréation de cartes sensibles pourrait-elle permettre aux migrant-e-s d'exprimer leur histoire et, dans le même temps, d'instaurer un dialogue entre habitant-e-s et migrant-e-s ? ».

Le premier objectif de sa recherche est de représenter l'hospitalité par les deux parties prenantes de l'accueil. La personne accueillie et la personne qui accueille. Finalement, ces cartes sensibles sont une sorte de prétexte à une enquête participative dont l'objectif est de donner la parole à ceux qu'on entend très peu, c’est-à-dire les migrants, mais aussi les accueillants. En outre, ces cartes apportent, selon elle, des nuances à la fois vécues et des nuances sensibles au discours politico-médiatique qu'on entend aujourd'hui et qui utilise principalement des chiffres et les statistiques des cartographies objectives. Le second objectif de cette recherche consiste à s'éloigner des administrations et des institutions. Le dernier objectif tient à une volonté de renouveler les méthodologies du designer dans un travail de recherche en se focalisant sur une cartographie sensible.

Le protocole de recherche que propose Margaux Laudoux est un protocole imaginé. Il y a tout d’abord une veille théorique et artistique qui concerne le choix des terrains, les rencontres, les entretiens, la recherche cartographique, les ateliers de cartographie sensible et narrative. Ensuite, il lui faut faire le bilan de l’ensemble.

4. Camille Mançon, deuxième année de doctorat

Camille Mançon obtient un BTS en spécialité design d’espace. C’est un choix qu’elle n’a pas regretté et qui a été un des déclencheurs de son sujet de thèse. Par la suite, elle s’inscrit en Licence « Design, Arts, Médias » à Paris 1. En outre, elle a également l’opportunité de faire un projet avec la SONU (Sorbonne pour l’Organisation des Nations Unies). Elle s’est dès lors imprégnée de problématiques sociales et écologiques. En continuité, elle poursuit en Master 1 et 2 « Design, Arts, Médias » : et c’est à ce moment-là que l’idée du doctorat a commencé à germer.

Camille Mançon a une considération écologique dans son travail, elle se questionne sur les territoires en déshérence et sur ce qu’ils ont à apporter. Selon elle, on a beaucoup à apprendre des autres et l’on se doit de prendre conscience qu'il n'y a pas qu'une seule manière de faire. Son raisonnement l’a amenée à sa problématique: « En quoi les territoires en déshérence pourraient instaurer une révolution écologique par le biais du design ? ». Elle a mené une première étude de cas en Laponie suédoise auprès d’un des derniers peuples autochtones d'Europe «les Sami » : elle ne savait pas à ce moment-là comment établir une enquête de terrain en anthropologie. Cependant, cela lui a permis de voir comment cette population vivait encore actuellement et le grand écart qui subsiste entre eux et nos sociétés. Elle conclut de cette expérience qu'il fallait lier le design à quelque chose d'autre. Elle a pour but de chercher des techniques dans d'autres territoires, connaître des gens, appréhender la complexité de leur culture. Et c’est ce qui l’a amenée à façonner son sujet de thèse : « l’anthropologie au service du design territorial ».

Son plan de travail consiste à récolter tout ce qui existe au préalable sur le sujet, l'objectif n'étant pas de refaire quelque chose qui a déjà existé. Elle observe et lit tout d’abord les personnes qui se disent anthropologues et designers en prenant en compte les différents terrains. Ensuite, elle restitue tout ce qu’elle a pu collecter comme informations. Elle poursuit par une analyse critique et termine par faire des propositions. C’est une méthode un peu prospective puisqu’il s’agit d’un champ en construction.

5. Margaux Moussinet, cinquième année de doctorat

Margaux Moussinet a tout d’abord intégré une classe préparatoire aux grandes écoles art et design à ENS Cachan. Par la suite, elle entreprend une licence « Design, Arts, Médias » à Paris 1 et poursuit dans son Master 1 et 2 dans la même université. Son sujet de recherche était : « Les livres de graphistes Des livres ? Toujours des livres ? Rien que des livres ? ». Il s'agissait de recherches formelles autour de l'objet livre qui permettait déjà de concrétiser l'acte de lecture et d'entrer dans une expérience pleinement esthétique.

Margaux Moussinet s'est dès lors lancée dans un projet de typographie, dessinant toutes les lettres et chaque caractère. Elle a également fait d'autres expérimentations en jouant sur l'échelle des caractères. Elle avait appliqué tout cela à l'échelle du livre. Elle avait en effet repris une édition d'Alice au pays des merveilles et avait appliqué à l'échelle du livre son caractère. Elle s'est alors rendu compte qu’elle avait un intérêt tout particulier pour la typographie, d'où son projet de doctorat : « Lorsque la lettre fait image ». Son sujet de thèse était : « Lorsque la lettre fait image. L'esthétique de David Carson ». Elle s'était lancée dans un sujet très vaste et David Carson était son cas d'étude. Sa question de recherche a beaucoup évolué, elle est passée de : « Quelle(s) est(sont) la(les) différence(s) esthétique(s) entre les lettres dans un “texte normal” et les lettres composées dans le travail de David Carson » à : « En quoi l'opacité de la lettre affecte la réception du travail de David Carson ». Après mûre réflexion, sa question de recherche est devenue : « L’opacité typographique : plasticité et autonomie du texte de la lettre ». Toutes ces réflexions se sont stabilisées lors de sa troisième année de doctorat, et c'est à partir de cette année-là qu'elle a pu commencer à rédiger.

Margaux Moussinet s’est concentrée sur cette idée de gain esthétique que permet l'opacité typographique. Il fallait qu'elle prédéfinisse sa méthode. En d’autres termes, définir l’opacité par opposition à la typographie transparente et essayer de construire un concept qui s'oppose complètement à la théorie de Béatrice Warde4. Elle voulait enrichir cette définition de la typographie et d’opacité, mais d'un point de vue formel et c'est de là que son cas d'étude est né. En outre, elle évoque également le fait qu'elle est actuellement en train de rédiger sa deuxième partie de thèse qui part d'une question : «Est-ce que l'opacité est une opacité qui joue à l'échelle du texte ou à l'échelle de la lettre ». C'est une question qui la « titille », et qui lui vient souvent à l'esprit depuis le projet de doctorat. Sa manière de faire a tout d’abord consisté à analyser la pratique de David Carson et la typographie opaque au vu de ces fonctions. Au-delà, son idée est de cartographier ces praticiens de la lettre qui pratiquent plus la typographie opaque.

Conclusion

L'intérêt d'un doctorat en design est de poser des questions, tout en affinant des recherches établies en amont. Faire un doctorat est une façon de se spécialiser dans un domaine et une façon de contribuer à la recherche. Ce n'est pas un choix facile à faire, c'est beaucoup de travail : mais quand on veut aborder un sujet qui nous tient à cœur, cela prend tout son sens.

Ce compte-rendu résume les parcours de cinq doctorants, des parcours très différents, des disciplines distinctes, mais quand on les écoute inlassablement, tout prend sens. Nous avons voulu montrer à travers ces lignes plusieurs aspects du doctorat, que ce soit en termes de recherche, de méthodologie ou de cheminement des étudiants. Ils ont présenté à leur manière cinq manières différentes de faire de la recherche en partageant un même écosystème : le design à Paris 1.

Si vous avez la possibilité, chère lectrice ou cher lecteur, il serait également intéressant de prendre connaissance de l’association « design en recherche ». Il s’agit d’une association regroupant les doctorants en design qui ont d'autres manières de pratiquer leurs recherches. Il y a également une page Instagram dédiée à l'UFR04 qui prend également en compte d'autres doctorants pouvant aussi répondre aux questions de celles et ceux qui sont intéressés par la recherche en général ou par leur recherche en particulier. En outre, il existe depuis l'année dernière un podcast abordant des thèmes autour du doctorat.


  1. École doctorale Arts plastiques, esthétique & sciences de l'art. 

  2. La robe est réalisée par deux fabricantes ayant un studio de design qui, lui, est présenté comme une digital fashion house. Il s’agit donc de la première maison de haute couture virtuelle. 

  3. Une thèse CIFRE (Conventions industrielles de formation à la recherche) est un dispositif créé en 1981 et financé par le Ministère de l'Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l'Innovation, et l’entreprise qui reçoit le doctorant. Elle donne la possibilité à un doctorant de réaliser une thèse au sein d'une entreprise. 

  4. « La typographie devrait s’effacer au profit du sens du texte qu’elle donne à lire. » : PHILIZOT, Vivien, « Camera obscura, le design graphique, entre construction sociale du champ visuel et construction visuelle du champ social », dans Gwenaëlle BERTRAND et Maxime FAVARD, Poïétiques du design -Conception et politique, Paris, L'Harmattan, 2015.