Un doctorat en design, mais pour quoi faire ?
Margaux Moussinet, Camille Mançon

Séance n°4, mercredi 10 février 2021. Propos recueilli par Neila Mariani, relu par Kim Sacks.

Figure 1. Synthèse graphique 4, Lucy Doherty
Podcast 4

1. Conférence de Camille Mançon

Bonjour, je suis Camille Mançon, je suis en doctorat à l'école doctorale de Paris 1 à l'Institut Acte et mon doctorat est dirigé par Catherine Chomarat-Ruiz. Je vais vous expliquer ce que j'ai fait pour passer du master 2 au doctorat, pourquoi j'ai choisi d'aller plus loin dans la recherche, et ensuite je vais vous parler plus particulièrement de mon sujet de recherche, où j'en suis et comment je procède. Je vais donc vous expliquer pourquoi j'ai choisi de faire un doctorat.

1.1 Formation

À l'origine j'ai un BTS en design d'espace, et je savais à ce moment-là que je voulais enseigner. Je savais également que je voulais pratiquer à côté mais je ne savais pas de quelle manière car c'est quelque chose de très ouvert et très vaste. Je suis donc partie pour l'enseignement en Licence 3 à Paris 1 pour faire la Licence Design, Arts, Médias. À ce moment-là j'ai rencontré une des professeurs qui est Sophie Fétro et elle nous a expliqué le métier d'enseignant-chercheur. Elle nous a dit qu'une partie était théorique, avec de l'écriture et de la production d'articles, de la veille documentaire. Elle nous a aussi dit qu'une partie était pratique, où l'on pouvait monter des projets. Elle-même dirigeait des projets qu'elle avait mené en partenariat avec des institutions par exemple. Il y avait ainsi toute une partie de travail d'équipe, donc le contraire du travail de recherche qui pouvait être parfois assez solitaire. Son travail alliait donc théorie et pratique, j'ai trouvé cela super intéressant. Elle nous avait fait participer à un de ses projets où elle-même travaillait avec le Louvre et elle avait élaboré un dossier sur une thématique précise qui avait intéressé le Louvre. Elle a ainsi constitué une équipe et monté le projet avec eux, elle a géré le projet entièrement et c'était très intéressant.

1.2 Cheminement pour arriver jusqu'en thèse

À partir de ce moment-là je me suis dit « C'est ça que je veux faire. ». À côté de l'enseignement, la recherche me paraît donc être un très bon compromis. J'ai continué mes études en faisant le Master 1 Design, Arts et Médias puis le Master 2 en spécialité recherche, et enfin le doctorat. Je vais vous expliquer le cheminement administratif pour y accéder, quel parcours ! Après le master effectivement on n'est plus dans une classe, on est tout seul avec le directeur de thèse. À la fin du master on a donc passé la soutenance en juin et début juillet, j'ai commencé à travailler sur une première version de l'élaboration de mon sujet de thèse. À ce moment-là, j'ai balancé toutes les idées que j'avais pour ensuite pouvoir élaguer et choisir de ce qui était faisable au vu du mémoire, et ainsi prendre du recul pour voir ce qui a fonctionné ou non, et choisir ce qui peut être repris. Tout ceci s'est retrouvé dans une première version « crash test » du projet de thèse. Début août, j'ai par la suite contacté Catherine [Chomarat] pour avoir son avis sur sa première version du projet de thèse et ainsi voir si on pouvait continuer de travailler ensemble là-dessus, car ma thèse porte à la fois sur le design mais aussi sur l'anthropologie. Il fallait s'assurer que je parlais de mon sujet du point de vue du design et non de l'anthropologie, sinon il aurait fallu se tourner vers un anthropologue. On a ainsi continué à affiner ce projet de thèse ensemble. La question du financement s'est posée aussi, et Margaux vous en parlera car on n'a pas eu la même approche. Il faut savoir néanmoins qu'on ne peut pas commencer de doctorat sans avoir de financement. Il y en a plusieurs possibles, on peut obtenir un contrat avec des entreprises : soit notre sujet les intéresse, soit les sujets qu'ils proposent nous intéressent, auquel cas on travaille pour eux et pour nous-même à la fois. De mon côté, c'était déjà bien trop précis pour trouver quelqu'un qui s'intéresse à ça. Après il y avait aussi la possibilité d'obtenir un contrat doctoral, mais dans mon cas c'était impossible au niveau des dates puisqu'il aurait fallu postuler en janvier du Master 2 et, à ce moment-là, on n'avait pas écrit notre mémoire, donc élaborer un sujet de thèse aurait été impossible. La solution la plus probable était celle d'avoir un travail à côté. Je me suis demandé si j'allais candidater à des endroits où j'allais faire de la recherche. En réfléchissant, je me suis dit que je n'avais pas envie de faire de la recherche toute la journée pour ensuite rentrer chez moi et faire de la recherche à nouveau. J'ai ainsi postulé dans des musées pour faire de la médiation ou de l'accueil. J'ai ainsi commencé à travailler au Musée d'Orsay en octobre dernier. Cela faisait une activité moins solitaire dans la journée et également moins cérébrale. Ainsi, quand je rentrais le soir, je pouvais être d'attaque donc mon choix était stratégique. En septembre on a pu valider la version finale du projet de thèse. Comme les candidatures sont assez tardives, c'est-à-dire mi-octobre, avec une validation mi-novembre, j'ai alors commencé directement à travailler. Voilà pour ce qui est du cheminement officiel pour aller jusqu'à la thèse.

1.3 Comment fonctionne une thèse

Maintenant je vais vous expliquer plus en détails mon travail. En ce qui me concerne c'est une thèse plus un projet que je dois faire. Certains doctorats sont entièrement académiques et l'on doit se concentrer sur une thèse à écrire. Cependant ma thèse allait dans la continuité de mon master où j'avais à écrire un mémoire accompagné d'un projet. Ensuite j'ai appris l'existence du portfolio. Quand on écrit une thèse on valide 150 ects sur les 180 requis. Les 30 restants, on les obtient par des missions à remplir qu'on doit être capable de justifier à la fin. On choisit celles qu'on va vouloir faire ou non, celles qui correspondent à ce dont on a besoin pour faire avancer le sujet. Il y a ainsi quatre grandes catégories : la première c'est apprendre, ensuite on a à produire, encadrer et s'insérer et on retrouve dedans par exemple la conférence d'aujourd'hui. La publication d'articles fonctionne également. Par exemple, j'ai publié dans la revue en ligne dont Catherine Chomarat-Ruiz est rédactrice en chef un article qui fait la synthèse de ma recherche en master, et qui fait une ouverture sur le début de mon doctorat. C'est donc ce que je vais vous dire aujourd'hui mais en plus développé. C'est ce genre d'actions qui nous permettent de remplir ce portfolio sur les quatre années, comme également le voyage d'études ou l'enseignement. Les possibilités sont nombreuses pour arriver au bout de ce portfolio.

1.4 Présentation du sujet de thèse : l'anthropologie au service du design territorial

Je vais vous expliquer en quoi mon doctorat va plus loin dans la recherche que ce que j'avais commencé en master dans mon mémoire. Quand on est dedans, on a l'impression d'essorer le sujet et d'aller jusqu'au bout parce que j'ai choisi de continuer le même sujet que je traitais en master. Il faut ainsi prendre du recul pour voir dans quoi on va replonger. Je vais resituer mon sujet : je m'étais intéressée à la manière dont les territoires en déshérence pouvaient inspirer aux designers une révolution écologique. Tout avait commencé pour ma part avec la lecture de Design pour un Monde réel1 de Victor Papanek. Je me suis dit que c'était quand même un designer-praticien qui en 1971 dénonce l'aspect capitaliste du design comme étant quelque chose qui est complètement réservé aux pays les plus développés et les plus riches. Le design est produit en série, c'est parfois des choses dont on n'a même pas besoin. Lui s'intéresse aux pays du tiers-monde — à l'époque il appelait ça de cette façon même si aujourd'hui l'appellation est contestable. À cette époque c'était déjà énorme de s'intéresser à différentes façons de faire du design qui se contentait du peu de choses qui nous entourent dans les pays défavorisés. C'est du vernaculaire précurseur. J'ai trouvé ça très bien de s'intéresser à ces territoires-là. Ce qui m'avait interpellée c'était l'appellation « Tiers-Monde » qui sous-entendait une hiérarchie entre les territoires et les différents pays. Cela sous-entend également que ces pays-là ont tout à apprendre de nous. C'est une vision unidirectionnelle qui sous-entend qu'eux n'ont pas grand-chose à nous apporter dans le sens inverse. C'est un peu cet aspect qui a lancé le début de ma recherche. Je me suis dit que tous les pays non-occidentaux ainsi que les territoires autochtones regorgent de techniques, de manières de vivre et de fabriquer qui sont différentes et qui peuvent nous sembler totalement novatrices. Je me suis alors intéressée de plus près à tout ça. Et effectivement parfois c'est par la force des choses qu'il y a certains dispositifs qui sont produits. Nous, par exemple, on a l'habitude de tout obtenir en claquant des doigts sans se préoccuper de la manière dont c'est fait, savoir s'il y a des marchandises qui sont trop produites ou non. Là-bas au contraire il y a un discernement, où chaque chose est produite en pleine conscience, où les techniques sont géniales à étudier.
Pour ces territoires-là, je me suis dit que c'était impossible d'écrire et de travailler dessus alors que moi je suis ici en France. J'ai ainsi décidé d'y aller pour voir. J'ai fait des recherches et je me suis attardée sur le peuple Sami qui s'étend sur toute la Laponie suédoise, norvégienne, finlandaise et russe. Je me suis rendue en Laponie suédoise où j'ai pu rencontrer des personnes de cette population là et voir comment ils vivent sur place. Ce qui me semblait intéressant était le fait qu'il s'agissait du dernier peuple autochtone d'Europe. Et donc c'est un territoire européen occidental qui se trouve dans l'un des pays que l'on considère comme étant le plus développé. On n'a donc pas besoin de se rendre dans des pays plus éloignés pour trouver des territoires en situation de déshérence. Je me suis intéressée à cette population dans le but de contribuer, à travers cette recherche, à une abolition de cette hiérarchie sous-jacente entre les territoires et ainsi montrer qu'il y aurait une hybridation possible entre les techniques de ces territoires là et de notre contexte de vie à nous. Cette hybridation s'applique aux techniques mais aussi aux idées et j'ai essayé d'en dégager des principes et de voir comment les adapter chez nous. Voir également ce que cela peut nous apporter d'un point de vue écologique et jusqu'où cela peut aller. Mon projet s'articulait autour de tous les principes possibles que j'avais repéré sur place pendant mon séjour d'une semaine. J'ai essayé de montrer qu'il y avait un large potentiel de projets possibles à établir et de principes à adapter. Dans chaque territoire c'est la même chose donc on peut vraiment se réapproprier et partager des techniques entre territoires. Je m'étais arrêtée sur un aspect en particulier, celui de la récupération d'imperfections naturelles. Les Samis reprenaient les excroissances des arbres pour les couper, les vider et les façonner. C'est de cette façon qu'ils font les bols, les assiettes. Ce qui m'avait intéressé était ce cycle de récupération de la matière pour la transformer, c'est un renouvellement du cycle de vie. Je l'avais adapté à mon contexte en reprenant ce qui déborde, ce qui ne sert plus. On tombe ainsi vite sur les déchets, les poubelles, le recyclage de toutes les matières plastiques, les métaux, les cartons. Moi, j'avais travaillé autour du carton en essayant de proposer une collection de vaisselle en pâte à carton et bioplastique. J'avais ainsi allié la Laponie et le Centre-Val de Loire, chez moi. J'avais repris des anciens moules de la faïencerie de Gien pour mouler la vaisselle dessus.
Avec le recul au fur-et-à-mesure de la recherche, je me suis rendu compte qu'au-delà qu'une hybridation des techniques, il était question d'une hybridation des disciplines où l'on mêlait le design à l'anthropologie. Encore une fois le terme hybridation c'était le terme du moment. À ce moment-là cela me paraissait improbable et impossible qu'un designer se rende dans un territoire en déshérence sans effet de domination inconsciente. Sans l'anthropologie il y aura toujours un aspect de domination culturelle où ils pensent devoir apporter quelque chose sans rien en retirer en retour. L'anthropologie apporte tout l'aspect des sciences sociales : on s'intéresse au contexte, aux personnes ainsi qu'aux manières de faire. C'est tout l'aspect humain qui vient en plus et je me suis dit que c'était là-dessus qu'il allait falloir continuer et prolonger la recherche. Le doctorat m'a permis d'aller plus loin pour pouvoir me focaliser sur cette association pour la pousser et voir ce qu'il en est, voir si d'autres personnes en parlent, quels sont les termes utilisés pour définir la relation entre les deux. Je me suis vite rendu compte que cette discipline-là était naissante car elle est apparue fin des années 2000, et qu'il y a très peu de personnes qui ont écrit des ouvrages entièrement consacrés à ça. Il doit y avoir sept ouvrages écrits dessus et ils sont tous anglophones. Il y a deux points géographiques où on travaille sur cette thématique qui sont les États-Unis et le Danemark. En plus de cela ce n'est pas forcément vu de la même manière aux deux endroits et les personnes ne sont pas en contact les unes avec les autres. Je me suis pour ma part recentrée sur l'anthropologie au service du design territorial. C'est la même thématique que mon mémoire mais je suis allée plus loin dans la liaison entre design et anthropologie. Dans un premier temps il m'a fallu comprendre tout ce qui a été écrit dessus. Tout ce qui a été écrit ne se ressemble pas, certains écrits ressemblent à des guides pour comprendre comment l'anthropo-design fonctionne, d'autres où c'est plutôt une sorte de répertoire de définition de la nature qui peut exister entre les deux, d'autres encore où c'est plutôt chronologique et qui expliquent comment les deux disciplines en sont venues à se rejoindre. Il m'a fallu faire tout ce travail d'état des lieux de cette discipline pour comprendre ce qui a déjà été fait et voir où je peux me glisser. Je vais vous parler des ouvrages. Celui de Christine Miller que j'ai pu rencontrer. Elle est aux États-Unis et semble un peu extraite de ce qui se passe au Danemark2. Son ouvrage est très intéressant et explique la relation entre ces deux disciplines. Après on a Rachel Charlotte Smith qui elle est au Danemark explique la rencontre entre les deux disciplines et leur impact sur le design et l'anthropologie3. Ensuite il y a Wendy Gunn4. Toutes ces personnes-là travaillent ensemble et forment une équipe.

1.5 Méthodologie de travail : exploration académique du design et de l'anthropologie

Maintenant je vais vous expliquer ma méthodologie de travail. Avant cela je vais vous rappeler que la méthodologie globale c'est exactement la même que celle du mémoire, c'est juste que cela dure plus longtemps. Plus particulièrement je me suis organisée en trois temps : une première phase qui est plutôt académique parce que j'avais besoin de beaucoup lire et voir ce qui se passe. Les deux autres phases sont plus relationnelles avec un moment d'entretiens avec ceux qui se disent anthropo-designers. Et ensuite une phase d'observation où il serait question de pouvoir les rencontrer pour voir comment ils agissent et comment ils pratiquent.

Pour la phase académique, celle où je me trouve actuellement, elle se compose de lectures ainsi que l'élaboration de documents de synthèses qui sont de bons outils de travail. Je me suis intéressée aux mots et appellations qu'utilisent les personnes qui parlent d'anthropologie et de design, cela permet de voir aussi s'ils y sont favorables ou pas. Certains ne le sont pas trop, ils parlent par exemple de provocation. D'autres parlent timidement de chevauchement et de bricolage. Après on parle d'hybridation donc on retrouve ce terme. À ce moment-là on parle d'une troisième discipline créée à part entière. Après on a des questions de rencontres et de relations, on parle d'une anthropologie aux moyens du design. En anglais, on parle de design-anthropology mais il n'y a pas de terme en français. Comment savoir alors, si on parle d'anthropologie du design ou de design anthropologique ? On parle également d'un domaine transdisciplinaire. Je me suis beaucoup appuyée sur cette appellation là car Christine Miller parle des niveaux différents d'investissement des deux disciplines jusqu'à ce qu'elles commencent à se fondre l'une dans l'autre et que l'on crée une discipline à part entière. Pour ma part je me retrouve plus dans cette définition-là. Après parfois on parle aussi de méthodologie et cela me paraît intéressant aussi. Une méthodologie décolonisée qui évite le colonialisme et c'est aussi ce que l'on cherche à fuir aussi du côté de l'anthropologie. À mon avis si les deux se sont retrouvés ensemble ce n'est pas arbitraire, c'est aussi parce que les deux ont commencé de manière radicale. L'anthropologie au commencement a un passé colonial. Du côté du design on a l'aspect élitiste et capitaliste. Il y a deux passés à surmonter ainsi que des présupposés qui leurs collent encore aujourd'hui à la peau. C'est pour ça que parler de méthodologie décolonisée me paraît intéressant.


Figure 2. Timeline. La genèse de l'anthropodesign à nos jours.

Cela c'est un début de timeline que j'ai faite qui permet de comprendre d'où sont parties ces deux disciplines. Au XIXe siècle par exemple on a Henry Cole qui caractérise le design comme l'amélioration de l'apparence des produits. De son côté, l'anthropologie était vue comme l'étude exclusive de sociétés non occidentales. Donc on a là quelque chose de très catégorique. Aujourd'hui on a bien avancé et vraiment tous les territoires peuvent être sujets de l'anthropologie. On retrace toutes les publications qui ont eu de gros effets dans une discipline ou dans l'autre. Bien sûr on a la Seconde Guerre mondiale qui a eu des effets dans les deux disciplines. On a également une mutation dans les années 1950-1960 que cela soit aux États-Unis ou en Europe. On passe du design centré objet au design centré utilisateur. Concernant l'anthropologie on se décale doucement des projets traditionnels, on s'ouvre un petit peu plus. À partir des années 1970 on peut dire qu'il y a une naissance du design anthropology car le design se tourne vers quelque chose de plus social. La parution du livre de Victor Papanek5 arrive dans les mêmes années et cela contribue à tout un tas de micro-fractures dans les deux disciplines ce qui contribue à les rapprocher l'une de l'autre. On a la publication de James Clifford et Georges Marcus6 qui provoque des décalages en anthropologie qui accentuent la critique et l'auto-évaluation. C'est ce qui manquait à l'anthropologie et que le design peut apporter. Les années 1990 lient plus l'ethnographie au design et à ce moment-là on parle de design ethnographiquement informé. Ce n'est pas encore une fusion ou une transdisciplinarité. Finalement au cours des années 2000 on commence à se servir du savoir- faire des anthropologues au sein du processus de design et vice versa, on tend vers la transdisciplinarité. Après dans les années 2010 c'est là que les ouvrages dont je vous ai parlé sont sortis. Le premier livre à avoir mentionné un rapport entre design et anthropologie date par exemple de 19877.

1.6 Les phases d'entretiens et d'observations

La phase d'entretiens je l'ai commencée en douceur en prenant contact avec eux et me faire connaître d'eux. La majorité d'entre eux sont anthropologues et je voulais savoir d'où leur était venue l'idée de travailler sur le design. Sur les quatre personnes contactées, trois m'ont répondu immédiatement et ont été très gentilles. Il y a une forme d'urgence car la discipline est tellement récente que peu de personnes en parlent et il faut le faire perdurer. Pour cette raison ces personnes sont ravies de pouvoir partager ce qu'elles font. On se rend compte dans le fil de la discussion que ce sont des gens qui ont choisi de travailler ce domaine par eux-mêmes. Il n'y a pas un auteur majeur de référence, c'est toutes ces personnes-là qui sont un peu pionnières. Au moins je sais que ces personnes-là sont disponibles et peuvent partager des informations pour contribuer à cette recherche-là. Par la suite j'élabore une série de questions plus précises mais avant j'attends d'avoir lu tous leurs livres pour avoir des questions un peu plus ciblées. Pour la phase d'observation j'irai avec ces personnes-là pour voir comment ils pratiquent l'anthropodesign car dans les livres on est plus dans la description et le théorique, on n'en est pas encore à relater des expériences de projets et de pratiques. Il me semble intéressant de comparer la manière dont ils en parlent et la manière dont ils le pratiquent. À mon avis tout cela peut m'apporter des informations que je pourrais adapter à ma propre pratique. Je pense avoir fait le tour de la question. Si vous, vous en avez, n'hésitez pas.

2. Discussion

Catherine Chomarat-Ruiz 
Le temps des questions est venu. Y-a-t-il des questions que les auditeurs et auditrices souhaitent poser par rapport à cet exposé ?

Margaux Moussinet 
J'ai l'impression que pour toi l'idée de faire un doctorat est arrivée très tôt...

Camille Mançon 
Oui, en licence.

Margaux Moussinet 
Donc c'était ton objectif de faire de la recherche très tôt dans tes études ?

Camille Mançon 
Avant je savais que je voulais enseigner et pratiquer à côté, mais je ne savais pas de quelle manière je voulais pratiquer et, quand Sophie Fétro nous a parlé de la recherche, c'était parti pour ça. Par la suite je n'ai jamais changé d'idée et je me suis dirigée vers ça.

Catherine Chomarat-Ruiz 
J'ai une question sur le fond qui concerne un point épineux. Tu dis : « Au départ j'étais partie sur une hybridation des disciplines », et j'ai beaucoup apprécié la façon dont tu tires parti de tes compétences de designer pour rendre intelligible ton propos. J'ai particulièrement apprécié cette diapositive où tu montres comment la relation entre les deux disciplines est qualifiée. Finalement, tu dis que c'est plutôt le terme de « transdisciplinarité » qui convient le mieux. Est-ce que tu pourrais expliquer ce passage de la notion d'« hybridation » à celle de « transdisciplinarité » ?

Camille Mançon 
La relation est transdisciplinaire entre les deux car il y a un niveau d'investissement dans les deux disciplines tel que l'on parle de transdisciplinarité, car ce n'est pas un chevauchement mais plutôt comme une troisième discipline. Cet investissement des deux fait surgir quelque chose de nouveau. Effectivement il n'y a pas une bonne réponse car tout le monde est un peu hésitant sur le sujet. En tous cas le terme de transdisciplinarité est ce qui me convient le plus.

Catherine Chomarat-Ruiz 
Ne penses-tu pas que, finalement, ta thèse va servir à ça ? À essayer de mettre une forme de précision sur la manière dont cette discipline peut se construire ? C'est-à-dire préciser l'objet, la méthode suivie, les principaux concepts ? Est-ce que ce n'est pas de cela dont il s'agit ?

Camille Mançon 
Si, je pense que oui. Surtout après avoir commencé à en parler avec les auteurs. Je pensais qu'ils étaient tous clos sur ce qu'ils pensent et en réalité il y en a certains qui ne sont même pas en relation avec les autres. Je pense que cela va servir à faire le point sur ce qui existe, faire un lien d'abord pour ensuite faire la synthèse et voir ce qui en ressort.

Catherine Chomarat-Ruiz 
Je trouve que ce qui est tout à fait intéressant dans ton exposé, pour avoir vu évoluer ton travail, ce sont les phases, ce que tu appelles la « méthodologie de travail ». Avec la phase académique, et le lien que tu établis entre cette phase et la phase d'entretiens et d'observations, la question qui est aussi posée à travers ta thèse est, au fond : « Comment procéder ? » Et là je trouve qu'on a une réponse pertinente car tu te sers des outils, comme les entretiens et l'observation : tu prends des outils dans d'autres champs que le design pour y voir clair dans une question qui te tient à cœur. Ce qui fait la pertinence du propos, c'est la façon dont tu te saisis d'outils pour servir notre propos.

Camille Mançon 
Cela a été un peu impulsé avec le master aussi, parce qu'avec le mémoire, on nous montrait comment aborder les choses et j'ai vu comment il était possible d'envisager un sujet. Là, cela me guide bien et cela me permet d'y voir clair.

Catherine Chomarat-Ruiz 
Merci, Camille, pour ton exposé. Margaux, cela va être à toi.

3. Conférence de Margaux Moussinet

Merci beaucoup Catherine pour l'invitation, c'est émouvant de pouvoir partager ce que je fais et je pense que le doctorat en design on n'en parle pas assez. La question c'était : « Un doctorat, pour quoi faire ? » Mais je pense que je vais essayer de répondre à la question aussi : « Comment faire ? ». Parce qu'entre l'idée de faire un doctorat et réellement le faire, ce n'est pas évident. J'espère qu'avec Camille, à défaut de susciter des vocations, on pourra au moins répondre à vos questions et vous donner les clefs en tant qu'étudiants de Master 2.

3.1 Formation

Je vais commencer par me présenter. J'ai fait un bac scientifique général, puis j'ai fait deux ans en classe préparatoire art et design pour préparer le concours de l'ENS Cachan et j'ai aussi préparé le concours de l'ENSAD. Ce sont des concours que je n'ai pas eus. Je suis donc arrivée dans le milieu universitaire par le biais d'un partenariat entre ma classe prépa et l'Université Paris 1 Panthéon Sorbonne, et je suis arrivée en Licence 3 Design, Arts et Médias. Il faut savoir que lorsqu'on est dans une classe préparatoire et que l'on n'a pas les concours, arriver à l'université, au début c'est vécu comme un échec. C'est horrible à dire. Je suis donc arrivée dans le milieu universitaire par défaut. Après l'année de licence et les deux années de master, j'en reprends encore trois ans pour le doctorat. J'ai donc peut-être bien fait d'arriver dans le milieu universitaire. Je vais un peu insister sur la transition entre le master et le doctorat puisque moi, à la différence de Camille, au début je n'envisageais pas du tout de faire un doctorat et c'est arrivé vraiment pendant le master de recherche. Je vais m'attarder sur cette transition et les questions qu'on se pose. J'ai eu mon master en juin 2019, et en juillet 2019, étant donné qu'on n'était pas concernés par les restrictions sanitaires du Covid, je l'ai fêté. À la suite de ça se pose la question : « Et maintenant tu vas faire quoi ? ». Cela peut être un moment assez difficile à vivre. Ma réponse était que j'envisageais de faire un doctorat. La réaction que j'ai eue était : « Mais qu'est-ce qu'elle est en train de nous faire ? ». C'était plutôt de la perplexité dans mon entourage qui ne savait pas ce que c'était le design, ni le doctorat, et encore moins le doctorat en design. On se pose mille questions, on se dit qu'on veut faire un doctorat mais on se demande : « Comment je vais faire ? ».

3.2 Après le master : pourquoi faire un doctorat ?

Maintenant je vais prendre les points d'interrogation un par un pour vous dire comment j'ai trouvé des réponses. Première question, celle qui est finalement celle que Catherine nous a proposée aujourd'hui, c'est : « Pourquoi faire un doctorat ? ». Première réponse : « Parce que je veux faire de la recherche ». Cela était loin pour moi d'être évident, car comme l'a dit Camille, on ne sait pas que c'est un métier. Pour moi ça a toujours été un peu compliqué, car je faisais des études en design, et comme vous l'avez vu je n'ai jamais eu de formation très professionnalisante. La classe préparatoire comme le cursus universitaires sont très ouverts mais on apprend beaucoup plus à réfléchir à ce qu'on fait, qu'à faire. C'était donc très difficile de se projeter en tant que designer. Ce que j'aimais, et ce pour quoi j'étais douée, c'était : lire, réfléchir, écrire. Dans un projet, tout ce qui m'intéressait était la phase d'analyse d'un projet, par contre toute la partie développement d'un projet m'intéressait beaucoup moins. Jusqu'à maintenant je ne savais pas qu'on pouvait être payée pour réfléchir, lire, écrire et faire tout ce que j'aimais faire. Faire de la recherche son métier a été pour moi la grande découverte du master.

Deuxième point d'interrogation : « Quel est ce métier, comment occupe-t-on ses journées ? ». Cela rejoint toujours le : « Pourquoi je veux faire de la recherche ? ». La recherche en design est très difficile à visualiser contrairement à la recherche en médecine par exemple. J'expliquais à mon entourage que, comme en médecine, quand on fait de la recherche on répond à une question à laquelle on a envie de répondre. L'été qui a suivi mon master, le but a été de définir cette question. Il faut ensuite savoir que le doctorat c'est quelque chose de très solitaire. C'est un moment où on sort complètement du système de classe, de cours, de professeur. Vous êtes juste vous face à vous-même. C'est vous qui fixez vos contraintes et vous imposez des étapes. Si vous n'avez pas envie de répondre à votre question vous ne pourrez jamais aller au bout de votre thèse. Il ne faut pas oublier que le corps humain est assez fainéant et qu'entre rester sous sa couette ou se lever pour lire pendant parfois huit heures, il faut bien qu'il y ait l'envie et la motivation pour le faire. La définition de la question de recherche est donc très importante. J'ai un peu fait comme Camille et j'ai pris du recul après le master pour réussir à définir une question qui serait à la fois plus large, car on a quand même trois ans pour la traiter, et qui serait en même temps assez spécifique car à la fin du doctorat on est spécialiste de son sujet. On va produire des connaissances qu'a priori personne d'autre n'a produites. Sinon notre question n'a pas lieu de se poser si quelqu'un d'autre y a déjà répondu. Il faut trouver l'équilibre entre ce qu'on sait déjà de notre master, et extraire une question qui nous ouvre un terrain plus large, et qui va aussi permettre de se spécialiser.

3.3 Objet de recherche : Lorsque la lettre fait image, l'esthétique de David Carson

Comme je vous le disais je n'ai jamais eu de formation très spécifique mais petit à petit je me suis dirigée vers le design graphique. En master j'ai produit un mémoire sur les livres de graphistes, qui sont des objets un peu hybrides. Ils sont entre le livre qui est fait pour être lu, et le livre d'artiste qui tend vers l'œuvre d'art et devient difficile à lire et dont la matérialité prend le pas sur le contenu. J'ai conclu dans mon mémoire que ces objets avaient une autre fonction que celle de la lecture et qu'ils avaient une fonction esthétique. En prenant du recul par rapport à tout ce que j'avais fait, je me suis rendu compte que la matérialité de l'objet livre se jouait au niveau de la lettre ainsi que de la composition du texte. Finalement je ne me suis pas intéressée à la reliure ou à d'autres propriétés physiques en termes de choix du matériau. Je me suis rendu compte que ce qui m'intéressait se situait entre le design graphique et la typographie. Ce qui a été révélateur a été mon projet de mémoire qui était un projet de typographie.

Je vais retracer la genèse de ce projet. J'avais déjà travaillé sur la plasticité de la lettre en Licence 3 lorsque pendant un cours on nous a demandé de réinterpréter un caractère qui existait déjà. J'avais fait plein de recherches graphiques, et l'enjeu de ce projet était de déterminer quels éléments appartiennent à la typographie qui existe, et qu'est ce qui va faire que nous inventons quelque chose de nouveau.


Figure 3. Projet de composition typographique à partir d'une relecture du Garamond

Comme vous le voyez là vous avez une composition où j'ai voulu garder la forme des lettres mais d'y ajouter la texture d'une lettre qui va permettre à la lettre de gagner en plasticité et de s'imposer, peut-être même au détriment de la lecture. C'étaient donc des questionnements qui en Licence 3 avaient émergé. Lors de mon projet de master, je suis allée au bout et j'ai créé ma typographie de A à Z avec les capitales, les minuscules, l'italique. Il y a eu tout ce travail de dessin. En master j'ai donc franchi un cap et c'était satisfaisant d'aller au bout de ce projet-là. Comme je n'avais pas envie de m'arrêter là, je me suis posé des questions pour rejoindre toutes mes pistes et les pressentiments que j'avais sur la plasticité de la lettre qui allaient empêcher la lecture, ou du moins faire lire autrement. J'ai alors créé d'autres versions, l'une avec les déchets de mes dessins, avec les lettres que je jugeais les moins réussies. Je rentre maintenant dans des choses un peu plus techniques : en typographie on a quelque chose qui s'appelle la hauteur d'œil qui fait que toutes les lettres vont avoir la même échelle. Pour ma part j'ai voulu garder ces échelles de dessin complètement différentes et divergentes en fonction des lettres. Ma troisième piste a été de jouer sur l'approche, c'est-à-dire la distance qu'il y a entre les lettres pour voir à quel point on pouvait créer une texture de lettres. En licence 3 j'avais déjà la préoccupation d'interroger la plasticité de la lettre, qu'on perd totalement quand on utilise les typographies en traitement de texte. En Master 1 et en Master 2, tout mon projet de recherche se situait entre la typographie et le design graphique. Maintenant arrive le doctorat où je me recentre sur cette lettre et sur la plasticité de la lettre et où j'abandonne l'objet livre. En septembre 2019, je vous présente la version définitive de mon projet de doctorat, bien sûr il y a eu plusieurs aller-retours comme Camille avec Catherine. Voici le titre officiel de mon doctorat : « Lorsque la lettre fait image, l'esthétique de David Carson », parce que j'étudie le travail de David Carson. Je présente dans mon projet de thèse brièvement David Carson et pourquoi je l'ai choisi.

3.4 Travail de David Carson

David Carson est un designer graphique mais à la base c'était un surfer professionnel. Il est complètement autodidacte, il a appris le design graphique en explorant les logiciels.
Il a travaillé dans la direction artistique de plusieurs magazines et il a complètement révolutionné la mise en page. Là on n'est pas dans un travail artistique, on est dans le cadre du magazine. Imaginez si vous recevez votre Elle Décoration ou votre Marie Claire mis en page de cette façon-là, c'est complètement révolutionnaire. C'est quelque chose qui pose question. On a par exemple d'autres revues comme Emigre, qui montre des expérimentations typographiques. Là pas du tout, c'étaient des magazines dédiés à des sports de glisse, que ça soit le skate ou le surf. On n'est pas du tout dans des revues qui appartiennent au champ du design graphique, et lui arrive et il éclate complètement les compositions comme ça, il malmène les lettres à sa guise. La question que je me pose c'est : « Comment d'un point de vue esthétique on va recevoir ça ? ». On n'est plus du tout dans de la lecture ou du fonctionnel, on est vraiment dans de la pure image quand on a toutes les lettres qui sont complètement embrouillées et qui forment un nœud de texte. La question que je me pose c'est comment on va esthétiquement recevoir ça. Et comment on va réagir à ces objets. Ce qui est intéressant à savoir, c'est que David Carson a été autant admiré que décrié. Certains l'ont qualifié de précurseur, d'autre de fou. Il faut savoir qu'il n'a pas que travaillé pour des magazines de niche, il a aussi été demandé par des marques pour créer leur publicité.

3.5 Méthodologie : dans quel cadre faire son doctorat ?

Pour rejoindre toute la partie méthodologique qu'a présentée Camille, au moment de votre projet de doctorat on vous demande par quel moyen vous allez vous y prendre pour répondre à votre question. Cela pour moi n'a pas été évident, cela a été compliqué à déterminer. Il faut savoir par quel angle on va attaquer notre sujet, dans quel ordre. Il faut savoir que le design graphique, on l'a vu dans la première conférence, c'est quelque chose qui est un peu hybride. Cela touche les médias, cela touche la communication, cela touche aussi la sémiologie. Moi j'ai choisi de l'aborder sous l'angle de l'esthétique. Maintenant que mon projet de doctorat est prêt, la question qui se pose est : « Où est-ce qu'on va faire notre doctorat ? et dans quel cadre ? ». La question à laquelle il va falloir répondre c'est : « Quelle place voulez-vous accorder à votre pratique ? ». Cette question est corrélée à votre projection dans votre futur métier : est-ce que vous voulez être chercheur ? Enseignant-chercheur ? Designer-chercheur ? On a toujours un équilibre à trouver entre la dimension réflexive et la part de projet. Je reviens encore à la première conférence de Vivien Philizot, mais lui expliquait : bien qu'il soit designer et qu'il soit enseignant-chercheur, il dissocie complètement les deux activités. Pour lui quand il fait de la recherche, il fait de la recherche, et quand il fait du design, il fait du design. Il faut savoir qu'il existe de la recherche par le design où le projet de design fait partie du projet de recherche. La question du cadre institutionnel dans lequel on va faire notre projet de recherche se pose. On peut faire une thèse en dehors de l'université, par exemple on peut faire une thèse aux Arts Décoratifs, ou à l'ENSCI ou dans des grandes écoles, où on va avoir une part de pratique beaucoup plus importante. Pour répondre à ma question je me suis appuyée des lectures sur la recherche en design. On peut dégager trois façons de combiner recherche et design. La recherche sur le design, finalement c'est un point de vue extérieur : on va prendre le design comme objet d'études, mais on ne regarde pas le design de l'intérieur. C'est de la recherche qui va se faire à l'université mais qui va se faire dans d'autres disciplines. On a aussi la recherche pour le design, où à l'inverse on va partir de projets très spécifiques et d'une pratique, presque comme une thèse en arts plastiques. On va partir d'une production personnelle et notre thèse va découler de cette pratique. À ce moment-là on se situe plutôt du côté des écoles d'art. Pour ma part je me situe entre les deux, c'est-à-dire la troisième option : la recherche-création. Je ne pars pas de ma pratique personnelle mais je vais à un moment donné de mon doctorat penser un projet qui va pouvoir m'aider à répondre à cette question. Je n'ai pas encore commencé à me lancer dans le projet. On regarde le design depuis l'intérieur, on n'est pas que théoricien, on a aussi une part de pratique. Pour revenir également à ces questions d'angle d'attaque de la discipline, je m'appuie sur un schéma d'Alain Findeli8, qui explique que l'objet disparaît : petit à petit en design on se centre moins sur l'objet, on élargit ce champ du design à ce qu'il se passe en amont (conception) et en aval (utilisation). C'est un peu comme ce que disait Camille, on passe d'un design centré objet à un design centré utilisateur. On sort de l'objet sauf que moi je vais y revenir car je me centre sur la réaction qu'on a face à l'objet. D'où les disciplines qu'il associe aux différents moments qui m'ont aidée à déterminer que c'était par l'esthétique que je voulais entrer dans mon sujet.

3.6 Choix du directeur de thèse

Une fois que vous avez déterminé votre sujet, l'autre grande question c'est : « Avec qui ? ». Sans grande surprise je suis dirigée par Catherine Chomarat-Ruiz. Il faut peut-être un peu revenir sur ce choix. Plusieurs possibilités s'offrent à vous. On conseille souvent de choisir un directeur de thèse qui est spécialiste de votre sujet. Sauf erreur de ma part, Catherine Chomarat n'est pas spécialiste en design graphique. Je ne voulais pas être dirigée par une spécialiste du design graphique sinon je me serai tournée vers Catherine de Smet, par exemple. Je vous explique pourquoi. Il y a quand même l'idée que vous allez devenir le spécialiste de votre sujet, et finalement toutes les connaissances en design graphique c'était déjà mon champ d'intérêt. Je me posais donc la question de ce qu'un spécialiste en design graphique pourrait m'apporter. Là où j'avais des manques et besoin d'aide, c'était sur le côté esthétique. Je n'avais pas de formation en esthétique, j'avais peu de repères. Finalement Catherine m'apporte tout ce qui est autour du design graphique. Au-delà de ça, c'est quand même la question la plus importante à laquelle vous devez répondre. Là c'est un peu comme si on choisissait son collègue de travail, c'est une forme de collaboration très étroite, le directeur de thèse c'est l'intermédiaire privilégié pour discuter de ce qu'on fait. Entre en ligne de compte tout le côté humain et personnel, il faut se demander avec qui on a besoin de travailler. Il ne faut pas se lancer dans un doctorat avec quelqu'un qu'on ne connaît pas. De mon côté cela se passe bien mais en discutant avec d'autres doctorants, je me rends compte qu'il y a d'autres relations de travail qui ne sont pas si évidentes que ça. Deux critères pour choisir la personne qui va nous diriger : 1) qu'est- ce qu'on veut que cette personne nous apporte ? 2) Humainement, est ce que ça va coller ?

3.7 Question du financement

L'autre question très concrète abordée par Camille, c'est le financement. Un doctorat c'est encore trois années d'études. Pour ma part j'avais envie d'être complètement indépendante. J'ai déjà travaillé en même temps que je faisais mes études et ça ne fonctionnait pas très bien. J'avais besoin de me consacrer à mon doctorat et ne faire que ça. La question de travailler à côté a été vite réglée. Il faut très tôt avoir une idée de sa question de thèse pour obtenir un financement au moment où on s'inscrit en doctorat. Il y a beaucoup de démarches qui se font sur des appels à projet. Au niveau du calendrier, c'est très compliqué parce que jusqu'au mois de juin on est encore dans notre master. Il y a également l'option de prendre une année pour réfléchir à son projet de doctorat. J'ai choisi de ne pas avoir d'année de césure entre les deux et enchaîner. Le contrat doctoral est un vrai parcours du combattant à obtenir. J'ai donc eu recours à un prêt étudiant. C'était le choix qui me permettait de me consacrer qu'à mon doctorat.

3.8 Et depuis le projet de doctorat ? : l'évolution de la recherche

Arrive enfin le moment de l'inscription officielle, presque six mois après l'obtention du master. Finalement, une fois qu'on est inscrit, que fait-on ? On a notre question, le biais par lequel on voulait rentrer. Que fait-on concrètement de nos journées quand on est en doctorat ? Pour ma part il fallait que je me forme en esthétique, et aussi que je devienne incollable sur David Carson et que je lise tout ce qu'il y avait à son sujet. Suite à ça, il y a un moment où on accumule de l'information, on se dit que si on n'organise pas ce qu'on a amassé cela va devenir une montagne assez difficile à gérer. J'ai commencé un peu à rédiger un premier matériau écrit de mise en forme de ces informations et qui va pouvoir m'être utile par la suite. Quand on fait un doctorat on se pose aussi la question de : « Qu'est-ce que je suis en train de faire ? ». Comme le design est une discipline assez jeune, la recherche en design, on se pose des questions sur les différentes façons de faire un doctorat. J'ai donc entamé une phase de lecture sur la recherche en design Il faut aussi savoir que le doctorat n'est pas que la rédaction de la thèse et c'est peut-être là aussi qu'on déchante un peu. Il faut voir le doctorat comme une formation qui fait le pont entre les études et le monde professionnel. Il va falloir à réfléchir à la communauté à laquelle on a envie de s'intégrer. Il faut s'ouvrir aux autres, publier des articles, s'insérer dans le futur milieu professionnel. Il faut savoir que ça prend énormément de temps. Répondre à un appel à contribution c'est mettre un peu sa recherche de côté pendant un temps.

En doctorat on insiste beaucoup sur le fait qu'on va rédiger une thèse mais je pense qu'il faut aussi parler du fait qu'on fait d'autres choses à côté, et penser qu'on va s'inscrire dans une communauté. Après l'esthétique et les recherches sur David Carson, je suis passée à l'étude de la linguistique et la sémiotique qui sont des notions qui sont interrogées dans la lecture. Puis est venu le confinement. Cela a été des lectures selon ce que j'avais sous la main. C'est bête à dire mais en doctorat on passe beaucoup de temps à rechercher nos sources. Je vais maintenant vous montrer tout ce temps d'organisation des lectures au-delà des fiches de lecture. Avec le logiciel Zotero, vous pouvez organiser vos références, organiser vos dossiers, faire des notices sur les ouvrages. En parallèle de ça j'ai commencé à rédiger des synthèses un peu thématiques qui croisaient mes lectures et commençaient à faire des liens. Ces fiches m'ont aidée à faire des esquisses de plan ou du moins des pistes. Cet été j'ai encore décalé mon sujet de recherche pour faire des lectures sur l'exposition. Pour deux raisons : j'ai répondu à un appel à articles sur les expositions, et aussi parce que j'ai appris que j'allais donner des cours de Pratique d'espace et de Design d'espace aux étudiants en troisième année de licence. J'avais envie d'axer ce cours sur l'espace d'exposition. Il y a eu également toute la phase de recherche des magazines de David Carson. Car il faut savoir que lorsqu'on travaille avec un designer graphique américain, en France on n'a pas beaucoup de matière. Contrairement à Camille qui a bien été accueillie par les personnes qu'elle a contactées, je me suis rapprochée de David Carson et je n'ai pas eu un accueil aussi favorable que celui de Camille. J'ai commencé à lui demander des archives de son travail et il m'a répondu de façon évasive. Cela commence timidement et il faut que je trouve le moyen de l'aborder. Comme je vous le disais, depuis septembre j'ai rédigé mon premier article qui a été publié dans la revue Design, Arts, Médias. Et finalement mon temps de cours a mis entre parenthèse un peu mes recherches. C'était une parenthèse heureuse car je me suis formée à mon futur métier, d'être enseignant-chercheur. J'ai pu enfin me remettre dans mes lectures depuis le mois de décembre. Contrairement à Camille, je suis encore dans l'accumulation et je n'entrevoie pas encore de piste de réponse à ma question. Il faut savoir qu'à la fin de notre mémoire on a répondu à notre question et pour le doctorat on repart de zéro. Je continue de donner des cours de Design d'espace et j'ai pour projet de monter une exposition où on exposera notamment le projet de master de Camille, mais aussi de Coralie Lhabitant.

Voilà, si jamais vous avez des questions, n'hésitez pas, et sinon je vous mets mon adresse mail.

4. Discussion

Cassandra Bonnafous
J'aurais une question, pas sur le doctorat en lui-même mais sur le travail de typographie. Une fois que les lettres ont été créées, est ce que les textes ont été composés à la main ou il y a un logiciel qui permet de créer une typographie et ensuite de l'utiliser directement ?

Margaux Moussinet
C'est vraiment la différence entre ce que j'avais en licence où j'ai dessiné quelques lettres à la main et en master j'ai vraiment créé la typographie. J'ai utilisé comme logiciel Fontlab. Il faut savoir que dessiner des caractères, c'est un métier. Le passage par le logiciel va te permettre d'installer ta typographie sur ton ordinateur, et après tu peux l'utiliser pour taper ton texte.

Eugénie Bidot
J'aurais une question sur le travail de David Carson, est-ce qu'il est passé de la photo-composition pour passer à l'informatique après ? Quelles étaient ses techniques privilégiées ?

Margaux Moussinet
David Carson s'est un peu emparé de la démocratisation qu'a permis l'ordinateur. C'est ce qui lui a été reproché, il a appris le design graphique de cette façon. Il a en effet une pratique de photomontage et de presque découpage collage numérique.

Eugénie Bidot
Je me posais plus la question pour la production de magazines vu que c'est à une époque charnière, les années 1980, où on passe du procédé de photocomposition à l'informatisation progressive. Comment étaient imprimés les magazines pour lesquels il a travaillé tout simplement ?

Margaux Moussinet
Pour les magazines, à chaque fois il a travaillé avec des éditeurs qui lui ont laissé une grande marge de liberté. Après c'était édité comme un magazine normal.

Eugénie Bidot
Ce que je veux dire c'est qu'il y a eu cette transition et qu'avant ça n'était pas produit numériquement. C'était produit avec le procédé de photocomposition, et je voulais savoir s'il s'était emparé un peu de cette technique.

Margaux Moussinet
Lui s'est complètement emparé des procédés du numérique et produisait un fichier composé de couches et de calques. Lui il est très progressif. Il est sur Instagram alors qu'il doit avoir 70 ans. Il cherche à tirer parti de ce qu'il y a de plus nouveau.

Laura Tchatat
Moi j'ai deux petites questions. Est-ce que le doctorat doit forcément être dans la continuité du sujet du master ? Et est-ce que c'est pertinent, si on ne choisit pas la carrière universitaire, de faire un doctorat ?

Margaux Moussinet
Pour ce qui est du sujet, tu es libre de travailler sur ce qui t'anime. Par exemple j'ai travaillé sur l'objet livre pendant mon mémoire pour finalement me rendre compte que ce qui m'intéressait c'était la lettre. Quant au doctorat hors université, je n'ai pas tellement de retours, car j'ai peu de contacts de doctorants en design hors de la fac. La question qu'il faut surtout se poser c'est : « Comment tu te projettes après ? » Si tu veux vraiment t'insérer dans le milieu universitaire et être enseignant-chercheur, il me semble qu'il faut rester dans la maison. Si tu te conçois comme un designer qui va aussi enseigner mais avec une pratique réflexive, dans ces cas-là tu peux faire un doctorat hors université qui sera tout à fait légitime. L'université n'est pas le seul lieu pour faire un doctorat.

Catherine Chomarat-Ruiz
Pour prendre le relais de la réponse... Sur la première partie de la question : on peut traiter un sujet de doctorat qui n'est pas forcément dans la continuité du master. Mais ce que l'on conseille, c'est d'avoir d'une certaine façon un lien. Pour la simple raison que, si vous conservez un lien, dans votre master vous aurez pris de l'avance : vous aurez réalisé une partie de l'état de l'art, vous aurez réalisé des lectures nécessaires pour le doctorat. Deuxième élément de réponse : que vous fassiez votre thèse à l'université ou avec quelqu'un qui enseigne en école d'art, une thèse est toujours légitimée académiquement parlant. Quels que soient le lieu et la personne, le prérequis en matière de direction de thèse est valable tout le temps. La personne doit être au minimum HDR (pour une co-direction avec un professeur des universités, ou professeur des universités). Là où je suis d'accord avec Margaux, c'est que plutôt que de se questionner sur l'institution, il faut d'abord se demander : « Avec qui ? ». À partir du moment où cette personne est habilitée à diriger une thèse, voire professeure, vous suivrez la personne dans l'institution où elle est. C'est presque secondaire. La vraie question c'est : « Sur quoi j'ai envie de travailler et avec qui?»

Laura Tchatat
J'ai passé un entretien pour un stage et la personne m'a demandé ce que j'envisageais de faire après. J'ai répondu que j'étais un peu dans le flou et qu'éventuellement je pourrais faire un doctorat. La personne avait l'air d'appuyer cette décision comme si c'était la chose à faire. Je voulais savoir si le fait de ne pas faire un doctorat était problématique pour sa carrière professionnelle. Après cela dépend du poste recherché.

Catherine Chomarat-Ruiz
Voilà, la réponse est là. Cela dépend si vous voulez enseigner ou non. Si vous voulez enseigner dans le secondaire, vous n'avez pas besoin d'un doctorat. Personne ne peut vous y obliger. Le doctorat, on le fait car on est poussé par une nécessité interne. Votre question montre aussi la complexité de se retrouver dans ce champ.

Il y a des éléments communs à Camille Mançon et Margaux Moussinet que je vais pointer. Je trouve que ce sont des présentations très claires et faites avec beaucoup d'honnêteté. Soumettre un article cela demande du temps et pourtant cela fait partie des apprentissages. Le deuxième élément que je trouve intéressant, chez l'une comme chez l'autre, c'est cette idée d'un itinéraire. Comment vous en êtes arrivées à vouloir faire un doctorat, et comment vous avez résolu les questions, y compris celle très pratique, de la question du financement. La précision du propos est tout à fait intéressante. Vous avez toutes les deux publié un premier article, c'est bien aussi de montrer que la recherche ce n'est pas que la lecture et l'écriture de votre thèse. Ce sont des compétences multiples.

Le point sur lequel j'aimerais revenir, c'est la solitude du chercheur. J'aurais tendance à parler d'autonomie plutôt que de solitude. Quelqu'un qui ne peut travailler seul ne peut faire une thèse. C'est donc plus une qualité qu'un état difficile. Deuxième point, j'aimerais insister sur la dimension collective de la recherche. Entre doctorants on se rencontre. C'est la préfiguration du métier : il y a des colloques et les publications qui sont des occasions pour échanger et discuter avec d'autres. Au-delà, pour illustrer cette dimension collective de la recherche, il y a des programmes de recherche qu'on ne peut pas mener tout seul. J'aimerais vous entendre toutes les deux réagir.

Camille Mançon
C'est sûr moi j'en suis au début, à la phase de lecture. C'est vrai que la phase relationnelle arrive vite. C'est sûr que c'est plus un travail d'autonomie. Après comme on est que deux en doctorat en design, avec Margaux on est « collectives » à deux !

Margaux Moussinet
Ce qui me fait dire que c'est assez solitaire, c'est que le premier confinement n'a pour moi rien changé car j'avais déjà l'habitude de travailler seule chez moi. C'est pour ça que je parlais de solitude. Pour revenir sur ce que disait Camille aussi, il me semble que la dimension collective arrive dans un second temps, et qu'on a besoin dans un premier temps d'être au clair sur ce qu'on fait pour pouvoir après le communiquer aux autres.

Néla Mariani
J'ai une question : ça existe quand même de pouvoir travailler en équipe pluri-disciplinaire quand on fait de la recherche ?

Margaux Moussinet
Travailler en équipe pluridisciplinaire c'est possible dans les projets que tu vas monter. Là, typiquement, je travaille sur mon projet d'exposition et je le fais avec mes étudiants de Licence 3. La rédaction de ta thèse ne peut pas être collective.

Néla Mariani
Je ne parle pas forcément de la rédaction. Je vais prendre un exemple concret : un designer qui travaillerait sur l'innovation de matériaux en équipe avec des ingénieurs, des biologistes, etc, est-ce que c'est envisageable ?

Camille Mançon
Certainement que oui. Cela serait son travail à lui et il s'entourerait de personnes pour traiter son sujet.

Catherine Chomarat-Ruiz
Vous pouvez vous entourer de toutes les personnes dont vous avez besoin. Vous prenez contact avec qui est nécessaire à votre progression. Cependant, le doctorat, n'est pas un travail d'équipe. De ce point de vue, ce sera toujours un travail solitaire. Le travail de thèse s'inscrit néanmoins toujours dans un milieu, explicite ou implicite. Quand je parlais de part collective, je parlais aussi de confrontation de ce qu'on fait avec d'autres. Par exemple, quand vous écrivez un article vous l'écrivez pour vous et vous mettre au clair avec votre propre pensée et, une fois publié, vous le donnez à la communauté qui l'accueille et peut le critiquer. En bref, même le résultat d'une recherche très personnelle est ouvert à cette dimension très collective de la recherche.

Lucy Doherty
J'aurais une dernière question si possible. Je parle par rapport à mon cas personnel : je me sens intéressée par la recherche, je viens d'illustration scientifique et je sais que j'ai très envie de pratiquer. J'ai envie de savoir comment vous l'avez su si c'était la recherche qui l'emportait sur la pratique ? J'ai peur de me diriger vers un doctorat alors que finalement ce n'est peut-être pas nécessaire si c'est la pratique qui m'intéresse plus.

Margaux Moussinet
C'est peut-être à toi de réfléchir à quel équilibre tu veux trouver. On se pose la même question avec Camille sur comment la part pratique va s'intégrer à ce qu'on fait. Pour moi ce n'est pas du tout incompatible si tu as envie de baser ton doctorat sur la pratique c'est possible.

Camille Mançon
C'est sûrement une question de dosage mais il faut que ça soit très clair et défini dès le départ. Si tu n'es pas au clair avec cette idée là dès le départ que c'est la pratique qui l'emporte. Il n'y a pas de souci je pense.

Lucy Doherty
Comment vous envisagez la part pratique par rapport à votre thèse?

Camille Mançon
Pour ma part c'est une thèse académique plus projet. La part majeure est académique mais il y a un projet en parallèle. Donc ce n'est pas basé dessus, ça va plutôt accompagner la recherche. C'est vrai que j'ai oublié d'en parler tout à l'heure mais le projet pour le moment, tel que je le pense, ça serait de, à la suite de toutes ces recherches et avoir bien défini ce qu'est l'anthropo-design, essayer de produire un dispositif de monstration, une exposition peut-être, pour rendre intelligible un peu le propos. Donc évidemment je ne vais pas commencer par ça. C'est plus un aboutissement.

Margaux Moussinet
Pour l'instant c'est encore assez flou. Je ne suis pas encore certaine de la part que je veux accorder au projet. Ce qui me questionne dans mon travail c'est que David Carson n'est pas typographe et pourtant il travaille la lettre. C'est une question que je veux essayer de résoudre par mon travail. Le projet va peut-être m'aider à répondre à la question. La question qui se pose aussi c'est que pour l'instant c'est que j'ai un problème d'accès d'archive du magazine que je n'ai pas entre les mains. La différence avec Camille c'est que moi j'étudie déjà le travail de quelqu'un, et qu'il faut que je définisse comment mon propre travail va s'articuler avec le sien. Si je n'arrive pas à avoir ces archives entre les mains, il va falloir que je rééquilibre et que ma thèse soit beaucoup plus pratique que centrée sur le travail de David Carson. À la base j'avais plutôt envie de faire l'inverse, et là cela n'est pas encore défini.

Lucy Doherty
Merci, vous avez bien répondu à ma question, mais je me demandais si vous n'aviez pas un exemple de thèse co-construite avec le projet.

Margaux Moussinet
Cette question du projet et de la pratique va dépendre de deux choses : cela dépend de ce que toi tu vas décider. Il y a autant de doctorats différents que de doctorants différents je pense. Et aussi, pendant qu'on a un projet de doctorat, c'est le vécu de ton doctorat et ton avancement qui vont faire qu'à un moment donné, un an sans pratiquer va te paraître trop long. Dans tous les cas tu as le choix et tu peux te donner la direction que tu as envie de suivre.

Catherine Chomarat-Ruiz
La réponse me paraît très juste. Vous pouvez faire du projet un point de départ, comme vous pouvez en faire l'aboutissement. Vous pouvez même imaginer deux fils qui se croisent. Un fil d'ordre théorique et un fil d'ordre pratique. Ce qui est important, au fond, c'est le moteur ; c'est de voir ce que l'académique et le pratique apportent l'un et l'autre à la question posée. À un moment donné, vous avez toutes les deux, Camille et Margaux, mis l'accent sur ce qu'on appelle le projet de thèse. C'est là que ça va aussi s'éclairer. Au regard d'une question que vous allez choisir, votre projet va mettre en lumière la place et les modalités de va-et-vient entre pratique et théorie. Il ne faut pas du tout s'angoisser avec ça. C'est une vraie question qui se pense assez bien. Le plus important c'est de se sentir libre par rapport à cela, on n'est pas contraint dans un format.

Lucy Doherty
Merci beaucoup.

Margaux Moussinet
Quand on est en doctorat il faut aussi savoir s'écouter, ressentir ce dont on a besoin, comment on s'organise. Par exemple Camille travaille toute la journée et se met dans ses recherches le soir, moi c'est quelque chose d'inconcevable vu que je travaille le matin de manière beaucoup plus efficace que l'après-midi. Il faut savoir faire avec soi-même.

Lucy Doherty
Je ne me verrai pas faire un projet si je ne peux pas faire de recherche à côté, cela serait forcément imbriqué.

Margaux Moussinet
Cette question si elle est si soulevée et si épineuse c'est parce que c'est la spécificité d'un doctorat dans une sphère créative. Les gens qui font un doctorat en droit à aucun moment ne se posent la question de ce qu'ils vont produire. C'est une très grande question dans la recherche en design : l'équilibre en la théorie et la pratique. Et c'est ce qui fait la spécificité je pense d'un doctorat dans notre discipline.

Lucy Doherty
Quand on voit les doctorats de scientifiques qui font des expériences en laboratoire quelque part c'est comme de la pratique sur le terrain et ça fait partie de la recherche et c'est évalué.

Catherine Chomarat-Ruiz
Quand vous dites « il y a peu de thèses en design », c'est vrai et, en un sens, cela n'est pas vrai du tout. Quand vous consultez le fichier national des thèses, des thèses en design, vous en avez des quantités...
S'il n'y a pas de question ou d'intervention, je vais donc remercier Camille et Margaux pour leurs prestations, pour toutes les précisions concrètes qu'elles ont apportées. Je suis toujours ravie d'écouter ce que les doctorants ont à proposer parce que c'est aussi là que la recherche se fait. Encore merci à vous deux.

Camille Mançon
Merci !

Margaux Moussinet
Merci ! Et n'hésitez pas si la question se pose plus tard à nous contacter.

Catherine Chomarat-Ruiz
Je trouve que c'est un très bon mot de la fin, qui justement n'est pas une fin : créer des contacts, c'est comme que cela marche dans le champ de la recherche. Je pense qu'on sait parfois dire les choses quand on est en train de les vivre concrètement. Voilà. Bonne soirée à toutes et à tous !

Crédits et légendes 

Figure 1. Synthèse graphique 4 © Lucy Doherty

Figure 2. Timeline. De la genèse de l'anthropodesign à nos jours © Camille Mançon.

Figure 3. Projet de composition typographique à partir d'une relecture du Garamond © Margaux Moussinet.


  1. Papanek, Victor, Design pour un monde réel, Paris, Ed. Mercure de France, 1974. 

  2. Miller, Christine, Design + Anthropology, Abingdon, Routledge, 2017.  

  3. Smith, Rachel Charlotte, Vangkilde, Kasper Tang, Kjærsgaard, Mette Gislev, Design anthropological futures, London, Bloomsbury Academic, 2016. 

  4. Gunn, Wendy, Design anthropology : theory and practice, London, Bloomsbury Academic, 2013.  

  5. Papanek, Victor, Design pour un monde réel, op. cit. , 1974. 

  6. Clifford, James, Marcus, George, Writing Culture - The Poetics and Politics of Ethnography, Berkeley, Ed. University of California Press, 1986. 

  7. Suchman, Lucy, Plans and situated actions, Cambridge, Ed. Cambridge University Press, 1987. 

  8. Voir Findeli, Alain, « La recherche-projet : une méthode pour la recherche en design », texte de la communication présentée au premier - Symposium de recherche sur le design tenu à la HGK de Bâle, les 13-14 mai 2004, disponible en ligne, http://projekt.unimes.fr/files/2014/04/Findeli.2005.Recherche-projet.pdf, consulté le 8 juillet 2021.