Design, arts et médias en temps de crise.
Aurore, Élisa Bonnafous, Alexandre Curnier, Christophe Dessus, Marine Normand

Séance n°5, mercredi 17 février 2021. Propos recueilli par Margot Laudoux.


Figure 1. Synthèse graphique 5, Lucy Doherty
Podcast 5

1. Christopher Dessus, Architecte et rédacteur en chef de PLI

Je m'appelle Christopher Dessus, je suis architecte. Ma particularité à moi c'est que je suis sorti des écoles d'architecture de base et j'ai essayé de travailler très rapidement dans une espèce d'ambivalence entre l'édition, l'architecture, la scénographie : plein de choses très différentes. J'ai commencé avec une revue qui s'appelle PLI et qui est une revue annuelle. C'est une revue qui m'a beaucoup porté et qui a été, comment dire, à l'origine de beaucoup de projets pour moi. Il y a eu six numéros qui ont permis de jalonner six ans de travail autour de l'édition et l'architecture. Vous voyez aussi le travail scénographique que je fais, pour vous montrer l'écart de sujets que je traite avec mon atelier qui s'appelle l'atelier PAF, et qui est un atelier de scénographie, de conception et de production. En haut à droite vous avez aussi le rassemblement des deux, à la fois PLI et à la fois PAF qui interviennent au même endroit au même moment au Pavillon Barcelone, mais j'y reviendrais un peu plus avec vous.

Du coup, il faut imaginer qu'il y a deux entités. C'est juste pour vous expliquer le contexte comme ça je vous perd pas trop. Une première entité, PLI édition qui est une association à but non lucratif qui existe depuis 2015. On a fait six numéros, six années, six thématiques, quatre expositions et là on commence une nouvelle collection. On a la particularité d'être une maison d'édition indépendante. Aujourd'hui elle va muter vers autre chose parce que le modèle de l'association et de maison d'édition indépendante, aujourd'hui, c'est extrêmement difficile ; notamment du fait que les maisons d'édition indépendantes n'existent principalement que par les subventions privées ou publiques, les publiques fonctionnent un peu mais les privées n'existent plus parce que plus personne n'a d'argent, je vous la fait rapide, du coup elles ne donnent pas l'argent nécessaire comme on l'avait imaginé donc forcément, ralentissement. Les domaines d'interventions sur lesquels je travaille sont pluriels ce qui veut tout et rien dire, c'est-à-dire que sur chaque projet il peut y avoir un peu d'expo., un peu de spectacle vivant, ça peut être un mélange de plein de choses, c'est pas forcément une donnée en tant que telle sur un projet. On traite aussi l'édition, les choses comme ça. PLI 01 était un premier projet qui est né en 2015 à la suite d'un mémoire qui s'appelait « Hypertextualité » et qui était un mémoire qui était orienté vers le fait de faire la connexion entre plusieurs choses pour créer un ouvrage complet autour de la relation entre architecture et l'édition, c'est-à-dire en disant qu'un texte A pouvait faire référence à un texte B par lien hypertexte. On arrivait en fait à faire des liens par synonymes, antonymes, ou en tout cas par mots et ces mots-là, entre eux, réagissaient et venaient se faire échos et donc créer un contenu. Donc ça c'était le tout premier.

Le deuxième c'était PLI 02 « Format » c'est un projet qui a extrêmement bien marché en librairie, qui a fait appel pareil à plein de gens hyper larges et à l'intervention de pas mal de graphistes aussi, en plus, pour répondre à la question : « Est-ce que la question du ou des formats peut engendrer une nouvelle façon de créer ? » et aujourd'hui, en mettant en tension l'architecture et l'édition.

En 2017, il y a PLI 03 « Conflit » qui est né d'un évènement assez personnel, puisque je travaillais dans une institution où j'étais tout le temps en conflit avec la façon de faire et la façon avec laquelle on faisait les expositions. Au final, j'ai essayé de lier les deux : comment régler un problème professionnel et un problème associatif en même temps, on va dire. Du coup c'est devenu un numéro qui me tient beaucoup à cœur et qui a fait appel à pas mal de designers différents. Et on a commencé à ouvrir pas mal au design à ce moment-là.

Le quatrième numéro est sorti en 2018 : c'est autour de la matière, des matières. C'est un ouvrage assez emblématique aussi de mon travail avec la maison d'édition, où il y a eu une ouverture à des grands designers. Des grands architectes ont dit pour la première fois « oui » pour intervenir dans ce numéro, dont Matali Crasset qui est une designeuse que j'apprécie beaucoup et qui a fait partie de mon parcours de manière extrêmement jeune. Le quatrième numéro est donc sorti en 2018 et a donné lieu à une première exposition qui s'appelait « Publication comme matière », et c'est la première fois où j'essayais de trouver des solutions autant économiques que de production pour pouvoir créer une exposition à Montréal. Ça a été un vrai casse-tête de pouvoir débloquer des sous. Finalement j'ai pratiquement tout financé.

C'était une exposition avec Collectif Blanc constitué de curatrices, à Montréal, qui travaillent autour de la publication imprimée. Il faut savoir qu'au Québec la publication est beaucoup plus rare qu'en Europe, notamment à cause du fait que ça coûte très cher. Du coup l'édition a encore plus de valeur qu'en Europe, ce qui est plutôt agréable et permet de mettre en valeur les objets imprimés dans une expo de manière assez simple. Donc ça c'est un truc que j'ai beaucoup aimé faire. Et ensuite, en parallèle, il y a eu une exposition à Paris qui s'appelait « Matières Premières » qui avait lieu à la galerie étapes, rue Greneta, et qui a fait appel à huit designers différents dont Fanette Mellier, (dans designer j'entends graphique et objet, tout confondu) Matali Crasset, Didier Faustino, Samy Rio, Philippe Apeloig, etc. qui sont des gens que j'apprécie énormément dans le domaine du design et qui ont beaucoup œuvrés pour l'évolution du design et du design-auteur.

PLI 05 est né en 2019, c'est un ouvrage que j'aime beaucoup et qui a eu pas mal de financements, qui nous ont permis de faire un PLI un peu plus gros avec huit objets additionnels, pas mal de photos, des commandes photographiques etc. C'était une belle aventure de sortir cet ouvrage-là et il a la particularité d'avoir été en co-présence d'une exposition et d'une aide à la création. C'est-à-dire que PLI, pour la première fois depuis cinq ans, a mis en place une aide à la création pour les jeunes designers, architectes et artistes. Au lieu, ou plutôt en parallèle, d'aider des architectes et designers à écrire, c'est un appel à projet du coup c'est hyper important pour nous à l'écriture, on a mis en place une aide à la création physique. C'est-à-dire que onze designers/architectes ont été sélectionnés pour produire des objets exprès pour cette exposition-là, qui a donné une exposition qui s'appelait « PLI Public Workshop », qui était un travail assez titanesque pour la maison d'édition : c'est aussi pour ça qu'on a fait un gros lien avec PAF Ateliers, pour produire onze installations avec une belle scénographie d'Adrien Rovero et surtout un accompagnement de presque un an des designers. Donc là, pareil, recherche de financements, subventions et besoin de plus de 100 000 euros pour monter ce projet. Ce projet a vraiment été un « 360-grand écart», un grand tour des médiums d'expression : print, communication, installation, exposition, muséographie. Ça a été un vrai projet qui a très bien marché et qui a été le dernier souvenir d'exposition que j'ai, je pense, avec un vernissage avec plus de 1500 personnes donc c'était un gros machin. C'était une super expérience et je regrette un peu que ça n'existe plus mais voilà, ça fait partie du jeu.

PLI 06 est né en 2020 et c'est pour ça que je vais m'arrêter plus longtemps sur ce projet-là. C'est le dernier en date, qui était pendant la crise. Pour vous redonner un peu la temporalité, PLI naît au mois de novembre de l'année d'avant. Par exemple PLI 06 a commencé à naitre en novembre 2019 pour sortir en septembre 2020, donc vous avez une temporalité de 10 mois. Pendant ces dix mois, il y a un premier appel à projet qui est édité sur notre site web, diffusé partout comme on peut et qui laisse la place à une sélection de dix ou douze designers, architectes, écrivains. Quand je parle de designer-architectes, c'est beaucoup plus large que ça, ça peut aussi aller aux écrivains, aux chercheurs, aux thésards, c'est large ; il y a autant de gens qui sont des écoles de design que des écoles de lettres ou de politiques. C'est pas que lié au domaine créatif tant que ça répond à la thématique. Donc dix mois pendant lesquels il y a un premier appel à auteur, ensuite il y a une sélection et un accompagnement à l'écriture, c'est-à-dire qu'il arrive très rarement dans les revues où il y a un vrai ping-pong avec l'équipe éditoriale pour faire en sorte que la personne soit accompagnée ou, en tout cas, le ou la jeune on va pouvoir l'accompagner et du coup publier avec il ou elle en septembre d'après. Par rapport à ce PLI 06, tout le monde a déserté. À partir de mai-avril, quand il y a eu la crise du COVID et le confinement, il y a eu une espèce de « tout le monde retourne dans son coquillage » et tout le monde a coupé un peu les subventions ce qui fait qu'on a été dans une galère assez monstre. Actuellement, je recolle encore les pots cassés parce qu'on a eu du retard dans plein choses, mais on a réussi à le sortir. On a quand même fait une exposition au Floréal Belleville, une petite galerie-café située dans une petite rue trop mignonne à côté du parc de Belleville. On a essayé de quand même faire quelque chose parce qu'on s'est dit que ça valait quand même peut être le coup de marquer le coup. Parce que c'est quand même dix mois de travail, avec des gens qui comptent dessus. On y est allé un peu franco, on a fait appel à soixante designers différents qui nous ont proposé des projets qu'ils ont été fait pendant le COVID ou avant, en tout cas notre mission de soutenir la création en temps de crise était quand même assez importante. Au final le bouquin s'est plutôt bien vendu, il est en librairie, il va bien.

La suite c'est voir comment les choses vont évoluer dans les années qui viennent, étant donné qu'un ralentissement de subventions pour un association à but non lucratif a un impact sur plusieurs années. On est en train de réfléchir à comment on va pouvoir se sauver de ça. Actuellement on travaille sur deux nouveaux ouvrages parce que ce sont des ouvrages qu'on a lancés il y a deux ans, avec un designer qui s'appelle Samy Rio. Vous pourrez voir tout ça sur le site internet : [https://pli-editions.com]{.ul}. Samu Rio est un designer que j'adore, qui est une personne qui a humainement apporté beaucoup de choses et professionnellement dans le monde du design, notamment pour la jeunesse, il est pas mal intervenu à l'ENSCI et dans pas mal de lieux différents pour essayer de changer un peu la manière avec laquelle on fait du design, c'est-à-dire moins esthétique mais plutôt fonctionnelle. En tout cas fonctionnel dans le sens où la recherche fonctionnelle pouvait avoir un vrai sens. Donc ça c'était vraiment chouette. Et un deuxième ouvrage en lien avec le PLI Public Workshop, ce sont les designers qui ont gagné le prix édition. Ils vont donc sortir un ouvrage en septembre prochain avec les graphistes Fakepaper.

Je voulais vous montrer d'autres boulots aussi pour vous montrer que je ne fais pas que de l'édition et que c'est intéressant. Quand on commence à croiser tous les médiums d'expression, on se rend compte, en tout cas en faisant la présentation, que ça a potentiellement un lien par forcément formellement mais dans le sens qu'on essaie de donner un peu à tout ce que j'essaie de produire. Je ne les produis pas tout seul, je produis avec l'équipe que vous voyez derrière, c'est une petite partie, la deuxième est à ma gauche. C'est des gens qui travaillent avec moi depuis presque deux ans voire plus. L'agence existe depuis quatre ans, mais il y a eu un petit fixage des gens qui restent. Du coup, c'est assez chouette de pouvoir développer aujourd'hui des projets à la fois pour des marques, à la fois aussi pour des institutions. Donc ça c'est un travail d'exposition qu'on a fait à l'Abbaye de Fontevraud, qui est resté à l'état d'esquisse puisqu'il a été annulé pour cause de COVID. Mais c'est un projet que j'adore et qui est assez symptomatique de notre travail ici : mêler à la fois graphisme, scénographie, muséographie, et faire en sorte de faire vivre au visiteur ou en tout cas à la personne qui va venir découvrir l'exposition, une expérience un peu différente. C'est-à-dire une expérience où enfin le graphisme est pris en compte, où enfin ce qu'on dit est potentiellement mieux mis en avant ou en tout cas trouve une certaine narration. C'était sur la nativité, sujet un peu compliqué mais qu'on a essayé de rendre didactique.

Un autre projet, c'est un projet qui n'a rien à voir avec ce que vous avez vu avant mais qui est un travail pour le festival de mode. J'en parle parce que j'ai travaillé plus de deux ans dessus. J'aime la montrer parce qu'elle correspond à une partie de ma vie que j'aime bien, ou en tout cas que j'ai bien aimé vivre : celle de travailler à la Villa Noailles pendant deux ans où j'ai produit des expositions liées à la mode, au design. J'étais tout jeune et j'ai été propulsé dans la production de la scénographie. Quand je dis « production », vous voulez que je vous décrive ? Parce qu'il y a plusieurs mots un peu importants à comprendre. Le mot « conception », en tout cas dans mon métier, c'est le fait d'anticiper un projet c'est-à-dire le définir en amont ou en tout cas organiser le projet pour qu'il puisse exister. « Production » c'est quand on commence à toucher à la réalisation. C'est-à-dire comment on passe d'un élément fictif à quelque chose de tangible. Je dis ça parce qu'à la Villa Noailles, par exemple, j'ai travaillé que sur de la production, c'est-à-dire qu'on est arrivé avec des projets et j'ai dû exécuter, en tout cas trouver des solutions pour pouvoir y arriver, avec des budgets très compliqués. C'était un bon exercice pour l'après. En tout cas ça m'a un peu musclé intellectuellement pour pouvoir aujourd'hui faire des projets intéressants.

Ça c'est « La Boite de Nuit », c'est un projet qui a l'air un peu loin là mais ça faisait du bien d'avoir des expositions qui parlaient de fête et c'était vachement bien d'avoir un sujet autour de la boîte de nuit dans la piscine, le squash, les escaliers et la galerie de la Villa Noailles. Là j'ai traité la question de l'exposition et de la production aussi.

Encore un projet que j'aime bien qui met en rapport la revue avec mon travail scénographique. C'était la première fois qu'on faisait une exposition sur la revue. C'est la revue 03, « Conflit ». C'est une exposition qui parlait de la création de l\'édition aujourd'hui. Comment à partir d'un sujet on arrive à développer une édition, ou en tout cas une revue ? Il y a tous les échanges mails, les « insultes » entre les participants, les gens qui sont pas contents de comment ils sont publiés, il y a un peu tout le OFF qu'on trouvait intéressant à montrer. Montrer que faire de l'édition c'est pas un long fleuve tranquille mais c'est une bataille positive, c'est pas que négatif d'ailleurs, pour créer du contenu et créer des choses qui sont un peu différentes. Du coup c'est des gens qui sont en tension pour pouvoir produire un objet.

Et ça c'est une dernière chose que je voulais vous montrer, c'est mon travail de commissariat en tant que commissaire je suis intervenu à deux ou trois reprises et bientôt dans une autre expo. En fait on m'a appelé pour pouvoir essayer de créer un contenu pour le réseau des maisons de l'architecture, autour d'une biennale. Pour cette biennale Paris, c'était un « vrai pari » comme ils aiment le dire, dans la communication de cette exposition, dans le sens où c'était dans quatre lieux différents pour ne pas simplifier les choses. Quatre lieux dont un espace Niemeyer à Paris et un à l'école d'architecture de Belleville et c'était une exposition qui réunit vingt designers différents. J'en ai profité d'avoir un budget pour soutenir la jeune création en même temps, et sélectionner dix jeunes architectes pour pouvoir faire partie de l'expo.

Ça c'est un des derniers projets. C'est le travail qu'on est en train de faire avec la compagnie Olivier Dubois, qu'on a contacté il y a peut-être dix mois et à qui on vient de sortir un premier projet qui s'appelle « Itmahrag » que j'espère vous allez pouvoir découvrir à la télé ou en vrai. C'est un projet qui est supra-intéressant entre la France et l'Égypte. C'est un travail de co-création entre plusieurs danseurs égyptiens et la compagnie Olivier Dubois. La compagnie Olivier Dubois, je ne sais pas si vous connaissez, mais c'est une compagnie de danse contemporaine assez connue en France. Olivier Dubois est connu pour être assez radical, proposer des projets extrêmement puissants et ça a été une super rencontre de 2020. Tout ça pour dire que même s'il y a eu le COVID on a rencontré des gens quand même chouettes.

C'est marrant de parler de théorie au début et de finir sur la Belle au bois dormant mais, en tout cas, c'est un projet que j'aime beaucoup, c'est un projet avec la compagnie de danse Sohrâb Chitan. C'est un projet qui a été annulé aussi pour cause de COVID, mais ça nous a pas empêché de le produire en 3D pour qu'il puisse exister quand même. Voilà, ça vous montre un peu l'étendue du sujet.

En tout cas pour conclure rapidement et essayer de répondre à la question, je pense que la situation COVID a été super compliquée pour nous au quotidien. La maison d'édition est totalement remise en question pour des questions assez simples de financements. Mais la chose positive, c'est qu'au moins on se remet en question sur à peu près tout ce qu'on fait et le sens qu'on donne aux choses pour que tout ce qu'on produise de manière physique ou intellectuellement parlant trouve un écho avec ce qui se passe actuellement. Et je pense que les designers et les créatifs, de manière plus générale, ont ce petit rôle à jouer. Et je pense que ce qui nous a sauvé, c'est de pouvoir travailler en physique. On travaille en scénographie donc on a le droit d'exister physiquement, c'est-à-dire ne pas être qu'en distanciel pour des raisons assez simples de construction. On ne peut pas faire de montage en visio, vous l'avez bien compris.

Je suis ouvert aux questions, je ne sais pas si j'ai répondu de manière supra-compliquée et hyper complexe à la question mais, pour moi elle est assez positive, en fait, elle est pas du tout dans une espèce de négativité. Je ne suis pas triste, quoi. Et la seule chose qui me rend triste, c'est le fait qu'il y en ai beaucoup comme nous, comme moi, à être comme ça et qu'en face de nous le gouvernement n'est pas forcément hyper là pour nous soutenir. C'est nous même qui devons nous rendre positifs et c'est pas le gouvernement qui nous rend ainsi. C'est-à-dire qu'on a très peu de communication avec eux. On travaille avec des institutions et notamment des musées, on essaye de monter une exposition avec le Pavillon de l'Arsenal, on a toujours aucune visibilité sur quand est-ce que potentiellement ça va ouvrir. Du coup c'est extrêmement dur de travailler comme ça. On trouve des solutions, on fait en sorte qu'un catalogue qui devait être sur deux pages, finalement il en fait 120. On essaye de trouver des solutions pour que le temps qu'on a en plus nous aide plutôt à avancer. Après, voilà, moi je pense aux étudiants, aux jeunes designers, aux jeunes créatifs qui sortent de l'école aujourd'hui. Franchement,, c'est pas ma situation à moi et on a beaucoup de chance de pas trop la subir mais en tout cas on pense fort à vous et à ceux qui sortent de l'école parce que je pense que ça doit pas être facile pour vous et en tout cas on espère que notre travail, ou le fait d'avoir écrit des bouquins, d'essayer de faire un peu de spectacle vivant, ça vous aère un peu la tête.

Pauline Aouari

Merci beaucoup Christopher Dessus. On va passer à la présentation suivante. N'hésitez pas à poser vos questions dans le Tchat. Merci dans tous les cas à Christopher et merci pour votre compréhension de notre situation. Ça fait plaisir à entendre et je vais laisser la parole à Elisa Bonnafous si elle est prête pour sa présentation.

Christopher Dessus

Merci pour votre accueil et à tout de suite.

2. Élisa Bonnafous, fondatrice de Voyage chez Vous

Bonjour ! Je m'appelle Élisa Bonnafous et j'ai un média qui s'appelle « Voyage chez vous ». J'ai un profil un peu particulier dans le sens où j'ai fait un bac S, une école d'ingénieur et j'étais dans le génie civil avant. J'ai eu un premier emploi dans le BIM, qui est le Building Information Modeling, donc en gros c'est des maquettes 3D avec des données à l'intérieur. Donc je travaillais avec des architectes, des ingénieurs et tout un tas de métiers qui sont aux alentours de ces métiers-là. Et au bout de deux ans j'ai décidé de créer un média, de quitter mon emploi dans le BIM et de créer un média qui s'appelle « Voyage chez vous ». Voyage chez vous, j'ai commencé à avoir envie de parler de voyage à la fin de mes études. Je sentais que c'était un sujet qui me touchait et j'avais envie de faire quelque chose avec.

En 2016-2017-2018, c'était une période où je consommais beaucoup de revues papiers, de podcasts et de vidéos YouTube. Donc j'avais envie de parler de voyage sous ces formats-là. Mais par contre je savais pas trop quel angle tenir avec ça. Parce que je voulais pas faire « Les 5 meilleurs restaurants de Paris » ; enfin, je trouvais que c'était des articles qui donnaient pas vraiment à voir la ville. C'est quand je suis allée à San Francisco que j'ai trouvé l'angle. J'ai passé quelques jours là-bas et j'étais choquée du nombre de personnes qui vivaient dans la rue et du nombre de personnes handicapées, que ce soit moteur ou plutôt mental, qui étaient dans la rue. Et j'avais pas du tout, dans les blogs voyages que j'avais lus, j'avais pas du tout vu ça alors que c'était vraiment un aspect frappant dans la ville. Du coup je me suis dit : « en fait ce qu'il faut faire pour parler des villes, c'est parler des gens qui sont dans ces villes parce que c'est eux qui font la ville, c'est eux qui la créée de leurs mains, de leurs idées ». Et en même temps, la ville influe sur les personnes : on n'est pas les mêmes personnes qu'on soit à Paris ou à San Francisco. Quand on déménage, on peut changer de personnalité et nos habitudes peuvent changer aussi. Donc j'ai décidé de créer « Voyage chez vous » qui est sur la base d'interviews de personnes.

Mon but à moi, c'était de faire un magazine papier parce que j'étais dans une période où j'en consommais beaucoup. J'aimais beaucoup plein de magasines indépendant notamment PLI mais aussi Encore ou Les Others que je consommais pas mal. J'avais envie de faire un objet qu'on pourrait acheter et qui soit un objet fini. Avec peut-être une ou deux villes dans un exemplaire. Donc j'ai commencé avec cette idée de faire un magazine papier sauf que j'avais pas du tout de formation en tant que ou journaliste, ou photographe, j'avais pas de notions de ça. Donc, la première année, je me suis dit qu'il fallait construire un public, ce qui m'apparaissait le plus simple pour commencer c'était de commencer sur Internet donc en faisant des vidéos Youtube pour ensuite être capable de faire le magazine papier. Donc j'ai commencé par interroger mes amis autour de moi, avec un téléphone, et je transcrivais ensuite à l'écrit. Ensuite je suis passée par le format vidéo YouTube où j'interviewais des gens que je trouvais dans la rue. Je marchais dans les parcs et je disais « Bonjour, je fais des interviews ! Est-ce que vous voulez discuter avec moi ? ».

En 2020, j'étais censée partir à Amsterdam et à Valence, en Espagne, pour créer le premier numéro du magazine papier. Et je devais partir le 20 mars 2020 donc je me suis retrouvée bloquée. Donc moi j'habite à Paris, et le week-end juste avant le confinement j'étais à Toulouse. Donc je me suis retrouvée bloquée à Toulouse avec pas forcément tout mon matériel et avec l'envie de continuer à faire du contenu mais sans pouvoir sortir de chez moi. Du coup, je suis passée sur un format sur Instagram, puisque le confinement ça a été le moment où les gens sur Instagram se sont mis à faire des lives vraiment sur la plateforme. Donc je me suis dit que j'allais faire mes interviews sur ce format-là. Mon but à moi, c'était de continuer à faire du contenu alors que j'étais enfermée comme tout le monde était enfermé et d'améliorer vraiment mes interviews, parce que je sentais que mes interviews étaient pas encore à la hauteur de ce que je voulais atteindre. J'avais une idée de ce que je voulais atteindre et je sentais que mes capacités étaient pas encore complètes pour atteindre ce niveau-là d'interviews. Donc je me suis dis que j'allais profiter du confinement pour m'entraîner.

Au mois de mars, sur Instagram les lives ne duraient que 24h, donc ça me permettait de pouvoir faire des erreurs et ne plus avoir à les voir 24h plus tard. Ça m'a permis un peu de lâcher prise sur la technique aussi. Parce que, au niveau du matériel, j'avais une tablette et c'était à peu près tout. Et en face j'avais pas de prise sur la lumière des gens, leur téléphone, leur son. J'avais pas du tout la main mise sur la technique, donc la seule chose que je pouvais améliorer c'était ma technique d'interview et les questions que je pouvais poser. Donc, en fait, le live instagram a été une contrainte et en même temps m'a permis de bien avancer sur mon objectif.

Au final pendant le premier confinement j'ai fait 25 interviews en Français et/ou en Anglais avec des gens d'un peu partout dans le monde. Ensuite j'ai continué à faire ces interviews, c'est mon contenu premier on va dire en ce moment sur Voyage chez vous. Et maintenant les lives instagram peuvent être sauvés en IGTV, donc maintenant je peux garder mes interviews et donc ils sont consultables sur Instagram.

J'ai l'impression d'avoir été très rapide mais je pense qu'on pourra aller plus loin si vous avez des questions.

Guillaume Svobodny

Merci beaucoup. C'était un peu plus court mais c'était très bien. On voit bien les enjeux du confinement, donc on est parfaitement dans le thème. Merci ! On va passer à Alexandre Curnier, si c'est possible.

3. Alexandre Curnier, fondateur et directeur de la publication NOTO

Tout d'abord merci beaucoup pour cette invitation et grand plaisir de partager avec vous. Donc, mon expérience concernant effectivement Noto et puis La nuit qui a été le bébé du confinement. Je vais expliquer un peu tout ça. Donc j'ai fondé Noto en 2015. Je suis éditeur de livres d'art. Je suis d'abord passé par un musée, j'étais responsable éditorial. Ensuite je suis passé chez Flammarion, responsable des Beaux Livres. Et entre-temps, j'ai fondé Noto. Je précise aujourd'hui que je suis responsable éditorial et donc l'activité de Noto ou La nuit n'est pas mon activité salariée. J'ai commencé à réfléchir à Noto parce que j'avais une envie de faire de la culture et de faire de la culture un bien commun. Je mesurais la chance que j'avais de travailler dans un milieu culturel qui n'était pas évident au départ. Je viens du Sud de la France, j'ai rien à faire effectivement au départ là-dedans. Et c'est vrai que ce qui m'ennuyait beaucoup c'est de vivre de tout ça mais que ça se partage assez peu. Le seul but que j'avais c'était vraiment d'abord de faire du bien commun, c'est-à-dire de faire parler les historiens de l'art, de faire parler les philosophes, de faire parler des historiens dans des longs formats, etc. Donc, j'ai fondé Noto.

Noto est une association de loi 1901. Et on a commencé à y réfléchir, je dis « on » parce que, effectivement, j'ai amené au départ trois personnes avec moi pour réfléchir à ce format de revue papier. Alors lorsqu'on fait une revue papier, évidemment on pense toujours à la diffusion, comment on va faire, les kiosques, les librairies. Bon, on sait qu'on va pouvoir être aidés donc on va trouver des solutions. Sauf que, voilà, je vous le dis tout de suite en préambule, les revues culturelles c'est une particularité en France, la France qui aide beaucoup et heureusement, je n'ai pas à remettre en question la presse, n'aide pas les revues culturelles. C'est un fait, nous ne sommes pas des revues d'IPG donc d'informations politiques et générales et, de là, découle toute une série d\'aides et je vais y revenir dessus dans le parcours.

Mais c'est vrai qu'en venant du monde de l'édition j'avais cette connaissance là et je savais que j'allais avoir un gros problème. J'allais avoir un gros problème pour réaliser ce projet avec mon ambition. C'est que déjà un, je n'avais pas l'argent donc premier problème, et deux j'allais pas pouvoir avoir de subventions et trois c'était comment j'allais pouvoir diffuser ? Et dans mon projet de Noto je suis parti à l'envers. J'ai d'abord réfléchi à la manière de diffuser la revue et j'en suis arrivé à quelque chose d'assez radical c'est que j'ai décidé d'abord, dans un premier temps, de faire une revue culturelle gratuite. Alors ça paraît complètement incroyable : comment pouvoir faire une revue culturelle gratuite et en même temps pouvoir la continuer, gagner de l'argent ? La gratuité, on connaît le système. C'était pour moi le seul moyen de pouvoir être visible. Je vais m'expliquer. Donc, on a d'abord identifié le contenu qu'on voulait faire : donc histoire de l'art, chroniques originales, etc. Bon, on va le voir un peu plus tard dans le déroulé de la revue. C'était surtout, comment j'allais pouvoir rencontrer mes lecteurs ? Et la diffusion gratuite est arrivée tout de suite avec la simple déduction que si j'arrivais à obtenir de certaines librairies, certains lieux culturels, la possibilité de déposer des exemplaires chez eux, d'être visible, c'est-à-dire d'être vraiment juste à côté des caisses, j'allais pouvoir certainement rencontrer des lecteurs. Ces lecteurs allaient peut-être, c'est toujours le pari dans un projet, trouver la revue géniale et se dire : « Il faut absolument qu'il y arrive et donc je vais continuer à en parler autour de moi, je vais dire que cette revue est très bien, qu'il faut les aider, etc. » Et c'est ce qui nous est arrivé.

Très rapidement, et ça c'est dû, bien sûr, au contenu, mais ça je pense que c'est une évidence pour tout le monde, le contenu c'est évidemment le nerf de notre métier, faire du très bon contenu. Il est arrivé effectivement que les lecteurs en ont parlé, ont parlé de Noto sur les réseaux sociaux. Et ça c'est une chance, c'est vraiment une des chances de notre génération de bénéficier effectivement de ces réseaux sociaux qui nous permettent une visibilité qu'on n'aurait jamais atteint il y a encore quelques années. Aujourd'hui quelqu'un fait un post sur votre revue, votre média, votre podcast sur Twitter, Instagram ou ailleurs, évidement ce sont plusieurs centaines, parfois plusieurs milliers, de personnes qui vont voir et qui peuvent avoir un accès à cette information. Je dis ça parce que c'est très important, c'est que tout ça il faut le gagner et que, évidemment, les lecteurs ils sont prescripteurs, la prescription des lecteurs ça équivaut pratiquement à cinq ventes, cinq connexions alors que la presse va informer mais ce n'est pas forcément des ventes. En revanche, on a quand même besoin de la presse, des médias pour être visible. Alors, quand on est un média indépendant et gratuit de surcroît, obtenir de la presse dans les médias c'est extrêmement compliqué.

C'est ce que j'ai appelé, effectivement, « Sortir de l'entre-soi » parce que, à un moment donné, ça nous ait arrivé on a eu les médias qui se sont intéressés à nous. Des Inrocks en passant par France inter, voilà, ils se sont intéressés à notre modèle, notre modèle de gratuité avec cette idée qu'on faisait une revue intéressante avec des enquêtes, des reportages photographiques, des chroniques et dont les gens ont parlé et aussi à laquelle les gens s'abonnent. Parce que c'était ça aussi la grande histoire, c'est qu'on avait des lecteurs qui nous envoyaient des messages en nous disant « On veut s'abonner à votre revue » ou « On veut la recevoir chez nous ». Et c'est vrai que de là a germé — parce qu'on avait un petit peu plus de succès, ça reste toujours très modeste mais ça reste du succès — on avait la possibilité de changer de modèle. Et moi je tenais à changer de modèle, mais en restant sur un modèle gratuit. Donc j'ai proposé à mon équipe, puisque je suis évidemment pas seul pour faire tout ça, j'ai proposé un modèle nyber.

En 2018, je propose un nouveau modèle, qui s'appelle nyber et le modèle est assez simple, c'est gratuit et payant. C'est un modèle que j'avais observé à l'étranger, notamment au Brésil et aux États-unis, et je trouvais ça particulièrement intéressant d'autant plus pour ce que je voulais faire c'est-à-dire continuer de diffuser la culture. Parce que moi je m'arrête demain, si je ne peux pas donner cet accès à la culture, à ces connaissances. Et donc on a fait le modèle nyber ,et on en a profité pour lancer une grande campagne d'abonnement sur Ullule qui a extrêmement bien marché. Et on avait un capital, un capital pour avancer sur une année, c'est-à-dire quatre numéros, plus exactement. Alors, pour le nyber, ça peut vous paraître un peu bizarre mais en fait il y a déjà des éditeurs qui l'utilisent et, maintenant en plus, j'ai quelqu'un de poids qui l'utilise et que vous allez connaitre, c'est le livre Sorcières de Mona Chollet et son éditeur fait du nyber. Vous pouvez vous connecter sur le site internet de son éditeur et vous lirez certains livres intégralement et ça n'empêche pas ce livre de se vendre, il a été numéro 1 l'année dernière, en effet.

Donc c'est ce que je voulais essayer de faire, essayer de comprendre ce qui poussait à l'achat du papier et ce qui permettait aussi, et ça c'est très important, de pouvoir transmettre, de pouvoir mettre à disposition des textes qui sont inaccessibles. Pour revenir après sur la revue, c'est effectivement l'histoire de l'art. On propose dans Noto des longs textes d'histoire de l'art de grands historiens, ce que, effectivement, les revues ne font pas, pareil pour les chroniques, pareil pour les grands entretiens. Donc voilà, ce qui m'importait c'était cette mise à disposition de ce savoir et de cette connaissance.

Donc on a avancé sur ce modèle nyber qui nous a porté. Pour avancer sur ce modèle, l'idée c'était de trouver, puisque je n'avais toujours pas de possibilité d'avoir des subventions publiques, et quand je dis subventions publiques c'est les aides à la presse et elles sont terribles pour les petits éditeurs et surtout les petits éditeurs de revues culturelles, parce que quand on commence à grandir, les charges deviennent extrêmement importantes. Par exemple, l'aide à la presse permet de se faire rembourser les frais de poste, les frais de routage, le fait que les abonnés reçoivent chez eux leur numéro. Nous, on n'est pas remboursés. Nous on paye intégralement le fait qu'aujourd'hui nos abonnés reçoivent chez eux la revue. Donc ça, ça nous coûte très cher. Ça c'est un combat que j'essaye de mener en permanence en essayant d\'interpeller le ministère de la culture et de la communication : aeffectivement, la culture c'est aussi l'information et on devrait tous rentrer dans cette case là et que l'IPG devrait sauter. Donc voilà pour Noto.

Et puis, tout d'un coup, il y a eu la crise. Alors la crise pour nous, elle a été très directe puisqu'on allait fêter nos cinq ans et pour nos cinq ans on nous a invités à faire une exposition à Toulouse, au centre d'art Place du Capitole, donc on était très heureux. On a créé une exposition, « Nous ne savions pas ce que vos yeux regardaient », on y a travaillé, c'était un peu un prolongement de ce que l'on fait dans Noto, avec des artistes contemporains qui ont été invités, à peu près soixante, avec des installations. On a ouvert et on a fermé. Puisque, effectivement, à cause du confinement, ça s'est fermé au bout d'un mois, je crois, et encore j'estime avoir eu un peu de chance. De là, très rapidement, alors que notre numéro était en production, on a eu un coup de téléphone de notre annonceur qui nous a dit : « Je vais un peu me calmer, je vais prendre le temps de réfléchir, à voir comment les choses vont se passer mais en tout cas, pour le prochain numéro, je vais remiser de côté l'annonce ». Donc je perdais ce qui finançait en grande partie la revue. On pourra y revenir, sur comment on finance une revue. Christopher a eu raison effectivement en parlant d'argent, c'est le nerf de la guerre. Alors, on s'est retrouvé dans une situation un peu particulière parce qu'on a évidemment des soutiens financiers que j'ai trouvés, mais qui ne permettent pas la production globale et entière d'un numéro, et parce que notre annonceur reste l'un des leviers les plus importants. Tout de suite on m'a posé des questions : il a eu un article dans le Quotidien de l'art sur ce sujet-là. J'ai répondu que, nous, c'était les lecteurs qui étaient notre modèle économique et c'est vrai, et qu'il fallait être très clair avec eux. Donc on leur a clairement dit : « Écoutez, là pour l'instant, on doit un peu attendre. On n'a pas de solution, on n'a pas d'argent en banque pour pouvoir produire intégralement un numéro donc on va un peu attendre ». Les choses se sont un peu améliorées dans le temps, on a quand même sorti notre quatorzième numéro, qui était celui-ci. Et qui posait déjà un peu la question de l'intitulé de votre conférence, « Est-ce que la culture est essentielle ou pas essentielle ? », c'était un peu le sujet en sous-texte.

Et puis deuxième confinement par-dessus, et là on s'est dit que ça va être extrêmement dur. Extrêmement dur parce que tout d'un coup on avait un rapport au temps qui s'était totalement dilaté, on savait pas comment réagir. Et on a décidé d'investir dans un nouveau projet. Alors pourquoi investir dans un nouveau projet alors qu'on vous dit qu'il faut surtout pas faire ça, qu'il faut surtout pas faire un nouveau projet en tant de pandémie, qu'il faut surtout pas faire du papier ? Tout simplement parce que c'est ce que je savais faire en tant qu'éditeur et que la volonté c'était aussi de trouver un autre public. Comme j'avais dit précédemment que notre modèle économique, c'était les lecteurs, il fallait que j'arrive à ouvrir encore plus le spectre de mes lecteurs. Donc on a fait quelque chose de différent qui s'appelle La Nuit, de différent mais aussi de beaucoup beaucoup plus modeste. On est passé du format très luxueux de Noto avec ces grands articles, ces textes, une iconographie abondante à douze pages, et ça s'est réduit à un grand entretien, le grand entretien qui éclaire vos jours, et ensuite une réflexion poétique, politique aussi, de la vie. Et on a vraiment lancé ce projet en disant : « Avec l'argent que nous avons, le peu que nous avons et que nous pouvons éventuellement dépenser, on va voir si on élargit, rencontre d'autres lecteurs, même en tant de crise ». Et c'est ce qu'on a fait.

Donc on a travaillé, j'ai pas travaillé avec la même équipe que Noto parce qu'ils avaient déjà beaucoup de choses à faire, j'ai demandé à un jeune photographe diplômé de l\'école de photographie d'Arles de travailler avec moi, puisque c'est aussi un projet artistique, « Rêvons-nous d'une révolution » avec Ludivine Bantigny. On l'a lancé, alors c'est pareil on s'est posé les mêmes questions : la diffusion, on pourra y revenir ensemble peut être dans vos questions, c'est un format qui n'est pas un format revue qui devrait plutôt être en kiosque, alors évidemment j'ai demandé aux kiosques : « Est-ce que vous pouvez nous diffuser ? » Ils m'ont répondu gentiment : »Oui mais si vous avez un volume à nous proposer, parce que si c'est juste pour nous en mettre deux milles nous, ça ne nous intéresse pas » : on passera sur la pluralité de la presse.

Mais ça nous a pas démotivé, on s'est dit on va trouver d'autres moyens, donc on a demandé à notre diffuseur aujourd'hui de Noto, d'accepter de le prendre, il a fallu les convaincre que ce format pourrait éventuellement être en librairie, par chance ils ont accepté et on a sorti le premier numéro le 28 décembre. On savait que potentiellement on pouvait avoir les lecteurs de Noto qui, curieux, même si l'aventure et le sujet étaient très différents puisque là il s'agissait d'investir les idées, pouvaient être curieux et donc nous suivre, l'acheter. Mais ce qui nous intéressait c'était surtout le public qui ne connaissait pas Noto, puisque c'était considéré comme culture et histoire de l'art, et qui pouvait découvrir Noto via La Nuit. Et c'est ce qu'il s'est passé.

Alors, on a eu de la chance, on a sorti le premier numéro, les réseaux sociaux en ont parlé, par chance, grande chance, la presse en a parlé. On sait jamais pourquoi, comment, ça se passe mais, voilà, on a eu effectivement Libération, on a eu Marianne, on a eu France culture, on a eu Livres Hebdo, on a eu une visibilité inattendue pour ce petit format même pas disponible en kiosque mais achetable ou en commande sur notre site internet et en librairie. Et, évidemment, ça nous a fait venir de nouveaux lecteurs pour Noto puisqu'on a concrètement vu que certains achetaient La Nuit et d'autres voulaient découvrir Noto et achetaient Noto et La Nuit. Et ça nous a permis de relancer concrètement la machine pour Noto donc ça nous a véritablement sauvés.

Un point qui est amusant, peut-être, c'est que pour la première fois on testait la version numérique, c'est-à-dire la version numérique à télécharger sur notre site internet. Alors, moi j'y croyais dur, dans le compte d'exploitation j'avais vraiment misé en disant « Non, non, mais c'est un petit format, les gens vont vouloir le PDF, c'est sûr » et bien pas du tout, absolument pas. 95% de nos ventes sont faites sur le papier, j'ai vendu très très peu de formats PDF. J'arrive pas très bien à expliquer pourquoi pour l'instant, c'est encore trop jeune, on verra avec le second numéro, mais c'est la bonne nouvelle.

Malgré le confinement on a pu un, rebondir sur Noto alors qu'on se posait la question véritablement sur comment on allait faire pour poursuivre l'aventure, on a trouvé de nouveaux « mécènes », en tout cas des soutiens pour la revue, donc on commence effectivement à se dire que le modèle économique peut être vraiment basé sur les lecteurs et puis des soutiens indépendants et nous avons La Nuit, dont le second numéro sort le 10 mars et qui nous permet en plus d'avoir une nouvelle trésorerie et des nouveaux lecteurs qui n'auraient peut-être jamais connu la revue.

Guillaume Svobodny

Parfait, merci beaucoup ! On va continuer dans notre lancée avec Marine Normand si elle est prête.

3. Marine Normand, directrice générale de Madmoizelle

Bonjour. Je suis donc la directrice générale de Madmoizelle. Madmoizelle, c'est un média qui a quinze ans et qui a cette petite particularité d'avoir été acheté pendant le confinement, entre le premier et le deuxième confinement. Donc, moi j'ai repris la direction à ce moment-là avec Mélanie Wanga, la directrice des rédactions, et on a dû imaginer un concept et on a surtout repris un média en pleine pandémie ce qui a posé pas mal de questions.

Alors, Madmoizelle c'est un site qui a quatre millions de visiteurs uniques, c'est aussi un studio de podcast, c'est aussi une chaîne YouTube, c'est aussi un Instagram, c'est aussi des tik-toks, d'est aussi un Snapchat : donc en fait c'est un média qui est un petit peu à l'image des médias en 2021, qui est assez présent sur toutes les plateformes. Et avec un volet assez spécifique : Madmoizelle fait de l'évènementiel. L'évènementiel chez Madmoizelle, c'était trois volets. Il y avait une Grosse Teuf mensuelle à la Bellevilloise dont la jauge était à peu près à mille, mille deux cents personnes, ce qui permettait de créer du lien évidemment avec les lectrices, on est sur un pure player donc un média indépendant. C'est assez difficile de créer évidemment, l'événementiel permet de donner vie au média. Il y avait aussi les CinémadZ, des recommandations ciné projetées dans des salles à Paris et à Strasbourg et un one-mad-show qui était un spectacle mensuel de stand-up féminin. Donc tout ça, des formats très souvent complets, très sollicités par les lectrices de chez Madmoizelle, et qui étaient aussi une source de revenus pour le magazine. Donc voilà une source de revenu, une manière d'imaginer de manière matérielle notre pure player, une façon de garder le lien et montrer aussi, ce qui est assez fort chez Madmoizelle, le pouvoir de dénicher de nouveaux talents : que ce soit à la fois dans le domaine de la comédie, mais aussi dans le domaine journalistique. Ça permet de donner forme et vie à ce magazine.

Évidemment mars 2020 est arrivé et on s'est retrouvées avec cette problématique c'est-à-dire que, même en interne, nous on avait une personne qui était chargée de l'évènementiel et qui se retrouvait finalement assez coincée par cette problématique-là : plus d'évènement, même si à chaque fois on essayer de remonter. C'était aussi les quinze ans de Madmoizelle donc on s'est demandé quelle forme pourrait prendre cet anniversaire. Alors à chaque fois on avançait avec différents prestataires, avec des lieux, avec des intervenants qu'on voulait solliciter sur des conférences, et à chaque décret ou chaque annonce du gouvernement, on était obligés ou bien de reculer nos évènements ou bien de tout simplement les annuler. Et fêter son anniversaire six mois après, ça n'a pas vraiment d\'intérêt.

Donc on a commencé à imaginer de nouveaux terrains de jeux. Et c'est là où Marie, qui est notre responsable évènementielle, nous a parlé de Twitch, que je pense vous connaissez déjà. C'est une plateforme de diffusion en ligne qui est pas toute récente, qui est née en 2007, qui a été rachetée par Amazon en aout 2014, et qui connaît une croissance assez folle actuellement. Il suffit de taper Twitch dans Google actu, on voit à quel point le terrain est en train d'être un petit peu pris d'assaut par tous les médias, que ce soit les plus traditionnels, TF1 a annoncé son arrivée par exemple, ou les influenceurs comme McFly et Carlito. Donc les chiffres de Twitch sont assez impressionnants : on a 26,5 millions de visiteurs quotidien, 2 millions de viewers connectés simultanément, 6 millions de streamers uniques mensuels et c'est une audience très jeune, avec 60% d'hommes et 40% de femmes. Ce qui est aussi un pari pour Madmoizelle c'est d'aller chercher un public féminin et d'arriver à ce qu'elles arrivent sur Twitch. En sachant qu'on a un média qui a 15 ans, donc on a des lectrices qui sont là depuis le départ et qui ont pas forcément pris le train en marche, qui sont restées sur le site mais ne sont pas forcément sur les réseaux sociaux. Voilà on a des communautés qui fonctionnent quelquefois que sur Facebook, que sur Instagram, même que sur le forum, puisqu'on a la particularité d'avoir gardé notre forum.

Donc il fallait trouver des techniques pour les intéresser et leur montrer que Twitch valait le coup, et puis trouver des formats. Donc ce qu'on a fait c'est qu'on a décidé de lancer nos 15 ans sur la plateforme, on a fait 15 heures de live avec des formats très différents : de la conférence, des segments react, des blind tests, du DJ set, donc ça a complètement changé notre façon de voir l'évènementiel mais aussi d'imaginer le magazine. Est-ce qu'on peut mener un entretien filmé en live ? À quel point c'est compliqué ? Est-ce que des artistes, des experts, qui sont peut-être à l'aise avec l'exercice qu'est l'entretien qui est réécrit, vont vouloir parler en direct, vont vouloir aussi avoir cette conversation directe avec les internautes ? C'est quand même des choses qui sont compliquées et qui se sont installées récemment avec les lives instagram.

Donc ça a complètement changé même la façon de travailler de nos équipes, puisque certaines personnes sont chez Madmoizelle pour écrire et pas pour présenter des plateaux d'une ou deux heures en direct sur Twitch. Après, nous on a une chance, c'est que Madmoizelle est le premier média féminin de la plateforme. On est présent sur la plateforme depuis 2015, même si on a décidé de se poser fortement sur le dossier depuis octobre 2020 et qu'on prend le pari de présenter plusieurs visages sur nos lives. À l'inverse de certaines chaînes qui sont incarnées par des gamers, des influenceurs, et c'est ce qui arrive aussi sur YouTube, le média féminin en ce moment traverse une crise : il y a pas mal de médias qui se sont cassés la figure, notamment dans le print, on parle beaucoup de concurrence avec les influenceuses : comment on travaille en effet l'actu mode, beauté, alors qu'on a des personnes qui peuvent carrément interagir en direct ?

Donc c'est une façon de repenser ces réseaux sociaux qui sont pas forcément faits pour parler d'une voix collective mais qui prônent L'individuel. On a mis en place des streams réguliers depuis décembre, on a décidé de faire installer deux lives par semaines qui vont passer à trois, et on a pu gagner comme ça le statut de partner qui est assez intéressant sur Twitch, qui est un petit peu ce qu'on peut définir comme contenu officiel, comme le petit signe bleu à côté du twitter ou de l'instagram, donc qui nous permet de garder du lien avec la plateforme, de discuter avec la plateforme pour être en page, et de pouvoir faire grandir un petit peu notre communauté. Et puis, nous on fait le pari que notre communauté car Madmoizelle est un média né indépendant, qui a été racheté l'année dernière par un petit groupe média, Humanoid, qui a à la fois Frandroid et Numerama, et qui s'est vraiment construit de manière organique. C'est-à-dire que personne n'a payé pour ces lecteurs, on est allé les chercher grâce à notre contenu, grâce à une certaine avant-garde sur plusieurs thématiques, on a été les premiers à parler du harcèlement de rue en 2012, donc nous on a gagné une communauté qui est maintenant assez énorme et qui est très engagée. Les articles chez Madmoizelle sont très commentés, comme les publications Facebook ou twitter, on est toujours dans un espace de discussion, ce qui fait que Twitch se prêtait évidemment bien à l'exercice. Et on essaye aussi de les pousser à aller sur ces lives Twitch pour un petit peu s'approprier la plateforme. En sachant qu'évidemment il faut créer un compte etc., qu'il y a toujours un petit peu cette barrière-là, mais on peut aussi regarder les lives de chez soi, sans se connecter et nous, par exemple à chaque stream, le live s'affiche directement sur la Home Page.

Donc c'est une autre façon d'imaginer un média, et une façon vraiment plus interactive, qui est plus intéressante. Donc on a monté des discussions, on s'est retrouvé avec un live sur la télé-réalité qui a drainé plus de 150 000 personnes, on peut aussi imaginer nos podcasts, puisqu'on a notre podcast phare « Laisse-moi kiffer » qui est un grand format de discussion devenu mensuel sur Twitch et qui permet aux animatrices de garder du lien avec la communauté, d'interagir plus directement qu'avec un podcast lambda. On a aussi des formats de gaming, le live gaming est un classique de Twitch donc il faut aussi se réapproprier les codes de la plateforme qu'on investit pour pouvoir aussi trouver sa place et de la crédibilité. Nous ça nous a fait marrer de tester des jeux un peu nuls de mobiles, type Épisodes, où vous avez à romancer votre vie de manière totalement pourrie : mais ça nous avez fait beaucoup rire et le côté impertinent ressortait vraiment bien, puisque c'est aussi une des racines de Madmoizelle. Mais nous en avons aussi profité pour avoir des espèces de discussions avec les lectrices et imaginer, par exemple, de les questionner sur le nouveau Madmoizelle, puisqu'on est en train de reconstruire une nouvelle direction artistique, un nouveau site internet, un nouveau club d'abonnement, une nouvelle box, donc de créer vraiment un espace de discussion qui nous permet au quotidien, en tout cas à chaque stream, de garder le lien. Et ça nous pousse, je pense, à nos retranchements.

Je pense que tous les médias digitaux ont cette obligation un petit peu de s'adapter de de faire face, on a eu beaucoup ça avec les algorithmes qui poussaient différemment les contenus, il y a eu plein de changement sur Facebook, qui a un moment s'est mis à pousser la vidéo, etc. Donc quand on a un média digital, il faut à chaque fois qu'on se réinvente des nouvelles contraintes qu'on ne connaît pas. Instagram a décidé d'inventer les Reels, et bien il faut s'y mettre, parce que les IGTV sont moins mises en valeur. Donc cette crise, elle nous a juste poussées à être encore plus inventives et à trouver des solutions dans des domaines sur lesquels on n'avait pas forcément prévu de changer. L'évènementiel, le lien, ça reste quand même une base, des choses qui semblent logiques et intemporelles et là il a fallu qu'on réfléchisse. On espère aussi que l'évènementiel reparte un jour en forme, mais d'avoir pu créer ce petit espace, assez bienveillant, puisqu'il y a quand même une politique sur Twitch de modération du chat, d'échanger et d'essayer de nouveaux formats, c'est bien. Même si l'exercice qui est dur quand vous êtes sur un média digital c'est que, à chaque fois on change la façon que vous avez de raconter une histoire : sur un site internet vous avez dix milles signes pour le faire, ensuite sur YouTube, donc vous avez entre 8 et 10 minutes pour raconter votre article ou votre reportage, puis on vous dit que c'est Instagram donc là les formats sont comme ça, trois minutes, etc. Après on commence à vous dire les Reels c'est 15 secondes, donc on essaye toujours de réinventer les formats.

Je sais pas si vous êtes allés voir le Tik-Tok du Washington Post, qui se pose aussi ces questions-là : comment on peut sensibiliser les jeunes aux questions politiques en 15 secondes en essayant de faire du contenu pertinent. Enfin, c'est vraiment des prises de tête au sein de toutes les rédactions. Et là, Twitch propose d'être sur des formats super longs, les gens de Twitch préconisent des formats de 2,3 voire 4 heures, de discussions, donc vous êtes re-obligés de retravailler votre format en vous disant : Qui peut être intéressant pendant 4 heures ? C'est une vraie question, je suis loin d'en être capable. Comment alimenter ça ? Comment le rendre intéressant ? Comment susciter l\'intérêt des lecteurs pour qu'ils ne s'ennuient pas et ne se cassent pas, en fait ? Donc de réfléchir ça, c'est une gymnastique au quotidien mais qui est super intéressante. C'est une étape parmi tant d'autres, je pense qu'il y aura de nouvelles plateformes qui vont voir le jour, et il faudra trouver une façon de présenter des contenus avec les codes qu'on nous a donné, et je pense que c'est quelque chose qui paraît logique pour des médias digitaux.

Donc cette crise, elle nous a juste obligées à faire un exercice de plus, dans un modèle qui est déjà assez complexe pour sortir du lot.

Guillaume Svobodny

Parfait, merci beaucoup ! On va terminer les présentations avec Aurore, si vous êtes prête.

4. Aurore, fondatrice d'Aux 4 coins des arts

Très bien ! Donc, bonjour à toutes et à tous ! Déjà super contente de faire partie de cette conférence, merci pour l'invitation. Les interventions précédentes étaient super intéressantes, j'étais très contente d'apprendre l'existence des revues de Christophe et Alexandre, je connaissais déjà le super contenu d'Elisa et, personnellement, j'ai grandi avec Madmoizelle : donc ça me parle beaucoup. Donc je vais vous faire une petite présentation de mon parcours, et surtout du projet Aux 4 coins des arts et de comment la situation actuelle a impacté ce projet.

Donc, enchantée, moi c'est Aurore, j'ai 29 ans, et je me définis un peu comme une touche à tout. J'adore apprendre et expérimenter plein de choses, ça fait seulement quelques années que je vois ça comme quelque chose de positif parce qu'avant j'étais obnubilée par l'idée de trouver ma voie, trouver un truc unique à faire. Et cette idée me rendait assez triste, parce que je me disais qu'il y a tellement de trucs assez cools à découvrir. Donc, entre autres termes, je suis assez curieuse et j'aime la création au sens large. J'aime apprendre mais j'aime surtout le partager avec les autres, c'est ce qu'on va voir par la suite. Et j'ai fait aussi du webdesign, du graphisme et de plus en plus de vidéos grâce à ce projet. Et je suis aussi la créatrice d'Aux 4 coins des arts.

Rapidement sur mon parcours, j'ai fait un bac technologique, je suis rentrée à la fac et j'en suis sortie 5 ans après avec un master en ingénierie économique. Diplômée, j'ai créé mon poste de chef de projet dans l'entreprise dans laquelle j'ai fait mon stage de fin d'étude. Cette entreprise c'était un petit peu le bin's, j'ai dû finir par gérer trois postes en même temps, c'était génial ; ça a été très formateur en termes d'organisation, d\'auto-évaluation, de la gestion et de la prise de décision, des choses qui m'ont beaucoup aidée à créer ce projet d'ailleurs. Donc l'entreprise n'a pas tenu le coup, et je me suis retrouvée à 24 ans licenciée économiquement, ça m'a fait très très bizarre, surtout quand on est élevée par des parents, ça fait 20 ans qu'ils sont dans la même boîte etc. Mais ça m'a permis un petit peu de faire le bilan de ma situation et surtout de me réorienter vers un domaine qui me convenait plus.

Donc c'est pour ça que j'ai fait deux formations, une en webdesign et une en direction artistique digitale. À la fin de cette formation, ça faisait 5 ans que j'étais à Paris, donc j'avais deux choix : soit rester, soit partir. Et j'avais depuis un moment déjà cette envie de voyager, de rencontrer des gens, de rencontrer des artistes et surtout d'en apprendre plus sur un domaine qui me faisait de l'œil depuis un petit moment : l'art. J'ai donc décidé, avec beaucoup d'appréhension,, de rentrer chez moi dans le Sud et de me consacrer à monter ce projet. Je voulais vraiment me poser pour y réfléchir pour avoir quelque chose de solide. C'est donc ce que j'ai fait entre mars et septembre 2019.

En juillet 2019 j'ai commencé à contacter les premiers artistes et en septembre je filmais ma première vidéo. Et pendant la période de réflexion, je me suis aussi auto-formée à filmer et monter des vidéos, à faire des scripts, parce que tout ça je n'y connaissais rien du tout. Et en novembre 2019, j'ai donc lancé ma chaîne en postant mes deux premières vidéos. Et parallèlement, j'ai ouvert ma micro-entreprise dans le design. Donc Aux 4 coins des arts, ça recoupe un petit peu tous les mots que vous voyez sur l'écran : l'art, la découverte, les artistes, le fun, le partage, l'accessibilité, qui est aussi un aspect très important pour moi. Donc Aux 4 coins des arts c'est un projet un peu fou, et encore plus fou en ces moments très troubles, j'ai envie de dire. C'est l'idée de pouvoir faire découvrir ou redécouvrir l'art avec enthousiasme et simplicité. Et là où ma démarche est un petit peu singulière, c'est que personnellement je n'y connais pas grand chose en art, et c'est avant tout une manière pour moi d'en apprendre un peu plus et le fait de le partager avec les autres, avec un média que je trouve vraiment très stylé : la vidéo. Et le tout en évoluant quand même dans un domaine qui est très très élitiste, donc c'est pas tous les jours simples de parler simplement d'art.

L'idée c'est donc plus de sensibiliser que de vulgariser, et c'est surtout le fait de parler aux plus néophytes d'entre nous avec un fond et une forme dynamique et adaptée, et c'est surtout de sensibiliser ou de vulgariser les domaines créatifs et artistiques. C'est quelque chose que je voyais pas beaucoup, à l'époque où j'ai lancé la chaîne, ça fait pas très longtemps, ça fait un an, un an et demi. Il y avait beaucoup de contenus qui vulgarisaient la science, par exemple, mais beaucoup moins qui vulgarisaient l'art et je me suis dit qu'il y avait un créneau pour moi. C'est pour ça que j'ai lancé ça. Aux 4 coins des arts c'est avant tout une chaîne YouTube, et avant je voyais un peu mon compte Instagram un peu comme seulement un support de communication, mais en voyant le temps et le travail que j'y consacre, c'est vrai que, maintenant, c'est plus un contenu qui complète ma chaine YouTube et surtout depuis le premier confinement vu que j'ai créé des formats, on va y revenir, spécialement pour Instagram.

Marine parlait de Reels par exemple, ça complète ce que je fais sur YouTube puisque je ne peux pas créer autant de contenu sur YouTube que ce que j'aimerais par rapport au temps, etc. Donc Instagram complète un peu tout ça. Sur YouTube il y a maintenant plusieurs formats de durées, d'approches et de styles différentes. Mais ce qu'il faut savoir, c'est qu'au commencement j'ai créé ce projet et cette chaîne spécialement pour le format « CKOI » : le format « CKOI » c'est l'idée d'en apprendre plus sur un thème avec une introduction de 4-5 minutes pour mettre tout le monde à la page, et ensuite de rencontrer un ou une artiste et de savoir comment ça se passe dans la « vraie vie », j'ai envie de dire. L'idée, c'est que le thème soit incarné par une personnalité et d'en découvrir plus sur ses expériences, ses inspirations, son parcours, comment il ou elle créée. C'est vraiment l'idée de remettre de l'humain derrière des thèmes ou des concepts qui parfois paraissent très abstraits.

Là, le premier épisode, c'était quelque chose de très accessible puisque c'est l'art urbain ; mais le quatrième épisode je l'ai fait sur l'art recyclé, qui est quand même quelque chose de moins accessible. Il y a des gens qui se sont intéressés à l'art recyclé et qui m'ont dit qu'ils ne pensaient pas trouver ça stylé, alors que c'est vraiment très très stylé. J'ai ensuite testé un format qui s'appelle « Le p'tit coin actu », où je parlais d'actus du monde de l'art, un peu WTF ou fun, et c'était vraiment l'idée d'avoir un format plus court parce que les « CKOI » c'est quand même 20 ou 25 minutes et on entend souvent « oui, il faut faire des vidéos courtes sur YouTube » donc j'étais là « Ah bon ben je vais tester ça ». Et en fait, avec le recul, je me suis aperçue que c'était plus un format qui répondait à ça plutôt qu'un truc qui me faisait kiffer, mais c'était vraiment intéressant de voir aussi comment faire ça. J'ai ensuite créé un autre format spécialisé parce que je voulais absolument rencontrer des illustrateurs et des illustratrices, et donc j'ai créé un format adapté à eux avec un style d'interview adapté ; c'est-à-dire que l'artiste dessine en répondant aux questions avec des sujets à chaque fois très ciblés. On peut voir par exemple que, pour le premier épisode, j'ai eu la chance qu'une illustratrice que j'adore accepte : c'est Lili Sohn qui a créé une BD sur son expérience du cancer du sein à 29 ans. J'ai eu aussi Aude Mermilliod qui a fait une BD sur l'IVG, et le dernier épisode c'était avec Cookie Kalkair, où on a parlé sexualité masculine. Donc, à chaque fois, c'est découvrir l'illustration ; mais aussi, ce qui est bien, c'est que j'utilise l'art et l'illustration pour parler de sujets qui sont à mon sens pas assez abordés, ou peu abordés, ou pas assez mis en lumière. Parce que je trouve que c'est à ça que sert l'art aussi, c'est pouvoir parler d'autres sujets d'une autre manière et toucher les gens de manière différente.

Pendant le premier confinement, on y arrive, j'ai décidé de tester une idée que j'avais un peu en tête depuis un petit moment sous l'influence des vidéos que je consommais moi-même sur YouTube, et je me suis renseignée sur vraiment comment créer un script de dialogue, parce que mes autres vidéos étaient scriptées mais c'était pas de l'écriture pure, si on peut dire ça. Et donc j'ai tourné le premier épisode de « Trois fois rien ». En fait « Trois fois rien » c'est une capsule où apparaît trois de mes personnalités exacerbées qui tentent de parler d'art ou d'une œuvre d'art bien précise. Et en fait, déjà, c'est un moyen pour moi de filmer chez moi, parce qu'effectivement toute ma chaîne est basée sur le fait de partir, de rencontrer des gens, ce qui n'était plus possible, et c'était aussi un moyen pour moi de parler de l'histoire de l'art sans vraiment y connaître grand-chose et c'est quelque chose que je voulais faire depuis un petit moment. Puis j'ai aussi fait le format « Détours », ce format allie deux choses que j'aime vraiment faire : découvrir une ville et son street-art. Et en début d'année j'ai commencé aussi à refaire un format à l'intérieur, puisque j'ai vu que la situation évoluait et que c'était de plus en plus dur d'organiser des tournages. Et j'ai créé un nouveau format qui s'appelle « Parenthèse créative », où c'est moi qui essaye de créer des choses et d'inviter les gens à créer avec moi.

Donc c'est vraiment ça, en fait je rejoins Marine sur le fait que la situation ça nous a vraiment challengées. Mais pour moi, personnellement, c'est parfois difficile de voir si c'est la situation qui m'a challengé ou si c'est juste ce que je voulais créer à ce moment-là : il a des fois des trucs qui s'entremêlent. Donc peut être que j'aurais moins créé de format chez moi parce que, voilà, mon but c'est vraiment de partir et rencontrer des gens. Mais in fine ça m'a vraiment challengée sur le fait de trouver d'autres manières de créer, de trouver des choses que j'avais envie de faire et peut-être de me pousser à faire des choses. Typiquement, « Parenthèse créative » je me sentais pas légitime, on va dire pour faire, ce genre de choses et finalement je le fais. Donc voilà !

Pauline Aouari

Super, merci beaucoup Aurore pour cette présentation. Merci également aux autres intervenants pour chacune de vos présentations qui ont toutes étaient assez complémentaires et, comme l'a dit Aurore, qui nous ont permis de découvrir ou redécouvrir des médias de diffusion et c'est extrêmement intéressant. Je pense qu'on va tout d'ailleurs tâcher de découvrir ça à la suite de cette conférence.

5. Table ronde

Aida Abbou

Tout d'abord, je tenais à vous remercier, remercier l'ensemble des intervenants pour leurs présentations qui étaient très intéressantes, super efficaces, avec différentes approches qui ont été développées. Vous avez tous d'une manière ou d'une autre répondu à la thématique qui je le rappelle est « Le design, les arts et les médias en temps de crise ». La crise qui pour certains a été l'occasion de repenser leur business modèle, pour d'autres a été l'occasion de faire face à des problèmes financiers et de s'en sortir malgré tout. Nous avons tous vu que vous entretenez un lien étroit avec votre public et votre audience en temps normal, alors la question que je vous pose à tous c'est : quel lien entretenez-vous ou comment votre audience ou votre public ont-ils accueilli cette crise-là, par rapport à votre pratique ?

Alexandre Curnier

Je vais prendre la parole alors. Nous, c'est vrai que comme on est en accès libre, c'est-à-dire que même si Noto est en librairie la revue reste en accès libre, on a eu des lecteurs qui nous ont dit : « C'est marrant ce que vous faites parce qu'en fait le Ministère de la culture vient de lancer Culture chez vous et c'est ce que vous faites depuis 2015 ». Donc on a toujours eu des lecteurs extrêmement bienveillants, on a des lecteurs qui font partie de l'aventure puisque c'est notre modèle économique. Et en réalité ils ont montré, ils ont porté notre choix de modèle, c'est-à-dire entre gratuité et payant. Effectivement, ils le font depuis toujours.

Aurore

Oui, moi je dirai qu'effectivement j'essaye d'entretenir un lien avec mon audience même si j'arrive pas encore à l'appeler comme ça. Mais, je dirais que mon audience a pas eu une réaction spécialement par rapport à mes changements : plus de lives, moins de lives, parce que j'ai l'impression que, de toute façon, utilisant la vidéo ou le digital les gens étaient sur-sollicités d'une manière générale. Après, moi, je suis pas un média qui est assez gros pour voir un changement de quelque chose, donc je leur proposais des choses, ils l'ont plutôt bien accueilli. Il y avait des gens qui étaient contents de me voir plus en live par exemple au deuxième confinement, mais ils ont plutôt bien réagi. Étant donné que je suis quand même un média qui est assez récent, ils ont pas étés bouleversés et, encore un fois, ils étaient extrêmement sollicités. Comme l'a dit Élisa, d'un seul coup, au premier confinement, tout le monde s'est mis à faire des lives. Moi c'est pour ça que j'en ai pas fais, je me suis dit, en fait les gens sont bombardés de ça, donc il fallait encore une fois trouver une manière de se distinguer et de faire en même temps ce que les autres attendaient. Moi je dirais qu'ils ont plutôt bien accueillis la chose, donc voilà.

Marine Normand

C'est vrai que la question du Live, il y a eu une sur-sollicitation : il fallait vraiment trouver un bon format pour se démarquer. Je pense qu'on a tous sur-saturé de lives Insta à un moment, et de trouver une bonne façon de parler à son audience, ça a pu être compliqué. Notamment de pas forcément lui faire jouer un rôle passif, mais d'essayer d'imaginer, surtout lors du premier confinement où tout le monde était enfermé chez lui H24, de mettre en place des tutos, d'essayer de créer une interaction et tout parce que dans un format spectateur, on est déjà spectateur du quotidien et de la pandémie : il fallait trouver une nouvelle façon de faire des choses, d'apprendre, d'être dans une bonne dynamique qui permettait de ressortir grandis, même si c'est pas forcément le bon mot, de pouvoir en tout cas interagir et d'impliquer un peu plus sa communauté qui était, évidemment, comme nous tous enfermée chez elle.

Élisa Bonnafous

Du coup, au niveau des lives, moi j'ai une toute petite communauté. Mais par contre, pendant le premier confinement, elle a grandi parce que, avec les lives justement, j'allais toucher en dehors de mon cercle, je sortais de l'entre-soi et du coup, vu que j'interview des inconnus, des gens de tous les jours, ça me permettait d'atteindre leur cercle à eux qui arrivait sur le live via le profil des gens qu'ils suivaient et du coup ça m'a rapporté des gens qui se sont abonnés à mon compte Instagram. Et sur le sujet, vu que je parlais quand même de voyage, j'espérais en tout cas que ça fasse un petit peu voyager les gens en dehors de leur quotidien. Parce qu'un jour on pouvait parler de New York, ensuite on parlait de Tokyo, ça redonnait un peu de nouveauté, en tout cas à mon quotidien à moi, du coup j'espérais aussi au quotidien de mon public.

Aurore

Ce que je voulais dire par rapport aux lives, ce qui était cool pendant le premier confinement, moi j'en ai pas fait personnellement mais les gens étaient super alertes parce que, comme la situation était super nouvelle, à la fois ils étaient sur-sollicités, mais à la fois ils étaient à l\'affut de nouvelles choses. Et, effectivement, moi j'ai regardé quelques lives d'Élisa et en effet ça nous faisait bien voyager.

Élisa Bonnafous

T'as même participé à l'un ! J'ai interviewé Aurore, et ça faisait partie des premières interviews ou je me suis dit « ça y est, j'atteins le type d'interview que je veux faire" » et du coup c'était aussi intéressant. Effectivement au niveau du public aussi, il y avait très peu de lives avant le premier confinement et du coup il y a eu un changement dans la consommation du contenu aussi, c'est-à-dire que les gens, tout à coup, ils pouvaient passer une heure devant leur téléphone sur Instagram et ça les gênait pas quoi. Du coup je pense qu'il y a eu un changement aussi dans la façon dont les gens utilisaient la plateforme. Même si effectivement au bout d'un mois les gens en pouvaient plus, mais au début en tout cas il y a eu le « tiens, qu'est-ce que c'est que cette fonctionnalité » et le « ah tiens, ça peut être intéressant en fait ».

Christopher Dessus

Moi je répondrais par un truc assez pragmatique. Je crois que pour les gens, en gros, on pense que faire du digital c'est moins contraignant que faire du physique, et en fait je pense que tout le monde s'est bien rendu compte que c'était autant de travail. Et que faire un contenu intéressant et intelligible sur Instagram, si on voulait bien le faire et bien ça demande du travail et de l'argent. Donc je pense aussi que la rapidité des réseaux a fait qu'il y a eu une émergence de plein de choses, mais pas forcément de très bonnes choses non plus. C'est-à-dire que très peu sont les médias qui ont réussi à faire quelque chose de vraiment très très intéressant. Notamment, je trouve que les gens qui en sont un peu sortis.

Je fais exprès de pas parler de PLI parce que nous on a travaillé juste, on a reposté plein plein d'architectes et de designers pendant tout le confinement, ce qui fait qu'on a fait grossir notre communauté comme ça, mais on n'a pas vraiment fait de contenu exprès, on a surtout vu une explosion des ventes. On a eu beaucoup de ventes en fait pendant le confinement, ce qui fait que nous on a vraiment travaillé à faire des offres super accessibles pour que les gens puissent y accéder, enfin sans pour autant donner la gratuité des contenus : c'est pas parce qu'on est en confinement qu'on doit tout rendre gratuit, quoi.

Pour revenir à ce que je disais, par rapport aux gens intelligents, c'est ceux qui ont développé le podcast aussi. Ce sont ceux qui se sont hyper bien débrouillés pendant le confinement parce qu'ils avaient déjà mis en place la plateforme : faire des podcasts c'est pas facile, ça demande aussi un peu des financements et je trouve que c'est ceux qui ont, peut-être, pensés des formats intéressants, que tu pouvais aussi avoir à la maison. Parce que c'est vrai et faux que les gens pouvaient passer plus de temps sur Instagram, c'est vrai dans le sens où on avait peut-être plus de facilité, on n'avait pas notre patron à côté en tout cas, les gens, je parle des non-étudiants, en fait on a continué à travailler, enfin j'espère, tout le monde a essayé travailler et de trouver du sens à ce qu'il faisait. Donc je pense qu'on n'a pas été derrière, mais je pense que ça a créé du travail, un nouveau type de travail, je sais pas s'il est acquis ou s'il y a encore du travail, dans le sens où on a pas encore trouvé la meilleure solution. Et c'est un vrai sujet de travail pour les gens qui travaillent en com, parce que on n'a pas résolu le truc et très peu sont ceux, même ceux qui ont de l'argent, je veux dire même les magazines qui sont assez bien subventionnés ou des grosses marques type Vogue ou des gros magazines, ils ont pas non plus réglé le truc : donc c'est pas une histoire d'argent je pense. C'est vraiment une histoire de créativité et de savoir manier les réseaux sociaux pour y arriver.

Nous on avait monté une exposition qui s'appellait « Familyguys.works » sur Instagram où on profitait de ce temps-là pour, comment dire, pour faire appel à plein de designers et architectes différents et on leur a dit : « Vous avez pas d'argent, vous avez créé des objets pendant le confinement et bien on se charge de créer une équipe dont les membres sont très forts en 3D pour vous faire des rendus parfaits pour que vous puissiez communiquer sur votre projet ». Du coup on a fait 60 rendus avec une équipe de 10 personnes et on les a présentés tous, et on a fait des interviews par messages, et on avait développé une sorte de Mimoji sur notre téléphone, et on répondait aux questions des gens ce qui créait une espèce d'interface un peu différente de l'expo. Mais ça veut pas dire qu'on na réglé le sujet, non plus quoi.

Valentine Mathieu

Merci pour vos réponses, je vois que Cassandra a réagi sur le tchat, si tu veux prendre la parole.

Cassandra Bonnafous

Oui, c'était pour revenir sur le principe des lives et le fait d'être trop sollicité ou en tout cas le fait d'être assailli par les lives et tout ce qui se passait sur les réseaux sociaux. Ce que je voulais dire, c'est que pour moi le fait de se sentir trop sollicité ça change pas de d'habitude, de quand on avait le droit de sortir et d'aller dans la rue, dans les transports et dans les musées. On était déjà beaucoup sollicités parce qu'il y avait toujours beaucoup trop d'informations partout tout le temps et quelle que soit la nature de l'information. Mais que là, la différence, c'est le fait que toutes ces informations soient regroupées sur un seul appareil à savoir le portable ou l'ordinateur et, du coup, c'est ce dispositif-là qui transforme l'information et qui donne cette impression d'être trop sollicité parce qu'en plus les lives on peut recevoir les notifications, etc.

La différence c'est qu'il y a plus forcément le choix de cette information, on nous l'envoie de toute façon. Mais c'est surtout que d'ordinaire quand on est chez nous on est moins sollicité, justement parce que chez nous c'est là où on peut être tranquille, se poser, et justement se couper de cette société de l'hyper-visible et de l'information, et que finalement là l'information venait à nous, jusque dans notre foyer et notre téléphone.

Marine Normand

Après, je pense qu'il faut se rappeler aussi du premier confinement, où tout le monde naviguait à vue notamment sur la question du virus et où tout le monde ressentait le besoin d'être informé, enfin de se sur-informer, et donc je sais que nombreux sont les sites qui ont eu un pic d'audience en mars-avril, notamment ceux qui abordaient la question du COVID, parce qu'on voulait savoir en fait. Et je pense qu'à court terme en effet il y avait un grand besoin d'être informés et que là on en est tous au onzième mois de pandémie et que les dynamiques sont plus les mêmes, qu'on a vraiment envie de raccrocher et qu'enfin on voit très bien dans la société dans laquelle on agit, on commence à avoir une espèce de routine et il y a une envie de se couper ou de chercher d'autres contenus, dont les thématiques sont diamétralement opposées à celles de la réalité. Enfin, je pense.

Valentine Mathieu

Quelqu'un a envie de réagir ? Sinon on peut continuer, je reprends le tchat sur lequel vous avez pu poser vos questions. Vous pouvez encore poser des questions d'ailleurs. Et je vais donner la parole à chaque personne pour que ce soit plus organisé. Du coup Cassandra t'avait posé une question à Christopher au tout début. Je te laisse peut-être la relire.

Cassandra Bonnafous

Oui, c'était sur la notion d'exposition. En fait, dans votre présentation il était beaucoup question de scénographie et d'exposition et, à chaque fois, on sentait une espèce de nostalgie autour de ces moments qui n'existent plus. Et donc ma question c'était : est-ce que, d'après vous, on va dans quelques mois retrouver des expositions comme avant ou est-ce que la crise actuelle est en train de transformer complètement la notion d'exposition, les méthodes d'expositions ? Et est-ce qu'on arrive à un changement vraiment fondamental de ce qu'est l'exposition aujourd'hui ?

Christopher Dessus

C'est une question super compliquée, qui a plusieurs tiroirs et qui va être difficile à expliquer en deux secondes. Mais en gros il faut distinguer ceux qui font des expositions et ceux qui reçoivent des expositions. Je pense qu'il y a la question du musée qui a sa propre problématique, et la question des gens qui font l'expo, déjà ça c'est très distinct. Les musées diront, je pense en tout cas pour travailler avec certains d'entre eux, que ça va pas changer fondamentalement les choses en termes de formes. Parce que les budgets vont pas non plus changer, les expositions aujourd'hui pour parler digital, pour essayer d'évoluer, elles ont besoin d'un financement et de formations, c'est-à-dire que il faut y arriver à gérer des iPad partout dans une exposition sachant que quand t'es un musée qui n'a pas l'habitude de les utiliser jusqu'à présent c'est quand même un financement supplémentaire pour pouvoir former tout le monde, par exemple. Ils ont fait beaucoup d'efforts, les musées, pendant le COVID et maintenant aussi pour investir dans des rédacteurs, des gens qui vont pouvoir filmer les expos, faire de la réalité virtuelle, etc. Mais on sent qu'il y a un coincement quand même. Et ceux qui font des expos, comme moi et d'autres, on se pose vraiment vraiment, vraiment, la question de si ça va vraiment changer. Ou alors si ça change, il faut que ça change de manière intelligente. C'est-à-dire que mettre des IPad partout ou en tout cas faire de la réalité augmentée ou virtuelle avec des casques, en tous les cas c'est des choses pas possible avec la question du COVID, c'est des choses qu'on touche. Donc c'est pas possible en fait de les gérer à long terme, donc déjà rien que ça c'est des choses à évincer.

Du coup il faut créer des nouvelles choses, et ces nouvelles choses elles pourront exister si et seulement si en fait on a aussi du budget pour pouvoir rechercher, chercher. Donc nous, là, on essaye de travailler actuellement sur des choses avec d'autres agences digitales pour essayer de voir s'il n'y a pas des capteurs qu'on pourrait ajouter dans les expos pour faire en sorte qu'il y ait du lien avec le digital, etc. Mais en fait je pense, honnêtement, la réponse sera peut-être un peu floue, mais en tout cas que ça changera si et seulement si on essaye de trouver des nouveaux formats aux expositions et pas qu'on essaie de répondre à un problème de crise. C'est-à-dire que les expositions doivent changer de forme, peut-être parce qu'elles sont moins accessibles à un grand public aujourd'hui, ça c'est la vraie question. La crise a accéléré ça, de mon point de vue en tout cas, et il faut trouver d'autres moyens : par exemple quelqu'un qui voit une exposition à mon avis sur internet, ne doit pas se balader dans l'espace d'exposition en 3D. Sinon ça ne sert à rien d'avoir un vrai projet. Il faudrait utiliser en fait le media digital comme un vrai outil, c'est-à-dire par exemple pouvoir avoir un vrai contenu que tu trouverais pas forcément dans un espace d\'exposition. Faire en sorte que des gens puissent, je sais pas, renseigner des informations dans l'exposition et que ça apparaisse sur le site web en temps réel pour faire toi aussi partie de l'exposition même si t'es chez toi. Par exemple, cela peut être des capteurs partout qui fait que quand tu te connectes sur le site web, t'apparais comme un visiteur mais les visiteurs sont aussi trackés sur un plan, etc.

Ce que je veux dire, c'est que la notion d'exposition est tout le temps amenée à être changée. Dans l'histoire de l'art, dans l'histoire de l'exposition, les expositions elles ont toujours été modifiées en fonction des curateurs, en fonction des lieux, etc. Ce que je veux dire, c'est que cette crise-là a exacerbé des problèmes qui étaient assez latents, de la non-accessibilité des contenus à un grand public. Le Louvre le fait plutôt bien parce qu'il y a les financements qui suivent, les gros musées le font. Mais en tout cas les petits musées ou les petites institutions — je pense aussi que c'est pas qu'à Paris que se passent les choses, c'est aussi dans les centres d'arts de province, dans les autres grandes villes de France que se passe la culture — ont pas forcément les financements pour pouvoir le faire. Donc s'il y a une politique à avoir, c'est peut-être celle-là. Et je suis pas sûr que les expositions changent radicalement, les transformations elles seront très progressives. Je sais pas si je réponds très bien à ta question Cassandra. Il faut vraiment distinguer les choses, quoi. C'est-à-dire que quand tu dis notion d'expo., pour moi il y a vraiment plusieurs personnes qui les fabriquent, il y en a pas qu'une seule, et c'est vraiment très important. Et il y a même des musées qui sont plus liés à des mairies ou des institutions, donc t'imagines le pouvoir décisionnel de ces gens-là par rapport au musée en lui-même, du coup ça rajoute des maillons. Mais oui, je pense que c'est des vrais sujets, s'il y a des gens qui veulent commencer à travailler dessus c'est maintenant.

Aida Abbou

Pour rebondir par rapport à ce que vous dites, je trouve ça très intéressant l'idée que la crise a mis en exergue certaines problématiques qu'on ne se posait pas forcément avant. Alors, je vais juste un peu remonter en amont, vous avez parlé de la question de l'exposition : ceux qui exposent et ceux qui reçoivent l'exposition. Moi, je voudrais vous poser la question suivante : est-ce que votre processus de sélection des artistes, des jeunes que vous accueillez dans votre processus de sélection, est-ce que vous avez dû revoir vos critères à la baisse ou est-ce que la qualité de ceux qui sont accueillis chez vous, Christopher, ou les personnes interviewées par Élisa ou par Aurore, demeurent ? Vu qu'on est submergé d'informations, submergés de médias, est-ce que maintenant vous êtes dans une optique de produire pour produire ? Les critères sont-ils toujours aussi élevés ?

Christopher Dessus

Je t'avoue que j'ai pas tout compris, est-ce que tu peux reformuler ? Est-ce que la qualité des designers avec qui on travaille ou les créatifs avec qui on travaille est moins pointue qu'avant ?

Aida Abbou

Exactement.

Christopher Dessus

C'est très difficile à juger. Moi la seule chose que je vois c'est qu'il y a moins de productions, parce que les designers et les artistes sont en grande difficulté. Donc il y a moins de prod, moins de choses physiques, moins de nouveauté et nous sur PLI on a carrément arrêté la curation parce qu'on a senti qu'en gros il y avait quand même un appauvrissement des créations, parce que, en fait, pour accéder à la commande aujourd'hui, à la commande ou à de nouveaux projets, ça a été quand même un peu la galère. Du coup on s'est rendu compte qu'il fallait arrêter.

Aida Abbou

Est-ce que ça vous a pas poussé forcément à justement, ouvrir un peu plus votre champ de recherche de ces artistes-là, de ces designers-là ?

Christopher Dessus

Non, ça nous a je pense forcés à plus prendre contact avec eux. À essayer de comprendre ce qui n'allait pas, ou en tout cas essayer d'être encore plus solidaires. Notamment nous, sur des projets d'expositions, d'essayer de travailler avec des jeunes designers, prendre plus de stagiaires, essayer d'être un peu plus dans l'écoute et se dire que, en fait, on a tous un rôle à jouer dans ce truc-là, même si c'est super compliqué moi en tant que gérant d'une asso. et d'une agence.

Mais en un sens, je pense pas que c'est une histoire de qualité : je pense que c'est plutôt chacun fait un peu comme il peut, c'est un peu plan B, plan C, plan D et tout le monde essaye de recoller les morceaux pour s'en sortir. Après, il y a des lieux cools qui sont sortis, qui soutiennent vachement les designers, comme Manifesto, je sais pas si vous connaissez, c'est POUSH à Clichy par exemple qui soutient vachement les artistes et les designers qui proposent des mètres carrés très peu chers et très peu onéreux, qui ont vraiment soutenu les jeunes créatifs là-dedans et ça a donné lieu à d'autres actions. Mais je dirais pas que la qualité a baissé, ce serait un peu dur de dire ça, je pense que la qualité elle est toujours là. Je pense que les gens, ils réfléchissent un peu autrement, ils voient plus à long terme. Je pense qu'on va être amenés, et j'espère, à produire moins mais mieux. Voici ma réponse.

Aida Abbou

Généralement quand on pense confinement on pense à un temps à la maison à passer, et potentiellement du produit qui est contenu sans arrêt. À un moment donné vous aviez peut-être moins de disponibilités, moins de personnes à interviewer ?

Marine Normand

Je pense que c'est une erreur de penser que le confinement, ça a été une espèce de délire créatif pour tout le monde. Moi je connais, enfin on a tous pensé, qu'on allait écrire un bouquin ou faire un truc géant de ce temps ; mais tout le monde était coincé dans la même timeline anxiogène et je pense qu'il y a très peu de créatifs, et s'ils y arrivent tant mieux pour eux, qui ont réussi à presque capitaliser sur ce temps-là alors que l'humeur n'y était pas du tout. Après, si certains ont réussi, et il y a sûrement beaucoup d'exception, c'est tant mieux pour eux ; mais j'ai pas l'impression que ça ait été une période très créative pour tout le monde.

Christopher Dessus

Ah non ! Surtout qu'on est tous à des degrés différents. Je parle souvent des étudiants parce que je suis prof à l'ENSCI et je suis un peu dans le milieu pédagogique aussi et, en fait, on n'est tous pas égaux par rapport à notre milieu de vie. Donc c'est intéressant, ils le disent des fois à la télé, on est tous pas pareils, le confinement on l'a tous vécu de manière diferente ; mais c'est vrai, c'est vraiment vrai. Quand il y a eu la deuxième vague, mes étudiants ont appris que potentiellement ils allaient être confinés, ça a été une catastrophe, quoi. J'étais devant eux, j'ai vu des personnes se décomposer en deux parce qu'elles allaient revivre dans leurs 11 m2 quoi, et je pense que c'est en ça que, ouais, on n'est pas tous égaux là-dessus et ne pas être créatif pendant cette période-là c'est pas grave.

Marine Normand

Après je ne suis pas totalement d'accord avec Christopher, sur le truc du long terme. Personnellement, moi, j'ai l'impression que les gens sont dans l'incapacité de se projeter, enfin moi à l'origine je suis journaliste musical et quand on voit un petit peu la santé des festivals en ce moment, où tout est reporté à 2022, voire 2023, c'est quoi le long terme ? Et quelle gueule il aura ? Ça personne n'est capable de le dire. Et donc être capable de mettre en place des projets sur une timeline qui est pas du tout dessinée, je sais pas comment les autres autour de cette table vivent un petit peu cette période-là, mais moi je suis vraiment, du jour au lendemain, à essayer de voir ce qui est possible et applicable rapidement plutôt que de se projeter dans des réalités que personne ne connaît, quoi.

Aurore

Moi je suis d'accord avec ce que dit Marine. Effectivement, et ça rejoint la question qu'on nous a posé pour préparer cette table ronde sur l'essentiel et le non-essentiel, c'est-à-dire qu'en ce moment je trouve qu'on est en train... Pour moi l'essentiel c'est temporaliser, qu'on me dise que l'essentiel c'est seulement l'alimentaire pendant trois mois, moi, ça me va très bien ; mais là j'ai l'impression qu'on est en train d'étirer la définition d'essentiel et que ça fait bientôt un an qu'on est sur l'essentiel de trois mois qui est juste de manger, d'aller faire les soldes ou le shopping, mais tout ce qui est le monde de l'art etc, ça ne fonctionne plus. C'est essentiel, maintenant. Ça ne l\'était pas effectivement au début de la pandémie, mais maintenant c'est plus essentiel.

Et pour répondre à la question d'avant, sur le fait de la sélection des artistes, est-ce qu'on a baissé le niveau, etc, non je pense pas du tout. Avant tout il faut pas rentrer dans ce mécanisme, et c'est très dur, de pas faire du contenu pour faire du contenu, parce que dès l'instant qu'on met le doigt dedans, oui, il faut poster ; et puis il y a des gens qui disent « oui mais si tu postes pas trois ou quatre fois par semaines, les gens ils vont plus te suivre, machin ». Tu vois tes abonnés qui montent et qui descendent, t'es là, tu te dis « mais c'est pas possible », alors que tu passes trois jours sur dix posts Instagram. Donc non, moi personnellement, j'ai pas baissé mon niveau pour demander à tel ou tel artiste, parce qu'avant tout c'est moi qui veut rencontrer ce genre de personnes parce que je trouve cette personne très intéressante et j'ai envie que cette personne voit à quel point son taff est stylé. Et c'est plus l'idée de comment est-ce que je vais créer des nouvelles manières de parler d'un sujet qui va tout de suite intéresser les gens, alors que les gens sont encore une fois sur-sollicités par, comme le disait Cassandra, les médias qui arrivent jusqu'à chez nous et qui nous disent « c'est super sympa, j'ai inventé un nouveau format ça va être trop bien, regarde le Reels, regarde le truc », donc voilà.

Donc non, je pense pas que j'ai baissé le niveau, c'est juste la manière, c'est encore une fois s'adapter à la situation. Mais c'est vrai que, comme le dit Marine, la situation-là elle avance plus. Moi j'essaye aussi de préparer des tournages pour faire d'autres formats, pour faire d'autres épisodes, pour faire machin, sauf que je suis là et je sais pas. Je sais pas quelle est ma timeline, je sais pas quand est-ce que je peux les poster. Juste avant le deuxième confinement, j'avais quatre tournages de bookés et deux jours avant l'annonce du président : est-ce que j'annule ? Est-ce que j'annule pas ? Si j'annule pas, tous mes frais sont engagés et j'ai rien de remboursé. En sachant que moi ce projet tout est autofinancé pour l'instant et que j'en ai pas parlé mais, qu'effectivement, moi le confinement ça m'a juste embêtée, je dirais, sur le fait de trouver des nouveaux financements, parce que j'avais une timeline qui me disait « oui, trois quatre mois après que t'as fait ça, tu pourras peut-être commencer à envoyer des demandes de financements » : moi ça m'a tout pété sur ça, donc je suis encore au niveau d'autofinancer ce projet. Et effectivement là, je sais plus si je peux faire, si je peux pas faire. Est-ce que je peux engager des frais ? Est-ce que je peux pas ? Donc ça bouge sur plein de choses, on navigue à vue et ça commence à faire trop longtemps qu'on navigue à vue, quoi.

Elisa Bonnafous

Pour rebondir sur les critères de sélection, donc moi à la base j'interviewais des gens que je rencontrais au hasard dans la rue. Mais là, sur Instagram, et ça répond un peu à la question de Cassandra sur comment je choisis les personnes, mon process de sélection a complètement changé. Maintenant comment je fais pour trouver des gens, parce que je veux des gens inconnus ? Enfin je veux pas forcément des figures de personnes connues, je veux la vie de n'importe qui, du quotidien. En fait, je vais sur des posts qui parlent de voyages, je vais voir les gens qui ont aimé les posts, et je vais sur chaque profil voir si la personne a un profil public, si la personne a écrit la ville dans laquelle elle vit dans sa bio, et si, bon, elle a l'air à peu près sympa quoi, et dans ce cas-là j'envoie un message.

Donc j'envoie des dizaines et des dizaines de messages, mais du coup ça veut dire qu'il y a un tri qui se fait qui est assez conséquent, parce que maintenant je n'interroge plus que des gens qui ont Instagram, qui sont assez curieux on va dire pour savoir comment ça marche un live, ou même, s'ils l'ont jamais fait, ils ont à peu près la notion de ce que c'est, donc ça me fait un super gros tri.

En gros, depuis un an, j'ai pas interviewé une seule personne au-delà de 35 ans, en dessous de 18 ans, ça veut dire que c'est des gens qui ont un niveau de vie qui veut dire qu'ils ont un téléphone avec une caméra assez cohérente quoi, ils ont une connexion internet, ça veut dire que c'est des gens qui sont capables de faire des choses avec la technologie, alors que moi j'ai envie de savoir comment ça se passe pour le petit monsieur de 75 ans qui est chez lui tout seul et qui fait la même promenade depuis 25 ans, enfin j'en sais rien. Ça veut dire que j'interviews des bobos de mon âge, du coup ça devient un peu moins intéressant. Ça reste intéressant de voir un petit peu toutes les villes dans le monde, mais par contre j'ai un peu l'impression de faire de l'entre-soi là-dessus quoi.

Valentine Mathieu

Oui, c'est vrai que c'est aussi un peu la limite peut-être des réseaux sociaux, de cibler finalement les personnes, d'avoir justement les mêmes personnes tout le temps. Donc c'est vrai que ça aussi ça pourrait évoluer. Pour continuer sur les questions, je reprends le tchat, il y avait une question de Laura pour Alexandre.

Laura Tchatat

En fait c'était pour savoir financièrement sur quel modèle vous vous basiez. Si vous faisiez comme la presse avec leurs sites internet qui publient une partie de leurs articles de façon gratuite et si on souhaite lire la suite, on doit faire soit une contribution soit il faut s'abonner ?

Alexandre Curnier

Merci beaucoup Laura, c'est vrai que c'est une question intéressante que les médias, effectivement, essaient de résoudre. Mais non, pour être bien clair, que ce soit Noto ou prochainement La Nuit, il est accessible intégralement sur notre site internet et sur un kiosque numérique. C'était mon souhait quand j'ai créé la revue, et c'était mon intuition que si on arrivait à faire du contenu suffisamment de qualité, si on arrivait aussi à faire un objet qui peut se collectionner, les gens, ceux qui le veulent en tout cas, l'achèteraient. Et c'est le cas puisque maintenant, on est au seizième numéro, et on a effectivement des gens qui lisent un article, se documentent, et d'ailleurs on a sur notre première page une phrase qui le dit bien : il y a tout un pavé en accord avec les auteurs, il faut diffuser ce qu'il y a dans la revue et les articles et ça n'empêche pas du tout l'achat. Parce que, effectivement on est dans le numérique, aujourd'hui il faut qu'on développe quelque chose, je pense qu'il faudrait qu'on développe tous quelque chose. Christopher l'a dit mais je crois que tout le monde l'a dit, pour le faire il faut avoir beaucoup d'argent. Pour bien faire, il faut avoir beaucoup d'argent. Moi j'adorerais développer quelque chose sauf que je n'ai pas les moyens financiers de faire, parce que ça coûte très cher. Un développeur coûte peut-être trois fois ce que moi je coûte en étant éditeur, donc ce sont des économies très différentes. Moi j'ai choisi le papier, j'ai choisi aussi effectivement que les articles soient en accès libre et payants parce que le papier ça reste mon modèle économique. Y compris sur un nouveau format comme La Nuit où d'abord on sort en papier, 95% de nos ventes c'est du papier, vraiment, y compris sur les kiosques numériques où La Nuit est présent, alors on vend beaucoup mais avec les marges etc., ça nous rapporte pas grand chose: on gagne de l'argent avec du papier.

Il y a cette donnée qui est nouvelle, qu'on va apprendre tous, et vous y compris, qui allez prendre le relais, à inventer des objets qui vont être payants-gratuits, en tout cas moi j'y crois plus que de couper cette information. Vous lisez les cinq premiers articles, c'est tellement génial que vous ne pouvez pas ne pas lire les autres. Non, moi je pense et je l'ai vu aussi pendant le confinement, je rejoins Christopher mais d'autres l'ont dit aussi : nous, pendant le confinement, nos ventes ont augmenté en format papier donc c'est pour l'instant le seul modèle économique crédible que je peux m'assurer.

Valentine Mathieu

Cassandra, je crois que t'avais aussi une question pour Alexandre.

Cassandra Bonnafous

Oui, c'était du coup par rapport au contenu du média, parce que vous avez beaucoup parlé de comment votre média dans sa forme a été impacté par tous ces changements ; mais étant donné que votre contenu est lui-même issu du domaine culturel, ce domaine-là a été impacté, est-ce que votre contenu a changé dans le fond en fait ?

Alexandre Curnier

Alors, j'ai envie de dire oui et non. La première chose non, parce que moi j'ai créé un média qui ne rend pas compte de l'actualité. Il y en a beaucoup trop qui font de l'actualité et donc qui dépendent de l'actualité. Moi je trouvais pas la nécessité, peut-être parce que je suis pas journaliste, de parler d'une exposition : non, je préférais proposer de sujets qui étaient malgré tout en réflexion dans notre époque mais pas avec des gens qui sortaient un livre, sortir de la promo, et c'est ce qui a fait la différence.

En revanche, c'est vrai, vous avez raison, on a une rubrique photo et donc une rubrique photo avec des photographes que l'on produit et ça évidemment on peut plus la faire. On a essayé, tenté de mettre en place pour notre prochain numéro un reportage photographique, donc c'est un reportage patrimoine et métiers d'arts. On a cru y arriver, on avait l'autorisation et puis au dernier moment on a dit « non non les protocoles sont trop particuliers » donc on va laisser tomber. Et du coup il faut l'accepter, et dans notre prochain numéro et bien il y aura pas, il y aura pas cette rubrique. Mais on fera autre chose, on est en train d'y penser pour les numéros suivants, à comment on va pouvoir réinventer ce reportage photo, comment on va pouvoir travailler avec les photographes, pour un milieu culturel effectivement qui dort. Il y a des expositions qui sont accrochées, on travaille sur des futures expositions, concrètement voilà on est tous en activité. Mais oui, le public est absent.

Et pour rebondir sur les premières questions, ça sera peut-être en lien, c'est vrai qu'il y a eu beaucoup beaucoup d'initiatives lors du premier confinement, c'était mortifère mais en même temps très solidaire, on a vu qu'effectivement les musées, les institutions culturelles publiques en tout cas, ont développé des moyens souvent sur les réseaux sociaux pour exister. Je pense à la Comédie française qui a créé sa chaîne, c'était intéressant ce qu'ils ont fait d\'ailleurs. Parce qu'ils l'ont fait certainement pour rester en lien avec leur public mais aussi parce que les comédiens salariés de la Comédie française sont payés, donc il fallait trouver le moyen de leur permettre d'avoir des droits d'auteurs, donc ils ont créé cette chaîne. Donc moi j'ai trouvé qu'il y avait beaucoup d'initiatives formidables qui se sont créées, des initiatives dont j'aimerais quelles perdurent, parce que pour moi c'est la véritable démocratie culturelle ce qu'on a vécu. Et c'est vrai que je suis un peu déçu quand j'entends France Télévision qui inaugure une chaîne qui s'appelle « Culture Box », qui effectivement existait déjà depuis 2014 puisque c'était une application, qui n'a jamais trouvé la nécessité de faire la publicité de ce média, mais qui crée une chaîne, qui est éphémère, ben non. Quand on veut défendre la culture, on défend la culture dans son programme et surtout on fait un accès pour tous.

Valentine Mathieu

Merci pour cette réponse, il y avait une question de Lucy pour Élisa.

Lucy Doherty

Après, il y a eu pas mal de réponses déjà qui montrent comment cette crise a pu avoir des apports plus positifs ou du moins des changements de point de vue qui ont mené des projets ailleurs. Donc c'est plutôt encourageant de ce point de vue-là. Et pour Élisa justement, je n'ai pas très bien compris si durant le premier confinement il y avait eu une enquête de terrain à Toulouse sur place, ou si justement, cette contrainte, c'est elle qui avait permis comme une redirection du projet. Est-ce que cette contrainte a emmené le projet initial ailleurs ? Ou est-ce que finalement ce projet a toujours eu, et garde pour projet de s'expandre à des lieux lointains, éparpillés dans le monde et pas proche de chez nous ?

Élisa Bonnafous

Du coup j'ai pas fait une étude de terrain sur Toulouse, au contraire en fait. J'étais venue à Toulouse et je comptais faire des interviews à Toulouse, de gens à Toulouse, comme je faisais dans les parcs. Donc j'avais mon matériel : mon appareil photo et mon micro à disposition, et du coup j'ai pas pu le faire. En fait dans mes interviews, à la base, je ne parlais que de la ville dans laquelle j'étais avec les gens que je rencontrais en direct. Et au contraire, du fait de faire mes interviews de toute façon pas dans le même espace que la personne que j'interviewais, je me suis dit quitte à faire ça, autant faire toutes les villes de la vie de la personne. Donc en fait ça m'a permis de mieux comprendre le parcours des gens et de pouvoir poser des questions beaucoup plus pertinentes finalement. Donc effectivement ça a redirigé le projet sur ça.

J'ai arrêté de me mettre des limites. J'ai enlevé beaucoup de mes limites, moi, pendant le premier confinement. Et du coup mes interviews sont devenus plus intéressantes, il me semble en tout cas, parce que justement j'avais ce recul sur le passé des gens et qu'est ce qui a fait qu'ils étaient arrivés dans cette ville à ce moment-là puis dans celle-là, du coup j'étais capable de leur faire comparer des villes. Ce que je voulais pas faire à la base ,mais qui en fait s'est révélé très intéressant pour comprendre les gens. Donc il y a ça qui a changé et il y a aussi le format.

En ce moment je suis en train de me dire que je vais passer sur un format podcast, parce qu'à la base je voulais filmer les gens et qu'on voit la vie qui était derrière eux, qu'on voit la ville, parce que c'était les gens dans la ville qui m'intéressaient. Mais vu que j'ai pas été capable de faire ça depuis le premier confinement, je me suis posée la question en fait de si c'était pertinent et, finalement, ça rajoute beaucoup d'informations. Je suis pas sûre que les gens le voyaient dans mes premières vidéos, cette notion de la ville derrière, je suis pas sûre que c'était quelque chose qui se voyait. Du coup je me dis que finalement avec le podcast ça sera tout aussi bien.

Et c'est ce qu'on dit sur les podcasts, que ça rentre dans l'intimité des gens, c'est plus facile pour les gens de se confier quand ils sont pas filmés, C'est plus facile pour les auditeurs d'écouter, moi je fais des interviews longues, les interviews que je fais sur Instagram en ce moment ça fait une heure en général, donc c'est plus facile en format podcast qu'en format vidéo à suivre. Donc ça a redirigé aussi le projet sous une nouvelle forme encore.

La dernière chose que ça a fait rediriger, c'est que comme Aurore, mon projet est autofinancé complètement : et, et bien, il n'y a plus de fonds dans ma tirelire, donc il faut changer le modèle économique. Donc je vais passer sur un format où je vais avoir un boulot dans quelque chose qui me tient un peu moins à coeur mais je serais capable d\'insérer de l'argent dans ce projet qui me tient à cœur et qui aujourd'hui me demande, à part du temps, pas beaucoup d'argent. Mais du coup, vu que je rentre pas d'argent avec ce projet, il faut que ça rentre par ailleurs. Donc le projet a beaucoup changé cette dernière année.

Lucy Doherty

Finalement il y a trois gros facteurs, il y avait le facteur financier qui vient s'ajouter à tout ça, mais il y a en premier lieu le contexte de là où on est situé mais qui finalement a eu l'effet inverse : ça s'est développé plus largement que ce qui était prévu. Et puis le média qui a influencé, sur, enfin le fait que tu aies pensé en podcast tout ça...

Elisa Bonnafous

Du coup ça m'a permis aussi de pas me restreindre. Au début je me suis dit que j'allais commencer en Europe, parce que de Paris c'est facile d'aller dans les capitales européennes en avion. Mais ça me posait aussi question au niveau écologique ; j'ai pas non plus envie de passer tous mes week-ends dans des avions parce que bon, c'est pas très intéressant. Du coup ça m'a ouvert la voie, j'ai accès à tout le monde entier, sous réserve d'une connexion internet, toujours, mais du coup ça m'a ouvert encore plus de possibilités.

Lucy Doherty

Oui et d'obtenir aussi des récits d'histoires personnelles, plutôt que des récits d'un instant T à un lieu précis. C'est très intéressant.

Aida Abbou

Moi, j'avais une petite question aux différents intervenants. Vous avez tous dû vous adapter, vous réinventer, innover pendant un an maintenant. Y a-t-il des pratiques qui sont nées du confinement que vous pensez garder une fois que la crise sera terminée ? Des choses que vous pensez pratiques, finalement, comme il y a des entreprises qui pensent garder le télétravail, parce que ça oeuvre pour le bien-être des salariés ? Est-ce que vous avez des pratiques qui sont nées du confinement que vous pensez garder parce que, d'une manière ou d'une autre, ça améliore ou ça vous permet de mieux gérer votre espace de travail, ou autre chose ?

Marine Normand

Je peux commencer en disant que, dans le télétravail, il y a des choses qu'il faut en effet garder, mais ça a montré aussi parfois ses limites. Nous on l'a instauré évidemment chez Madmoizelle, mais la communication à l'écrit ça a pas forcément que des avantages. Je pense que oui, la question du télétravail est importante et je pense qu'elle va rester, parce que c'est toujours bien de pouvoir avoir aussi du temps, de bosser sur des gros papiers, de s'extraire un petit peu de la rédac.

Nous je sais qu'on va garder Twitch aussi en sortant de la pandémie parce que c'est un modèle qui est en train de montrer ses preuves. Après, voilà, il faut voir aussi quand ça va s'arrêter et qu'est-ce que va être la nouvelle normalité aussi. Pour l'instant elle est assez difficile à définir.

Aurore

Moi j'ai envie de dire que ça va pas changer. En fait, cette question me fait réaliser que tout ce que j'ai créé et tout ce que j'ai fait depuis le début de cette situation, en fait, je le fais parce que j'ai envie de le faire. Parce que, certes, je m'adapte au contexte mais que, en même temps, j'essaye de m'écouter. C'est pour ça que parfois j'ai cette impression, j'ai cette petite personne qui me dit : « tu crées pas assez de contenu, c'est pas assez, c'est pas assez ». Parce qu'en fait j'ai envie à la fois d'allier, certes, le contexte ambiant, mais aussi ce que j'ai envie de faire, parce que faut pas oublier que nous tous on crée du contenu, certes, mais on crée parce que on aime créer, qu'on aime voir ce qu'on fait, et qu\'avant tout ça, ça nous motive. Et si on s'automotive pas pour créer des choses qui nous font vibrer, en quelque sorte, on va pas tenir longtemps nous-même. Donc, oui, je pense que je vais garder les idées que j'ai mis en place grâce à cette situation : les formats que j'ai faits. Et encore une fois, moi j'ai créé ma chaîne et ce projet dans l'idée de bouger et de voyager, donc moi dès l'instant où on me dit « c'est bon », c'est bon. Les autres formats je les garderai, les autres choses je les garderai, mais j'ai qu'une seule envie : retourner en quelque sorte à mes vidéos où je rencontre des gens, à partir, des trucs comme ça. Mais je pense que je vais allier les deux.

Christopher Dessus

La seule chose que je dirais, c'est que le confinement nous a tout simplement appris à travailler à distance, ça je pense que c'est déjà intéressant, de se dire qu'on n'est pas que physiquement là. Et ça a un peu remis les pendules à l'heure, de se dire qu'au final tout ce qu'on faisait il fallait que ça ait un certain sens. C'est-à-dire que peut être, en fait moi j'ai pas d'outils, en fait les outils numériques, quand t'es une agence assez jeune, les outils numériques genre les Slack, les Zoom les choses comme ça, c'est des choses qu'on utilisait quand même. Du coup, certes on en a plus fait, on a pris des abonnements Zoom quoi, mais sinon à part ça c'était pas non plus une grande révolution pour nous. Parce qu'on a l'habitude aussi de travailler à distance, notamment sur l'édition. Moi je travaille avec des gens qui sont pas qu'en France, donc c'est des schmilblicks que voilà. Je pense que c'est plutôt un état d'esprit à avoir, de se dire que, potentiellement, ce qu'on fait a un sens. C'est plutôt ce côté plus intellectuel, plus, je sais pas « conscient des autres » et de ce qui se passe autour de nous que moi je garderais.

Alexandre Curnier

Oui, de mon côté c'est surtout accepter de ralentir la production. J'avais une tendance par exemple à penser que la revue que j'éditais, Noto, devait avoir un temps beaucoup plus long que trimestriel ou si c'était quatre mois, cinq mois, pourquoi pas tant que c'était extrêmement bien fait et que c'était exigeant. Et puis moi, pendant ce confinement, j'ai eu beaucoup beaucoup eu de mal avec le nombre de production, la prise de parole permanente sur les sujets, etc. Alors que j'avais envie que l'on réfléchisse. C'est vrai que j'ai créé La Nuit avec un format d'entretien de 50 000 signes, truc qui est un peu bizarre en soi dans la presse papier. Donc oui, prendre le temps et, surtout, peut-être parce qu'on a fait tout à l'envers, continuer effectivement à aller voir ailleurs. Nous le numéro qu'on a sorti entre les deux confinements, donc le 14, il y a dedans un grand entretien avec France Théoret qui est une des plus grandess autrice québécoise, ben ouais. Pourquoi on l'a pas fait avant alors qu'on avait gagné des Prix à Montréal, qu'on était déjà allé à Montréal, on l'a fait pendant, on l'a fait effectivement avec les réseaux sociaux, donc oui. Pour moi ça a changé le rapport à la distance, au fait que ça pouvait être possible de le faire, parce qu'il était pas forcément obligatoire de voyager pour rencontrer les gens et donc pour produire aussi quelque chose. Et oui, prendre plus de temps pour faire les choses.

Valentine Mathieu

Alors on avait encore une question de Cassandra, pour Aurore cette fois.

Cassandra Bonnafous

Pour Aurore. En fait, moi, il y a une vidéo dont on avait particulièrement parlée. C'était une vidéo faite à Lyon, alors je ne sais plus le nom de l'asso. ou de l'organisme, des personnes qui expliquaient en tout cas que leur démarche artistique à elles avait également été impactées par la crise, comme au final tout le monde de ce qu'on est en train de voir. Mais, du coup, je me demandais quel point commun ou différence il pouvait y avoir justement entre la façon dont votre travail a été impacté, et la façon dont les personnes que vous rencontrez ont été impactés. Ou en tout cas qu'est-ce qu'il a à retirer de cette rencontre où finalement deux personnes qui ont été impactées par la même crise, dans le domaine artistique, se rencontrent ou quel point commun en ressort, quelle différence, etc. ?

Aurore

Je dirais que notre point commun, à part le domaine artistique et le fait qu'on rencontre des artistes, ça s'arrête là. Par exemple The Hope Gallery, une entreprise qui fait le lien entre des artistes et des organismes solidaires, typiquement le fait de distribuer des repas sur Lyon, cette association a besoin de fonds alors The Hope Gallery va essayer de trouver un artiste intéressé par ça et cet artiste va créer une œuvre et il va y avoir une levée de fonds qui est fait à la fois en digital et en réel, et ça va lever des fonds. Donc eux ils sont dans une dynamique totalement différente, eux ils dépendaient à la fois du digital mais à la fois du physique parce qu'ils avaient des évènements pour se faire connaître. Et puis ça faisait beaucoup plus de temps qu'ils étaient implantés. Comme je l'ai dit précédemment : moi, mon projet, même si j'ai l'impression que ça fait dix-huit ans que je fais ça, en fait il a juste un an, un an et demi, donc j'ai pas du tout le même recul. Donc ça m'a impactée, mais pas de la même manière. C'est-à-dire qu' ils avaient leur audience habituée à certaines choses, d'une certaine manière, à avoir des levées de fonds assez récentes. Donc The Hope Gallery ils ont vu leur évènement annulé d'un seul coup sur plusieurs mois, donc vraiment ils ont été impactés. Et puis eux, enfin moi aussi je dois gagner de l'argent, mais eux ils doivent vraiment gagner de l'argent, ils ont toute une équipe, etc. Moi je suis à la fois la personne qui filme, va parler aux artistes, monte, etc. donc c'est pas la même chose. Même s'il faut que je mange aussi de temps en temps, mais on n'est pas impacté de la même manière donc.

Et puis je reviens à ce qu'a dit par exemple Alexandre tout à l'heure. Moi aussi je parle de l'art mais je ne parle pas d'actualité de l'art. J'ai essayé de faire un format sur ça, personnellement ça ne m'intéresse pas trop. Mais je parle de l'art en général, pour sensibiliser, me sensibiliser aux domaines de l'art et sensibiliser les autres, donc techniquement je peux encore en parler. Et même si les artistes sont impactés, on va dire que les artistes sont impactés parce que les artistes avaient des projets, ça chamboule leur organisation et donc ça chamboule aussi, parce que moi je suis une petite partie, on avait prévu un tournage ensemble, donc forcément moi aussi je suis impactée. Mais je peux très bien aller rencontrer un artiste, et filmer ce qu'il a fait il y a un an et demi, et qu'il me parle d'un projet d'il y a un an et demi : moi j'ai pas besoin de parler d'actualité, de maintenant tout de suite. C'est bien d'avoir des projets frais pour susciter l'intérêt des gens mais c'est pas pareil. Mais vu que tout a été chamboulé et que principalement je pouvais plus me déplacer et que je trouvais ça intéressant, dans une certaine mesure, de faire des lives avec certains artistes précisément, parce que j'avais pas envie non plus que cet événement-là dénature mon projet. Donc c'est pour ça qu'à chaque fois il y a une question d'équilibre entre ce qu'on veut faire, ce qu'on doit faire, ce qu'on doit offrir à l'audience, etc. donc l'équilibre se trouve un peu là-dessus. J'espère que j'ai répondu à la question.

Cassandra Bonnafous

Oui, oui.

Valentine Mathieu

Cassandra je crois que tu avais encore une question, pour Marine cette fois.

Cassandra Bonnafous

Oui en fait, dans l'intervention de Marine, j'avais l'impression que, notamment avec Twitch, que finalement les solutions qui avaient été trouvées pour répondre à cette crise avaient finalement été un tremplin pour Madmoizelle dans le sens où, comme pour tout le monde du coup, débloquer de nouvelles choses et utiliser de nouvelles méthodes etc., mais que là c'était particulièrement décisif, ou en tout cas que ça à l'air d'être quelque chose qui a réellement fonctionné et qui va être conservé et que finalement c'était un mal pour un bien, si je puis dire, ce qui s'est passé de ce côté-là.

Marine Normand

Je sais pas si c'est un mal pour un bien parce que les temps sont compliqués de toute façon. Moi c'est la première fois que je dirige un média, donc j'ai vraiment repris dans ce contexte-là, je sais pas ce que c'est que de travailler chez Madmoizelle avant la pandémie, je ne connais pas finalement. Mais je trouve que ça a appris plein de choses, en tout cas même nous, en interne, on s'est dit qu'il y avait plein de choses à tester, qu'il y avait le droit à l'échec, le droit de se planter : enfin je pense que quand on navigue autant à vue dans le monde contemporain, ça incite peut être à prendre plus de risques. Pas des risques sanitaires évidemment, mais à tenter des choses et à se dire que, voilà, je pense que tout le monde est assez d'accord pour dire que le paysage médiatique a changé, qu'il y a plein de choses qu'on n'attendait pas forcément, mais qui percent : donc je pense que, dans des temps comme ça, il faut être assez comme un roseau finalement, flexible, et être capable de s'adapter parce qu'on n'a pas le choix en fait.

Au-delà du fait que c'est cool de prendre des initiatives et de réfléchir un peu out of the box, on n'a pas le choix : donc si on a envie qu'il y ait de l'art faut trouver des façons de le rendre accessible, si on a envie de voir du spectacle faut s'arranger pour qu'il y en est, donc comment on fait, et une fois qu'on a capté toutes les contraintes, on peut faire avec, bizarrement, et essayer de réfléchir à des formats avec une liste de contraintes qui est vraiment longue comme le bras. On peut pas mettre beaucoup de personnes dans un même lieu, on peut pas voyager pour interviewer des gens, tout le monde est en télétravail et tout : qu'est-ce qu'on peut faire avec ces données-là ? Et vu qu'on est tous à la même enseigne, les résultats sont un peu similaires je pense : voila Twitch, tout le monde est à 18 h chez lui et tout le monde s'emmerde, donc qu'est-ce qu'on fait ? Fort de ce constat-là, il faut imaginer des formats où les gens ont accès à la fois à du divertissement mais à la fois à de la culture.

On parlait de culture box, je sais que je travaillais à la Gaîté Lyrique auparavant et il y a des formats qui sont mis en place pour de la musique, etc. La Blogothèque qui réfléchit à des formats, Arte qui est super bon sur toute cette dimension-là. Du coup, voilà, je pense que tout le monde est dans ce cas là aussi, qu'est-ce qu'on a envie de voir aussi ? La question c'est : si on a du bon contenu pour nous, ce sera bon aussi pour les lecteurs, les lectrices, ou nos auditeurs et nos auditrices. Qu'est-ce que vous avez envie de lire, qu'est-ce que vous avez envie de voir, qu'est-ce que vous avez envie de faire ? Et une fois que vous avez répondu à cette question-là, vous êtes capable de faire du contenu qu'ont envie de voir les autres.

Enfin moi, c'est mon point de vue. Et je pense que forts de tous ces trucs-là, on peut arriver à —j'aime pas du tout ce discours c'est un peu connard — se challenger et à arriver à faire des choses avec tout ce cahier des charges qui est gigantesque, mais qui apporte de la flexibilité. Alors que dans certains vieux médias... Enfin moi j'ai travaillé dans des médias où il avait des personnes qui savaient même pas mettre leur papier sur internet : enfin internet ça a 25 ans, c'est grave. Les jeunes générations, et je pense que vous en serez en tout cas encore plus, vont apprendre à être ultra flexibles. Est -ce que c'est un mal, est-ce que c'est un bien ? Ça dépend aussi des personnalités. Il y a des gens qui adorent le challenge et se dire « bon maintenant qu'est-ce qu'on fait dans ce contexte-là ? ». Et puis ça peut être aussi des freins. Moi je suis contente de Twitch, après je suis pas du tout contente de la situation actuelle mais d'avoir pu répondre à un besoin, ou en tout cas une façon d'entretenir le débat et la discussion, ça c'est tout « bénef » quoi.

Valentine Mathieu

Merci pour votre réponse. On arrive bientôt à la fin de cette table ronde, si quelqu'un a une dernière question il nous reste dix petites minutes. En direct, des questions ou des réactions sur tout ce qu'il vient de se dire ?

Aida Abbou

Cassandra avait une dernière remarque sur le fait nous soyons sur-sollicités par les médias, elle dit que la différence c'est que maintenant tout passe par le canal numérique et que de toutes les manières nous avons toujours été sollicités par les médias mais, en extérieur, il a des médias dans le métro, de l'affichage, etc. Et que maintenant on se sent encore plus sur-sollicité par les médias parce que tout passe par le numérique. Et moi j'avais une question pour vous Marine, vu que vous avez une présence multi-canal et que vous êtes présents sur quasiment tous les réseaux, est-ce que vous pensez qu'à un moment donné être présent partout justement ça pourrait réfréner les gens? Justement peut-être parce qu'on a la même information partout, parce qu'on a peut-être du contenu similaire mais sous formats différents, on a tendance à perdre notre public : vous en pensez quoi ?

Marine Normand

Je pense que la connerie c'est livrer le même contenu sur des formats différents. Et c'est ça qui est aussi très difficile parce que le média c'est une économie fragile et qu'on n'a pas 57 personnes pour s\'occuper chacun d'une plateforme. Mais je pense qu'à l'heure actuelle penser que je fais une vidéo et qu'elle est capable d'être à la fois sur YouTube, Instagram, Snapchat et sur le site, c'est une bêtise. Donc en fonction de la forme de votre contenu, de votre article, il faut choisir le bon médium. Donc voilà, on fait pas la même chose en podcast, on fait des liens entre podcasts et Twitch mais seulement sur certains formats, il y en a qui s'y prêtent pas du tout, et on essaye à chaque fois de réfléchir à des formats qui ne vont pas forcément sur de multiples plateformes. Après pour ce qui est de la sur-sollicitation, ben c'est internet quoi. Si ça plaît pas vous scrollez sur le feed, vous appuyez sur la petite croix rouge à droite, je pense que tout le monde a ses habitudes et il y a peut-être des médias que vous suivez sur Instagram et que vous suivez pas, et vice-versa, des médias qu'on achète en papier et qu'on veut pas voir sur internet, pareil l'inverse. Par exemple, je sais que moi j'adore Marie Claire sur internet, je vais pas me l'acheter. Donc voilà, il faut bien comprendre les enjeux et je pense que, voilà, on peut pas faire du print comme on fait du web, on peut pas faire du web comme on fait du print, tout ça il faut à chaque fois re-réfléchir la forme et le fond et c'est en effet un boulot colossal. Nous on a la chance avec Madmoizelle d'avoir une plateforme où on a des salariés et où on est nombreuses à réfléchir à ce contenu-là, mais c'est vrai que pour avoir eu des webzines et des économies plus petites, c'est complexe et c'est énergivore. Donc voilà, je sais pas si j'ai répondu à la question.

Aida Abbou

Merci beaucoup. D'autres interventions peut-être ? On arrive au terme de cette conférence.

Catherine Chomarat Ruiz

Je vais peut-être reprendre la parole, si le temps des présentations et des questions est écoulé, pour dire deux choses : d'abord pour remercier les invités, qui ont présenté leur travail, qui ont témoigné d'un engagement aussi. Ils n'ont pas simplement parlé d'un savoir-faire, mais d'une manière d'être dans les projets qu'ils ont soutenus et que vous soutenez, et auxquels vous croyez. Mais je voudrais bien sûr aussi remercier l'ensemble des étudiants et des étudiantes qui ont organisé et animé cette table ronde avec beaucoup de vivacité et beaucoup de punch. Il y a des moments dans la carrière d'un prof où l'on vit des moments heureux, et bien là s'en est un, et je tiens à le dire ! Bravo à l'ensemble des étudiants et des étudiantes du Master 2 Design, Arts, Médias.