Professeure d’arts appliqués et docteure en sciences de l’information et de la communication, Université de Nîmes.
Membre de l’EA Laboratoire Culture et Communication, Avignon Université.
Résumé
Parmi les institutions qui exposent le design, l’entreprise d’édition Vitra tient une place singulière. Sur son site, elle fait coexister un show-room dédié à ses productions, les réserves visitables de sa collection patrimoniale et des expositions temporaires monographiques ou thématiques. Le visiteur est confronté à cet ensemble hétérogène et complexe que nous avons baptisé méta-dispositif. Associant dimensions commerciales et culturelles, il présente des aspects originaux que l’analyse permet de décrypter.
Abstract
Among the institutions exhibiting design, the publishing company Vitra holds a special place. On its site, it is possible to access a showroom dedicated to its productions, the reserves of its legacy collection and temporary monographic or thematic exhibitions. The visitor is faced with this heterogeneous and complex reality which we have coined “meta-device”. Combining both commercial and cultural dimensions, it encompasses singular aspects that the analysis aims at understanding.
Introduction
Parmi les formes contemporaines d’exposition de design, il faut compter avec les espaces commerciaux qui permettent aux grands éditeurs de design de mettre en scène l’actualité de leur production. À l’occasion de salons internationaux consacrés à l’ameublement professionnel et à l’équipement domestique1, les éditeurs commanditent des scénographies à des designers qui rivalisent de créativité. Ces éditeurs possèdent également des showrooms partout dans le monde pour lesquels la scénographie, voire le bâtiment lui-même lorsque celui-ci a le statut de flagship store de la marque, est un enjeu stratégique sur le plan commercial. Des lieux à vocation plus culturelle viennent parfois s’immiscer à l’intérieur des espaces à finalité marchande en tant qu’éléments d’une stratégie communicationnelle qui cherche à capter une clientèle habituée des musées. Il faut aussi rappeler que le design en tant que production commerciale vient parfois alimenter des collections patrimoniales2. Quelques éditeurs ont aussi souhaité patrimonialiser leur propre production. Ainsi, Kartell ou encore Thonet, éditeurs de mobilier ont inauguré leurs espaces muséaux pour présenter leurs réalisations3. La plupart de ces fondations s’appuient sur des collections afin de promouvoir le patrimoine de l’entreprise4, mais suscitent parfois des critiques portant sur l’orientation mercantile de la stratégie.
Ce sont ces rapports entre les logiques commerciales et les logiques patrimoniales que cette analyse tente d’explorer en s’appuyant sur l’étude des dispositifs expographiques présents sur le site historique de Vitra.
Parmi les stratégies communicationnelles mises en œuvre par l’entreprise, l’exposition est un média privilégié. À l’instar d’autres grands éditeurs d’envergure internationale, Vitra soigne la mise en scène de ses productions pour se distinguer dans les salons dédiés à l’aménagement. Mais c’est sur son site allemand de Weil am Rhein que se déploie toute la singularité de sa démarche. Le vaste espace occupé par la firme comporte des bâtiments à vocation industrielle, commerciale et culturelle qui présentent des expositions de design d’une grande diversité. Emblématique de la collusion entre espace muséal et espace marchand, la mise en scène de ces lieux entretient la confusion entre la notion de visiteur et de client.
Notre objectif est de comprendre la stratégie expographique mise en œuvre par Vitra. Dans une première partie, nous aborderons les spécificités de la notion de dispositif appliquées à l’exposition. Nous rappellerons ensuite les liens qui se sont construits dans l’histoire des expositions de design entre le monde commercial et celui de la culture. Nous envisagerons aussi les particularités de l’activité d’éditeur de design et les investissements de l’édition dans l’expologie.
Dans une seconde partie, nous étudierons trois dispositifs expographiques parmi les plus importants présents sur le campus : le showroom et l’atelier de montage de la Lounge Chair logés dans la VitraHaus, le Schaudepot qui se présente sous la forme de réserves visitables et le Vitra Design Museum dédié à des expositions temporaires.
La troisième partie est consacrée à l’approche synthétique de ce que nous nommons un méta-dispositif constitué par l’ensemble des expositions du site. On montrera que si celui-ci contribue à une valorisation commerciale des productions de design, il le fait de manière originale à travers une démarche expographique innovante qui implique le visiteur et lui permet de faire une expérience singulière du design.
Le campus sera appréhendé dans le cadre des pratiques de l’édition en design comme un exemple permettant de lire une stratégie d’exposition en actes.
1. Dispositif expographique et édition, entre logiques marchandes et culturelles
1.1 Le dispositif : une forme intentionnelle
Pour conduire cette analyse, nous nous appuyons sur une méthodologie que nous avons développée dans de précédents travaux5. Celle-ci mobilise et fait interagir deux concepts : l’intention et le dispositif de l’exposition. L’intention, entendue comme les effets susceptibles d’être produits sur le visiteur, peut se lire dans le dispositif de l’exposition.
Le concept de dispositif a fait l’objet de travaux importants en sciences humaines. Comme le remarquent plusieurs auteurs6, c’est à la suite de l’usage philosophique inaugural qu’en fait Michel Foucault7 que l’emploi s’est répandu dans la communauté scientifique.
Nous constatons d’abord que le dispositif prend la forme d’un assemblage d’objets hétérogènes. André Berten, qui rend compte de l’élaboration de la notion énumère les différents éléments qui le constituent : « […] quadrillage des espaces, occupation et découpage du temps, gestion des déplacements, surveillance de tous les moments, règlements tatillons, panoptique, investissement des corps, etc8. » Jean-Pierre Meunier et Daniel Peraya notent plus généralement : « […] qu‘un dispositif de communication comprend au moins un arrangement spatial et un arrangement sémiotique : une combinaison de textes, d’usages et de sens9 .» Selon Giorgio Agamben le dispositif est : « […] un ensemble hétérogène qui inclut virtuellement quelque chose, qu’elle soit discursive ou non : discours, institutions, édifices, lois, mesures de police, proportions philosophiques. Le dispositif pris en lui-même est le réseau qui s’établit entre ces éléments10. »
Yves Jeanneret souligne le caractère heuristique de la notion : « […], puisqu’elle nous conduit à regarder de près comment procèdent les changements, en termes de contextes, procédures, matières, ordres, […]11. »
Le dispositif peut développer une logique propre12 qui est susceptible d’être différente de celle voulue par ses concepteurs. Ce dispositif est un système dynamique qui résulte de l’interaction en situation des éléments qui le composent. Enfin, parce qu’il intègre une dimension technologique, le dispositif incorpore des outils et des instruments qui peuvent être, à l’ère du numérique, d’une grande complexité. Dans ses usages, la technologie est riche d’une dimension sociale. C’est pourquoi, on parle de dispositif socio-technique13, situé à la confluence d’une technologie et des usages sociaux.
À la lumière de cet inventaire, nous définissons le dispositif d’exposition comme un assemblage, le mode d’arrangement dans le temps et dans l’espace des éléments constitutifs de l’exposition. Il intègre aussi un certain nombre de règles et de normes de fonctionnement. De caractère objectif, il peut se prêter à une description formelle. Ainsi l’essentiel de ce qu’on appelle la scénographie de l’exposition (le cadre, le mobilier, le parcours, les textes, l’éclairage), les objets exposés mais aussi les consignes plus ou moins impératives faites au visiteur relèvent du dispositif. Il fournit un repère précieux pour notre analyse car il est ce par quoi les concepteurs de l’exposition agissent et tentent de produire les effets d’exposition.
Nous introduisons la notion de méta-dispositif pour rendre compte de la structure particulière du campus Vitra. Ce terme peu usité dans la communauté scientifique14 permet de distinguer un type particulier de dispositif affecté d’une grande complexité.
Le méta-dispositif est d’abord un dispositif qui possède les caractéristiques générales que nous venons de rappeler. C’est aussi un dispositif de dispositifs, constitué de sous-ensembles qui peuvent faire l’objet d’études séparées. En tant que méta-dispositif, il réclame une approche holistique. Du point de vue où nous nous plaçons ici, qui est celui de l’analyste qui cherche à rendre compte de la complexité des phénomènes qu’il constate, s’interroger sur la notion de méta-dispositif va consister à opérer un changement de perspective propre à une approche plus globale et contextualisée de l’objet d’étude.
Nous reviendrons dans l’introduction de la troisième partie sur la démarche que nous avons adoptée dans un contexte empirique.
1.2 Relations marchandes et culturelles dans l’exposition de design
Par la pratique de l’exposition, musées et espaces marchands partagent historiquement des liens15. Vitrines, salons, foires commerciales viennent rappeler que l’exposition n’est pas le monopole du musée16. On peut repérer dès le XIXe siècle, la contribution des expositions universelles et des techniques d’étalagisme à la conception scénographique des expositions scientifiques17. Certains musées n’hésitent pas à présenter leurs œuvres en empruntant aux dispositifs commerciaux : « Le XIXe est aussi celui des grandes expositions universelles et des grands magasins. Le Victoria & Albert Museum de Londres offre une profusion d’objets d’art, classés par type et genre, comme dans un grand shopping mall ; ces objets bien éclairés et placés dans des vitrines transparentes, offrent l’illusion d’une grande proximité, comme si les choses étaient à portée d’achat18. » Inversement, on a montré comment certains dispositifs d’expositions commerciales contemporaines peuvent emprunter aux espaces muséographiques19. Vitrines, socles et autres supports ne relèvent pas du seul domaine de la muséographie ou du merchandising.
Les designers eux-mêmes sont impliqués dans ces pratiques culturelles et marchandes liées à l’exposition. Du commissariat à la scénographie, ils interviennent dans les musées, mais aussi dans la conception des showrooms et contribuent à l’évolution des pratiques d’exposition20.
Rappeler les influences réciproques entre le monde de la culture et celui de la marchandise peut s’apparenter à formuler une évidence. Nous voyons régulièrement des objets dans des magasins et nous pouvons les admirer au musée dans des modalités similaires. Dès lors, on peut interroger l’influence des dispositifs sur notre manière de regarder les objets du design alternativement dans un contexte marchand et dans un environnement muséal21. L’exposition a un pouvoir prescriptif sur les objets. S’ils ne sont pas installés sur un piédestal, ils disparaissent dans la banalité de notre quotidien22. Walter Benjamin a également montré l’influence des expositions universelles sur l’idéalisation de la valeur d’échange de la marchandise. En faisant passer la valeur d’usage au second plan, elles sacralisent des objets qui dès lors, subissent une distanciation23.
Pour Laurent Jeanpierre la comparaison entre des formes d’expositions commerciales (salons, vitrines, design de centres commerciaux) et des opérations d’expositions muséales permet d’appréhender différemment les pratiques d’expositions dans le champ de l’art. Prendre en compte sans les opposer ces deux aspects constitutifs de l’histoire de l’exposition permet d’approfondir les relations de la discipline avec ses pratiques de mises en vue24.
Le campus Vitra offre une grande variété de dispositifs qui mettent en scène des objets que le visiteur ou le client peut alternativement expérimenter, acheter ou contempler. Cette simultanéité ne fournit-elle pas une opportunité d’analyse des rapports spécifiques que le design entretient avec l’exposition ?
Par sa position, au carrefour des champs qui affectent le design, l’édition fournit une sorte de laboratoire des pratiques contemporaines en matière d’exposition.
1.3 Édition et éditeurs : un engagement entre l’économie et la culture
Dans le domaine du design, l’édition désigne la production et la diffusion commerciale des œuvres. Les éditeurs de ce secteur sont nombreux et opèrent à des échelles très différentes. Les grandes marques concentrent la production des designers les plus célèbres mais il existe aussi d’autres structures de taille plus petite qui affirment leur personnalité sur le plan esthétique ou éthique. Leur positionnement sur le marché implique des régimes économiques d’échanges diversifiés25. Tous mettent en avant la relation privilégiée qu’ils entretiennent avec les designers.
On est tenté de rapprocher l’édition en design du modèle classique de l’industrie du livre et plus généralement des œuvres culturelles. Le design est souvent rattaché aux industries créatives, secteur en émergence qui entretient des rapports complexes d’inclusion et de dissociation avec les industries culturelles. Celles-ci, se subdivisent historiquement en quatre filières : le livre, la musique enregistrée, l’information de presse, le cinéma et l’audiovisuel26.
Le design a un statut particulier qui le différencie des autres formes d’industries créatives. Comme le remarque Catherine Geel : « Le designer […] reste d’abord un généraliste capable d’aborder l’objet, l’espace, la stratégie industrielle de fabrication, la commercialisation et la communication. La création en design d’objets ou de mode est un domaine suffisamment large de la consommation pour qu’un nouveau marché imprévu, non prévu, puisse surgir du design27. »
Les éditeurs font cause commune avec les designers pour concourir au développement du secteur. Ils jouent un rôle dans la construction de la notoriété de ces derniers. Ils ne sont pas de simples fabricants ou diffuseurs impliqués dans le processus créatif. On peut certainement reprendre ce que Pierre Bourdieu disait des éditeurs à propos du champ littéraire : « Ces personnages doubles, par qui la logique de “ l’économie ” pénètre jusqu’au cœur du sous-champ de la production pour producteurs, doivent réunir des dispositions tout à fait contradictoires : des dispositions économiques qui, dans certains secteurs du champ sont totalement étrangères aux producteurs, et des dispositions intellectuelles proches de celles des producteurs dont ils ne peuvent exploiter le travail que pour autant ils savent l’apprécier et le faire valoir28. » Tout en reliant les domaines économique et culturel, l’édition permet de les maintenir séparées en confiant aux éditeurs le soin de jouer le rôle de médiateur mobilisant cette double compétence. Dans le champ qui nous intéresse ici, cela permet aux designers de se consacrer quasiment exclusivement à leurs tâches de création, tout en échangeant avec l’éditeur au cours du processus et en lui confiant la stratégie économique de production29 et de diffusion des réalisations.
Ce contexte, qui concerne principalement les grandes maisons d’édition qui font appel à des designers de renom, révèle la place considérable tenue par cette fonction. D’une certaine manière, les expositions organisées par les éditeurs racontent leur stratégie de développement du design. On doit pouvoir lire les intentions qu’ils poursuivent et comprendre les investissements considérables qu’ils accomplissent dans ce secteur. Les expositions de design organisées par les éditeurs ne seraient pas une simple vitrine des productions qu’ils soutiennent, mais participeraient à une mise en scène du design de manière globale et adresserait au public un message plus complexe que celui généralement tenu par les institutions culturelles dont c’est la mission. Alain Cadix relève combien les tâches de l’éditeur sont plurielles30. Selon lui, l’édition est un ferment pour la création. Elle offre des espaces de liberté que les contextes industriels contrarient souvent et stérilisent parfois. Il note également que l’édition a une mission pédagogique, c’est une école industrielle qui prolonge la formation initiale des designers. Elle développe la fonction relationnelle, fait se côtoyer, designer et entrepreneurs. Il affirme enfin que l’édition construit la notoriété du designer, le place sur l’avant-scène et lui offre un tremplin professionnel.
Le campus Vitra que nous considérons comme l’expression la plus achevée d’une stratégie d’exposition d’éditeur doit nous permettre de voir si les particularités que nous venons de présenter à titre d’hypothèses se rencontrent bien dans les différentes installations qui le composent.
2. Trois formes expographiques singulières
Vitra, entreprise spécialisée dans la fabrication de mobilier et d’aménagements pour l’univers domestique ou commercial a entrepris depuis 1981, la configuration d’un de ses sites de production à Weil am Rhein en Allemagne. Elle a fait appel à des architectes de renom pour construire des unités de productions, des espaces logistiques, un pavillon de conférences, et même une caserne de pompiers. Au fil des années, des œuvres et des microarchitectures sont également venues compléter l’aménagement du site, le transformant en espace expérimental pour la création en architecture et design. Le campus, baptisé ainsi en référence aux multiples unités qui se trouvent réunies sur le site, abrite en 2020 plus d’une vingtaine de bâtiments, installations et œuvres artistiques sur 2500 hectares. Nous choisissons de présenter dans un premier temps, trois dispositifs31 représentatifs des stratégies expographiques de l’éditeur.
Figure 1. Brigite Auziol, Le Schaudepot, la VitraHaus et le Vitra Design Museum sur le campus Vitra.
2.1 La VitraHaus, un showroom où l’éditeur s’inscrit dans l’histoire du design
Inaugurée en 2010, la VitraHaus est une réalisation des architectes suisses Jacques Herzog et Pierre De Meuron32. Le bâtiment est constitué de volumes ayant la forme de maisons, empilés les uns sur les autres sur cinq étages, selon des axes différents. Les façades des pignons entièrement vitrées offrent une vue panoramique sur le site du campus et ses alentours. Ce bâtiment abrite outre le showroom dédié à la présentation de la Vitra Home Collection33, l’atelier de montage de la Lounge Chair34, un café-restaurant et une boutique-librairie flagship35. Par sa taille et l’originalité de ses aménagements, la VitraHaus représente l’image de Vitra. Le terme maison, qui inspire la signature architecturale des lieux, est le nom conventionnellement donné aux entreprises d’édition du livre ou de la mode.
La maison Vitra abrite un showroom que l’on est invité à visiter à partir du dernier étage. Dénommé le Loft, cet espace fait l’objet d’aménagements temporaires par des designers qui proposent des configurations en rapport avec les styles de vie de la clientèle de Vitra. Le visiteur, immédiatement placé en position d’invité, découvre un appartement où il a le sentiment d’être attendu. Il profite du confort des installations et de la vue panoramique sur le paysage environnant. Les indications habituellement présentes dans un espace marchand (appellation, notice, prix) sont discrètes, voire absentes36.
À l’étage inférieur, le dispositif délivre une information sur l’origine et la qualité des productions de Vitra. Un premier ensemble est consacré aux « classiques37 » de Vitra. Les designers les plus célèbres, qui ont par la qualité de leurs productions contribué à la renommée de Vitra, sont présentés à l’intérieur de structures au format similaire38. Dans chaque structure, leur lien avec la maison d’édition est rappelé grâce à une courte biographie. Un portrait photographique et une citation viennent illustrer cette présentation. Un second ensemble se présente sous la forme d’une longue fresque historique qui conte les relations de Vitra avec ces designers. Elle met en scène chronologiquement les productions à l’aide d’objets grandeur nature, de reproductions en miniatures39, de photographies, de vidéos qui sont posés ou suspendus par des cimaises à des panneaux verticaux40. Les portraits des fondateurs de la maison d’édition et des designers emblématiques sont présents sur ces supports, leurs propos et leurs histoires professionnelles s’entremêlent dans une même épopée41. L’effet produit par cette intrication est de montrer combien l’association du couple designer-éditeur est source de créativité. En parlant des designers, l’éditeur parle beaucoup de lui-même et présente une forme d’autoportrait à visée promotionnelle. Son rôle dans le développement du design constitue comme un filigrane de la fresque.
Un portrait des époux Eames et Felhbaum42 se retrouve aussi dans l’atelier de la Lounge Chair43, accompagnant d’autres reproductions d’images d’archives. Les deux designers sont montrés à leur domicile, assis dans leur célèbre fauteuil. Cet atelier est affecté à l’assemblage du fauteuil destiné à des acheteurs présents sur le site. Ceux-ci auront pu choisir les matières et couleurs utilisées pour la structure et la finition parmi les multiples échantillons présentés. Qualité, sélectivité, rareté, l’éditeur communique sur des valeurs du design qui sont aussi les canons du luxe. Ici la valeur se mesure également en termes économiques44, la mise en scène y contribue. Un comptoir divise la salle entre une aire professionnelle de travail et un espace public de visite. Le dispositif de présentation donne une information à visée commerciale sur la qualité des finitions et une information plus pédagogique sur les contenus plus techniques. La résistance à l’usure du siège45 est démontrée par l’utilisation d’une machine. Le confort du fauteuil est suggéré grâce à la comparaison avec un gant de base-ball. L’ergonomie de la Lounge Chair est associée à l’image d’une des premières pièces mise au point par les Eames, une attelle en bois cintré.
2.2 Le Schaudepot : des réserves qui se visitent
Ouvert au public depuis 2016, le Schaudepot, bâtiment d’allure minimaliste se caractérise par une façade sans fenêtre et un simple toit à pignon46. Il abrite la collection du Vitra Design Museum47. Au rez-de-chaussée, un vaste espace regroupe une sélection d’environ quatre cents pièces, principalement des sièges48. Ces pièces se succèdent, simplement posées sur des étagères sans effort apparent de présentation outre la mise en place de cartels. L’ordre d’étalage épouse la chronologie de production. Compte tenu des formes généralement adoptées par l’expographie contemporaine, ce dispositif nous a inspiré la notion d’anti-exposition. Nous entendons par là qu’il est difficile d’y lire une stratégie claire de mise en en valeur des œuvres ou un propos qui voudrait être tenu à propos de la chose présentée. C’est plutôt le résultat d’un compromis entre l’ambition de montrer le plus de pièces possibles, le souci de les mettre à disposition de manière bien visible et l’impossibilité matérielle d’atteindre un objectif d’exhaustivité. Mais on peut aussi entendre le concept d’anti-exposition49 de manière plus analytique. Ce serait alors une sorte de stratagème destiné à révéler l’essence de la notion d’exposition. L’emploi de l’antonyme permettrait d’interroger les caractères élémentaires de la fonction « exposer ». Ainsi, l’extrême minimalisme de l’installation, donnerait à voir la structure formelle de base d’une stratégie d’exposition, sorte de substrat que la complexité des dispositifs contemporains contribue à masquer jusqu’à nous en faire oublier les aspects les plus fondamentaux. Le défunt musée des Arts et Traditions Populaires du bois de Boulogne présentait ainsi de manière permanente des séries d’outils semblables et pourtant différents, dans sa galerie du sous-sol, parfois nommée galerie d’étude ou scientifique, par opposition au rez-de-chaussée, occupé par la galerie dite culturelle. Peut-être se rapproche-t-on ainsi de ce que Georges-Henri Rivière voyait de scientifique dans ces dispositions en alignement forcément un peu lassantes pour le grand public50. Si l’on additionne ce parcours du rez-de-chaussée avec un regard adressé aux réserves non visitables du sous-sol, on constate un effet de puissance de la collection, produit par une accumulation de pièces de design d’une grande richesse patrimoniale51. L’éditeur Vitra donne ainsi accès aux « coulisses » de la collection, souvent peu montrées dans les stratégies muséographiques. En faisant cela, il affirme certainement une stratégie d’éditeur. Faut-il y lire que, comme dans d’autres domaines artistiques, la création s’alimente à l’étude des œuvres du passé et que s’agissant du design, il est opportun que le maximum d’artefacts soit facilement accessibles ? En tout cas, l’édition révèle qu’au-delà d’un intérêt pour les œuvres emblématiques de ses designers, c’est à tout le design qu’elle s’intéresse et que l’objectif de présenter sans sélectionner peut-être en partie satisfait.
Les allées du rez-de-chaussée du Schaudepot sont assez larges pour installer des expositions temporaires52. Ce dispositif se veut complémentaire de la galerie permanente dans laquelle il s’insère. Le plus souvent, il exploite le fonds de la collection du Vitra Design Museum tout en présentant des créations plus contemporaines. La simultanéité de présentation du permanent et du temporaire vise une confrontation historique au risque d’une perturbation de la réception.
Au sous-sol, on découvre le Schaudepot Lab, un espace dédié à l’innovation. Des pièces techniques d’exception sont installées sur les murs. Un grand meuble à tiroir permet de découvrir des matériaux, des techniques par le biais d’échantillons, d’images d’archives et d’installations numériques. De part et d’autre de cet espace, des baies vitrées offrent quatre vues sur les points focaux de la collection : les luminaires, le design italien, le design scandinave et une reconstruction du bureau des designers Charles et Ray Eames. Ce bureau, présenté avec ses mobiliers et objets originaux fait partie des archives Eames gérées par Vitra depuis 1988. Ce dispositif fait écho à la place importante accordée à ces derniers dans la fresque historique du showroom de la VitraHaus et dans l’atelier de la Lounge Chair. Le choix de présentation confère à cette installation une dimension d’actualité qui est susceptible de toucher émotionnellement le visiteur un tant soit peu familier de l’univers des Eames. On ne peut s’empêcher de penser que ce bureau, enterré sous l’accumulation des objets de design du rez-de-chaussée, fonctionne un peu comme un mausolée consacré à leur mémoire. Il installe ainsi Vitra en tant qu’éditeur comme le conservateur de la mémoire du couple.
2.3 Le Vitra Design Museum : des expositions inédites à caractère international.
Le Vitra Design Museum est consacré à des expositions temporaires53. Conçu comme une sorte de réinterprétation du White Cube, l’espace divisé en quatre volumes principaux se prête à des agencements très différents, selon l’importance des expositions. L’institution produit ou coproduit des expositions en association avec des musées de renommée internationale54. La consultation de la programmation révèle, parmi divers autres types, la part majoritaire d’expositions monographiques55. Celles-ci sont consacrées à des figures importantes de l’histoire du design et de l’architecture, parfois à des créateurs contemporains. Des présentations historiques retracent les mouvements majeurs du design. D’autres explorent des thématiques en lien avec l’aménagement, l’équipement domestique et public, en exprimant un point de vue sociétal. Enfin, l’innovation technologique et sociale est montrée de manière plus occasionnelle. Cet inventaire des expositions du Vitra Design Museum permet de préciser le caractère généraliste de l’institution. En effet, la fondation manifeste un intérêt pour toutes les formes de design tout en ménageant une part importante aux designers, dont ils conservent et mettent en valeur le patrimoine.
Nous avons pu ainsi noter la mise en question de la notion de pièce originale, la place singulière prise par les héritages dans la collection, la confrontation recherchée des dimensions permanentes et temporaires des expositions, la très présente référence à l’histoire du design ou encore la célébration enthousiaste de la collaboration éditeur-designer. On a pu aussi découvrir des rapprochements inattendus. Dans la VitraHaus, un dispositif de type muséal trouve sa place dans une exposition commerciale. Dans le Schaudepot, des matériaux innovants voisinent la collection patrimoniale. Les deux bâtiments abritent ainsi une grande variété de dispositifs d’exposition qui s’imbriquent les uns dans les autres56.
La comparaison entre ces différents espaces d’exposition nous permet d’avancer l’hypothèse que la singularité de l’exposition du design sur le campus Vitra réside dans le système de relations qui s’établissent entre les différents dispositifs. Cela conduit l’amateur de design qui aborde le campus à faire une expérience singulière de visite. C’est ce dispositif complexe auquel il est confronté que nous avons baptisé méta-dispositif.
3. Le campus : un méta-dispositif consacré à la médiation du design
Si la VitraHaus et le Schaudepot présentent une grande variété de dispositifs d’exposition du design, d’autres bâtiments sur le campus viennent compléter cette diversité en répondant aux besoins de présentation du design par l’éditeur.
En réunissant un musée, une galerie, un espace commercial, une réserve accessible et bien d’autres aménagements, on peut dire que le campus Vitra concrétise une forme représentative de l’hétérogénéité des lieux consacrés à l’exposition et vise à présenter le design dans toutes ses dimensions esthétiques, techniques et sociales. Même si Rolf Felhbaum revendique l’aménagement de ce vaste espace comme une sorte de collage57, conséquence d’opportunités judicieusement exploitées, l’ensemble du campus fonctionne bien en une synergie qui dépasse la simple addition des dispositifs qui le composent.
3.1 Des dispositifs au méta-dispositif d’exposition
Il nous faut momentanément abandonner l’examen séparé des trois pôles que nous avons étudiés pour nous intéresser à ce qui fait lien, ce qui rapproche ou éloigne les sous-ensembles, afin de tenter de comprendre comment ils coexistent dans l’espace qui les rassemble. Cette démarche au caractère synthétique nous a conduit à regrouper autour de quelques thèmes majeurs les commentaires et réflexions que nous avons ébauchés au chapitre précédent. Repris successivement ci-après, ces thèmes permettent d’approfondir la pertinence, la cohérence et l’efficience du méta-dispositif.
La pertinence interroge le méta-dispositif du point de vue des rapports qu’il entretient avec son environnement, des liaisons qu’il construit avec le contexte global où il se situe. La cohérence concerne les liens entre les éléments internes du méta-dispositif, ce qui les fait tenir ensemble. Quant à l’efficience, c’est une sorte de ratio qualitatif qui sert à tester l’efficacité rapportée au champ économique.
3.2 Une initiation permanente à l’histoire du design
On constate la volonté de situer l’éditeur et ses activités dans l’histoire du design. À plusieurs occasions, cette dimension historique est présente. Tout d’abord et surtout, c’est à l’intérieur de la VitraHaus qu’elle prend la forme imposante d’une fresque historique. La chronologie du design et de Vitra s’y mélangent contribuant à présenter l’éditeur en tant qu’acteur influent du processus historique. C’est une lecture « éditorialisée » du design qui est proposée, même si la présentation a parfois l’allure d’une histoire générale du design.
On retrouve l’histoire comme discipline structurante dans les autres expositions. Nous avons aussi pu noter que les étagères du Schaudepot présentent les mobiliers selon un ordre chronologique. De même le choix des expositions temporaires du Vitra Design Museum permet de redécouvrir des designers disparus qui sont autant de références qui jalonnent le passé (Panton, Breuer, Papanek).
La discipline historique est mobilisée pour fournir un cadre de référence utile à la compréhension des étapes du développement du design. Chacun des dispositifs joue avec ses propres instruments la même partition visant à inscrire le design et Vitra dans la grande histoire du design.
La pertinence du dispositif s’exprime aussi dans la présentation et l’exploitation des héritages. L’ampleur prise par le patrimoine de l’éditeur Vitra ne saurait se comprendre si on néglige l’importance du phénomène de donation. En retour ces donations bénéficient d’une exploitation remarquable en termes d’exposition. Le déménagement du bureau de Charles et Ray Eames et sa présentation au sous-sol du Schaudepot illustre cette stratégie ; nous avons déjà souligné la dimension symbolique remarquable qui était induite par cette installation. Elle positionne l’éditeur Vitra comme l’un des principaux acteurs de la construction de la mémoire du design. Au-delà du couple Eames, c’est la notion de collection qui reçoit un traitement sacralisant. En ce qui concerne les mobiliers, presque rien ne manque dans la collection Vitra. La stratégie vise à donner accès au plus grand nombre de pièces possibles. L’éditeur entretient une ambiguïté autour de la notion de collection. Ce terme est attribué à la fois au patrimoine historique présent dans le Schaudepot et à la production industrielle mise en valeur dans la VitraHaus. Les productions les plus récentes bénéficient de l’aura des pièces authentiques soigneusement préservées58.
3.3 Une conception élargie de la notion de patrimoine
Comme nous venons de l’indiquer, il existe une véritable tension entre l’ancien et le nouveau, entre les pièces historiques souvent prototypiques et les productions en série. Des mobiliers contemporains présents dans le showroom donnent une image lissée de leur authentique jumeau siégeant sur les étagères du Schaudepot. Les productions actuelles de l’éditeur se retrouvent aussi dans certaines salles d’exposition. Elles remplissent alors une fonction d’usage et leur présence confirme qu’à travers la continuité de production, l’éditeur ne cesse d’enrichir le patrimoine contemporain du design. La démarche de l’éditeur interroge aussi la question de l’original. Qu’est-ce qu’une pièce originale de la collection quand chaque objet est traité avec la même rigueur, le même soin qu’il s’agisse d’un artefact dont la naissance est datée, d’une pièce qui vient de sortir des ateliers ou de la miniature qui la reprend à l’échelle 1/6ème .
C’est aussi par le jeu de complémentarité entre exposition permanente et exposition temporaire que l’éditeur s’efforce de couvrir le champ du design. On assiste à un croisement entre des formes d’approches différentes. Par exemple, le Schaudepot met à disposition de l’amateur de design les exemplaires qu’il souhaite découvrir en fonction de ses centres d’intérêt, tandis que la Vitrahaus présente une lecture permanente de l’histoire du design et de Vitra, alors que le Vitra Design Museum offre un regard d’expertise sur un designer célèbre dont par ailleurs, on peut retrouver les œuvres dans les autres sous-dispositifs. C’est à une stratégie d’exposition que nous avons à faire : celle du choix de la cohérence entre les approches complémentaires où l’on fait le pari que le visiteur, point de rencontre des différentes réceptions, trouvera le moyen de faire une synthèse qui lui sera profitable.
3.4 Une perspective didactique assumée
Le choix d’une démarche éducative n’est jamais explicitement énoncé. C’est plutôt une fonction indirecte du méta-dispositif. Elle est pourtant lisible dans l’attention consacrée à l’information du visiteur et à sa compréhension des messages.
C’est notamment le cas dans la situation d’échange entre un couple de visiteurs et les salariés, à laquelle nous avons assisté dans l’atelier de montage de la Lounge Chair. Les opérateurs de l’atelier se sont efforcés de répondre avec bienveillance à la curiosité des visiteurs. Sur un mode plus démonstratif, une machine vient exemplifier les tests de résistance auxquels sont soumis les fauteuils. Il est possible de toucher les matériaux, d’essayer le confort d’un fauteuil. Dans le Schaudepot Lab, le visiteur peut repérer des fonctionnalités, mener des comparaisons, situer des productions dans le temps. Par son ordonnancement, cet espace se prête particulièrement à l’étude et à la recherche. De manière plus classique, de grandes planches murales apportent des informations complémentaires sur le processus de fabrication et sur l’origine du projet. Les expositions temporaires du Vitra Design Museum concourent aussi à cette éducation en s’intéressant à la biographie d’un designer ou en décryptant un thème mis en rapport avec le design. Le méta-dispositif laisse beaucoup de liberté au visiteur que l’on espère attentif et motivé. Selon la conception qui est professée ici, le rôle d’un éditeur est aussi de se faire pédagogue tout en concédant au visiteur la liberté de ne pas s’impliquer aussi fortement qu’il le propose. Il s’agit donc d’une forme de pédagogie ouverte qui tente de séduire par la richesse des contenus et la diversité des stratégies éducatives. La démarche commerciale et l’intention pédagogique ne sont pas contradictoires si l’on se réfère au fonctionnement du marché des biens culturels. La valorisation économique de ces biens attire une clientèle qui partage l’intérêt des amateurs de design pour la valeur symbolique des objets qui sont proposés à la vente. En contribuant fortement à l’éducation des visiteurs selon les formes que nous avons soulignées, l’éditeur met en place les conditions favorables à l’installation d’intentions d’acquisition des objets. Lucien Karpik a étudié ces marchés de biens atypiques qu’il nomme « marché des singularités » :
« Organisés autour de la double exigence du goût cultivé et du goût distingué, ces marchés se distinguent par la valeur assignée aux références culturelles du passé comme du présent et par l’influence des complexes culturels59 . »
À côté d’une stratégie marketing classique, l’éditeur de design développe des actions plus subtiles qui mobilisent les expositions dans leurs dimensions éducatives en espérant retirer des gains de ces initiatives.
3.5 Une présence efficace, l’entreprise d’édition
Les finalités économiques ne sont pas mises en avant, ni même très facilement discernables dans le campus. Certes, nous l’avons vu, Vitra soigne son image par une omniprésence de la maison d’édition à l’intérieur et à l’extérieur des expositions. L’appartenance de la production à l’industrie du luxe ne peut se lire que de manière indirecte. Des présentations d’une extrême richesse coexistent donc sur le campus, conséquences de la mise en valeur d’un patrimoine exceptionnel et des espaces où des objectifs économiques affleurent à travers les mises en scène.
Le méta-dispositif peut être décrit comme une sorte de discours de célébration où les designers, le design et Vitra sont particulièrement mis à l’honneur. Même si ce discours ne prend pas une forme trop emphatique, il n’en produit pas moins ses effets. C’est en construisant la renommée des designers, que l’éditeur construit la sienne. Le méta-dispositif est une entreprise de valorisation, un discours de célébration d’autant plus efficace qu’il ne dit pas son nom. Une de ses fonctions serait donc de faire oublier que Vitra est aussi une entreprise d’édition présente sur un créneau lucratif et qui est efficace dans sa stratégie économique. L’éditeur a construit sa légitimité culturelle en accumulant un patrimoine considérable grâce à la réussite de son entreprise. Cette légitimité patiemment construite dans le champ culturel lui permet de contribuer maintenant à une reconnaissance publique du design en tant que discipline majeure à la croisée des mondes de la culture et de l’économie. Le campus Vitra en tant que méta-dispositif est le reflet d’une stratégie originale et performante, celle qu’il est possible de conduire dans ce champ où la création et l’industrie fonctionnent en synergie. Les missions de l’édition en design ne sauraient être cantonnées à la mise au point et la commercialisation des œuvres. Le cas du campus Vitra montre que certaines entreprises d’édition privées, poursuivent à côté des institutions publiques, des tâches importantes de conservation et de valorisation du patrimoine du design.
Conclusion
Le campus Vitra offre au public une occasion unique de découvrir le monde du design d’édition à travers différentes formes d’approches qui se complètent en prenant la forme d’un méta-dispositif original. On doit surtout lire dans ce complexe consacré à la présentation du design une volonté constante guidée par deux impératifs majeurs :
- Perpétuer le développement de l’entreprise Vitra en la positionnant comme une des plus performantes dans la production et la commercialisation des œuvres du design contemporain, tout en préservant son statut de référence qualitative par rapport à la concurrence dans le monde de l’édition.
- Contribuer à la notoriété de cette discipline en communicant principalement par le moyen d’expositions qui s’alimentent à deux sources patrimoniales majeures, les productions commercialisées par l’éditeur (présentées dans la VitraHaus) et la vaste collection rassemblée pour le Vitra Design Museum (exposée dans le Schaudepot).
Le modèle d’exposition construit une sorte d’hybridation originale entre les mondes de l’art et du commerce. Le visiteur qui déambule dans le campus, se confronte à ce méta-dispositif. C’est un discours de célébration du design contemporain qui lui est offert. Cela s’apparente parfois à l’énoncé d’une sorte d’épopée à laquelle concourent les différents modes d’exposition avec des registres d’intervention spécifiques.
En arrière-plan, Vitra, l’éditeur, se construit une légitimité d’expert et de protecteur du patrimoine du design. Le méta-dispositif d’exposition est à la fois le témoignage et la signature de cette stratégie.
Bibliographie
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Crédits et légendes
Figure 1. Brigite Auziol, Le Schaudepot, la VitraHaus et le Vitra Design Museum sur le campus Vitra© Brigitte Auziol
-
Tels que le salon du meuble à Milan, l’Internationale Möbel Messe à Cologne ou encore lors d’évènements tels que les Design Weeks. ↩
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Certains objets acquis à l’occasion des premières expositions universelles iront constituer les collections de musées tels que le Victoria & Albert Museum de Londres et sont à l’origine dès la fin du XIXe siècle des premières collections de musées d’arts décoratifs. ↩
-
Situé à Noviglio en Italie, le musée Kartell est inauguré en 1999. Le musée Thonet, situé à Frankenberg en Allemagne, ré-ouvre en 1989, cent ans après la création de l’usine dans cette même ville. ↩
-
La Fondazione Museo Kartell souhaite par le bais des productions présentées dans le musée, sensibiliser le public à la valeur des produits industriels. ↩
-
Brigitte Auziol, Exposer le design : formes et intentions, Avignon Université, Thèse de doctorat, sous la direction de Marie-Sylvie Poli, 2019, chapitre 3 et 4, p.164-258. ↩
-
Appel, Violaine, Boulanger, Hélène et Massou, Luc « Dispositif[s] : discerner, discuter, distribuer » dans Violaine Appel et Thomas Heller (dir.), Les dispositifs d’information et de communication : concept, usages et objets, Bruxelles, De Boeck, coll. « Culture & Communication », 2010, p. 9-16.
Bardin, Christophe, Lahuerta, Claire et Méon, Jean-Matthieu, Dispositifs artistiques et culturels : création, institution, public, Lormont, le Bord de l’eau, 2011. ↩ -
Foucault, Michel, Surveiller et punir : naissance de la prison, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des histoires », 1975. ↩
-
Berten, André, « Dispositif, médiation, créativité : petite généalogie », Hermès, (n°25), 1999, p. 34. ↩
-
Meunier, Jean-Pierre et Peraya, Daniel, Introduction aux théories de la communication : analyse sémio-pragmatique de la communication médiatique, Bruxelles, De Boeck, coll. « Culture & Communication », 2004, p. 387. ↩
-
Agamben, Giorgio, Qu’est-ce qu’un dispositif ? (M. Rueff, trad.), Paris, Payot & Rivages, coll. « Rivages poche », trad. Rueff, 2007, p.10. Ouvrage original publié en 2006 sous le titre Che cos'è un dispositivo? Rome, Nottetempo. ↩
-
Jeanneret, Yves, « Dispositif » dans La société de l’information : glossaire critique, Paris, La Documentation Française, 2005, p. 50‑51. ↩
-
À ce sujet, nous employons le concept « d’intention de l’exposition ». ↩
-
Davallon, Jean, L’exposition à l’œuvre : stratégies de communication et médiation symbolique, Paris, L’Harmattan, coll. « Communication et civilisation », 1999. ↩
-
Benjamin Lorre l’introduit dans sa thèse pour qualifier les tiers-lieux, espaces singuliers de l’informatisation sociale. Benjamin Lorre, Les tiers-lieux, des méta-dispositifs issus de l’informatisation sociale, Université Paris Sorbonne Cité, thèse de doctorat sous la direction de Geneviève Vidal, 2017. ↩
-
Aux origines du mot « exposition », on trouve cette double généalogie : le mot expocïun en vieux français (mot issu du latin expositio) a d’abord eu, au figuré, le sens d’explication, d’exposé, avant de prendre au XVIe siècle le sens de présentation de marchandises. Voir : Desvallées, André, Schärer, Martin. R. et Drouguet, Noémie, « Exposition », Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 133. ↩
-
Chaumier, Serge, Traité d’expologie : Les écritures de l’exposition, Paris, La Documentation Française, coll. « Musées-Mondes », 2012, p. 11. ↩
-
Schiele, Bernard, Le musée de sciences : Montée du modèle communicationnel et recomposition du champ muséal, Paris, l’Harmattan, coll. « Communication et civilisation », 2006. ↩
-
Hurley-Griener, Cécilia, « Jalons pour une histoire du dispositif », Publics & Musées, (n°16), 2010, p. 213. ↩
-
Berthelot, Pierre, « Du Bruit dans la Cuisine : L’apport de la muséologie pour penser une scénographie marchande autour de la gastronomie », Culture & Musées, (n°13), 2009, p. 91‑114. https://doi.org/10.3406/pumus.2009.1498 ↩
-
Colin, Christine, « À l’image de l’étalage. Comment exposer ? » dans Christine, Colin (dir.) Question(s) design, Paris, Flammarion, 2010, p. 254‑268. ↩
-
Pour Tulga Beyerle « […] on prête peu d’attention à tous ces petits objets inconnus hors d’une vitrine d’exposition, d’un magasin de meubles, d’un concessionnaire de voitures. Ils forment la matrice invisible et l’arrière-plan de notre décor quotidien. L’exposition permet de mettre en scène un objet pour un public, dans sa perfection temporaire, et de lui conférer un air théâtral. » : Beyerle, Tulga, « Exposition et distance », dans Alexandra, Midal (dir.), Design, l’anthologie, Saint-Étienne, Cité du design – École Supérieure d’Art et de Design, 2013, p. 476. Texte original : « Display and distance », dans Friedl, Peter, Domestic/Works 1990-2002, Vienne, Triton, 2002, p. 11-18. ↩
-
Ibid., p. 476. ↩
-
Benjamin, Walter, Paris, capitale du XIXe siècle : Exposé, Éditions Allia, 2003, p. 20-21. ↩
-
Jean-Pierre, Laurent, « La dialectique de l’art et de l’exposition », Art Press 2, (n°36), 2015, p.19-20. ↩
-
Michel, Florence, « Comment éditeurs et distributeurs construisent-ils leurs prix ? », dans Christine, Colin, Design & Prix, Paris, Seuil, coll. « Design & Industries de l’ameublement », 2004, p. 41- 49. ↩
-
Bouquillion, Philippe, Miège, Bernard et Moeglin, Pierre, L’industrialisation des biens symboliques : Les industries créatives en regard des industries culturelles, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2013, p.83. ↩
-
Geel, Catherine, « Autour des enjeux de la qualification du design », Mode de recherche, (n°14), 2010, p. 33. ↩
-
Bourdieu, Pierre, « Le champ littéraire », Actes de la recherche en sciences sociales, (n°89), 1991, p. 7. https://doi.org/10.3406/arss.1991.2986 ↩
-
Pièce unique ou série plus ou moins importante. ↩
-
Petit éloge, tempéré, du design d’édition (consulté le 19.09.2020) :
https://www.usinenouvelle.com/article/petit-eloge-tempere-du-design-d-edition.N291369.
Alain Cadix est ingénieur de formation. Il a été directeur de l’École Nationale Supérieure de Création Industrielle de 2007 à 2012. ↩ -
Nous entendons ici le dispositif d’exposition tel que nous l’avons défini en amont de cette partie. ↩
-
Site des architectes Herzog et De Meuron (consulté le 10.09. 2020) : https://www.herzogdemeuron.com/index.html ↩
-
La collection des objets, mobiliers et aménagements de Vitra pour l’espace domestique. ↩
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La Lounge Chair crée par Charles & Ray Eames en 1956 est une des productions emblématiques de la société Vitra. Le public peut aller découvrir dans cet atelier les différentes phases de la fabrication artisanale de ce fauteuil, l’acheter et bénéficier dans ce cas d’un marquage spécial indiquant que cet exemplaire unique a été produit à la VitraHaus. ↩
-
Emblématique de la marque dans le monde. ↩
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Le souci de ne pas produire de rupture avec l’illusion ainsi construite a conduit les concepteurs de cet espace à tenter de supprimer toute référence à un contexte marchand. ↩
-
Les classiques de Vitra sont des pièces iconiques de la marque dont la production continue bien après leur date de conception. ↩
-
Un empilement en contre-jour d’une baie-pignon vitrée révèle la qualité architecturale des productions de Jean Prouvé, un environnement opaque et sombre met en valeur la translucidité des luminaires d’Isamu Noguchi, le contexte pop et multicolore en arrière-plan contraste avec les lignes fluides des fauteuils de Verner Panton, les multiples échantillons de textiles imprimés témoignent de l’univers ludique d’Alexander Girard, la Coconut chair de Georges Nelson pose devant un décor constitué de ses multiples reproductions miniatures, enfin la Lounge Chair de Charles & Ray Eames invite à s’asseoir et découvrir confortablement livres et objets posés sur les étagères en arrière-plan. ↩
-
Depuis plus de vingt ans, ces miniatures reproduites à l’échelle 1/6e par le Vitra Design Museum posent les jalons de l’histoire de la collection. ↩
-
Pour une description exhaustive du contenu de ce panneau observé et analysé en 2017, se référer au volume des annexes de la thèse de Brigitte Auziol, Exposer le design : formes et intentions, op. cit. ↩
-
Que ce soit sur la fresque ou dans l’atelier, le rapprochement entre les produits et les célébrités sont significatifs du storytelling mis en place par l’éditeur : Salmon, Christian, Storytelling : la machine à raconter des histoires et à formater les esprits, Paris, la Découverte, coll. « cahiers libres », 2007. ↩
-
Willi Felhbaum est le fondateur de la firme Vitra. ↩
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Rez-de-chaussée du showroom. ↩
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Nous employons le mot valeur non plus dans le sens axiologique mais comme « […] un dispositif de justification du prix » : Boltanski, Luc et Esquerre, Arnaud, « La « collection », une forme neuve du capitalisme la mise en valeur économique du passé et ses effets », Les Temps Modernes, (n°679), 2014, p.21. Cf. https://doi.org/doi:10.3917/ltm.679.0005.
Nous soulignons aussi que la notion de valeur de l’objet « authentique » et la valeur comme justification du prix peuvent être parfois différentes même si elles entretiennent des relations évidentes. Voir : Roulet, Sophie, « Prouvé, édition originale et réédition : Deux histoires parallèles, deux gammes de prix », dans Christine, Colin (dir.), Design & Prix, Paris, Seuil coll. « Design & Industries de l’ameublement », 2004, p. 92‑102. ↩ -
Une machine actionne de manière répétitive, une poussée sur le dossier de la Lounge Chair, reproduisant ainsi l’effort produit par une personne en train de s’asseoir. ↩
-
Comme la VitraHaus, il a été conçu par les architectes Jacques Herzog et Pierre de Meuron. ↩
-
La collection du musée du design Vitra comprend un total d'environ 20000 objets. Le noyau est formé par les collections de meubles, avec un total de 7000 pièces couvrant des époques importantes et réunissant des protagonistes essentiels du design du 1800 à nos jours : Kries, Mateo, Stappmanns, Viviane, Remmele, Mathias (Éds.), The Vitra Schaudepot : Architecture, ideas, objects, Weil am Rhein, Vitra Design Museum, 2016, p.16. ↩
-
Paola Antonelli qui compare les modalités de constitution des collections du Vitra Design Museum à celles du Victoria et Albert Museum de Londres et du Museum of Moderne Art de New York fait remarquer l’intérêt de ce choix : « […] le choix d’analyse d’une catégorie d’objets design, des chaises, comme symbole des périodes historiques de l’évolution de la société, de l’art, de la technologie peut fournir ce que des études plus poussées sur le design ne peuvent pas offrir : la profondeur. Antonelli, Paola, « Trois collections : Victoria and Albert Museum, Londres ; Museum of Modern Art, New York ; Vitra Design Museum, Weil-am-Rhein », dans Christine, Colin (dir.), Design & sic : stocker, inventorier, classer, Paris, Seuil, coll. « Design & Industries de l’ameublement », 2004, p. 79. ↩
-
À la manière de l’anti-psychiatrie dans les années 70. ↩
-
Voir : Gorgus, Nina, Le magicien des vitrines : Le muséologue Georges Henri-Rivière, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, traduit par Marie-Anne Coadou, 2003, p.187. ↩
-
La collection se classe parmi les plus importantes collections de design de mobilier du monde. ↩
-
Plus d’une dizaine d’expositions temporaires ont été organisées depuis 2016. La plupart consacrées à des designers ou des courants du design, parfois à des matériaux ou à des conditions particulières de fabrication. ↩
-
Le bâtiment conçu par Frank Gehry a été inauguré en 1989. ↩
-
D’autres lieux du campus tels que la Vitra Design Museum Gallery, la caserne de pompier, le dôme Buckminster Füller, le Schaudepot, en accueillent également. ↩
-
Nous avons repris pour procéder à cet inventaire, une typologie créée spécifiquement pour les expositions de design : Auziol, Brigitte, « Communiquer le design par l’exposition. Essai de typologie » dans Langages et communication : écrits, images, sons, 2017, p. 213‑222. Disponible sur Internet : http://books.openedition.org/cths/953, consulté le 20 novembre 2020. ↩
-
D’un point de vue architectural, les deux bâtiments partagent un profil archétypal de maison, qui renvoie à l’univers domestique pour la VitraHaus et qui exploite son image de forme protectrice pour le Schaudepot. ↩
-
Project Vitra – Design, Architecture, Communications (1950–2017), cette exposition rétrospective témoigne, notamment, de la réalisation du Campus Vitra comme un ensemble hétérogène visant à exprimer la diversité de la création. Rollf Felhbaum relate également l’histoire de Vitra dans : Felhbaum, Rolf, « The lasting dream » dans Windlin, Cornwell, & Fehlbaum, Rolf. (Éds.), Project Vitra : Sites, products, authors, museum, collections, signs, chronology, glossary, Birkhäuser, 2008, p. 4-8. ↩
-
Ils acquièrent ce que Jean-Pierre Cometti définit comme une nouvelle aura : Cometti, Jean-Pierre, La nouvelle aura : Économies de l’art et de la culture, Paris, Questions théoriques, 2016. ↩
-
Karpik, Lucien, L’économie des singularités, Paris, Gallimard, 2007, p.144. ↩