De quoi faisons-nous au juste l’expérience ? L’exposition à l’ère de l’indistinction
Aline Caillet

Maîtresse de conférences-HDR, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
Membre de l’Institut de recherche ACTE

Résumé
Hal Foster appelle indistinction la forme sous laquelle se présentent aujourd’hui les « objets » culturels, pointant un état global de l’esthétique subsumée sous le commercial. À bien des égards, l’exposition, format de monstration qui se décline sur tout type de supports, en constitue le lieu par excellence. Désormais, un objet se voit exposé non plus en vertu de ses propriétés spécifiques, mais en vertu de la fonction qu’il occupe dans un système économique et culturel ; statut qui rend incertain et précaire sa relation au spectateur. Ce sont ces brouillages de et dans l’espace d’exposition, envisagés comme symptômes d’une redistribution des relations entre arts et industrie culturelle que cet article se propose d’étudier.

Abstract
Hal Foster notices that we live now in a nobrow state (Seabrook) where the old brow distinctions between intellectual and commercial culture no longer seem to apply. In many ways, we can consider that Exhibition (which is no longer specific to art works but extended to any type of objects) is the very place where this indistinction appears. From now, objects are not exhibited due to their specific properties but to their commercial and cultural values. This phenomena makes unstable the relation between the object and the viewer. This paper aims to highlight these interferences, as key symptoms of a new deal between high arts and cultural industry.

Introduction

Dans Design & Crime1, paru en 2002 et traduit en français en 2008, Hal Foster emprunte à Seabrook le terme d’indistinction pour qualifier la forme sous laquelle se présentent aujourd’hui les « objets » culturels. Catégorie fluide entre l’art et le design, entre l’œuvre et la forme marchandise, l’indistinction désigne cette indécidabilité maintes fois observée entre esthétique et utilitarisme, entre culture et marketing ; un état global en somme de l’esthétique subsumée sous le commercial. Effet conjugué de l’esthétique postmoderniste et de la marchandisation de la culture, l’indistinction résulte toutefois moins d’un effet de brouillage – depuis longtemps constaté – entre des catégories contraires, qu’elle ne rend celles-ci flexibles, circonstancielles, bifides. En cela, l’indistinction n’affecte pas tant, selon nous, la discrimination entre l’art et l’industrie culturelle marchande, que celle, à l’intérieur des arts eux-mêmes, entre toutes les productions pouvant être qualifiées de culturelles. À l’heure de l’indistinction, l’art peut être désintéressé comme éminemment intégré dans une économie du luxe ; le design peut-être un objet d’art comme un objet utilitaire marchand ; une exposition peut-être un événement artistique majeur comme un moment festif et/ou touristique ; sans que l’un n’exclue l’autre. L’indistinction interroge en cela ce qu’il reste de l’autonomie des arts et de la spécificité de leurs formes à l’heure où la culture et l’industrie qui la sous-tend obéissent à une logique d’intégration et d’assimilation, moteur du développement économique.

Si l’indistinction affecte la production des œuvres et des biens culturels et défait la partition – historique, moderne –, entre art et industrie culturelle2, elle touche également à la réception que nous en faisons, ébranlant cette fois celle entre expérience esthétique – traditionnellement comprise comme contemplative – et consommation – comprise dans un sens large dépassant le seul rapport à l’objet et incluant une économie du divertissement. Elle renvoie alors à la forme et la nature d’objets qu’on ne parvient pas à identifier en un seul coup d’œil et dont on ne sait trop, ni d’où ils proviennent, ni à quoi ils sont destinés et, en conséquence, l’attitude que nous sommes supposés adopter à leur égard. L’exposition, lieu par excellence où s’engagent la réception et l’expérience que nous faisons des œuvres, semble jouer un rôle paradoxal dans cette indétermination. Instance supposée prendre en charge l’identification et le cadrage des objets présentés, l’exposition semble constituer, tout à l’inverse – et ce sera là une des hypothèses directrices de cet article –, sinon le lieu de production de l’indistinction, à tout le moins l’un des lieux de son amplification. Auparavant délimitée dans sa fonction comme dans sa forme (l’exposition renvoyait à un mode de présentation et de circulation dédiés aux œuvres d’art ainsi qu’à une modalité spécifique de leur expérience), l’exposition est aujourd’hui plutôt un format de monstration qui se décline sur tout type de supports, aussi bien du côté de l’art (le cinéma) ; de l’industrie culturelle (la BD, la mode) ; de l’esthétique industrielle (le design) ; que de la culture populaire en général (les savoir-faire traditionnels, l’histoire locale…). On notera que cette généralisation du modèle de l’exposition à des objets qui ne lui étaient pas destinés s’opère autant à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’art, obscurcissant la nature et les raisons de cette dispersion : si n’importe quel objet trivial issu de la culture populaire peut aujourd’hui être sujet ou prétexte à exposition–  et parfois aussi n’importe où –, des arts comme le cinéma, la danse ou la performance, quittent de plus en plus la salle ou la scène pour investir des espaces d’exposition (musées, centres d’art, galeries). Et, de fait, si l’exposition est devenue incontestablement un phénomène culturel, voire une institution, elle est aussi devenue à partir des années 19703, un phénomène artistique et esthétique en soi, indissociable des développements de l’art contemporain. Si l’art moderne était « un art de musée » au sens où celui-ci s’avançait comme le lieu destinal d’œuvres fabriquées dans l’atelier4, l’art contemporain est, pour sa part, « un art d’exposition » au sens où, de nature plus performative, il penche du côté de la monstration et privilégie le « donner à voir » sur le faire5. En cela, l’art contemporain est aussi d’une certaine manière à l’origine de cette dilatation de l’exposition et une hypothèse, sinon contraire du moins complémentaire, consisterait alors à avancer que la généralisation de ce format (le « tout s’expose » popularisé notamment par les artistes Fluxus des années 1970) est moins à attribuer à un effet d’indistinction au sens de Foster – c'est-à-dire à une perte de ce qui caractérise et distingue en propre l’art de tout autre forme de production de culturelle –, qu’à une propagation des procédures formelles de l’art contemporain aux objets culturels.

L’exposition semble ainsi être, tant dans sa nature, sa forme que sa fonction, le lieu, d’une indistinction déconcertante : d’un flottement entre les déterminations marchandes et institutionnelles qui la traversent – dans la culture comme dans les arts -, et celles, esthétiques et formelles, dont elle se prévaut dans le même temps. Comment dès lors, identifier et démêler ce que l’on voit ? Comment appréhender le phénomène et la forme exposition si celle-ci se généralise à tout type « d’expôt » – terme générique pour qualifier « ce qui est posé », à savoir désormais des objets qui ne sont pas des œuvres d’art ? Mais si le propre de l’exposition est de proposer un cadrage à ce qui est montré, comment comprendre dès lors que la généralisation et la diversification de ce format puisse produire un effet contraire et opérer un décadrage ?

1.De quoi l’indistinction est-elle le nom et en quoi l’exposition est-elle son lieu symptomatique

Walter Benjamin a montré dans son célèbre essai sur la reproductibilité technique combien la valeur d’exposition était constitutive de la modernité, tant sur le plan de la production que de la réception des œuvres. Toutefois, si Benjamin distingue les formes-objets qui relèvent de la valeur d’exposition – celles globalement qui obéissent à une reproduction mécanisée (photographie, cinéma) ou qui font l’objet d’une réception dans la distraction (architecture) – de celles qui relèvent d’une valeur rituelle (la peinture essentiellement), cette différenciation reste interne aux Beaux-Arts et délimite deux types de relations esthétiques à ce qui, de part et d’autre, reste considéré comme des œuvres d’arts6. Le Benjamin du Paris, Capitale du XIXe siècle livre en revanche une tout autre approche du concept d’exposition dans son analyse de la forme-marchandise propre aux expositions universelles. Ces dernières sont, dit-il, des lieux de pèlerinages et s’inscrivent dans une économie du plaisir qui célèbre l’univers de la marchandise et des rituels qui l’accompagnent. L’exposition serait ainsi une forme ambivalente, autant véhicule d’une expérience esthétique libérée de ses formes parasitaires cultuelles que d’une expérience aliénée et fétiche.

Les réflexions de Tony Bennett, autour de ce qu’il nomme « le dispositif expositif » (exhibitionary complex7), font également état de cette ambivalence. Bennett souligne que ce dispositif expositif caractérise autant les musées, les expositions universelles que les grands magasins, les foires publiques ou encore les parcs d’amusement : tous les espaces, en somme, où les foules se surveillent elles-mêmes. Le propre du dispositif expositif consiste en effet dans son inversion du système panoptique analysé par Foucault et dont Bennett suit ici la voie : connaître plutôt qu’être connu, voir plutôt qu’être vu, être des sujets plutôt que des objets de connaissance. À partir de cette opposition, Bennett en vient à distinguer les institutions – en anglais – de confinement (telle que la prison étudiée par Foucault) de celles d’exhibition, ces dernières caractérisant notre réalité moderne. La structure architecturale du Crystal Palace, ce « pavillon-miroir », emblème selon Bennett de ce dispositif expositif8, caractérise tout aussi adéquatement aujourd’hui ce que Bernard Harcourt appelle la société d’exposition, laquelle rompt la frontière entre intérieur et extérieur :

« À l’ère du numérique, le caractère interne de la transparence a été dépassé. Notre ambition est désormais de voir à travers les murs de brique et les barrières physiques, de bouleverser les structures internes, de briser la distinction intérieur-extérieur, afin de voir à l’intérieur des machines et de déchiffrer l’invisible. La structure en verre-miroir nous le permet au moyen de reflets qui ouvrent les espaces et abattent les cloisons9. »

Sans vouloir jouer sur les mots, la période dite en français de « confinement10 » que nous avons traversé au printemps 2020, semble offrir une illustration littérale de cette opposition entre le confinement (terme anglais employé par Bennett) et l’exhibition numérique. Les nombreuses visites virtuelles ou autres visites guidées en ligne offertes par les musées ont montré que ce ne sont pas seulement les foyers et les espaces privés en général qui sont mis sous le feu de nos webcams, mais également les institutions elles-mêmes qui, empêchées d’ouvrir leurs portes, ont choisi d’abattre leurs murs, marquant ainsi une rupture définitive avec le modèle du white cube et de l’idéologie qui le sous-tend11. Le « dispositif expositif », idéologie à la fois de la transparence, du spectacle et de la surveillance, et les institutions qui y participent, se caractériseraient ainsi par le transfert d’objets et de corps des domaines privés et/ou clos vers des arènes de plus en plus ouvertes et publiques, transfert par lequel ces choses deviennent le véhicule d’un nouveau message12.

On peut considérer que ces jeux de transparence et d’effacement de la délimitation entre intérieur et extérieur traversent, de façon moins littérale, les expositions aujourd’hui, lesquelles jouent de plus en plus le rôle d’interface indifférenciée — entre art et culture, entre culture et consommation, entre culture et tourisme, entre art et architecture… — où l’objet exposé sert finalement de motif ou de support à des projets qui dépassent largement les seuls enjeux, esthétiques, de sa mise à vue.

À cet égard, le sens de la détermination de l’exposition comme « média » – apparue au début des années 1980 dans le champ de la muséologie et des sciences de la communication – interroge et l’on peut se demander si, contre toute attente, celle-ci n’avalise pas cette généralisation d’un modèle de diffusion et de réception de formes-objets. En mettant en évidence que le sens d’une exposition ne provenait pas de la seule présence d’objets mais de différentes opérations – telles que le lieu, la scénographie, la signalétique, etc. –, l’analyse de l’exposition comme dispositif communicationnel a autant contribué à la révélation des sens et des enjeux implicites qui s’y jouaient qu’elle n’a explicité et formalisé les moyens et outils de cette mise en ordre du discours. L’idée de l’exposition comme média, analyse rétrospectivement Jean Davallon13, l’un de ses principaux promoteurs, a permis d’isoler et de caractériser cette forme et de la constituer comme un objet d’étude à part entière, en l'examinant à partir de trois entrées : texte, public, lieu. L’objectif – aussi intéressant mais qu’ambivalent selon nous –, rappelle-t-il, était de sortir du terrain disciplinaire et d’appréhender l’exposition (exposition d’art, exposition commerciale, exposition de sciences, etc.) en deçà et au-delà de ses usages singuliers ou, pourrions-nous dire, dans l’indifférence ou l’indistinction de ces mêmes usages14. Ce faisant, l’exposition est devenue une catégorie transversale et, en quelque sorte, déliée de la nature des objets exposés. À cet égard, on peut considérer que le terme d’expôt en est le symptôme significatif en ce qu’il permet de désigner de façon neutre et abstraite les objets exposés.

Si l’exposition a pu se constituer comme un objet de recherche en soi, c’est qu’elle était, dans ces mêmes années, une forme en mutation et en passe de jouer un nouveau rôle dans l’économie des arts et de la culture. On assiste en effet à partir des années 1970, puis 1980 sous l’impulsion du ministère de Jack Lang, à une nouvelle architecture des lieux culturels, et centralement du musée, qui se caractérise par un enrichissement spectaculaire des collections mais aussi, plus fondamentalement, par le phénomène (nouveau) des expositions temporaires15. Le musée cesse d’être un lieu d’accumulation des collections et passe de la conservation à l’exposition. Les collections sont désormais rangées dans des espaces de stockage dédiés, libérant l’espace proprement muséal pour les expositions temporaires comme pour l’accueil des publics : les musées entrent dès lors dans une « dynamique communicationnelle » :

« C’est l’introduction de la dynamique communicationnelle dans le monde des musées qui a signé leur véritable transformation. Et l’indice le plus visible de cette mutation est l’importance de la place occupée dorénavant par les expositions. [...] Le musée était (et demeure) une institution. L’exposition, c’est le média privilégié dont s’emparent les musées pour devenir des institutions culturelles, davantage intégrées dans la société de consommation et de loisirs. La tyrannie de l’exposition signe l’irrésistible irruption de la communication dans le monde des musées16. »

2. Les raisons de l’indistinction

Pièce maîtresse de cette nouvelle stratégie culturelle, l’exposition se voit insensiblement œuvrer à une valorisation de l’institution qui menace de mettre au second plan la nature des objets exposés : valorisation architecturale du bâtiment, valorisation économique et culturelle de l’événement, valorisation touristique du lieu. On objectera qu’un tel phénomène – très bien circonscrit et analysé par Rosalind Krauss et dans sa suite par Claire Bishop17 – obéit à des logiques muséales, lesquelles doivent être distinguées des logiques expositionnelles à proprement dites. Par ailleurs, l’adaptation des musées à des objectifs culturels et/ou touristiques ne retire pas nécessairement à l’exposition sa capacité à transmettre une expérience esthétique et, en l’état, la propose même à un plus grand nombre. Mais tout dépend en fait du degré d’autonomie de la forme exposition dans ce nouveau contexte. Sur ce point, Seabrook, relayé par Foster, constate que l’ouverture de l’art et de la culture (dont l’exposition est l’un des principaux agents) a moins abouti à leur démocratisation qu’à « leur annexion par le monde de l’indistinction », faisant de l’artiste (et on suppose de ses productions) « une catégorie trop élastique18 ». Et de fait, l’exposition semble jouir d’une autonomie paradoxale, et par là même fragile, repérable dans un mouvement contraire de flux et de reflux. Sa promotion comme pratique culturelle coïncide avec l’effacement de ce qui la définissait en propre – à savoir la mise à vue d’objets – et tend à en faire une forme intransitive, autonome en surface, mais profondément enracinée dans un système dans lequel art, culture et économie tendent à se confondre.

Fredric Jameson a qualifié de culturelle la logique du capitalisme tardif, dernier actuel du développement des forces économiques, qui repose désormais moins sur des logiques de distinction (ici au sens de Bourdieu) que de brouillage (essentiellement entre les catégories fondatrices de la modernité du High and Low), mais, également et surtout, sur un mouvement d’expansion sans précédent :

« La “culture” est devenue une véritable “seconde nature ». En effet, un des indices les plus importants pour suivre la piste du postmoderne pourrait bien être le sort de la culture : une immense dilatation de sa sphère (la sphère des marchandises), une acculturation du Réel immense et historiquement originale, un grand saut dans ce que Benjamin appelait “l’esthétisation” de la réalité (il pensait que cela voulait dire le fascisme, mais nous savons bien qu’il ne s’agit que de plaisir : une prodigieuse exultation face à ce nouvel ordre des choses, une fièvre de la marchandise, la tendance pour nos “représentations” des choses à exciter un enthousiasme et un changement d’humeur que les choses elles-mêmes n’inspirent pas nécessairement). Ainsi, dans la culture postmoderne, la “culture” est devenue un produit à part entière ; le marché est devenu absolument autant un substitut de lui-même et une marchandise que n’importe lequel des articles qu’il inclut en lui-même : le modernisme constituait encore, au minimum et tendanciellement, une critique de la marchandise et une tentative pour qu’elle se transcende. Le postmodernisme est la consommation de la pure marchandisation comme processus19 ».

Les expositions de bandes dessinées, qui se sont considérablement multipliées depuis dix-quinze ans20, apparaissent assez paradigmatiques des nouvelles fonctions et usages de l’exposition dans l’économie culturelle du capitalisme tardif. La bande dessinée relève de ces arts dit mineurs – tant honnis par la modernité et adulés par le postmodernisme21 – et d’une économie plus proche de l’industrie culturelle (de la reproductibilité technique et du divertissement qui la caractérisent) que des Beaux-Arts (de la pièce unique et de l’aura supposées leur être attachées). En s’exposant, la bande dessinée s’ouvre certes à un public plus large, au-delà de ses seuls amateurs, mais elle s’engage surtout dans une opération de légitimation comme art. Ce processus, que Nathalie Heinich et Roberta Shapiro ont appelé l’artification22, repose globalement sur une stratégie d’autonomisation du champ23 qui consiste à greffer des propriétés esthétiques à des objets par l’artifice de leur mise en scène. L’exposition, en tant qu’elle prescrit une réception fondée sur la contemplation plutôt que la consommation, apparait comme le lieu idoine pour assurer une telle conversion ; ce en quoi elle contribue à produire de l’indistinction et atteste de son ambivalence à l’âge du capitalisme culturel.

Les expositions de bandes dessinées en centres d’art24 arborent en effet le plus souvent des planches originales sous cloche, réputées uniques, propices à l’envol de leur prix25. Ces planches fétichisées et réifiées s’exhibent comme une pure forme marchande obéissant à la seule loi de l’échange. Exposée, la bande dessinée quitte le domaine du lisible pour entrer dans le domaine du visible. Le livre imprimé, support d’appropriations de toute sorte26, cède sa place à la contemplation de planches encadrées et isolées, objets de délectation, dans laquelle « l’excitation pour la représentation des choses se substitue à celles des choses elles-mêmes », pour reprendre l’expression de Jameson citée supra.

La mise en exposition de la bande dessinée, loin de produire un nouvel agencement au sein duquel les choses puissent être, sur un plan esthétique et artistique, appréhendées autrement, semble surtout favoriser le processus d’« enrichissement » identifié par Boltanski et Esquerre, qui désigne « les opérations dont les choses font l’objet en vue d’en accroitre la valeur et d’en augmenter le prix ». Il renvoie ainsi à la manière dont les objets sont investis d’une valeur propre, aux « processus par lesquels ils acquièrent le statut de richesse27 ». Ces processus d’enrichissement des choses passent notamment par le fait de tourner nos regards vers les choses elles-mêmes, de les isoler pour mieux les rapprocher d’autres choses avec lesquelles elles entrent en harmonie. En cela, « cet enrichissement culturel suppose toujours le recours à un dispositif narratif afin de sélectionner, dans la multiplicité phénoménale, certaines des différences que présente une certaine chose, considérées comme particulièrement pertinentes et qui doivent donc, à ce titre, être privilégiées et mises au premier plan dans les discours qui en accompagnent la circulation28 ».

Il est frappant de voir combien cette dernière phrase pourrait s’appliquer tel quel au processus de mise en exposition, qui lui aussi suppose toujours le recours à un dispositif narratif afin de sélectionner, dans la multiplicité phénoménale, certaines des différences que présente une certaine chose, considérées comme particulièrement pertinentes et qui doivent donc, à ce titre, être privilégiées et mises au premier plan dans les discours qui en accompagnent la circulation. Le cas de la bande dessinée n’est en rien unique et apparait bien au contraire typique des transformations qui affectent les modes de communication, de diffusion ou de commercialisation de l’ensemble des objets dits culturels. Pour ce qui est du design, Éleni Mitropoulou constate, pour sa part, que sa prise en charge ces dix dernières années par la sphère médiatique et multimédiatique (au travers de l’exposition en premier lieu mais aussi de la presse) font de lui un de « ces objets culturels […] portés vers la glorification à travers différents cheminements qui constituent autant d’épreuves qualifiantes et décisives d’une même reconnaissance, celle d’un objet d’une valeur cultuelle (au sens de Walter Benjamin) et de sa construction29 ». Clémence Imbert repère une logique similaire du côté du design graphique : certes les affiches ou autres annonces publicitaires sont destinées à être « exposées » au sens de posées publiquement mais « le dispositif d’exposition culturelle modifie radicalement la réception de ces objets. Une exposition les nomme, les classe, les attribue à des auteurs. Elle désigne les objets graphiques exposés comme ayant une valeur (que celle-ci soit esthétique, historique ou documentaire) et en cela elle agit comme un vecteur de légitimation. Aussi la question est-elle moins celle de l’indépendance de l’objet graphique par rapport à son dispositif de présentation que ce que le dispositif d’exposition fait au design graphique30 .»

Ces analyses pourraient être étendues à tout objet se définissant par sa valeur d’usage (celle-ci pouvant être un rapport social) ou par sa fonction (publicitaire, communicationnelle, utilitaire… objet design, graphique, de mode, ou issu des usages et traditions populaires). L’objet, dès lors qu’il est exposé, se voit soustrait à cette fonction et perd son existence matérielle pour se transmuer en valeur d’échange et se fétichiser31. Elles prouvent également, si besoin en était, que tout en droit peut aujourd’hui s’exposer parce que précisément l’exposition est devenue un médium au sens de Mc Luhan, une forme qui emporte son contenu. Ce renversement n’induit pas pour autant une émancipation de la forme-objet qui, dans ce processus, se voit entrelacée à des logiques culturelles et économiques qui nourrissent l’artistique et l’esthétique et dont elle ne peut aussi facilement se déprendre.

3. Les formes de l’indistinction

Cette logique culturelle de l’exposition transforme l’expérience du visiteur qui s’apparente alors à la visite distraite et somme toute inoffensive que nous faisons des biens de consommation culturelle et dans laquelle nous engageons peu de nous-mêmes. Plus complexes et ambiguës à cet égard apparaissent des formes expositionnelles émanant du monde de l’art mais dont les intentions, les cadres et les objets restent mal identifiés. Il peut être intéressant à ce titre de rappeler que ceci est le fait de l’art contemporain lui-même et, selon l’expression de Harold Rosenberg, de ses « objets anxieux » (anxious objects32). Les objets anxieux sont ceux qui aujourd’hui remplissent nos galeries, nos musées, nos espaces publics, et dont le statut nous apparait incertain, précaire, et qui semblent en attente d’un geste de notre part pour exister, s’activer, basculer d’un paysage ontologique à un autre. Or, note très justement Rosenberg, un objet n’est pas anxieux in se, il le devient dès lors que présenté dans un cadre ou un contexte artistique s’ajoute potentiellement son statut d’art. Depuis le ready-made de Duchamp, l’objet anxieux par excellence, les formes et les occasions de cette anxiété n’ont cessé de se multiplier et surtout de se diversifier. Elle se produit face aux nombreux objets au faible coefficient artistique cultivant un certain « retrait esthétique ». On l’éprouve dans l’art écologique ou l’esthétique environnementale qui conçoivent des systèmes écologiques fonctionnels de restauration ou d’assainissement des ressources ; des formes-objets à la fois matérielles et symboliques, utilitaires et esthétiques33. On l’éprouve tout autant face à des formes sophistiquées et esthétisées, à l’occasion spectaculaires et kitsch, présentées dans un cadre institutionnel artistique, et dont on ne sait si elles s’offrent à une pure jouissance ou à une expérience esthétique somme toute plus exigeante34. On l’éprouve encore dans des expositions conçues comme des événements autant artistiques que touristiques et culturels, telles les expositions d’art contemporain au château de Versailles ou Monumenta sous la nef du Grand Palais35.

Cette indécidabilité dans ces différents exemples est cimentée par une double ambivalence. D’abord, celle des lieux – le site médiéval du domaine de Villarceaux ; un parc municipal à Marseille (fig .1) ; le site des jeux olympiques de Londres ; Venise à l’occasion de la biennale d’art (fig. 2) ; le château de Versailles ; la nef du Grand Palais (fig. 3) – dont aucun n’est dédié, en dehors de ces manifestations événementielles, à l’exposition d’art contemporain. Celle de la nature des événements ensuite, allant du festival d’arts éphémères (fig. 1), à l’exposition temporaire (fig. 2), en passant par la manifestation à caractère sportif (fig. 2), ou culturel et touristique (fig. 3). Si l’indistinction prend source partiellement dans les œuvres elles-mêmes36 – elle se confond alors avec l’anxiété, trait définitoire de l’art contemporain37 –, elle se voit surtout ici alimentée, voire même consolidée38, par des contextes et des cadres de monstration flexibles, circonstancielles et bifides – pour reprendre la terminologie avancée en introduction.

La fonction de l’exposition, par le cadrage qu’elle opère (texte, public, lieu, selon la triade proposée par Davallon) dans la présentation des objets, est précisément d’endiguer l’anxiété que peuvent véhiculer certaines formes… Qu’en est-il si l’exposition devient elle-même une forme anxieuse ?

4. Exposition, installation, dispositif

L’exposition « Faire corps » d’Adrien M & Claire B39, présentée au début de l’année 2020 à la Gaîté Lyrique, offre un bon exemple du trouble généré par les différents cadrages. Conçue par des artistes présentés comme créant « des spectacles et des installations à la croisée des arts numériques et des arts vivants », cette « exposition-expérience » dit proposer une expérience immersive et interactive composée d’une dizaine de dispositifs, « vaste ensemble intuitif, éblouissant et curieux, intelligent et vibrant, dans lequel nous sommes invité·e·s à entrer, à bouger, à danser, à interagir40 ». Il convient de noter que l’exposition a eu un fort retentissement, par sa fréquentation (elle a vite affiché complet sur toute sa durée41) comme par sa couverture médiatique (radios, télévisions et presses, locales comme nationales)… ou encore par son succès critique42. Qu’en est-il à l’arrivée ? Certes, les dispositifs possèdent d’indéniables qualités techniques comme esthétiques et témoignent d’une certaine virtuosité et maîtrise de l’outil numérique mais quelle en est la signification ? En fait, tout le ressort de l’exposition tient dans la seule création d’un environnement (au demeurant plaisant), d’une ambiance faite de « caresses de lumière, effets optiques, interactions ludiques et contemplation hypnotique », donnant à La Gaîté « des airs de spa graphique, bercée par une bande-son façon compile lounge43 », dans laquelle le spectateur est invité à se plonger. Mais le problème majeur est que son expérience tient dans cette seule immersion : l’interaction avec les dispositifs ne constitue qu’une pure injonction, sans objet, ni contenu, ni enjeu44, réclamant un faible investissement corporel doublé d’une grande passivité intellectuelle (il suffit le plus souvent de simplement lever le pied ou la main pour activer les dispositifs), qui lui donne des allures de stimulus-réponse.

C’est le propre de toute œuvre que de susciter des expériences et avis contradictoires, mais il nous semble que « Faire corps » est le signe de tout autre chose : celui précisément d’une réduction à son seul dispositif ; ou d’une fusion (par définition indistincte) entre son espace, son contenu et son média. Exposition sans expôt, elle se réduit finalement à une installation qui habille tout l’espace de la Gaîté Lyrique et dont les spectateurs, invités à se mouvoir, deviennent les sujets-objets. Ceux-ci, jamais happés par un quelconque contenu qui puisse servir de support à une expérience, ne trouvent alors d’autre occupation que celle de se regarder les uns les autres ; une actualisation parfaite du « dispositif expositif » analysé par Bennett45. Cet effet coquille vide se voit d’ailleurs vite illustré par une médiation qui reste on ne peut plus superficielle. La visite guidée de l’exposition se contente de donner de très sommaires indications sur les techniques numériques – dont certaines déjà livrées par les cartels –, insuffisantes pour accéder à une compréhension des techniques employées, et sur les types de gestes à faire pour déclencher l’interaction (une sorte de mode d’emploi en quelque sorte) ; le leitmotiv de la visite est toujours le même : « allez-y expérimentez, entrez en interaction avec la machine, je vous retrouve dans 10 minutes ». De ce dont nous avons fait l’expérience au juste, il n’est pas prévu de discuter et l’on comprend vite que là n’est pas le propos. « Let’s entertain together » semble être ici le fin mot de la chose, figurant une expérience de réception intransitive de laquelle la forme a vidé tout contenu.

5. Vers un espace de jeu ?

Si la modernité distinguait de façon exclusive expérience esthétique et consommation de marchandise, l’industrie culturelle contemporaine, dans laquelle tous les arts sont désormais enchâssés, valorise quant à elle des produits « digérables ». Ce mode de production dominant a pour conséquence de généraliser à son tour « le mode de réception digestif à l’ensemble de la production artistique, par dissémination des pratiques et du goût ainsi formé46 », au point que, ajoutent les auteurs, le modèle de production est désormais devenu une habitude et norme de réception. Un tel alignement réclame des médiations, au nombre desquelles on compte indéniablement l’exposition.

Sortir de l’indistinction, analyse Foster, c’est offrir à la culture un espace de jeu. Là où l’indistinction règne, là où culture et économie ne font plus qu’un, la culture a cessé d’être un espace de jeu : car « c’est cette distinction qui donne à la culture son espace de jeu47 ». Le jeu ici ne renvoie en rien à ce qui s’apparenterait au ludique, ou au « fun », mais signifie libérer et dessiner l’espace nécessaire, identifier des différences, repérer des espaces provisoires48. Cette entreprise revient ni plus ni moins, selon Foster, à tester la capacité de l’esthétique à résister à l’idéologie et à l’hégémonie marchande. Car le « jeu » ne peut advenir que là où l’expérience esthétique est en capacité de résister à la pression des dispositifs qui la modélisent ou la formatent. Rien ne s’oppose en cela formellement à ce que l’espace d’exposition réinvestisse cet espace de jeu et retrouve le sens même de l’expérience esthétique, loin des formats et des cadres.

Bibliographie

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Bishop, Claire, Radical Museology or, What’s ‘Contemporary’ in Museums of Contemporary Art ?, London, Koening Books, 2013.

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Davallon, Jean, Flon, Émilie, « Le média exposition », Culture & Musées [En ligne], Hors-série | 2013, mis en ligne le 19 juin 2018, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ culturemusees/695 ; DOI : 10.4000/culturemusees.695

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  1. Hal, Foster, « Vers l’indistinction », dans Design & Crime, Paris, Les prairies ordinaires, 2008. Ce chapitre propose une lecture critique de l’ouvrage du journaliste du New Yorker John Seabrook, paru en 2000, intitulé Nobrow : The Culture of Marketing, the marketing of Culture. C’est ce terme de Nobrow qui est traduit dans le livre de Foster par indistinction. 

  2. Le phénomène de l’exposition en fournit d’ailleurs une bonne illustration : « "Aujourd’hui, le montage d’une grande exposition muséale ressemble beaucoup à la réalisation d’un film à gros budget”, commente Philippe Régnier du Journal des Arts, qui a récemment établi un palmarès mondial des expos. « Il y a le choix de la tête d’affiche, l’obtention de prêts d’œuvres majeures, le coût croissant des assurances, une campagne de communication très orchestrée, une scénographie choisie et une gestion du flux massif de visiteurs. Ces expositions s’intègrent ensuite à des tour-opérateurs, on achète son billet à l’avance sur internet avec deux nuits d’hôtel intégrées. C’est une tout autre économie qui s’est mise en place depuis ces dernières années. » : Jean-Max, Collard & Claire, Moulène, « L’art à l’heure du blockbuster », Les Inrocks, 12/09/2009.
    https://www.lesinrocks.com/2009/09/12/actualite/actualite/lart-a-lheure-du-blockbuster, consulté le 10 octobre 2020. 

  3. Le moment charnière étant bien sûr celui de l’exposition de Harald, Szeemann, When Attitudes Become Form à la Kunsthalle de Bern en 1969. 

  4. Sur cette idée d’un art moderne comme un « art de musée », voir : Daniel Van der Gucht, L’art contemporain au miroir du musée, Bruxelles, La lettre volée, 1998. Voir aussi l’ensemble des analyses de Daniel Buren sur la genèse de l’in situ, notamment le texte « fonction de l’atelier » daté de 1979. Disponible notamment sur : https://2012.monumenta.com/fr/node/357

  5. C’est là une des grandes tendances de l’in situ dont le propre est d’« exposer » le geste artistique lui-même ; tendance là encore insufflée par Harald Szeemann. Dans un autre domaine, on retrouve ce privilège de la mise à vue dans les expositions proliférantes de documents ou d’archives dans le champ de l’art. 

  6. Le cinéma pouvant éventuellement faire l’objet d’une exception dans ce partage si on en adopte une conception adornienne du côté de l’industrie culturelle plutôt que benjaminienne. 

  7. Tony, Bennett, « The Exhibitionary Complex », New Formations, n°4, Spring 1988. 

  8. Le Crystal Palace de Londres est l’un des édifices les plus représentatifs de l’architecture de fer et de verre qui triomphe au XIXe. Construit pour la première exposition universelle, en 1851, il est un symbole de la Révolution industrielle. « The Crystal Palace consisted in the arrangement of relations between the public and exhibits so that, while everyone could see, there were also vantage points from which everyone could be seen, thus combining the functions of spectacle and surveillance. » Tony Bennett, art. cit

  9. Bernard, E. Harcourt, La société d’exposition. Désir et désobéissance à l’ère numérique, Paris, Le seuil, 2020, p. 112. 

  10. L’équivalent de ce terme en anglais fut Lockdown et non confinement qui n’a jamais été utilisé, sauf par les effets d’une traduction littérale erronée. Le terme chez Bennett peut lui être traduit littéralement. 

  11. Rappelons que Brian O’Doherty dans son célèbre essai compare le white cube à l’église : un cube certes banc, mais sans fenêtres ni vue sur l’extérieur : un lieu éminemment fermé sur lui-même et qui tire son aura de cette occultation même. Voir : O’Doherty, Brian, L'Espace de la galerie et son idéologie, Zurich/Paris, JRP Ringier, 2008. 

  12. « The institutions comprising “the exhibitionary complex”, by contrast, were involved in the transfer of objects and bodies from the enclosed and private domains in which they had previously been displayed (but to a restricted public) into progressively more open and public arenas where, through the representations to which they were subjected, they formed vehicles for inscribing and broadcasting the messages of power (but of a different type) throughout society. » Tony, Bennett, « The exbitionary complex », art. cit

  13. Voir : Jean Davallon et Émilie Flon, « Le média exposition », Culture & Musées [En ligne], Hors-série | 2013, mis en ligne le 19 juin 2018, consulté le 02 mai 2019. URL : http://journals.openedition.org/ culturemusees/695 ; DOI : 10.4000/culturemusees.695 

  14. « Cette création opérait un déplacement décisif par rapport aux approches existantes puisque l’exposition devenait un objet de recherche en soi et non un épiphénomène dont on fait simplement mention à l’occasion d’études sur les œuvres, les institutions ou les publics, sans véritable influence sur eux. Le rapport entre l’exposition et les œuvres, les institutions ou les publics, se trouvait par le fait même inversé puisqu’il était proposé d’aborder ceux-ci au regard des caractéristiques mêmes de l’exposition. » : Jean Davallon et Émilie Flon, « Le média exposition », art.cit

  15. Le concept de musée se dilate et commence à s’appliquer à différents types de lieux ou projets (comme l’écomusée par exemple) jusqu’à s’appliquer au risque de l’oxymore à des « musées » sans collections, comme c’est le cas du Wiels à Bruxelles ouvert en 2007. 

  16. Daniel, Jacobi, « Les musées sont-ils condamnés à séduire toujours plus de visiteurs ? », La Lettre de l’OCIM, n° 49, 1997, p. 9-10. 

  17. Voir : Rosalind Krauss, « La logique culturelle du musée dans le capitalisme tardif » dans Catherine Chevalier et Andreas Fohr (éd.), Une anthologie de la revue Texte zur Kunst de 1990 à 1998, Dijon & Zurich, Les presses du réel & JRP|Ringier, traduit de l'anglais par Michèle Veubret, 2011, p. 186-203 et Claire Bishop, « Radical Museology or, What’s ‘Contemporary’ », in Museums of Contemporary Art?, London, Koening Books, 2013. 

  18. Hal, Foster, Design & Crime, Paris, Les prairies ordinaires, 2008, op.cit., p. 19. 

  19. Fredric, Jameson, Le postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, ENSBA, trad. Florence Nevoltry, 2007, p. 16. 

  20. « Jamais autant d’expositions dédiées au 9^e^ art n’ont été organisées en dehors des festivals spécialisés. On en compte actuellement une demi-douzaine, pour citer les plus notables : la carte blanche de Zep au Palais des beaux-arts de Lille, la déambulation de Nicolas de Crécy au Quartier, le centre d’art contemporain de Quimper, l’accrochage de Pierre la Police au Lieu Unique, la scène nationale de Nantes, et les installations de Blutch, Winshluss et Blanquet à la Ferme du Buisson, la scène nationale de Marne-La-Vallée. » : Frédéric Potet, Le Monde, 15 avril 2016. 

  21. Ceci s’applique d’autant plus à la bande dessinée, objet pop par excellence, et devenue, sous l’impulsion d’artistes comme Roy Lichtenstein, un objet esthétique hybride. 

  22. « L’artification désigne le processus de transformation du non-art en art, résultat d’un travail complexe qui engendre un changement de définition et de statut des personnes, des objets et des activités. Loin de recouvrir seulement des changements symboliques (requalification des actions, ennoblissement des activités, grandissement des personnes, déplacements de frontières), l’artification repose avant tout sur des fondements concrets : modification du contenu et de la forme de l’activité́, transformation des qualités physiques des personnes, reconstruction des choses, importation d’objets nouveaux, réagencement de dispositifs organisationnels, création d’institution. » : Nathalie Heinich & Roberta Shapiro, De l’artification. Enquêtes sur le passage à l’art, Paris, EHESS, 2012, p. 20. 

  23. « C’est-à-dire d’un espace de production et de commentaire, doté de ses propres institutions (revues, sociétés, récompenses, événements…), à même de diffuser et d’imposer des enjeux et des valeurs spécifiques. » : Jean-Matthieu, Méon, « Bande dessinée : une légitimité sous conditions », Informations sociales, vol. 190, n°. 4, 2015, p. 84-91. 

  24. On distinguera à cet effet les expositions de B.D. en centres d’art (comme celle par exemple de Moebius à la Fondation Cartier en 2010,) ou obéissant aux codifications de l’art contemporain, de celles proposées par des institutions dédiées comme le Centre belge de bande dessinée qui repose sur « une muséologie permanente et une exposition permanente ». Voir : Zoé Vangindertael, « Le musée et la bande dessinée : enjeux d’une relation symbiotique », dans Marges, Presses universitaires de Vincennes, 2019, n° 29, p. 16-29. 

  25. « Ce commerce, né discrètement dans les librairies au cours des années 1970, s’est infiltré chez Drouot et dans des galeries spécialisées la décennie suivante, avant de gagner en visibilité en 2007 grâce à la vente d’Artcurial consacrée à Enki Bilal (1,3 million d’euros), puis d’être capté par les auctioneers anglo-saxons en 2014. En quelques décennies, les planches originales, traditionnellement considérées non pas comme des œuvres, mais comme la matrice d’un livre et jugées sans valeur, voient leur prix bondir, à la faveur de l’évolution des goûts, du long processus de légitimation artistique de la BD et de l’accession à l’âge adulte d’une génération nostalgique de ses lectures d’Astérix, Spirou ou Tintin. Symbole de cette montée en puissance, le record de la page de garde de Tintin, adjugée 2,6 millions d’euros chez Artcurial en 2014. » : Eléonore Théry, « Rififi dans le marché de la bande dessinée », Le quotidien de l’art, n°1662, février 2019. 

  26. On pense ici à la pratique de la lecture comme braconnage chez Michel de Certeau. 

  27. Cf. Luc, Boltanski, Arnaud, Esquerre, « La forme collection comme dispositif de mise en valeur », Les Temps modernes, Paris, Gallimard, n°679, 3/2014, p. 13. La valeur, précise les auteurs, doit être distinguée du prix dont elle est un dispositif de justification qui passe par une référence à des propriétés supposées inhérentes à la chose mise en vente. 

  28. Ibid., p. 15 

  29. Éleni, Mitropoulou, « Le Design, trace sémio-communicationnelle d’une épreuve médiatique et culturelle », Actes Sémiotiques, (113). http://epublications.unilim.fr/revues/as/1737, consulté le 10 octobre 2020. 

  30. Clémence Imbert, « Un dispositif dans le dispositif. Les expositions de design graphique contemporain », Marges, Presses Universitaires de Vincennes, n°20, 2015, p. 91. 

  31. Rappelons à cet égard que le fétichisme procède de l’ambiguïté de la marchandise, car c'est au cours de l'échange que les produits acquièrent une « existence sociale identique et uniforme, distincte de leur existence matérielle et multiforme comme objets d’utilité » (Le Capital, liv. I). L’échange occulte donc la différence des produits (en les ramenant à un équivalent général, condition même de cet échange), pour ne laisser dans l'esprit de celui qui échange que la valeur générale du produit comme marchandise échangeable. Ainsi s'attache au produit lui-même, dans la conscience que les acteurs de l'échange en ont, une valeur (marchande) propre, qui efface la perception de l’utilité du produit. Ce processus, que Marx qualifie de fantasmagorie, fait apparaître la valeur (d'échange) comme inhérente à la « nature » même du produit. En cela consiste le fétichisme de la marchandise, car, à partir du moment où, dans l'histoire, la forme marchande domine, les rapports sociaux entre les gens se réduisent, tendanciellement, dans tous les domaines, à des rapports sociaux entre les choses. 

  32. Harold, Rosenberg, The Anxious Object. Art Today and its Audience [1964], University of Chicago Press, Phoenix ed., 1982. 

  33. Fig. 1a : Victor Remere, Fleur au fusil, 2018. http://www.victor-remere.fr/portfolio
    Fig. 1b : Victore Remere, Savon(s), 2018. http://www.victor-remere.fr/, consulté le 20 octobre 2020. 

  34. Fig. 2a : Marc Quinn, Alison Lapper Pregnant, Londres, 2012 et Fig. 2b : Venise 2013, cf. : http://marcquinn.com/artworks/single/breath, consulté le 20 octobre 2020. 

  35. Fig. 3a : Xavier Veilhan, Le Carrosse, 2009, Tôle d’acier soudé, peinture acrylique : cf. : https://www.chateauversailles-spectacles.fr/page/xavier-veilhan_a204/1, consulté le 20 octobre 2020.
    Fig. 3b : Ilya et Emilia Kabakov, L’étrange cité, Monumenta 2014 : cf. :
    https://inferno-magazine.com/2014/05/15/monumenta-2014-la-ville-blanche-dilya-et-emilia-kabakov/
    Consulté le 20 octobre 2020. 

  36. Les œuvres de Marc Quinn pourraient toutefois, à juste titre, tout comme celles de Jeff Koons, être qualifiées d’indistinctes au sens de Foster, jouant de façon trouble (certains dirons cyniques) avec les codes de l’art et du marché. 

  37. Elle est un autre nom pour ce que le postmodernisme a appelé le syncrétisme. Celui-ci est même très souvent le moteur du travail artistique dont l’hybridation des matériaux, des formes et des procédés de production constitue, comme ici chez Xavier Veilhan, le vocabulaire de bon nombre d’œuvres 

  38. Ces effets de consolidation peuvent prendre des formes contradictoires et elles aussi indécidables : l’ambivalence d’un objet d’art épousant la forme marchandise se voit renforcée si l’objet est vu dans ces deux contextes ; à l’inverse, une œuvre d’art aux formes esthétiques sensibles circulant dans des circuits économiques ou culturels où on ne l’attendait pas deviendra elle-même un objet instable. 

  39. Fig. 4 : « Faire Corps », Adrien M & Claire B, site de la Gaîté Lyrique, 2020 : Sources : site de la gaité lyrique
    https://gaite-lyrique.net/evenement/faire-corps-adrien-m-claire-b Consulté le 20 octobre 2020. 

  40. Texte de présentation de l’exposition, disponible sur le site internet site de la Gaîté lyrique et dans le dossier de presse. 

  41. L’exposition devait initialement se tenir du 24 janvier au 3 mai et a été interrompue pour cause de confinement mi-mars, mais elle était déjà complète à ce moment jusqu’à sa fin. Elle a repris depuis le 2 septembre 2020 et ce jusqu’au 3 janvier 2021. 

  42. Les articles de Libération et du Monde notamment sont très élogieux. 

  43. Clémentine Mercier, Libération du 24 février 2020. https://next.liberation.fr/arts/2020/02/24/faire-corps-la-gaite-lyrique-vibre-optique_1779455. Consulté le 10 octobre 2020. 

  44. L’expérience de visite, faite avec un groupe d’étudiants de master en design, fut à ce titre instructive : seuls ceux qui de leur propre aveu sont entrés dans une expérience régressive, leur rappelant leurs visites d’enfants au palais des glaces ou à la foire, ont « accroché » et y ont pris plaisir, les autres, tout comme leur accompagnateur auteur de ces lignes, sont restés de marbre et, il faut bien dire consternés. 

  45. Rappelons ici la citation mentionnée supra, référencée en note 12 : « dispositif expositif », idéologie à la fois de la transparence, du spectacle et de la surveillance, et les institutions qui y participent, se caractériseraient ainsi par le transfert d’objets et de corps des domaines privés et/ou clos vers des arènes de plus en plus ouvertes et publiques, transfert par lequel ces choses deviennent le véhicule d’un nouveau message » : Tony Bennett. 

  46. Baptiste, Morizot, Estelle Zhon Mengual, Esthétique de la rencontre, Paris, le Seuil, 2020, p. 44-45. 

  47. Hal, Foster, Design & Crime, op.cit., p. 38. 

  48. Ibidem., p. 30 et sqq.