Simone Guillissen-Hoa (1916-1996) : le female gaze comme pratique conceptuelle en architecture
Apolline Vranken

Apolline Vranken est architecte, fondatrice de l'association L'architecture qui dégenre et chercheuse doctorante FRESH-FNRS au sein du laboratoire Hortence de la Faculté d'architecture La Cambre-Horta ULB. Sa recherche porte sur les méthodologies d’une histoire de l’architecture moderne féministe à travers l’analyse du parcours, de l’œuvre et de l’héritage de Simone Guillissen-Hoa, architecte figurant parmi les premières praticiennes en Belgique.

Résumé

L’évolution théorique du concept de female gaze en architecture autorise à appréhender des savoirs de manière incarnée (embodiment) et à penser une nouvelle dimension — sensorielle, phénoménologique — de l’objectivité féministe. In fine, elle permet d’identifier chez l'architecte moderniste belge Simone Guillissen-Hoa (1916-1996) et ses contemporaines l’existence d'une conscience collective féministe. L'article analyse, par le prisme du female gaze, la conception architecturale ainsi que de la réception par les médias (la presse spécialisée, féminine et féministe) de la maison Watelet (Bruxelles, 1955-1956), réalisation de Simone Guillissen-Hoa — sujet de notre étude tant comme praticienne que comme objet de représentation. A la suite de l’identification des limites, freins et leviers du female gaze comme pratique conceptuelle, l'hypothèse d'un double gaze, soit l'alternance du female et du male gaze dans une même œuvre (cinématographique, architecturale, picturale, etc.), comme stratégie d’émergence professionnelle de l’architecte Simone Guillissen-Hoa, sera explorée.

Abstract

The theoretical evolution of the concept of female gaze in architecture allows us to understand knowledge in an embodied way (embodiment) and to think of a new dimension - sensory, phenomenological - of feminist objectivity. Ultimately, it allows us to identify the existence of a feminist collective consciousness in the Belgian modernist architect Simone Guillissen-Hoa (1916-1996) and her contemporaries. The article analyzes, through the prism of female gaze, the architectural design and media reception (the specialized, feminist press) of Simone Guillissen-Hoa's Maison Watelet (Brussels, 1955-1956) - the subject of our study as both practitioner and object of representation. Following the identification of the limits, brakes and levers of female gaze as a conceptual practice, the hypothesis of a double gaze, i.e. the alternation of female and male gaze in the same work (cinematographic, architectural, pictorial, etc.), as a strategy for the professional emergence of architect Simone Guillissen-Hoa, will be explored.

Introduction

Dès 1927, à l'ouverture de l'Institut Supérieur des Arts Décoratifs (ISAD) de La Cambre à Bruxelles, les femmes s'inscrivent pour la première fois en Belgique francophone en section architecture, dans un contexte pédagogique élargi de mixité encouragé par la multidisciplinarité des ateliers. Parmi les premières architectes femmes diplômées de l'ISAD, Simone Guillissen-Hoa (1916-1996) débute sa carrière pendant les premières années de la Seconde Guerre mondiale dans un environnement économique de pénurie de commandes ainsi que dans un système de binarisation des genres et de hiérarchisation entre arts décoratifs et architecture, praticiennes et praticiens - mécanismes, comme nous le verrons, dont l'architecte a activement conscience. Simone Guillissen-Hoa constitue une figure relevante des spécificités de la deuxième vague moderniste en Europe d'après-guerre et son parcours permet de distinguer, par une analyse intersectionnelle de ses multiples appartenances et de ses engagements, les mécanismes d'inégalité versus égalité tout au long de sa carrière, dans son audience médiatique et auprès de ses pairs de même que dans le façonnage de l'histoire de l'architecture.

Dans une approche féministe de l'histoire de l'architecture — discipline comprise comme champ scientifique et domaine de création — l'article explore l'évolution des approches théoriques du female gaze, du regard féminin, conceptualisées ces trente dernières années. Nous analyserons spécifiquement, par le prisme du female gaze, la conception architecturale de la maison Watelet (Bruxelles, 1955-1956), réalisation de Simone Guillissen-Hoa, pour développer l'hypothèse du female gaze comme pratique conceptuelle de l'architecte. Les différentes hypothèses formulées seront éprouvées à travers l'analyse architecturale, graphique, iconographique ainsi que textuelle, sémantique, discursive des documents relatifs aux projets (plans, photographies, revues, observations in situ). Des courriers seront également analysés pour appuyer et nuancer nos observations. Ainsi, la théorie du female gaze autorisera à appréhender des savoirs et des pratiques de manière incarnée et à penser une nouvelle dimension - sensorielle, phénoménologique - de l'objectivité féministe au travers de l'architecture.

1. À l'intersection des identités et des luttes : un regard autre

Simone Hoa (fig. 1), née à Pékin en 1916 d'un père ingénieur chinois et d'une mère auteure polonaise juive, grandit entre la Chine et l'Angleterre. C'est finalement à Bruxelles qu'elle termine l'enseignement secondaire. En 1935, elle entame ses études d'architecture à l'ISAD La Cambre, dont la direction est toujours pilotée par son fondateur Henry van de Velde (1863-1957). Elle est formée successivement auprès de Jean-Jules Eggericx (1884-1963), Jean De Ligne (1890-1985) et Charles Van Nueten (1899-1989). Guillissen-Hoa1 clôture son cursus en 1938 dans une période clé de l'architecture en Belgique marquée par la Loi du 20 février 1939 portant sur la protection du titre et de la profession d'architecte.

Après une année de stage chez Van Nueten, dès novembre 1939, Simone Guillissen-Hoa déménage en Suisse pour développer ses compétences et pour aguerrir sa pratique aux côtés de l'architecte suisse Alfred Roth (1903-1998). En décembre 1940, le climat délétère de début de Seconde Guerre mondiale la contraint à revenir en Belgique. Dès son retour à Bruxelles, la jeune architecte fonde son propre bureau. Nationalisme et antisémtisme s'intensifiant de mois en mois, Guillissen-Hoa entre en résistance en 1941 sous le nom de code Peggy au sein du service logement du Front de l'Indépendance. Le 6 juillet 1943, elle est dénoncée, arrêtée et déportée dans un camp de travail aux Pays-Bas. En septembre 1944, elle est envoyée en Allemagne à Ravensbrück et ensuite à Munich dans le Kommando AGFA, camp annexe du camp de concentration de Dachau. Pendant près de deux ans, elle vivra, à l'instar de millions de personnes déportées, l'enfer des camps. « Je suis enfin rentrée après 22 mois de cauchemar2 » écrira-t-elle.

En mai 1945, Simone Guillissen-Hoa est libérée et regagne la Belgique. L'expérience des camps a considérablement affaibli sa constitution et c'est l'accueil de la famille de feu son mari Jean Guillissen (1914-1942), rencontré à Bruxelles et épousé pendant ses études, résistant fusillé à la guerre, qui lui permet de recouvrer peu à peu la santé. Grâce à la solidarité enclenchée par ses réseaux résistants et communistes, dès 1946, Simone Guillissen-Hoa exerce en tant que conseillère technique extérieure auprès du ministre de la Reconstruction Jean Terfve (1909-1978), puis coopère à un projet de logements pour sinistrés à Deurne dirigé par Renaat Braem (1910-2001). Dès cette période imprimée par les politiques de reconstruction et animée par le boom de l'habitat, la jeune Guillissen-Hoa obtient des commandes, notamment de constructions résidentielles qui se développent particulièrement en Belgique d'après-guerre. En effet, à l'opposé d'autres pays européens qui misent prioritairement sur le développement de quartiers à grande échelle et d'immeubles collectifs3, la Belgique applique dès 1948 la Loi de Taeye qui encourage le logement individuel. C'est donc autour de ce type de programme que la carrière de l'architecte se déploie avec une première habitation, la Villa Faniel (Bruxelles, 1947). S'ensuit la même année une première mission publique, le Centre Sportif de Jambes (Jambes, 1947). Plus d'une cinquantaine de maisons, immeubles et commandes publiques en Belgique échelonneront sa longue carrière.
En se distinguant de l'évolution moderniste plus monumentale, son œuvre condense le local et l'international4 en empruntant « une voie qui n'est ni celle du fonctionnalisme doctrinaire, ni celle du conservatisme, ni non plus celle de ce 'modernisme classique'5 ».

Ces singularités de parcours et de conception architecturale trouvent leurs racines dans l'identité de Simone Guillissen-Hoa et dans les différentes approches personnelles et professionnelles qu'elle mettra en œuvre.

De facto, les origines, appartenances et engagements de Simone Guillissen-Hoa la situent, singulièrement dans l'histoire de l'architecture belge, à l'intersection d'identités, de trajectoires et de luttes multiples et mêlées, dans un contexte puissamment régi par le patriarcat, le racisme et l'antisémitisme. Ces éléments conduisent à l'hypothèse suivante : l'écheveau qui compose la vie de Guillissen-Hoa fait système dans son rapport au monde, in extenso à l'architecture et plus encore à son architecture.

Héritière directe d'une pensée féministe et politique s'inscrivant dans un modèle familial émancipé6, Simone Guillissen-Hoa a laissé plusieurs traces écrites qui indiquent clairement sa pleine conscience de la « question de la femme7 ». Le début de la Seconde Guerre mondiale provoquant une contraction économique, elle partage avec Alfred Roth ses doutes au sujet d'un potentiel emploi dans une fabrique de meubles en Belgique : « On rencontre moins de difficultés là en ce qui concerne la question de la femme, et même ce serait plutôt un atout. (...) Je n'aurai aucune honte à faire un métier moins noble que l'architecture. (...) Il faut tout de même lutter pour se faire une place au soleil n'est-ce pas ?8 ». Pour accéder à l'emploi, elle est prête à travailler dans l'ameublement et les arts décoratifs, secteurs majoritairement assignés aux femmes. Plus tard en 1942, elle affirme : « Je m'aperçois avec ahurissement que ce que je croyais être un handicap dans ma carrière, en l\'occurrence ma jeunesse et ma féminité s'avèrent être des atouts... mais je t'assure que je reste pure dans tout cela.9 » Toutefois, la jeune architecte parvient à maintenir le cap en architecture en vendant ses compétences comme spécialiste de l'habitat. Ses témoignages démontrent tant la volonté que l'obligation pour Simone Guillissen-Hoa de s'inscrire dans et hors du cadre simultanément. Ainsi, dans le contexte socio-culturel dans lequel Simone Guillissen-Hoa exerce sa profession, basé sur un système hiérarchique associé à un principe clair de division sexuée entre décorateur·rices-ensemblier·ères et architectes, théorisé, entre autres, par Elise Koering10, les architectes femmes aspirent plutôt à l'effacement public de leur identité de genre, souffrant des stéréotypes sexistes véhiculés par la profession à cette époque11 et, paradoxalement, les architectes femmes tendent à se vendre comme des expertes de la domesticité sur le marché de l'architecture12. Les déclarations de Simone Guillissen-Hoa dans la presse confirment ce positionnement. Ainsi, s'adressant aussi bien à la presse spécialisée13 qu'aux périodiques féminins14, qu'elle considère d'ailleurs sur un même pied d'égalité15, ainsi qu'aux publications féministes16, elle active ses réseaux professionnels alliés de tous bords. De la sorte, elle installe et alimente par ces voies une stratégie d'émergence professionnelle double et simultanée : assignation aux territoires domestiques portée par des discours et iconographies essentialisants (stratégiquement ?) ainsi que valorisation des qualités dites « féminines » et d'une pratique distincte fondée sur son expérience en tant que femme où le care, le soin, est pensé comme une réelle méthodologie opératoire du projet17. Simone Guillissen-Hoa met ainsi en place cette double tactique d'émergence en tant que praticienne (sujet ; faire avec son expérience) et, conjointement, dans la réception par la presse de son œuvre architecturale (objet ; être connue, reconnue). Nous comprenons que « (...) la conception, entre compromis et conventions, est intimement liée au genre et à la sexualité, aux valeurs sociales et à la culture.18 » Dans le rejet ou dans l'admission des cadres normatifs, à pertes ou à profits, ces mécanismes - féminisme/sexisme, et in extenso dans une lecture systémique, antiracisme/orientalisme, communisme/capitalisme - cohabitent. Leurs fluctuations et intersections apparaissent dès lors comme une manière singulière d'être au monde - d'une part, par une conscience aiguë, dans sa chair, de ses héritages et des violences du système et, d'autre part, par son adaptation voire conformisme aux standards attendus (dans et hors du cadre simultanément) -, comme le trait d'un vécu pilotant une pratique, un regard autres. Ainsi, « Les femmes n'ont pas à se soustraire au système masculin patriarcal, mais à imaginer une pratique distincte19 », laquelle s'inscrit, chez Simone Guillissen-Hoa, dans un système politique issu d'un « projet délibéré de se forger une conscience collective fondée sur l'expérience féminine (qui)pourrait effectivement être identifié comme féministe20 ». A ce titre, mobiliser le concept de female gaze en architecture permet d'étayer l'hypothèse de ce regard autre. Pour poursuivre notre analyse, l'évolution théorique du female gaze est à clarifier.


Fig. 1: Portrait de Simone Guillissen-Hoa, circa 1942.
Source: Fonds Simone Guillissen-Hoa - Archives Jean-Pierre Hoa.

2. Le female gaze en architecture: approches théoriques

2.1. Female gaze comme spécificité du regard

Les premiers travaux articulant théories du male et du female gaze avec architecture paraissent dans les années 1990 avec l'article « The Split Wall: Domestic Voyeurism21 » de Beatriz Colomina ainsi que l'article « Architecture, Authority, and the Female Gaze: Planning and Representation in the Early Modern Country House22 » de Alice T. Friedman. Ces théoriciennes formalisent l'expérience spatiale sous l'angle visuel, dans le sens littéral du regard, corrélativement aux travaux antérieurs de Laura Mulvey et plus précisément à son article « Visual Pleasure and Narrative Cinema23 ». L'article de Colomina explore les territoires du male gaze et ses modes opératoires chez Le Corbusier (1887-1965) (architecture détachée de son contexte, paysage à domestiquer, espaces qui fragmentent les corps, etc.) et en propose un contrepied à travers l'architecture d'Adolf Loos (1870-1933) (investissement des espaces liminaires, mur habité qui trouble les frontières entre intérieur et extérieur, architecture sensuelle et du plaisir, primauté de l'expérience corporelle de l'espace, etc.) sans nommer celui-ci female gaze pour autant. Alice T. Friedman, quant à elle, dresse un état des lieux de pratiques en architecture liées au genre et au regard (mise en scène des valeurs d'une culture, manipulation du spectacle, modification de la forme et de l'emplacement de certaines fonctions en donnant un accès visuel et physique direct, rupture avec la planification traditionnelle, représentation orchestrée du pouvoir des femmes par des opérations de vision, etc.) en 1992 avec « Architecture, Authority, and the Female Gaze: Planning and Representation in the Early Modern Country House24 » et ensuite en 1998 dans l'opus Women and the Making of the Modern House25 (sans explicitement y consigner le female gaze).

Si les analyses de « The Split Wall: Domestic Voyeurism26 » et de Women and the Making of the Modern House27 s'opèrent dans le cadre historique du mouvement moderne en architecture, « Architecture, Authority, and the Female Gaze: Planning and Representation in the Early Modern Country House28 » étudie le XVIe siècle tardif en Europe, contexte socio-historique dans lequel les femmes, à défaut d'être architectes, peuvent toutefois être clientes. Si le female gaze comme spécificité du regard tient compte du rôle de la clientèle/maîtresse de maison dans le cas de Friedman ou du rôle de l'architecte dans le cas de Colomina, ainsi que du« contexte dans lequel la planification domestique se déroulait ordinairement et reconstituait des attitudes à l'égard de la famille, de la sexualité et du corps féminin - avec une attention particulière à la vue (sight), aux spectateur·rices (spectatorship) et à l'exposition (display) - qui ont structuré ces conventions29 », la méthodologie de ces ouvrages transcende les périodes et les architectures étudiées. Elle permet aux historiennes d'identifier les dispositifs spatiaux empreints de male ou de female gaze, compris comme modes opératoires, lesquels varient selon les époques et les bâtiments.

Par ailleurs, Colomina et Friedman rejoignent les critiques et biais décelés par Elizabeth Wilson à l'égard des travaux de Mulvey : « Dans l'article original de Laura Mulvey, il n'y avait pas de place pour que la spectatrice revendique le regard autrement qu'en se masculinisant30. Si Colomina relève dans l'architecture de Loos la possibilité pour les usager·ères de revendiquer un regard autrement que par le plaisir scopique et le contrôle31, Friedman, quant à elle, est explicite : il est nécessaire de comprendre l'agentivité32, l'identité et le plaisir féminins (female agency, identity and pleasure)33 afin de rendre compte de l'activité des spectatrices (female spectatorship)34.

Néanmoins, si elles intègrent la notion d'agentivité et dégagent les éléments architecturaux qui participent au contrôle et/ou à l'émancipation par le regard et du regard, leurs approches théoriques axées sur le regard stricto sensu dans le champ de l'architecture confine l'analyse à un unique aspect sensoriel, déconnecté d'un système de perception complexe que les théoriciennes perçoivent sans pour autant parvenir à le mobiliser. Ce cadre restrictif pourrait dès lors expliquer les rares travaux sur le female gaze en architecture qui ont vu le jour depuis et repris (non exhaustivement) au point suivant.

2.2. Female gaze comme spécificité qui renvoie à l'expérience du corps féminin

Le regard féminin - Une révolution à l'écran35 rédigé par Iris Brey cerne le female gaze ainsi : « un regard porteur d'une expérience spécifique - celle de ressentir une expérience vécue féminine - dont la subjectivité repose sur une construction historique et sociale. Le female gaze ne définit pas une essence féminine mais analyse, grâce à une approche phénoménologique et féministe, une spécificité qui renvoie à l'expérience du corps féminin.36 » Ainsi, au-delà du regard féminin au sens exclusivement visuel du terme, l'approche du female gaze comme « spécificité qui renvoie à l'expérience du corps féminin37» permet d'embrasser tangiblement un spectre sensoriel plus large, une expérience haptique complète. Brey affirme que « la perception est une activité incarnée »*38 comprise comme « un acte incarné, sensoriel et tactile39 ».

Afin de ceindre ce spectre sensoriel, Brey s'appuie sur l'approche phénoménologique issue de la philosophie de Merleau-Ponty40 « dont l'objectif est d'observer et de décrire le sens attribué à une expérience, à partir de la conscience qu'en a le sujet qui la vit.41 Elle articule le champ des film studies à ce courant philosophique enrichi de nouvelles théories critiques. En effet, les théoricien·nes des gender studies ont récusé le caractère universaliste de l'approche phénoménologique merleau-pontienne. En ce sens, « Vivian Sobchack introduit, elle, le concept de phénoménologie sémiotique, une approche qui, à la fois, repose sur la description des sensations et considère que les corps des spectateur.trice.s et du film sont conditionnés symboliquement et culturellement, en corrélation donc avec le monde42 ». De plus, les travaux de Sara Ahmed sur la phénoménologie queer43 posent un regard critique sur la pleine potentialité des corps dans le domaine des sensations pour les femmes et pour les minorités encore considérées comme objets.

L'acte incarné de Brey et le corps conditionné de Sobchack nous mènent (aux théories de l'embodiment ou cognition incarnée), « un programme de recherche en sciences cognitives visant à réévaluer la place du corps dans l'ensemble des phénomènes cognitifs (perception, action, émotion, sentiment, langage, conceptualisation, mémoire, etc). L'esprit n'est pas considéré de façon isolée, mais toujours à la fois embodied, inscrit dans un corps, et 'embedded', c'est-à-dire situé dans un environnement, que celui-ci soit naturel, culturel, social ou technique.44» Ainsi, « Ce glissement du discours rhétorique détaché du corps qui l'émet à un langue rattachée à la corporéité est peut-être une des clefs pour comprendre le female gaze.45» Afin de ne pas réduire le concept d'écriture féminine à une idée statique et essentialisante46, Brey envisage le « corps multiple, vivant, hybride, qui habite le trouble47», les corps en mouvement et libérés des oppressions du patriarcat48. En continuité avec cette approche, elle appréhende la relation entre le film et les spectateur·rices comme une relation en mutation continuelle49.

Selon Brey, le female gaze, comme mode opératoire dans une œuvre, ici cinématographique, exige trois conditions séquentielles : avoir conscience de vivre dans un monde sexiste ; désirer, dans une démarche consciente et politisée, produire un autre regard ; produire un autre regard50. A ce titre, elle précise qu'« Un ou une cinéaste, même si il ou elle a conscience de vivre dans un monde sexiste, ne produira pas forcément du female gaze.
Ce dernier découle d'une démarche consciente, d'un désir de produire un autre regard.51». Pour Brey, « Le female gaze est un geste conscient. Il produit de ce fait des images conscientisées, politisées52». Plus loin, elle ajoute : « C'est un désir de liberté, de s'affranchir des codes du cinéma dominant, d'un régime d'images ordonnant un monde où l'expérience féminine a moins de valeur que la pensée d'un homme53».

Outre ces trois paramètres séquentiels sine qua non, Brey établit une grille de lecture pour caractériser le female gaze, dont voici les 6 points cruciaux54 :

« Il faut narrativement que :

  1. le personnage principal s'identifie en tant que femme ;

  2. l'histoire soit racontée de son point de vue ;

  3. son histoire remette en question l'ordre patriarcal.

Il faut d'un point de vue formel que :

  1. grâce à la mise en scène, le spectateur ou la spectatrice ressente l'expérience féminine ;

  2. si les corps sont érotisés, le geste doit être conscientisé (Laura Mulvey rappelle que le male gaze découle de l'inconscient patriarcal) ;

  3. le plaisir des spectateurs ou spectatrices ne découle pas d'une pulsion scopique (prendre du plaisir en regardant une personne, en l'objectifiant, comme un voyeur). »

Pour poursuivre notre raisonnement, nous proposons la transposition en architecture de ces 6 points de la sorte :

  1. Brey souligne l'importance du genre de l'héroïne dans la capacité de faire ressentir aux spectateur·rices l'expérience féminine, comprise comme vectrice de messages, de sensations. Si l'on peut penser d'emblée que la maîtresse d'ouvrage joue le rôle de l'héroïne dans le scénario architectural imaginé collégialement par l'architecte et la clientèle en tant que cinéastes, c'est pourtant significativement la maison qui tient le rôle de protagoniste en tant que vectrice du message. La maison est donc à la fois média (film) et message (héroïne). Dans cette même logique, la clientèle et les habitant·es jouent un double rôle de cinéastes et spectateur·rices. Cinéastes dans la co-construction du scénario et du programme architectural dans la phase de conception du projet avec l'architecte, mais aussi cinéastes et spectateur·rices, dans une conjonction simultanée de ces deux rôles, à travers l'appropriation habitante, tant dans la reconfiguration du lieu selon les besoins ou envies au fil du temps que dans le ressenti du lieu, au quotidien, toujours en mouvement : « la performance a aussi bien lieu sur l'écran que dans la salle »55. Si l'héroïne et son genre sont centraux chez Brey, c'est précisément parce que l'héroïne est le corps qui ressent et transmet l'expérience et le message. Or, en architecture, à défaut d'affirmer un genre à une maison, nous pouvons lui attribuer un corps qui, lui aussi, reçoit et transmet l'expérience.

  2. La maison, en tant que messagère de l'expérience féminine de la clientèle et de l'architecte est le réceptacle d'une histoire, d'un scénario habité et propose un point de vue à travers différents dispositifs spatiaux, programmatiques. Ainsi, la maison offre un point de vue genré, une expérience sensible, parce que client·es, habitant·es et/ou architectes y opèrent des transfigurations de leur conscientisation de vivre dans un monde sexiste.

  3. Le programme architectural remet en question l'ordre patriarcal.

  4. Grâce à la mise en scène que sont les dispositifs spatiaux, le spectateur ou la spectatrice ressent l'expérience féminine.

  5. Si l'architecture érotise les corps, le geste architectural doit être conscientisé.

  6. Le plaisir des habitant·es/usager·ères ne découle pas d'une pulsion scopique.

Notons ici que si chez Friedman « Comme la conception typologique dépend des relations sociales conventionnelles, il est évident (...) que la déstabilisation des modèles conventionnels résultant de la présence d'une femme mécène a ouvert la voie à l'inattendu, y compris à des expériences dans la conception qui n'auraient peut-être pas été proposées dans un environnement culturel et visuel plus typique et donc plus fortement prédéterminé56», chez Brey c'est le genre de l'héroïne qui est central. Sans s'exclure l'une et l'autre, ces deux approches (mécène femme ; héroïne) font l'impasse sur la condition première et impérative à la production de female gaze identifiée par Brey — qui n'apparaît pourtant pas dans la liste ci-dessus : la nécessaire conscience féministe de l'architecte et/ou de la clientèle/des habitant·es. Il nous semble dès lors plus efficient de nous baser sur les critères de production du female gaze théorisés par Brey pour figurer le female gaze en architecture.

Il nous faut ici lister (sans hiérarchiser) ces critères de production du female gaze au cinéma afin d'y associer, dans un premier temps, les modes opératoires au cinéma et de traduire, dans un second temps, ces modes opératoires et paramètres techniques en dispositifs architecturaux empreints de female gaze, ce qui nous permettra ensuite d'éprouver le potentiel female gaze dans la maison Watelet signée Simone Guillissen-Hoa.




Cette transposition nous autorise dès lors à appliquer le female gaze en architecture et rejoint d'autres formulations sémantiques existantes telles que l'architecture et la planification urbaine séxospécifiques ou sensibles au genre (gender sensitive)57, inclusives (gender inclusive)58 ou encore féministes59. Ainsi, « Le terme female gaze est utilisé non seulement pour mettre en évidence la vision inclusive genrée et ses effets sur l'environnement bâti, mais aussi pour mettre un mot sur la féminité (femininity) dans le langage architectural utilisé qui peut en quelque sorte être 'plus ressenti et plus racontable (more sensed and relatable)60 ».

A ce titre, l'intégration du genre dans les politiques de planification urbaine et architecturale a fait l'objet d'une étude menée par l'architecte d'intérieur hollandaise Eva James qui y a relevé l'absence de regard genré, l'angle mort (blinde vlek) du genre (fig. 2) : « J'ai découvert l'angle mort en faisant des recherches et en posant des questions à trois niveaux : que voient les femmes dans un endroit donné ? Que peuvent-elles y faire ? Et comment se sentent-elles là-bas ? J'ai traité les réponses à ces questions dans une matrice. De cette façon, une image claire de l'angle mort et de l'espace de conception a émergé. J'ai ainsi prêté attention à toutes les couches d'histoires, de valeurs, de motivations et de sentiments dans toutes leurs nuances. Cela peut sembler abstrait, mais cela peut (et doit) être traduit en principes de conception concrets et tangibles pour l'environnement physique.61»


Fig. 2: Matrice Nous sentons ici, Nous pouvons ici, Nous voyons ici d'Eva James.
Source: "Blinde vlek", 2021 - A.ZINE

Les indicateurs matriciels ('Nous sentons ici', 'Nous pouvons ici', 'Nous voyons ici') d'Eva James accréditent les principes d'agentivité et de cognition incarnée (embodiment) comme critères du female gaze en tant que modes opératoires en architecture. Ceci nous permet de clarifier la notion d'embodiment en architecture : elle prend un sens double où la place du corps, compris comme celui de l'architecte mais aussi comme celui de l'architecture, et de l'esprit qui s'y inscrit (embodied) est située (embedded) et réévaluée dans l\'ensemble des phénomènes cognitifs (perception, action, émotion, sentiment, langage, conceptualisation, mémoire, etc.). Colomina indique d'ailleurs au sujet de Loos que « l'architecte sent d'abord l'espace, puis il le visualise.62 » L'analyse ci-après de la conception architecturale de Simone Guillissen-Hoa est, elle aussi, située - en un temps et en un lieu donné, et conditionnée - symboliquement et culturellement.

2.3. Limites sémantiques

Si les travaux d'Iris Brey participent positivement à la diffusion et à l'infusion du concept de female gaze dans les milieux académiques et militants francophones en permettant une approche globale du terme, ceci expliquant peut-être l'emploi du terme anglophone female gaze dans la terminologie architecturale récente à travers différents travaux et publications63, et s'inscrivant dans un état de l'art enrichi de ces nouvelles théories liées initialement au champ cinématographique, toutefois, les quelques rares et récents articles de la presse généraliste64 et spécialisée65 empruntent le concept de female gaze afin de qualifier toute forme de production architecturale et spatiale par des architectes femmes, participant, dans un même mouvement, à une acception plus généraliste et floue du terme ainsi qu'à la confusion autour de l'application de ces théories au champ de l'architecture. Si cette prise de liberté dans le champ langagier favorise la profusion de nouveaux narratifs et récits dans le champ architectural, elle nous amène ici à poser les limites sémantiques dans lesquelles cet article s'inscrit. A l'instar d'Iris Brey qui distingue les œuvres cinématographiques mobilisant le female gaze des « films de femmes » (woman's film ou women's cinema)66, créés par des réalisatrices femmes (comme genre et comme catégorie), nous distinguons les œuvres architecturales mobilisant le female gaze, sujet de notre étude, des architectures de femmes, créées par des architectes femmes (comme genre et comme catégorie67).

3. Le female gaze en architecture : étude de cas de la maison Watelet (1955-1956, Bruxelles)

Ces principes méthodologiques, critériologiques et sémantiques nous autorisent à analyser par le prisme du female gaze la production architecturale de Simone Guillissen-Hoa par l'étude de cas de la maison Watelet.

C'est lors de la visite guidée publique de la maison Watelet (1955-56, Bruxelles, Belgique) (fig. 3) à l'occasion de la Brussels Biennale of Modern Architecture68 en octobre 2021 que j'ai ressenti pour la première fois une composition spatiale inférant potentiellement le female gaze dans l'œuvre de Simone Guillissen-Hoa. Il s'agissait d'une expérience incarnée « où le corps joue un rôle fondamental » et « où l'expérience vécue entre les spectateur·trice·s et le film » -ici entre les usager·ères et la maison- « est au cœur d'un échange69».

Identifions, dans un premier temps, les éléments distinctifs de la maison Watelet. Après avoir réalisé 25 projets très divers dont 8 maisons unifamiliales en son nom propre, Simone Guillissen-Hoa démarre le projet de la maison Watelet en 1955. C'est grâce à l'artiste belge Josine Souweine (1899-1983), pour qui Guillissen-Hoa a réalisé un atelier de sculpture à Uccle en 1952, que le couple Watelet entre en contact avec l'architecte. Les Watelet souhaitent construire une maison mitoyenne de style moderniste sur un terrain situé à Woluwe-Saint-Lambert, commune bruxelloise aisée en pleine urbanisation depuis le début du siècle. C'est une commande au programme d'apparence classique pour un couple bourgeois hétérosexuel marié s'installant avec leurs deux enfants dans la banlieue chic et encore relativement rurale de Bruxelles.


Fig. 3: Façade de la Maison Watelet à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), 2020.
Source: monument.heritage.brussels

La maison se développe sur quatre niveaux (fig. 4) : le rez-de-chaussée (RDC) qui concentre les espaces traditionnellement servants (garage, hall, vestiaire, toilette, buanderie, lingerie/chambre d'appoint) ainsi que la volière et la cour extérieure basse menant au jardin au niveau supérieur intermédiaire ; le premier étage (R+1) avec les espaces de jour (cuisine, salle à manger, salon) s'ouvrant sur une large terrasse menant au jardin en contrebas ; le deuxième étage (R+2) avec les espaces de nuits (deux chambres d'enfants, chambre parentale, salle de douche pour les enfants, salle de bain parentale) ; et enfin, le troisième étage (R+3) avec une généreuse salle de jeux et un grand solarium. Utilisant la différence de niveau du terrain, chaque étage est connecté à un espace extérieur par un jeu de terrasses.

Figurant à l'inventaire régional du patrimoine architectural bruxellois70, la maison Watelet a fait l'objet de plusieurs publications après sa finalisation en 1956 : dans la revue bruxelloise Architecture71 et dans la revue trimestrielle Rythme72. Les publications et les documents préparatoires aux articles73 issus des archives mentionnent différents éléments distinctifs du projet qui permettent à ce dernier, d'une part, d'être publié et, d'autre part, de se différencier sensiblement de l'organisation spatiale traditionnelle des maisons unifamiliales classiques.


Fig. 4: Plans des quatre niveaux de la maison Watelet - Source: Architecture n°29, 1959.

Dès le rez-de-chaussée, plusieurs éléments programmatiques sont soulignés par la presse spécialisée : la chambre d'appoint qui peut servir de lingerie ou de « chambre de bonne », la volière avec des plantes ornementales dans le hall qui « répond à la satisfaction d'un hobby du propriétaire »74 ou encore le détail de la niche au rez-de-chaussée reliée au vide-poubelle sous la table fixe de la cuisine au R+1. A ces éléments s'ajoutent la connexion de la buanderie avec la cour basse qui rend ce local technique lumineux et agréable ainsi que l'espace du vestiaire qui permet de dégager complètement le hall. L'escalier qui mène au R+1 n'est pas cloisonné et rattache visuellement les deux niveaux entre eux. Enfin, le garage n'est pas directement connecté à l'intérieur de la maison. Il fonctionne comme un espace indépendant. Ensuite, au R+1, la revue Architecture fait mention du coin déjeuner dans la cuisine et de l'escalier non-cloisonné qui mène à l'étage supérieur en partant du living pour gagner en volume - relevé, à l'inverse, du côté de Rythme, comme une « petite maladresse dans la composition75 ». D'autres éléments distinctifs nous semblent importants à noter au R+1 : d'étroits balcons le long des grandes baies vitrées ont été prévus pour pouvoir nettoyer ces dernières ; la large baie vitrée du living s'ouvre sur toute la largeur de la façade sur le jardin en terrasses ; la cuisine, bien que cloisonnée, est également reliée visuellement à la salle à manger et au living ; un grand soin a été apporté au mobilier, aux détails, à l'aménagement du feu ouvert et au mur vitré habité côté jardin avec ses banquettes tout du long recouvrant les cache-radiateurs. Au R+2, nous relevons que les salles d'eau sont dédoublées et communiquent entre elles : côté rue, la salle de bain est reliée à la chambre parentale et, côté jardin, la salle de douche des enfants donne sur le couloir. Le mobilier des chambres est judicieusement encastré, les sols sont en linos de tons vifs. Enfin, au R+3, la salle de jeux et le solarium retiennent l'attention de la critique qui en fait spécifiquement mention. Les façades sont en briques blanches et noires. Les ferronneries des balcons au vocabulaire formel en V et en zigzag ainsi que la colonne du rez-de-chaussée de couleur bleue (fig. 5), éléments que l'on retrouve dans une autre réalisation de Guillissen-Hoa, la maison Durieu (Molenbeek-Saint-Jean, 1954 - en collaboration avec Jacques Dupuis) (fig. 6), rythment la composition de la façade avant. Signalons que les proportions des châssis ont été altérées à la suite du remplacement de ces derniers, modifiant l'équilibre esthétique général de la façade.


Fig. 5: Détails de façade de la maison Watelet à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), 2020. Architecte: Simone Guillissen-Hoa, 1955-56. Source: Brussels Biennale of Modern Architecture

Fig. 6: Détails de façade de la maison Durieu à Molenbeek-Saint-Jean (Bruxelles), 2009. Architectes: Simone Guillissen-Hoa & Jacques Dupuis, 1954-55. Source: Modernisme ludique en Belgique, Atomium

Après avoir identifié les différents éléments distinctifs de la maison Watelet, procédons à l'analyse de cette dernière dans une approche phénoménologique et féministe76 pour repérer les modes opératoires du female gaze tels que déterminés dans le tableau ci-avant (voir le point : Female gaze comme spécificité qui renvoie à l'expérience du corps féminin) et adoptés dans la pratique conceptuelle de Simone Guillissen-Hoa, entre autres : considérer sans distinction les différentes fonctions, faire place à l'altérité, effacer les frontières, solliciter l'activation des sens, favoriser la circulation et les échanges de regards, déstabiliser l'ordre établi, etc.

Rappelons ici que, pour des raisons chronologiques, si certaines architectes revendiquent actuellement le female gaze dans leur pratique77 et adoptent cette méthodologie volontairement dans une « démarche consciente, d'un désir de produire un autre regard78», le regard féminin de l'architecte Simone Guillissen-Hoa ne peut toutefois être identifié qu'a posteriori. A défaut de pouvoir le nommer, l'architecte peut toutefois le pratiquer. Répondant à la première condition de production du female gaze, comme nous l'avons vu plus haut, l'architecte a pleine conscience de vivre dans un monde inégalitaire. Les deuxième et troisième conditions - désirer produire un autre regard ; produire un autre regard - s'imbriquent dans le geste architectural et nous le vérifierons à travers l'analyse ci-après : quels gestes architecturaux dans la pratique conceptuelle de Simone Guillissen-Hoa et dans les discours accompagnant sa pratique mettent en lumière son désir de produire un autre regard et sa capacité à rendre ce désir effectif ?

3.1. Egalité

La révolution domestique des modernes doit énormément au plan ouvert et au mur-rideau. Ces innovations permettent, pour la première fois, la suppression progressive des frontières entre les différentes fonctions domestiques, entre intérieur et extérieur, qui, comme nous le verrons, participe également au décloisonnement des regards et des vues. Dans une interview menée par Pierre Louis Flouquet (1900-1967), peintre abstrait, poète et rédacteur en chef de la revue La Maison, Simone Guillissen-Hoa à la question « Quelles sont les principales caractéristiques d'une habitation réellement moderne ? »* répond : « Le principe révolutionnaire consiste dans l'éclatement du plan et de la structure traditionnelle. Le plan ouvert, supprimant de nombreuses cloisons intérieures, faisant communiquer largement des pièces autrefois séparées, répond à un besoin d'espace, de circulation simplifiée, d'ensoleillement et d'aération. »79

Ce mur-rideau qui trouble les frontières entre intérieur et extérieur, entre espace public et espace domestique matérialise également une autre absence de hiérarchie, liée aux corps de métiers de la conception de l'habitat cette fois : « En brisant la séparation stricte entre le dedans et le dehors avec le développement du mur-rideau, ils ont détruit les frontières entre architecture et décoration intérieure.80» Dès lors, « l'architecture sera appréhendée comme un continuum de pratiques diverses81». En dessinant mobilier intégré, détails intérieurs, Simone Guillissen-Hoa, à l'instar d'autres de ses contemporain·es, déstabilise le système de hiérarchie associé à un principe clair de division sexuée entre décorateur·rices-ensemblier·ères et architectes82.

Outre cette volonté de créer des connexions entre corps de métiers, fonctions, usages et usager·ères, Simone Guillissen-Hoa recherche également le lien entre intérieur et extérieur. Si les modernistes utopiques et radicaux se mettent à distance du rez-de-chaussée et de la rue avec les maisons sur pilotis83, a contrario, et à l'instar de Loos qui « (...) décompose la condition de la maison en tant qu'objet en convoluant radicalement la relation entre l'intérieur et l'extérieur84», Simone Guillissen-Hoa ancre son architecture dans le sol par les jeux de terrasses reliées à chaque niveau de la maison et par l'intrication de la rue et du volume habité. Dès l'entrée, Simone Guillissen-Hoa instille une porosité accentuée par un revêtement de sol en pierres naturelles continu entre la rue et le hall, estompant la frontière entre intérieur et extérieur. Au-delà du choix architectural, des contraintes de site, du programme ou du budget du couple Watelet, cette conception horizontale et connectée au paysage jalonne sa pratique dans de nombreuses réalisations : le Centre sportif de Jambes (Jambes, 1947) ou encore la Maison de la Culture de Tournai (Tournai,1971-1980). A ce titre, la volière, requise par le maître d'ouvrage et placée au cœur du projet par l'architecte dans un geste conscient, nourrit et accentue le lien de la maison avec l'extérieur, le sentiment d'être dans un même temps et dans un même lieu à la fois dedans et dehors, accentué par le recours au mur-rideau. Dès le seuil de la maison, l'espace rompt la symétrie classique en s'ouvrant sur une chicane et une perspective ouverte vers la volière (fig. 7), dans une logique de compression/dilatation, qui invite les usager·ères à prendre conscience de l'espace qui les entoure. L'architecte exacerbe ce geste en plaçant un fauteuil dans le hall. Elle attribue ainsi au hall une nouvelle fonction d'habitation qui n'est plus seulement un lieu de passage : l'espace devient servant et servi simultanément, à l'inverse du hall traditionnel. Ainsi, le décadrage est double : décadrage fonctionnel (espace servant et servi) et décadrage physique (chicane).

Cette absence symbolique des hiérarchies et des frontières se poursuit par l'effacement de la dichotomie entre nature et culture. En effet, le hall de la maison Watelet se distingue du corridor traditionnel avec de « nouvelles opportunités pour la manipulation du spectacle85 ». Chez de nombreux modernistes radicaux la vie domestique fait l'objet d'une spectacularisation entendue dans le male gaze comme une théâtralisation scopique86. Pour la maison Watelet, dans cette logique de manipulation du spectacle, avec la volière souhaitée par le maître d'ouvrage, ce sont les oiseaux qui sont spectacularisés par l'architecte qui est probablement à l'initiative de cette mise en scène dès l'entrée et centrale dans le projet (fig. 8). Les oiseaux sont l'objet de désir du regard et la volière est conçue comme un lieu où se poser, comme un poste d'observation. Simone Guillissen-Hoa fait ainsi dialoguer oiseaux (nature) et architecture (culture). La mise en scène se poursuit au-delà de la volière : cette dernière connecte visuellement, dans un même continuum spatio-visuel, la maison (culture) au paysage (nature). Si chez Le Corbusier la maison est « Détachée de la nature, elle est mobile »87, le lien avec le paysage est très marqué dans la pratique de Simone Guillissen-Hoa (à l'instar d'autres modernes) : « Le plan ouvert suppose une coque ouverte, donc l'élargissement des fenêtres, la rupture de la symétrie classique, la transformation de l'ameublement et la décoration également très allégée. Les grands vitrages font rentrer le jardin dans la maison tandis que les terrasses prolongent dans le jardin le living et même les chambres. L'orientation a plus d'importance que jadis ... Le teint de lys de nos aïeuls a fait place au teint hâlé de nos filles.88» Elle poursuit : « En réalité, il importe de se pénétrer du caractère essentiel du paysage. Même si l'on ne tient pas compte des obligations climatiques, on ne peut construire de la même façon dans un site tropical ou dans les Ardennes. Il y a dans chaque paysage une poésie particulière et l'architecte sensible cherchera à s'y accorder.89» Ce lien à la nature, à l'extérieur, au paysage et cet effacement des frontières ne sont pas neutres du point de vue du genre. En effet, chez des modernistes comme Le Corbusier par exemple, Luis E. Carranza constate que « Le Corbusier suit et répète des conventions ou des normes architecturales qui tendent à contrôler l\'image des femmes et de la nature en privilégiant la position des hommes/architecture sur les femmes/nature.90 » A l'inverse, chez Simone Guillissen-Hoa, nous observons une hybridation des rapports humains et non humains et plus largement des liens entre nature et culture : l'architecte ne fonctionne pas par opposition binaire mais par enchevêtrements, par porosité.


Fig. 7: Déhanché de la circulation au rez-de chaussée de la Maison Watelet à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), 2020.
Source: Brussels Biennale of Modern Architecture

Fig. 8: Volière vide dans le hall de la Maison Watelet à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), 2020.
Source: Brussels Biennale of Modern Architecture

Intérieur/extérieur, nature/culture, espace servant/espace servi : l'égalité implique de supprimer les hiérarchies et de sortir des oppositions binaires. Dans le contexte social des années 1950 qui privilégie encore la trinité de la femme/mère/ménagère au foyer, la maison est à la fois lieu de production et de reproduction du schéma familial nucléaire traditionnel où l'économie du foyer est encore majoritairement à charge des femmes : « La maison a servi de modèle d'intimité et de continuité à une époque obsédée par le rationalisme et la nouveauté91». A cet égard, la maison Watelet présente plusieurs singularités. Premièrement, la chambre d'appoint/lingerie se différencie du modèle bourgeois de la « chambre de bonne » reléguée dans les combles. C'est un véritable espace qualitatif localisé au rez-de-chaussée et dédié au care, à la sollicitude et à la maintenance : il constitue un espace hybride qui peut recevoir des ami·es, des parent·es, ou servir à étendre, repasser du linge. Ensuite, sur ce même principe, Simone Guillissen-Hoa conçoit la buanderie, espace historiquement relégué aux sous-sols, comme un espace pratique, généreux, véritable pivot bénéficiant de lumière naturelle et connecté tout à la fois au hall, à la volière et au jardin. Elle procède de la sorte pour la buanderie de la maison Tenzer (Uccle, 1955). Stratégiquement, l'architecte déstabilise le statut spatial et social de ces espaces fonctionnels et domestiques en les revalorisant par l'attribution de qualités et fonctions neuves et multiples. Troisièmement, Simone Guillissen-Hoa met en place différents dispositifs techniques pour faciliter les tâches ménagères : étroits balcons techniques le long des baies vitrées pour faciliter leur nettoyage, vide-poubelle sous la table fixe de la cuisine vers une niche spéciale située au rez-de-chaussée ou encore cuisine équipée. Enfin, le coin déjeuner de la cuisine, fonction soulignée par Simone Guillissen-Hoa dans sa note de synthèse à l'attention de la presse spécialisée92, marque la volonté de l'architecte d'investir la cuisine comme lieu servant et servi, ce qui est déjà une révolution en soi, révolution amorcée, entre autres, dès 1842 par la théoricienne domestique proto-féministe Catharine Beecher93 et ensuite par Charlotte Perriand94. En effet, Simone Guillissen-Hoa considère la cuisine (ainsi que les salles de bains) dans une perspective d'émancipation : « Les pièces principales de la demeure ne sont plus le salon et la salle à manger mais la cuisine et la salle de bains. Les meubles incorporés constituent la partie principale de leur équipement. Leur organisation technique est souvent parfaite. C'est d'autant plus utile que souvent la femme a un emploi en ville. Le mari et les enfants participent de plus en plus fréquemment aux travaux ménagers.95» L'objectif est donc de participer à une société en mutation en termes d'égalité des genres.

La conception architecturale de ces espaces et fonctions est innovante et répond, dans un même temps, aux besoins pratiques liés à l'économie domestique, au soin et à la maintenance assurés majoritairement par les femmes, ainsi qu'aux intérêts stratégiques. Les solutions pratiques font écho à la vie quotidienne sans pour autant en interroger les mécanismes de fond à l'œuvre. Elles ne modifient donc pas de facto les situations d'inégalité et ne proposent pas forcément de progrès en matière de statut social et d'égalité. L'intérêt stratégique, quant à lui, pose la question des rôles genrés. Par exemple, repenser l'aménagement de la buanderie répond pratiquement, matériellement et dans un court terme, à un besoin des femmes encore majoritairement assignées à l'entretien du linge, mais stratégiquement, en amont, ces réflexions architecturales peuvent interroger la dévalorisation, l'instrumentalisation et la naturalisation du genre et viser sur le long terme l'égalité dans le partage des tâches liées au care. L'association Angela D. - Le Logement par et pour les femmes rappelle que cet enjeu est au cœur d'une conscience collective féministe en architecture : « C'est dans ce sens que nous parlons d'habitat féministe et pas seulement de logement destiné aux femmes, car nous visons la transformation des manières d'habiter.96 »

Cette volonté égalitaire de et par la conception architecturale se conçoit aussi chez Simone Guillissen-Hoa comme une absence de hiérarchie entre habitant·es, parents et enfants. Les chambres des parents et des deux enfants n'ont pas de statuts différenciés : superficies similaires, localisation au même étage, qualités spatiales comparables. Les chambres des enfants sont généreuses et ont une existence à part entière. A l'inverse, par exemple, des chambres très rudimentaires, sans expression esthétique, sortes de cellules destinées exclusivement au sommeil, héritage d'une éducation jésuite, dessinées par son précédent collaborateur Jacques Dupuis (1914-1984), les chambres des enfants chez Guillissen-Hoa ne sont pas reléguées. Chaque chambre conserve également son intimité propre. De plus, les salles d'eau sont dédoublées : salle de douche pour les enfants, salle de bain pour les parents. Même s'il y a distinction, elle n'existe que pour garantir intimité et non rapport de hiérarchie. Enfin, la salle de jeux pour les enfants bénéficie d'un étage à part entière. Une place importante est accordée à la pédagogie par le jeu. À la suite du départ des enfants, cet espace sera transformé en une volière supplémentaire.

3.2. Agentivité / subjectivité

Dans le contexte architectural belge des années 1950, on pourrait également formuler le postulat suivant : en s'adressant à une architecte femme moderniste, les commanditaires désirent s'affranchir de certains codes de la domesticité (modernité ; architecte moderniste) et/ou solliciter une architecte femme pour ses savoirs et pratiques spécifiques (genre ; architecte femme).

Comme nous l'avons vu, considérer les femmes comme spécialistes de l'habitat ne renverse pas, foncièrement, le système de hiérarchies. Toutefois, solliciter cette expertise peut induire sa reconnaissance comme une méthodologie à part entière, une pratique conceptuelle digne et valide, et ainsi contribuer à sa valorisation et au rééquilibrage du système. Nos observations quant aux fonctions liées au care le confirment : la conception des espaces, via une expertise domestique, permet de réévaluer la place des femmes dans la maison. Concrètement, elles ne sont littéralement plus reléguées dans des caves enterrées ou confinées dans des cuisines fermées. Peut-on attribuer à Simone Guillissen-Hoa - dans cette idée d'agentivité (et non de passivité face aux assignations diverses et variées) - la volonté et la capacité de saisir dans le fonctionnalisme domestique un pouvoir d'émancipation en correspondance avec son désir de modernité ?

D'autre part, un élément important de la méthodologie de travail de l'architecte pourrait consister en l'écoute et la prise en compte des désirs et besoins de chacun·e. Dans un article sur la première réalisation de l'architecte, la villa Faniel, Pierre Louis-Flouquet souligne qu'« Une collaboration intime et constante avec les propriétaires permit à l'architecte de connaître parfaitement leurs goûts et leurs désirs, et de les exprimer avec clarté.97» C'est le cas particulièrement pour les Watelet : l'architecte concrétise le désir du maître d'ouvrage en construisant une volière et en lui accordant une place centrale et à l'intérieur de la maison.

3.3. Expérience haptique

Loin de la machine à habiter et d'une vision clinique de l'architecture, la maison Watelet invite à une expérience haptique complète et ce dès l'entrée. Dépassant « Le clivage entre la vue et les autres sens physiques que l'on retrouve dans les intérieurs de Loos98» et bien au-delà du regard, tous nos sens sont sollicités : expérience tactile par le choix des matériaux (ressentir la chaleur qui traverse le corps : s'asseoir sur les banquettes en bois qui couvrent les radiateurs, se rapprocher de la cheminée en briques, caresser les oiseaux, s'étendre dans le solarium) et par l'invitation au mouvement (se déhancher ou se poser : chicane de la circulation du hall, chicane du living autour du feu ouvert) , expérience auditive (entendre et être entendu·e à travers la maison : chants des oiseaux, feu qui crépite, habitant.es), expérience visuelle (voir et être vu·e : bois sur tout un pan de mur du living, feu ouvert, sols colorés, oiseaux en mouvement, perspectives ouvertes, absence de cage d'escalier), expérience olfactive (sentir ou deviner les odeurs et parfums : cuisine, feu ouvert, oiseaux et plantes ornementales dans la volière, linge propre dès l'entrée). La recherche et le développement de qualités sensorielles suscitent le plaisir et induisent une sensation de bien-être, d'homeliness, qui est prégnante et globale (quoique conditionnée culturellement).

3.4. Liens / regards

Simone Guillissen-Hoa active les connexions visuelles et physiques (voir/être vu·e, entendre/être entendu·e, etc.) dans la maison Watelet, entre les usages et les usager·ères, de différentes façons. Comme nous l'avons vu, grâce aux innovations permises par le plan libre et le mur-rideau, l'architecte ne cloisonne pas les escaliers et connecte visuellement les fonctions et espaces entre eux aux RDC et R+1. Au R+1, le plan est presque totalement ouvert, à défaut de la cuisine. Toutefois, bien que la cuisine soit fermée, elle communique visuellement avec le séjour par des baies striées (vu et caché simultanément). Le feu ouvert (fig. 9), élément de composition central dans l\'œuvre de Simone Guillissen-Hoa, est ici mis en exergue par une colonne, fonctionnant comme une chicane en plan et dont la position centrale déroule et articule l'ensemble des fonctions et des circulations tout autour. Le plan original prévoyait une ouverture entre la cheminée et le mur, autre détail singulier dans cet aménagement intérieur. En outre, la fluidité de la circulation de la maison Watelet offre des connexions entre les étages. Le plan se déhanche de façon organique tout en maintenant l'intimité des espaces et leur définition spatiale. La promenade architecturale mise en place par l'architecte ne morcelle ni la démarche ni le corps99. Même si l'éclatement spatial se limite au plan et, qu'en coupe, une forme de cloisonnement vertical entre les étages subsiste (plus particulièrement entre le R+2 et le R+3), elle articule avec clarté et continuité les espaces intérieurs/intérieurs, intérieurs/extérieurs. La lecture est limpide et ne génère pas une expérience spatiale anxiogène. Bien que l'espace soit ouvert, Simone Guillissen-Hoa n'autorise cependant pas le contrôle par le regard ou le désir scopique où la femme moderne est « Enfermée dans un espace dont les limites sont définies par un regard100» : elle installe un juste équilibre entre sa volonté d'ouverture du plan et le maintien de l'intimité.


Fig. 9: Salon et salle à manger de la Maison Watelet à Woluwe-Saint-Lambert (Bruxelles), 2020.\
Source: Brussels Biennale of Modern Architecture

Comme nous l'avons vu, Simone Guillissen-Hoa sollicite l'activation des sens et cherche à répondre aux besoins et aux désirs des habitant·es. Ces méthodes opératoires créent in fine du lien entre usager·ères et espaces — pratiques de hobbys, tâches ménagères revalorisées, identification au lieu, etc. — favorisant la sensation du « chez soi », générée tant par les qualités sensorielles que fonctionnelles du lieu. A ce titre, la revue Rythme souligne : « Le plan révèle une étude minutieuse du détail et le respect de la personnalité et de la vie de l'habitant : la volière au rez-de-chaussée, la salle de jeux et le solarium du dernier étage sont des compléments heureux et agréables.101» Ce souci du détail, ce respect de la personnalité et de la vie des habitant·e·s dont témoigne ici l'architecte Simone Guillissen-Hoa sont des qualités inhérentes au homeliness, désignant des qualités plaisantes (« heureux et agréable »), quoique simples, ordinaires, du quotidien qui font se sentir à la maison, « chez soi », à l'inverse de certains modernistes radicaux dont le langage architectural s'inscrit dans le « hors du commun », dans une recherche purement plastique et déconnectée des pratiques. A ce titre, l'architecte et designer irlandaise Eileen Gray (1878-1976) critique la posture adoptée par certains de ses contemporains, en ce compris Le Corbusier102 : « L'architecture extérieure semble avoir absorbé les architectes d\'avant-garde au détriment de l'intérieur (...) comme si une maison devait être conçue pour le plaisir de l'œil plus que pour le bien-être de ses habitants.103» Qui plus est, comme le pointe Colomina, « Contrairement à l'occupant des maisons de Loos, à la fois acteur et spectateur, (...), le sujet de Le Corbusier est détaché de la maison avec la distance d'un visiteur, d'un spectateur, d'un photographe, d'un touriste. (...) Jamais on n'y (dans les photographies diffusées par Le Corbusier) trouve trace de domesticité, au sens traditionnel du terme.104»

Les connexions visuelles et la sensation de bien-être peuvent créer et maintenir du lien entre usager·ères ainsi qu'entre espaces et usager·ères. In extenso, elles impulsent l'altérité et facilitent la maintenance. Inversement, la maintenance et le soin apportés renforcent ces mêmes liens. Cette relation interdépendante entre maintenance et liens se matérialise également à travers l'appropriation habitante. En effet, par celle-ci, les usager·ères peuvent également appliquer les méthodes opératoires d'activation des sens et de réponses à leurs besoins et désirs favorisant leur bien-être. Ainsi, dans cette logique, les habitant·es ont transformé le solarium en une deuxième volière et la lingerie est aujourd'hui devenue le bureau - véritable « chambre à soi » - de l'architecte qui a fait l'acquisition de la maison avec son compagnon en 2020 et qui en a assuré la rénovation dans le respect du lieu, sensible, elle aussi, potentiellement à cette expérience de l'espace. L'appropriation habitante permet ainsi la réactualisation des usages et le maintien du lieu et du lien au lieu.

3.5. Poésie

« Comme le genre, l'architecture est construite en termes de culture et le fait qu'elle soit également construite en pierre, en brique et en bois plutôt qu\'en mots ou en touches de peinture ne doit pas nous faire oublier son pouvoir de manipuler les éléments insaisissables de la poésie et de la fantaisie*105» nous rappelle Friedman. C'est aussi là que résident toute la richesse et l'amplitude du pouvoir d'agir de l'architecte. La maison Watelet montre formellement que Simone Guillissen-Hoa maîtrise ce « pouvoir de manipulation » d'un langage fantaisiste et poétique. Dès l'entrée, la vision de la volière promet d'autres territoires. Témoignant de l'époque optimiste dans laquelle cette architecture moderniste colorée voit le jour, les éléments de vocabulaire en façade — colonne et ferronnerie en V bleues — sont également empreints d'un imaginaire nouveau, s'affranchissent et se jouent des codes de composition classique. On les retrouve déclinés dans d'autres projets de Simone Guillissen-Hoa : la maison Steenhout (Uccle, 1953 — en collaboration avec Jacques Dupuis) ainsi que la maison Durieu (Molenbeek-Saint-Jean, 1954 — en collaboration avec Jacques Dupuis). A l'intérieur de la maison Watelet, les tonalités des sols en lino sont vives. Les couleurs primaires présentes « ponctuent l'architecture de touches joyeuses106». De plus, le mobilier d'inspiration scandinave en bois précieux, le granito, les tissus d'intérieurs ou encore le feu ouvert participent à la poésie intérieure du lieu et témoignent de la recherche d'une forme d'authenticité, d'une composition organique jusqu'au choix des matériaux. Simone Guillissen-Hoa explicite dans une interview sur le thème de la maison d'aujourd'hui : « Il est normal et souhaitable de revenir aux matériaux naturels à l'extérieur comme à l'intérieur. L'usage de la pierre, du bois, du cuir, du lin, des tissus naturels et d'autres, réagissent contre l'artificiel de la vie urbaine.107» Pour rappel, le recours à la nature et sa poésie fonctionne comme un refuge en expansion. La poésie de l'architecture de Simone Guillissen-Hoa déborde les murs et s'articule dans un dialogue constant et mouvant avec le monde qui l'entoure et qu'elle intègre : « Il y a dans chaque paysage une poésie particulière et l'architecte sensible cherchera à s'y accorder.108»

Au décès de Simone Guillissen-Hoa, l'architecte et critique belge Pierre Puttemans (1933-2013) couche ces lignes en hommage à son œuvre: « (...) la disparition de Simone Guillissen-Hoa rappelle une des étapes fondamentales de l'architecture belge : l'émergence d'une conception organique de la composition, liée à une inspiration formelle qui, malgré des origines scandinaves, était fortement attachée au terroir ; terroir imaginé, fantasmé plus qu'imité et comme mis à distance : rien à voir, donc, avec l'interprétation académique de la sacro-sainte tradition, ni avec ce qui émergerait bientôt sous l'appellation de régionalisme critique.109»

Conclusion

Par ses origines, appartenances et convictions, Simone Guillissen-Hoa se situe au croisement d'identités, de parcours et de luttes plurielles, dans un environnement profondément inégalitaire dominé par le patriarcat, le racisme et l'antisémitisme. Dans le rejet ou dans l'admission des cadres normatifs, à pertes ou à profits, l'écheveau qui compose la vie de l'architecte fait système dans son rapport au monde, in extenso à l'architecture et plus encore à son architecture, dès lors compris comme une manière singulière d'être au monde, comme le trait d'un vécu, d'une pratique, d'un regard autres. La pratique de Simone Guillissen-Hoa s'inscrivant dans une démarche politique correspondant à un « projet délibéré de se forger une conscience collective fondée sur l\'expérience féminine (qui) pourrait effectivement être identifié comme féministe »110, mobiliser le concept de female gaze en architecture permet d'étayer l'hypothèse de ce regard autre.

Dès les années 1990, Beatriz Colomina et Alice T. Friedman identifient les dispositifs spatiaux empreints de male ou de female gaze comme modes opératoires en architecture. Leurs analyses inventorient les composantes architecturales qui relèvent du contrôle et/ou de l'émancipation par le regard et du regard et convoquent le principe d'agentivité. Cependant, leurs approches théoriques considèrent un unique aspect sensoriel, soit le regard stricto sensu. Depuis et récemment, le concept du female gaze comme « spécificité qui renvoie à l'expérience du corps féminin »111 tel que théorisé par Brey se comprend en tant qu'expérience haptique complète envisagée comme « un acte incarné, sensoriel et tactile »112. L'approche phénoménologique qui admet les corps comme étant conditionnés nous conduit à la théorie de l'embodiment ou cognition incarnée en architecture, laquelle prend un double sens où le corps, tant celui de l'architecte que celui de l'architecture, et l'esprit qui s'y inscrit (embodied) sont réévalués car situés (embedded) dans la sphère complexe des processus cognitifs (perception, émotion, mémoire, représentation, raisonnement, langage, action, etc.). Dès lors, ces savoirs situés permettent de penser une nouvelle dimension de l'objectivité féministe.

Brey soumet la production de female gaze dans une œuvre cinématographique à trois conditions préalables : avoir conscience de vivre dans un monde sexiste ; désirer, dans une démarche consciente et politisée, produire un autre regard ; produire un autre regard113. Au-delà de ces prérequis impératifs, nous avons converti les critères de production, modes opératoires et indicateurs techniques du female gaze théorisés par Brey en dispositifs architecturaux empreints de female gaze. Cette transposition se révèle effective et opérationnelle et, de plus, elle concorde avec d'autres formulations sémantiques telles que l'architecture et la planification urbaine séxospécifiques ou sensibles au genre (gender sensitive), inclusives (gender inclusive) ou encore féministes, toutes légitimant l'agentivité et la cognition incarnée comme éléments constitutifs du female gaze.

Notre approche phénoménologique et féministe dans l'analyse de la maison Watelet indique formellement que la pratique conceptuelle de Simone Guillissen-Hoa répond aux critères de production du female gaze et que l'architecte en applique les modes opératoires pour produire un regard autre. L'architecte recherche l'égalité, encourage l'agentivité, favorise l'expérience haptique, crée les liens et connecte les regards, déploie la poésie. Ainsi, à partir de sa conscience de vivre dans un monde inégalitaire, Simone Guillissen-Hoa désire produire un autre regard et le matérialise dans la brique, « (...) où tout se succède, s'enchaîne et se combine avec ce naturel qui est la marque d'une profonde maturité et d'une grande imagination, car rien de ce qu'elle construisit n'était conventionnel, tout était réinventé et placé dans l'espace comme se place un arbre dans un jardin. »114

Bibliographie

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  1. Pendant ses études, Simone Hoa rencontre l'ingénieur belge Jean Guillissen, membre des Étudiants marxistes puis des Étudiants socialistes unifiés, et l'épouse en 1937. Elle porte désormais le nom Guillissen-Hoa. Quelques mois avant la guerre, le couple se sépare. Jean Guillissen et Simone Guillissen-Hoa s'engagent chacun dans la résistance. Jean Guillissen est arrêté par les Nazis le 15 avril 1942, condamné à mort le 30 avril par le tribunal militaire de Gand et fusillé le 9 mai 1942. Simone Guillissen-Hoa, désormais veuve, continuera de porter son nom. 

  2. Guillissen-Hoa Simone, « Lettre de Simone Guillissen-Hoa à Alfred Roth (131-K-23-G-9) », 17 mai 1945, gta Archives / gta Zurich, Fonds Alfred Roth.](https://www.zotero.org/google-docs/?exFTYT

  3. Amanti Lund Irene et Cohen Maurizio, Lucien-Jacques Baucher, Jean-Pierre Blondel, Odette Filippone: 3 architectes modernistes, Bruxelles, Faculté d'Architecture La Cambre-Horta de l'Université Libre de Bruxelles, 2011, p.64. 

  4. Pourtois Christophe, « Simone Guillissen-Hoa à la croisée des chemins/Formations et influences » ? Mémoire de Master, Lille, Université Lille III, 2007. 

  5. Puttemans Pierre, « In memoriam: Simone Hoa et l'architecture », A+, no 141, 1996, p.14. 

  6. Levine Melammed Renee, « A Feminist Bestseller in China », The Jerusalem Post, avril 2011, https://www.jpost.com/magazine/judaism/a-feminist-bestseller-in-china (consulté le 18 juin 2023). 

  7. Guillissen-Hoa Simone, « Lettre de Simone Guillissen-Hoa à Alfred Roth (131-K-22-G-3:1-2) », février 1941, gta Archives / gta Zurich, Fonds Alfred Roth. 

  8. Ibid. 

  9. Guillissen-Hoa Simone, « Lettre de Simone Guillissen-Hoa à Alfred Roth (131-K-22-G-21) », juin 1942, gta Archives / gta Zurich, Fonds Alfred Roth. 

  10. Koering Elise, « Décoratrice-ensemblière : une étape vers la profession d'architecte dans les années 20 ? », Livraisons de l'histoire de l'architecture, no 35, 15 juin 2018, p.118, https://doi.org/10.4000/lha.976

  11. Citons, entre autres, l'architecte Le Corbusier : "Tandis que la jeune fille inonde la maison d'objets et ornements inutiles -- seule production dont elle est néanmoins capable --, l'homme, lui, pense et construit l'espace grâce à ses facultés masculines exclusives, qui sont évidemment celles de l'architecte." (Le Corbusier, « L'heure de l'architecture », L'Esprit Nouveau, no 28, 1925.) 

  12. Stratigakos Despina, Where are the women architects?, Princeton, Princeton University Press, in association with Places Journal, 2016, p.13‑14. 

  13. Flouquet Pierre-Louis, « Villa à Uccle-Bruxelles », La Maison, no 4, 1948, p.291‑304 ; « Maison à Woluwe-St-Lambert », Architecture, n^o^ 29, 1959, p.265 ; Société Centrale d'Architecture de Belgique, « Guillissen-Hoa », Rythme, no 28, septembre 1959 , p.13‑15 ; Flouquet, Pierre-Louis, « La Maison d'aujourd'hui, interview de l'architecte Simone Guillissen-Hoa », La Maison, no 6, 1967, p.177‑79. 

  14. Neve Dominique, « Une femme architecte : Simone Guillissen-Hoa », Femmes d'Aujourd'hui, no 704, 1958, p.14‑15 ; Kelenn, Aline, « Architecte ... Au féminin », Femmes d'Aujourd'hui, no 993, 1964, p.36‑38. 

  15. Vincent Paul-Emile (dir.), La Cambre a 60 ans, Bruxelles, ISAE-La Cambre, 1987. 

  16. Guillissen-Hoa Simone, « Les Services communs en rapport avec l'habitation », Bulletin du Conseil National des Femmes Belges, no 16 (1949), p.9‑10. 

  17. Vranken Apolline « Simone Guillissen-Hoa dans les périodiques d'architecture belges : entre female et double gaze », Tijdschrift voor Interieurgeschiedenis en Design, 2023 (à paraître). 

  18. Dadour Stéphanie et Marie van Effenterre, Des voix s'élèvent : féminismes et architecture, Paris, Editions de la Villette, coll. « Théorie & Critique », 2022, p.50. 

  19. Ibid., p.73. 

  20. Nochlin Linda, Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ?, Londres, Thames Hudson Gb., 2021, p.26‑27. 

  21. Colomina Beatriz, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », dans Colomina, Beatriz (dir.), Sexuality & space, New-York, PAPress, 1992, p.73‑130. 

  22. Friedman Alice T., « Architecture, Authority, and the Female Gaze: Planning and Representation in the Early Modern Country House », Assemblage, no 18, 1992, p.41‑61, https://doi.org/10.2307/3171205

  23. Mulvey Laura, « Visual Pleasure and Narrative Cinema », Screen 16, no 3, 1 octobre 1975, p.6‑18, https://doi.org/10.1093/screen/16.3.6

  24. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit

  25. Friedman, Alice T., Women and the making of the modern house: a social and architectural history, New York, Harry N. Abrams, 1998. 

  26. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit

  27. Friedman, Women and the making of the modern house, Op. Cit

  28. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit

  29. Les traductions sont de l'auteure du présent article, Apolline Vranken. 

  30. Wilson Elizabeth, « Sexuality and Space edited by Beatriz Colomina », Harvard Design Magazine, Changing Cities plus the New Urbanism, Gender and Design, no 1, Hiver-Printemps 1997, https://www.harvarddesignmagazine.org/issues/1/sexuality-and-space-edited-by-beatriz-colomina

  31. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit., p.88. 

  32. Agentivité (agency) : « en sciences sociales et en philosophie - faculté d'action d'un être, sa capacité à agir sur le monde, les choses, les êtres, à les transformer ou les influencer » (Gay Amandine, Une poupée en chocolat, Paris, La Découverte, 2021, p.37). 

  33. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit., p.42. 

  34. Ibid. 

  35. Brey Iris, Le regard féminin: une révolution à l'écran, Paris, Éditions de l'Olivier, coll. « Les feux » 2020. 

  36. Ibid., p.45. 

  37. Ibid., p.45. 

  38. Ibid., p.42. 

  39. Ibid., p.176. 

  40. Merleau-Ponty Maurice, Phénoménologie de la perception, » Paris, Gallimard, Coll. « Tel 4, 2006. 

  41. Ribau Claire, et al., « La phénoménologie : une approche scientifique des expériences vécues », Recherche en soins infirmiers, n^o^ 2, 2005, p.21‑27, https://doi.org/10.3917/rsi.081.0021

  42. Brey, Le regard féminin, Op. Cit., p.14. 

  43. Ahmed Sara, « Orientations: Toward a Queer Phenomenology », GLQ: A Journal of Lesbian and Gay Studies 12, n^o^ 4, 1 octobre 2006, p.543‑74, https://doi.org/10.1215/10642684-2006-002

  44. A.N.A.E, « Embodiment : le rôle du corps dans la cognition - Appel à communication », A.N.A.E, 15 mai 2019, http://anae-revue.over-blog.com/2019/02/appel-a-communication-embodiment-le-role-du-corps-dans-la-cognition-15-mai-2019.html [consulté le 18 juin 2023]. 

  45. Brey, Le regard féminin, Op. Cit., p.49. 

  46. Ibid., p.50. 

  47. Ibid., p.13. 

  48. Ibid., p.12. 

  49. Ibid., p.42. 

  50. Ibid, p.42. 

  51. Ibid., p.206. 

  52. Ibid., p.18. 

  53. Ibid., p.58. 

  54. Ibid., p.69. 

  55. Ibid., p.42. 

  56. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit., p.42. 

  57. Nuss Andreas, et al., Manual for Gender Mainstreaming in Urban Planning and Urban Development, Vienne, Urban Developement and planning, 2013. 

  58. Biarrotte Lucile, « Déconstruire le genre des pensées, normes & pratiques de l'urbanisme », Thèse de doctorat, Paris, Université Paris-Est, 2021. ; Yves Raibaud, « Vers des villes plus inclusives », Grands Dossiers Des Sciences Humaines, Où va la France ?, Hors Série, n^o^ n°24 (2019): 44‑45. 

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  62. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit., p.91. 

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  66. Brey, Le regard féminin, Op. Cit., p.71‑72. 

  67. Cette catégorie esthétique est d'ailleurs rejetée par un grand nombre de praticiennes de l'architecture, comme c'est le cas de l'architecte Jane Hall, auteure de Breaking Ground: Architecture by Women (Hall, Jane, Breaking ground: architecture by women, Londres, Phaidon, 2019.) : « Indeed, Hall wholesale rejects the idea of "women as an aesthetic category » (Zeiger Mimi, « Breaking Ground Book on Buildings by Women "Is Both Needed and Problematic" », Dezeen, 3 mars 2020, https://www.dezeen.com/2020/03/03/breaking-ground-architecture-by-women-opinion-mimi-zeiger/ (consulté le 18 juin 2023).). 

  68. BBMA, « Watelet home (1956) », BBMA, 2021, https://bbma.be/event/watelet-home-1956/ (consulté le 18 juin 2023). 

  69. Brey, Le regard féminin, Op. Cit., p.14. 

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  71. « Maison à Woluwe-St-Lambert », Op. Cit

  72. Société Centrale d'Architecture de Belgique, « Guillissen-Hoa », Op. Cit

  73. Guillissen-Hoa Simone, « Renseignements relatifs au projet à publier - Architecture 59 », non daté, Archives Jean-Pierre Hoa / Fonds Simone Guillissen-Hoa. 

  74. « Maison à Woluwe-St-Lambert », Op. Cit. 

  75. Société Centrale d'Architecture de Belgique, « Guillissen-Hoa », Op. Cit. 

  76. Brey, Le regard féminin, Op. Cit., p.45. 

  77. Les architectes irlandaises Yvonne Farrell et Shelley McNamara du bureau britannique Grafton Architects, lauréates du Prix Pritzker 2020, déclarent à ce sujet : « Nous sommes nées femmes et nous avons le plaisir et la douleur de voir le monde avec des yeux de femme. » (Phaidon, « The brilliant, female gaze of Grafton Architects », Phaidon, 8 mars 2018, https://www.phaidon.com/agenda/architecture/articles/2018/march/08/the-brilliant-female-gaze-of-grafton-architects/ (consulté le 18 juin 2023).) 

  78. Brey, Le regard féminin, 206. 

  79. Flouquet, « La Maison d'aujourd'hui, interview de l'architecte Simone Guillissen-Hoa », Op. Cit., p.178. 

  80. Sanders Joel, « Les guerres de rideaux. Architectes et décorateurs dans les espaces intérieurs domestiques du XXe siècle », Malaquais, no 6, 2020, p.68. 

  81. Ibid., p.74. 

  82. Koering, « Décoratrice-ensemblière », Op. Cit., p.118. 

  83. Le Corbusier, Précisions sur un état présent de l'architecture et de l'urbanisme, Paris, G. Crès, Coll. « L'Esprit nouveau », 1930, p.58. 

  84. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit., p.85. 

  85. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit., p.88. 

  86. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit., p.88. 

  87. Ibid, p. 113. 

  88. Flouquet, « La Maison d'aujourd'hui, interview de l'architecte Simone Guillissen-Hoa », Op. Cit., p.178. 

  89. Ibid., p.180. 

  90. Carranza Luis E., « Le Corbusier and the Problems of Representation », Journal of Architectural Education, no 2, 1994, p.80, https://doi.org/10.2307/1425314

  91. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit., p.211. 

  92. Guillissen-Hoa, « Renseignements relatifs au projet à publier - Architecture 59 », non daté. 

  93. Midal, Alexandra, Michelle Millar Fisher et Paola Antonelli, Design by Accident: For a New History of Design, Berlin, Sternberg Press, 2019. 

  94. Koering Elise, « Eileen Gray et Charlotte Perriand dans les années 1920 et la question de l'intérieur corbuséen : essai d'analyse et de mise en perspective », Thèse de Doctorat, Versailles, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, 2010. 

  95. Flouquet, « La Maison d'aujourd'hui, interview de l'architecte Simone Guillissen-Hoa », Op. Cit., p.178. 

  96. Emmanuel, Une Approche Féministe Du Logement - Guide Pratique, Op. Cit. 

  97. Flouquet, « Villa à Uccle-Bruxelles », Op. Cit. 

  98. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit., p.90. 

  99. Ibid, p.102. 

  100. Ibid, p.127. 

  101. Société Centrale d'Architecture de Belgique, « Guillissen-Hoa ». Op. Cit. 

  102. Phaidon, « The brilliant, female gaze of Grafton Architects ». Op. Cit. 

  103. Gray, Eileen et Jean Badovici, « E1027 Maison en Bord de Mer », L'Architecture Vivante, 1929. 

  104. Colomina, « The Split Wall: Domestic Voyeurism », Op. Cit., p.123. 

  105. Friedman, « Architecture, Authority, and the Female Gaze », Op. Cit., p.58. 

  106. Berckmans, Caroline, Pierre Bernard, et Anne-Sophie Walazyc, Le modernisme ludique en Belgique, Bruxelles, Editions de l'Atomium, 2009, p.138. 

  107. Flouquet, « La Maison d'aujourd'hui, interview de l'architecte Simone Guillissen-Hoa », Op. Cit. 

  108. Ibid. 

  109. Puttemans, « In memoriam: Simone Hoa et l'architecture », Op. Cit. 

  110. Nochlin, Pourquoi n'y a-t-il pas eu de grands artistes femmes ?, Op. Cit., p.26‑27. 

  111. Brey, Le regard féminin, Op. Cit., p.45. 

  112. Ibid., p.176. 

  113. Brey, Le regard féminin, Op. Cit. 

  114. Puttemans, « In memoriam: Simone Hoa et l'architecture », Op. Cit.