Historienne de l’art, Alexandra Midal associe une pratique d’artiste-commissaire d’exposition indépendante à une recherche en culture visuelle avec des expositions, des livres et des films. Elle a été assistante de Dan Graham, directrice du Frac Haute-Normandie puis de la Design Project Room, Genève. Elle a été la curatrice de Top Secret, Espionnage et cinéma (Cinémathèque Française, Paris & La Caixa, Madrid, Barcelone, Valence, Saragosse,…) avec Matthieu Orléan ; PopCorn, design et cinéma, Musée d’Art Moderne, Saint-Étienne ; Politique-Fiction, Cité du design, Saint-Etienne, Eames & Hollywood, ADAM, Bruxelles ; Tomorrow Now, Mudam, Luxembourg, Liberté, égalité, fraternité, Wolfsonian Museum, Miami ; etc. Elle est professeure à la HEAD-Genève (HES-SO) et est responsable du domaine domaine Penser critique à l’ENSCI, Les Ateliers Saint-Sabin (Paris). Depuis 2016, elle dirige le Design Film Festival, un festival vagabond de films de designers (New York ; Istanbul ; Genève ; …).
Midal a notamment publié Design by Accident (Sternberg Press) ; La Manufacture du meurtre (Zones), La Manufactura de la muerte (Errare Naturae, 2022) et The Murder Factory: Life and Work of H. H. Holmes, First American Serial Killer; (Sternberg Press) ; Design, l’Anthologie (HEAD-ESBA de St-Etienne-Cité du design); Introduction à l’histoire d’une discipline (Press Pocket)… et elle a dirigé de nombreux catalogues d’expositions : Eames & Hollywood ; Politique-Fiction ; Tomorrow Now ; Top Secret;… Ses films ont été présentés dans de nombreux musées et elle a eu une exposition solo de ses films : Drive In, Musée CAPC, Bordeaux (2018-9)
Résumé
Souvent considérée comme la « Little Woman » du tayloriste Frank B. Gilbreth, l’ingénieure en étude du mouvement, la docteure Lillian Moller Gilbreth a longtemps œuvré à la réussite professionnelle de son époux avant d’inviter ses concitoyennes à construire – quitte à le simuler– un regard spécifiquement féminin d’empouvoirement à partir de la maison et des tâches ménagères. Cet article construit en trois temps, revient en premier sur la fructueuse collaboration du couple avant de montrer comment à partir du décès de son mari en 1924, Moller Gilbreth s’émancipe en prenant, seule, la tête de l’entreprise Gilbreth, Inc. Enfin, en s’appropriant l’outil cinématographique, et à partir du déplacement de la femme / ménagère devenue réalisatrice / actrice, Moller Gilbreth articule de nouvelles recherches révélant par l’image en mouvement la dimension politique des gestes du travail et l’émancipation de la femme.
Abstract
Often referred to as the “Little Woman” of taylorist Frank B. Gilbreth, Dr. Lillian Moller Gilbreth has long worked for her husband’s professional success. This article constructed in three parts, analyses first their fruitful collaboration before showing how, in a second part how, after the sudden death of her husband, Moller Gilbreth took over in 1924 the helm of the enterprise Gilbreth, Inc. on her own. In the third part, the essay focuses on Moller Gilbreth as the first woman who transferred cinematographic shooting techniques from the factory to the home. She reverses the domestic gaze with the integration of a real – or metaphorical- eye of the camera in the household, Therefore, she transforms the role, power, and identity of the woman/housewife who becomes as well a film director as an actress. This shift, through the cinematic apparatus, reveals both the political importance of the gaze and the gestures at work. Eventually, Moller Gilbreth creates an innovative situation in which her fellow female citizens can build from within the household –and even through simulation– a specifically powerful feminine gaze.
Introduction
Publiée sous la pression de son éditeur, en 1914, avec ses seules initiales L. M. devant son patronyme Gilbreth, Lillie Evelyn Moller qui avait changé son prénom en Lillian pour être prise au sérieux et pour la publication de sa thèse intitulée La Psychologie du management (The Psychology of Management, soutenue en 1915) au sous-titre fleuve : La fonction de l'esprit dans la détermination, l'enseignement et l'installation des méthodes de moindre gaspillage (The Function of the Mind in Determining, Teaching and Installing Methods of Least Waste ), ne devait laisser deviner qu'une femme l'avait rédigée. Changer d'identité était une décision stratégique. Être une femme ingénieure s'exerçant à « The Study of the Mind1 » pour reprendre les mots de son autrice, aurait sans aucun doute rebuté les éventuels lecteurs. Succès d'édition, le livre fut réédité à plusieurs reprises, toujours avec ces initiales, au cours des années suivantes. L'enjeu de la thèse transformée en livre était d'entremêler la valeur pratique de la psychologie et de l'éducation dans la science du management. Nourrie notamment par les longs séminaires de Frederick Winslow Taylor qu'elle rencontra, jeune mariée, en décembre 1907, convaincue qu'il contribuerait à donner de meilleures rétributions aux travailleur-s-ex-s, toutefois et à l'opposé de l'inclinaison première de son mari, elle en critiqua rapidement le système2. Elle estimait qu'il péchait par son manque d'humanité3 et qu'il dédaignait les principes psychologiques de la satisfaction, elle qui était convaincue par la valeur du concept d'Happiness Minute4. En revanche, ses échanges professionnels et amicaux avec Henry Lawrence Gantt, l'inventeur des tableaux de planification et d'organisation du temps de production, l'accompagna dans son travail et dans la rédaction de ses ouvrages cosignés ou signés par son mari5, dont l'inaugurale et très sérieuse étude consacrée à la construction en brique Bricklaying System6. Lillian Moller Gilbreth non seulement introduisit l'industrialisation à la psychologie en l'associant au management scientifique, mais aussi, et à la différence de son mari Frank Bunker, diplômée d'un doctorat de l'Université de Brown, elle fut la première femme à intégrer la prestigieuse American Society of Mechanical Engineers et à enseigner la mécanique à l'Université de Purdue, brillant par son érudition. Moller Gilbreth œuvra à la reconnaissance de la motivation, de la satisfaction et du stress comme autant de principes à prendre en considération dans l'organisation rationnelle, la standardisation ou l'ergonomie. Sa trajectoire démontre qu'ingénierie, design, maternité et féminisme peuvent faire bon ménage. Cet essai n'est pas le premier à souligner cet état de fait la concernan. Il s'inscrit dans la continuité des études menées par Laurel B. Graham et surtout par Nicholas Sammond qui a analysé l'importance de la caméra comme instrument d'émancipation de la femme coincée par l'exécution des tâches ménagères7. Ces essais ont mis en lumière la politique de discrimination dont Moller Gilbreth et son travail en tant que femme, ont souffert. Ils ont aussi restauré de manière significative l'importance de sa contribution en la resituant dans l'ingénierie managériale et dans l'histoire de l'art.
Plus largement, cet essai s'inscrit dans le projet critique de reconstruction de l'histoire de la discipline à partir d'une perspective de des-invisibilisation de la pratique des femmes designers et des historiennes du design dans la prolongation des débats initiés au tournant des années 1970-1980. Si l'historiographie du design s'en est emparée en partie depuis, reste encore à approfondir et consolider l'ensemble de ces travaux menés par les femmes 8.
Largement commenté, le texte de Cheryl Buckley Made in Patriarchy (1986) publié dans les pages du numéro 3 de la revue Design Issues dirigée par Richard Buchanan et Victor Margolin tirait la sonnette d'alarme sur l'urgence de mener à terme cette tâche. Récemment, Buckley revient sur cette question en faisant le point avec une relecture ou « second Wave », comme elle la qualifie, en publiant Made in Patriarchy II, qui fait suite à une communication présentée en 2018 au Swiss Design Summit. Mis en perspective, les deux essais soulèvent une série de questions irrésolues, notamment sur les liens entre intersectionnalité et féminisme, ou entre exploitation et oppression. Surtout, ils montrent l'urgence des travaux sur ces questions, notamment les cas d'études sur des femmes designers, qui manquent encore cruellement. Par conséquent, revenir sur l'exemple de Lillian Gilbreth qui valorise l'importance du regard, celui-là même qui ne s'est que rarement porté sur les recherches et les apports à l'histoire du design des femmes designers, permet de faire valoir l'existence de précédents historique à un état de l'art contemporain et servir de repère à une historiographie du design ne positionnant plus l'œuvre des femmes designers à sa marge9.
1. Recherche, organisation scientifique et film
Souvent associés aux origines photographiques de l'étude du mouvement Lillian et Frank Gilbreth sont introduits en ces termes par Siegfried Giedion dans son chapitre sur les origines de la mécanisation et l'organisation du travail dans La Mécanisation au pouvoir (1948) :
Frank B. Gilbreth n'est qu'un maillon du grand processus de mécanisation (...) Il a détaché le mouvement humain de son porteur ou sujet, et a donné à voir sa visualisation précise dans l'espace et le temps. Gilbreth est un innovateur dans le domaine de la gestion scientifique. Sa pensée et sa méthode se développent à partir du grand corps de la science du XIXe siècle10.
Giedion attribue les mérites de leur association à Frank. Pourtant la répartition des rôles au sein du couple ne peut négliger ni la contribution essentielle, ni l'importance de Lillian Moller Gilbreth. Franck présida à la communication de leur recherche, à la réalisation des films et aux relations et négociations avec les industriels, tandis que Lillian se consacrait à la recherche, aux impératifs scientifiques et à l'écriture de leurs livres. Enrôlé en 1914 à Berlin comme conseiller de la société d'éclairage Deutsche Glas-Glühlicht Gesellschaft Auer, et laissant femme et enfants, Frank part en Allemagne vérifier leurs théories au sein de l'entreprise berlinoise. Il recourt à l'organisation scientifique du Système Taylor pour améliorer la chaine de production de l'entreprise. Il comprend que pour mettre en œuvre ces principes de Scientific Management auprès de la direction, des employés et des (ouvrier-e-x-s,) il est nécessaire de s'appuyer sur la séduction du film et sur les éléments de précision qu'il apporte. Cette inclinaison est liée à la récente explosion de l'industrie populaire du cinéma à laquelle Frank est sensible par goût comme il le consigne dans sa correspondance :
Aujourd'hui, c'est dimanche et je l'ai célébré en restant au lit jusqu'à 14 heures. Puis je suis sorti. J'ai marché jusqu'à Unter den Linden. Je me suis perdu comme d'habitude, mais je l'ai finalement trouvé - je suis allé au cinéma, j'ai soupé et je me suis encore perdu en revenant. Ce soir, je suis allé voir un film à Nollendorf Platz et ils ont montré quelques images de la guerre à la lanterne magique11.
Il ne tarde pas à concevoir sa propre salle de film pour y réaliser des prises de vue ; installer un laboratoire parfaitement équipé pour les développements et les projections : tout est prêt pour initier l'entreprise à une éducation par les images. Celui qui n'est pas sans ignorer les recherches d'Etienne-Jules Marey dont il a visité l'Institut à Paris en 191412 s'approprie ces nouveaux mediums pour appuyer ses recherches et parfaire ses démonstrations. Il constitue une équipe et y consacre plusieurs heures par jour, mais l'expérience est abrégée par la guerre. De retour en 1915 aux États-Unis, il retrouve Lillian avec laquelle il poursuit l'ambitieux projet d'un laboratoire-cinéma indépendant à même de séduire les entreprises du pays et où réaliser les films exposant leur méthode pour soulager le corps à l'ouvrage.
Depuis 1912 déjà, au sein de leur premier studio situé au premier étage de l'usine NEBC, le couple d'ingénieurs spécialistes en « étude du mouvement » se consacre à ses recherches visuelles sur le corps au travail. S'emparant et révisant les théories tayloristes du point de vue de l'individu et de sa psychologie, ils imaginent des systèmes, du mobilier et des outils pour soulager autant la ménagère que les ouvrier-e-x-s et les employé-e-x-s ou les sportifs à l'effort. Ils mettent au point des systèmes avec lesquels étudier précisément les gestes dans une variété extraordinaire de postures : de la construction d'un mur de brique au conditionnement de boîtes de savons et de la pose des étiquettes sur des emballages jusqu'aux torsions du dos d'un joueur de golf.
Pour mener à bien ses recherches, le couple invente une série de dispositifs ingénieux parmi lesquels le microchronomètre qui mesure des temps très courts et permet de séquencer les actions et déplacements avec une précision accrue. Afin d'affiner ses calculs, et dans la continuité de l'expérience allemande de Frank, le film s'impose comme le medium par excellence du projet. Il s'associe à la société Butt-Film avec laquelle il réalise plus de 635 000 mètres de pellicule. À la recherche du meilleur moyen pour exécuter une tâche et afin de discerner les bons des mauvais gestes, il conçoit aussi le cyclographe, un système léger d'ampoules et de fils placés stratégiquement aux endroits du corps concernés par la tâche à accomplir : articulations des doigts, poignets, coudes, etc. Ainsi appareillés, et dans une salle entièrement quadrillée pour faciliter leur travail de mesure et de notation, les employé-e-x-s- cobayes font et refont la même opération qu'ils accomplissent à l'usine ; boucher des bouteilles ; empaqueter des savons, etc... toujours face camera. Utilisant la stéréoscopie, les Gilbreth ajoutent le stéréocyclegraphe à leur panoplie et confère de la profondeur à leur relevés bidimensionnels. Après avoir réalisé des kilomètres de film et imprimer des milliers de plaques, leurs cyclogrammes leur permettent de prélever des diagrammes lumineux fixant les trajectoires des mouvements exécutés sur papier photographique.
Le résultat de l'expérience transposée est implacable : il révèle à l'œil nu les postures et gestes à ajuster pour les rendre plus ergonomiques, véritablement efficaces et moins fatigants. A partir de leurs relevés, les Gilbreth réalisent de petites sculptures tridimensionnelles composées de simples fils de fer montrant l'ampleur et la justesse du mouvement de chaque action. Ainsi fixées dans l'espace, comme s'il s'agissait d'un tracé volumique, ces sculptures traduisent les allers et retour de la réalisation d'une tâche représentée soit par des lignes saccadées ou, au contraire par des lignes fluides démontrant le geste correctement exécuté. Ces études débouchent sur des solutions soulageant l'effort afin de rendre moins insupportable au corps et à l'esprit les gestes répétés ad nauseam13. Sans relâche, les Gilbreth développent leurs recherches visuelles et multiplient leurs collaborations avec notamment the New England Butt Co., General Electric, Remington Typewriter Cie, Pears and Lever Soaps ou encore Carl Zeiss Jena.
« Rien n'est plus saisissant, plus énorme, plus criminel que l'homme qui se dépense en vain14» consignent-ils en préface à la seconde édition de leur ouvrage Fatigue Study, the Elimination of Humanity's Greatest Unnecessary Waste; a First Step in Motion Study. Pour tenter d'y remédier, le couple s'emploie donc à soulager la fatigue et envisage la création d'un projet resté lettre morte, celui d'établir un Musée de la fatigue rassemblant « un ensemble d'inventions et d'informations visant à éliminer la fatigue, gagner du repos pour la vaincre et dont l'objectif consisterait à l'étudier et à voir de quelle manière le problème peut être approché d'une façon pratique15 ». Poser ainsi une relation entre films, photographies en pose longue, innovation et rationalisation semble servir une quête de perfection dans l'exécution du travail de l'ouvrier-e et son assujettissement aux bénéfices profitant aux seuls manufacturiers. Cette dimension en partie avérée, il ne s'agit pas ici d'en faire l'éloge benoîtement, ne peut obscurcir totalement la portée de ces recherches sur les instruments de représentation et de compréhension des mouvements du corps. Améliorer la production et soigner la fatigue, la pathologie du 19ème siècle, constitue aussi, dans le contexte industriel qui est le leur, un progrès pour le quotidien des ouvrier-e-x-s. Pour y parvenir, les Gilbreth comprennent qu'il leur faut obtenir la coopération des travailleur-e-s-x et ils s'y attèlent en aiguisant leur curiosité pour lequel le film s'impose comme le meilleur cheval de Troie.
Outre ses diverses représentations, ce rapprochement entre l'usine et le cinéma engage aussi à poser une comparaison entre le spectateur et le travailleur à la chaîne. Le premier l'éprouve dans un espace de divertissement, le second dans son aliénation face au travail auquel il se soumet. Walter Benjamin l'a souligné dans L'Œuvre d'art à l'époque de sa reproductibilité technique (1935) en montrant de quelle manière les deux se soumettent à une même répétition les empêchant de conférer du sens à leur expérience, qu'il s'agisse d'images ou de tâches16. Qui ne connaît pas la fameuse scène du film Les Temps Modernes (1936) dans laquelle Charlot, ouvrier spécialisé, est attelé à son ouvrage sur une chaine de montage ? Hypnotisé par la tâche répétitive lui incombant, l'ouvrier modèle a si bien incorporé l'organisation chronométrée du travail engagée par Taylor poursuivie sous la forme du travail à la chaine et ses exigences psychomotrices mises en application par Henry Ford17 qu'il n'a pas la possibilité de s'y soustraire . Il ne peut plus répondre de ses gestes autrement qu'en reproduisant en vain la cadence du travail à la chaîne. Perdant son libre arbitre, assujetti par l'accélération et la surveillance permanente dont en tant qu'ouvrier il fait l'objet, il se jette dans le ventre de la machine. Elle l'avale. Elle le recrache aussitôt : il n'est pas assez mécanique. Condamné à accomplir le même geste, serrer des boulons à l'intérieur et à l'extérieur de l'usine jusqu'à les confondre avec le nez ou les boutons d'une jupe, Charlot incarne la déroute de la volonté face à l'emprise mentale de l'industrialisation. Avec cette critique, Chaplin laisse transparaitre le fascinant mouvement de la production industrielle continue. Et ce n'est pas une coïncidence si ce rapprochement entre cinéma et industrialisation a également été établi par Siegfried Kracauer. Il a dressé un parallèle entre la circularité du mouvement accompli par la manivelle de la caméra et celle du tapis roulant de la chaine de montage, tout en rappelant, en exergue, que cette invention revient à l'américain Oliver Wendell Holmes qui fut en outre « (...) parmi les premiers à tirer parti des potentialités scientifiques de la caméra18.
C'est toujours à Giedion, dans un chapitre consacré aux origines de la mécanisation et à l'organisation scientifique du travail, que l'on doit le premier rapprochement entre les recherches photographiques du physiologiste Marey et celles menées par Lilian et Frank Gilbreth qu'il qualifie de « maillon de la grande chaîne de la mécanisation19 ». Giedion dresse un parallèle entre l'invention en 1890 de la chronophotographie par Marey et les méthodes de comptage et d'analyse du mouvement du corps du couple Gilbreth : « (Marey) a vu des objets avec la sensibilité d'un Mallarmé. (Il) a appelé son procédé « photographie temporelle » (chronophotographie) ; son objet est de rendre visibles des « mouvements que l'œil humain ne peut percevoir20. » Le travail des Gilbreth oscille entre la défense du progrès technique visant à alléger et maîtriser la pénibilité des tâches d'un corps éreinté et la tentative d'utiliser de nouveaux mediums afin de déconstruire la hiérarchie entre les classes sociales, et entre les ouvrier-e-x-s et les manufacturiers. Malgré toutes ses bonnes intentions, et comme souligné précédemment, il est toutefois difficile de ne pas y relever une entreprise de contrôle technologique de l'amélioration de la productivité des individus. Comment interpréter autrement l'implacable déclaration de Frank Gilbreth sur le but du management scientifique qui consiste, selon lui, à inciter les personnes à suivre le modèle des machines et à se comporter comme elles : « C'est le but du management scientifique d'inciter les hommes à agir de la façon la plus ressemblante qui se puisse, comme des machines21 » A ce sujet, il est bon de rappeler que Lillian ne partage pas toutes les idées de Frank, elle qui vingt ans après, livre une autre perspective : « Maintenant c'est l'homme, pas la machine, qui est au cœur des activités 22 ». Semblable déclaration montre à quelle hauteur Moller Gilbreth est la garante23 d'une psychologie visant à rééquilibrer la déshumanisation du management scientifique dans le couple.
2. Psychologie, management et émancipation
Le couple a été célébré dans deux romans pour la jeunesse : Treize à la douzaine (Cheaper By the Dozen) et Six filles à marier (Belles on their Toes) écrits par Franck Jr. et Ernestine, deux de leurs enfants. Caricaturé avec bienveillance, les parents y sont présentés comme des stakhanovistes de l'étude du mouvement. De l'hygiène corporelle aux mises aux enchères des corvées, jusqu'au décryptage de messages codés inscrits sur les murs de la maison dissimulant les emplacements des cachettes de friandises, les parents utilisent leur progéniture comme des cobayes à disposition pour des expériences diverses. Soudainement, Frank est frappé par une crise cardiaque dans une cabine téléphonique alors qu'il est en communication avec sa femme. Après la mort soudaine de son époux en 1924, celle qui est bien plus que le personnage romancé des livres à succès que ses enfants décrivent, s'attelle, seule, à la direction de la Gilbreth, Inc. Elle déménage son laboratoire à la maison et y transfère les techniques de prise de vue cinématographique afin de suivre de près l'éducation de sa progéniture. Moller Gilbreth prend le contrôle de la production des images et initie une révolution dans la redéfinition du statut de la femme au foyer. La jeune veuve valorise des principes scientifiques balbutiants, élève ses onze enfants, poursuit ses recherches, fonde une école d'« étude du mouvement », donne des conférences partout dans le monde, etc. Tout ceci ne la prémunit pas de faire l'expérience d'importantes difficultés : les industriels se méfient d'une scientifique menant ses recherches sans l'appui d'un homme. Les associations d'ingénieurs à la porte de laquelle elle frappe lui expliquent leur refus de l'intégrer par un antiféminisme latent dans leur rang24. Dans ce contexte, elle se tourne vers des entrepreneuses et escompte gagner le soutien du grand public en publiant des ouvrages de vulgarisation. Cependant, si l'automatisme des gestes et des formes est, comme l'affirme si justement Bernd Stiegler « la forme d'émancipation de l'être humain à l'ère de la reproductibilité industrielle25 », le parcours de Moller Gilbreth expose la puissance d'un imposant plafond de verre.
Moller Gilbreth travaille à la reconnaissance de principes tels que la motivation, la satisfaction et le stress qu'elle estime être aussi importants que l'organisation rationnelle, la standardisation ou l'ergonomie. En menant ses recherches à partir de la cuisine et du foyer, elle défend une position ambivalente. Ces innovations favorisent la réforme de l'organisation domestique, l'éducation des femmes en vue de leur émancipation et le statut de celle qui accomplit ces tâches. Cependant, elle semble également préserver une division genrée confortant les hommes dans leurs pouvoirs, privilèges et espaces dévolus. Pourtant, à bien y regarder, celle qui fut longtemps considérée comme la « Little Woman26 » de son époux, incite à nuancer cette critique. Moller Gilbreth initie un changement de paradigme en modifiant le rapport de pouvoir et de représentation entre les hommes et les femmes. Avec Efficiency of Women Workers (1929) qui succède à l'analyse masculine dans The Effect of Motion Study upon the Workers co-signé avec son mari en 1916, elle démontre de quelle manière les recherches en ingénierie du mouvement ont assimilé à tort le corps des travailleuses à celui des travailleurs, sans égard aux spécificités de ces dernières.
Tous les témoignages s'accordent pour souligner son intelligence, et ses compétences, toutefois elles ne suffisent pas. Pour convaincre, et comme l'a si justement relevé Laurel Graham en menant ses recherches dans les archives de la famille, Moller Gilbreth est obligée d'adopter plusieurs stratégies :
À la maison, son système repose sur l'aide de ses enfants et d'un domestique à demeure. Au cours de sa carrière, elle fait du ménage son sujet d'étude et utilise son histoire personnelle pour promouvoir son expertise. Son véritable succès financier provient de son contrat avec des entreprises qui souhaitent vendre des biens ou des services aux femmes de la classe moyenne27.
Ce projet trouve à s'exprimer dans de nombreux travaux comme par exemple avec le Rapport Gilbreth publié le 1er Janvier 1927. Il s'agit d'une étude de marché lancée auprès de 3000 femmes états-uniennes par Johnson & Johnson sur la commercialisation des serviettes périodiques de son concurrent Kotex. En menant cette étude, l'enjeu a consisté pour Moller Gilbreth à démontrer la piètre satisfaction des femmes face à l'offre des protections proposées et leurs réactions face aux allégations mensongères mises en avant par la publicité. À sa lecture, les dirigeants de Johnson & Johnson comprennent qu'ils doivent désormais engager une femme dans leur équipe28 s'ils veulent espérer modifier, améliorer29 , mais surtout vendre leurs produits :
C'est sur cette base que J&J lança sa nouvelle serviette, brevetée cinq mois après la remise du rapport. Celle-ci fut commercialisée sous le nom de « Modess » en 1928. J&J appliqua les conseils de Gilbreth en proposant une serviette dont les extrémités étaient arrondies, qui n'était épaisse qu'en son centre, promue comme « douce » et « désodorisante30.
Cet exemple, un parmi tant d'autres, dévoile la stratégie de Moller Gilbreth qui pâtit du manque de considération accordée aux femmes ingénieures et parvient, non sans ménager ses efforts, à s'infiltrer dans les instances décisionnaires des entreprises produisant des biens de consommation destinées aux femmes, et dirigées exclusivement par des hommes. Ses rapports et analyses novatrices place pour la première fois les véritables besoins des femmes au centre des recherches. Moller Gilbreth a développé, amélioré et donné une ampleur considérable aux recherches que le couple avait engagées préalablement.
3. Cinéma à la maison
C'est à partir de ces réflexions sur que Moller Gilbreth déconstruit ce qu'il conviendrait de qualifier par le terme de male gaze : Bien qu' anachronique à Gilbreth , cette notion élaborée par Laura Mulvey à partir d'une analyse des concours de Miss dans l'article « The Spectacle is Vulnerable : Miss World, 197031 » co-signé avec Margarita Jimenez, et de l'examen des représentations de la femme-objet à l'écran dans son célèbre essai : Visual Pleasure and Narrative Cinema32, engagea à relire la production des images de la femme selon les principes de pulsion scopique et de fétichisation empruntés à la théorie freudienne, et à l'identification spéculaire. Désigné ici pour qualifier en partie la pratique largement antérieure de Moller Gilbreth, ce terme de Male Gaze déjà employé de manière anachronique par Sammond se justifie par le fait que le travail mené par Moller Gilbreth concourt à une libération du regard scopique imposé au corps des femmes. Ce principe établi par Moller Gilbreth réalise son projet est contemporain de la période de l'industrie du cinéma hollywoodien examiné et dénoncé par Mulvey.
Cependant, chez Gilbreth, il s'agit plutôt de re-conditionner le regard des ménagères sur elles-mêmes dans leur vie quotidienne. A l'opposé de la dynamique des médias reposant sur les lois du marché et rendant abstraite l'expérience du travail réifié par la marchandisation des personnes, en l'état des connaissances, on peut affirmer que Moller Gilbreth est la première femme à politiser de la sorte le transfert des techniques de prise de vue cinématographique de l'usine vers la maison. Ce changement amplifie l'ambition et la portée de ses recherches. Elle permet aux femmes de prendre le contrôle de leur image en l'accompagnant d'une revendication du salaire et du statut professionnel de la ménagère étant donné que « Home-Making is the finest job in the world33. Ne s'arrêtant pas à des simples recommandations, Moller Gilbreth a une idée de génie : elle invite les ménagères à opérer un re-enactement de tournage chez elle. Elle les incite à prendre possession d'une caméra, ou d'une caméra imaginaire, et à redéfinir par ce moyen le statut de la femme au foyer du XX^e^ siècle. D'ouvrière, mère et épouse se dévouant inlassablement à son l'entretien du Home Sweet Home, la femme vue par Moller Gilbreth s'empare de la maitrise des techniques cinématographiques et lui permet d'occuper une position double :
Si un film est tourné (...) de vous lavant la vaisselle, vous pourriez vous voir en train de réaliser ce travail à la vitesse réelle à laquelle vous l'avez accompli, et ainsi remarquer le rythme et la facilité avec lesquels vous les avez exécutés, ou bien vous pourriez vous voir répéter ces mêmes mouvements très lentement, et ainsi détecter vos moindres maladresses, et découvrir pourquoi vous avez réussi ou échoué à réaliser cette tâche34.
Elle inverse la domination du regard masculin. Elle lui substitue un regard féminin porté de part et d'autre qui encourage la ménagère à se repenser à la fois comme l'œil de la caméra et comme sujet filmé. Ce double mouvement déconstruit le stéréotype du regard maternel en le déplaçant dans la logique d'une objectivité scientifique traditionnellement associée à la masculinité. Dans son analyse sur ce retournement du point de vue, l'historien du cinéma, Nicholas Sammond décrit l'importance de la proposition de Moller Gilbreth en parallèle de l'observation du travail scientifique de la ménagère : « Le fantasme de Gilbreth d'un cinéma spatio-temporel domestique fragmentait déjà la femme en tant que femme, épouse et mère - dans deux positions simultanées : à la fois comme productrice du spectacle de son propre travail filmé et aussi comme spectatrice35. » Jusqu'à présent, la gestion scientifique tayloriste était considérée comme une prérogative masculine, à l'instar de la maitrise de la caméra36. Moller Gilbreth la transpose dans la sphère domestique, un territoire associé au féminin par des siècles de patriarcat, et l'impose comme le laboratoire d'un nouveau regard posé par les femmes sur leurs comportements et leurs pratiques, une transition explicitée par Sammond :
Dans le même temps, la promotion par les Gilbreth de la gestion scientifique dans le foyer consolida et organisa les régimes existants de l'observation domestique au sein des études cinématographiques industrielles du temps et du mouvement en encourageant les femmes (en tant que femmes au foyer) à se concevoir à la fois comme caméra et sujet, comme celle qui voit et celle qui est vue, repositionnant le regard maternel dans le cadre d'une objectivité scientifique explicitement masculine. 37
Passer derrière la caméra, même si la situation est simulée, revient pour Moller Gilbreth à assumer le professionnalisme d'une réalisatrice, et par ricochet à réévaluer l'autonomie et le statut de son travail :
Pour les maisons ne disposant pas de caméra, afin d'atteindre au plus près un système d'observation permettant à chacun de s'ajuster et d'améliorer ses performances au fil du temps. Les maisons qui avaient une caméra, bien sûr, disposaient d'un avantage incontestable : 2. Si un film était tourné... de vous en train de laver la vaisselle, vous pourriez vous voir l'exécuter à la vitesse réelle et ainsi remarquer avec quel rythme et facilité vous l'aviez développé, ou vous pourriez vous voir faire les mêmes mouvements très lentement, détecter votre moindre gêne, et découvrez pourquoi vous avez réussi ou échoué au travail38.
Employer une caméra favorise l'apprentissage d'un regard féminin par, et sur la femme. La simulation permet à Lillian Gilbreth de contribuer à son empouvoirement en lui confiant le rôle de réalisatrice et en lui permettant ainsi d'élaborer par elle-même son espace et ses conditions de travail tout en déconstruisant les impératifs explicitement masculins.
Ceci marqua un changement d'orientation crucial pour Lillian (...) À son avis, lorsqu'elle est utilisée aux fins de l'étude du mouvement, l'image en mouvement pourrait projeter un regard objectif sur un ensemble de pratiques domestiques des femmes au foyer, que du point de vue de la science domestique, était encore enfermées dans l'obscurité et le sentimentalisme de la tradition et redevable aux formes pré-industrielles de transmission du savoir39.
De surcroit, un tel exercice contourne la dépréciation des activités ménagères et renverse l'idée d'une opposition entre la tradition féminine du travail domestique et le défi scientifique masculin moderne. Moller Gilbreth s'empare du dispositif cinématographique comme s'il s'agissait d'un instrument de l'émancipation de la femme comme le souligne Linda Ai-Yu Lin :
(...) changer ce qu'elle considérait comme le monde traditionnel et réactionnaire de la sphère domestique ; pour elle, les « modes de fonctionnement » des femmes étaient à l'origine des progrès accomplis par la science et l'industrie. Dans ses écrits, le cinéma était un moyen de faire coïncider le domaine « pré-industriel » du travail à la maison avec l'arène rationalisée du travail industriel moderne, et plus important (...) comme une technique permettant aux femmes de programmer leur esprit pour calibrer leurs actions en fonction des mesures abstraites du progrès et de l'efficacité40.
En considérant à la fois la maison comme l'espace privilégié d'une réforme sociale et politique nationale, et le cinématographe comme un medium scientifique, la ménagère se transforme en une scientifique attentive à ses mouvements et échappe aux contraintes habituelles du rapport de séduction auquel sa position la soumet. Curieusement, ce déplacement opéré par Moller Gilbreth se produit au cours des mêmes années où les réalisatrices de cinéma sont remplacées par des réalisateurs aux Etats-Unis.
Au final, cette proposition a peu, ou pas, modifié le statut des femmes, ni le regard porté sur elles. Pire, ses textes et notes, et son autobiographie notamment, montrent qu'elle a elle-même contribué à construire une position de l'ombre circonscrite à son statut d'épouse et de mère, et au mieux, de bras droit de son mari. Cette modestie qui souligne l'intégration de l'androcentrisme par ses victimes n'est évidemment aucunement proportionnelle à l'importance et à la valeur de sa contribution. Le contexte patriarcal, d'autant plus fort au sein d'un couple gagné à l'idéologie nauséabonde de l'eugénisme, n'a pas non plus été propice à sa reconnaissance en dépit du fait qu'elle a défendu énergiquement l'égalité entre les sexes :
Tant de choses (qui) ont été acceptées comme éternelles basées sur les différences de sexe et se sont avérées être seulement des différences de type, qu'il est nécessaire de procéder lentement et soigneusement dans toute enquête afin que les hypothèses insuffisamment fondées soient évitées. Il se peut que les découvertes des anciens sur les différences sexuelles, mentales et émotionnelles, aient été erronées. 41
Cette perspective contrebalance la norme conventionnelle des employées décrites comme aspirant à devenir des starlettes dans un processus d'identification décrit par Kracauer dans Les petites vendeuses vont au cinéma (1927) et assumé par Frank Gilbreth pour qui « toutes les femmes ont particulièrement envie de jouer dans un film puisqu'elles croient toutes... être des Mary Pickford en puissance.42 » Mais la libération individuelle portée par un dispositif d'enregistrement du temps réel se heurte de plus à un obstacle supplémentaire. En relevant la manière dont le regard d'identification à la masculinité, les scientifiques relevant dans l'imaginaire par convention de la masculinité, on peut se demander si la situation proposée par Moller Gilbreth ne finit pas par assujettir la femme à une « identification masochiste » telle que l'a relevée Sammond :
Que ce soit dans le rêve de Gilbreth d'étendre l'efficacité industrielle à la maison ou dans les constructions d'une maternité plus standardisée, le regard scientifique était organisé comme un regard et une introspection que les outils de la théorie féministe pourrait décrire comme une identification intrinsèquement masochiste avec l'homme et le scientifique — et dans laquelle les femmes étaient encouragées à s'imaginer sous surveillance et désirer ce regard 43.
Les conséquences d'un tel imaginaire de la caméra peuvent tantôt se retourner contre les femmes en versant dans une surveillance panoptique terrifiante tantôt les doter d'instruments de contrôle et de mesure. Cette ambivalence est à l'œuvre dans une carte de vœux réalisée par les Gilbreth en 1912. On y voit photographiée de face une ouvrière quasi-spectrale, occupée à accomplir sa tâche devant une caméra, assise derrière une table. Cette photographie a retenu l'attention du graphiste Rick Poynor qui en a fait cas dans un article : « Ce qui m'a plu alors, et cela n'a pas changé depuis maintenant près de trois décennies, c'est la combinaison de la figure spectrale de la femme — ses bottes sous la table sont la chose la plus solide qui la constitue sur l'image — et des quadrillages derrière elle et recouvrant le plateau de table44. » Poynor l'analyse comme l'expression d'une triple négation spectrale : celle du genre, et par conséquent de la négation des femmes ; celle du travail et de l'individualité, et enfin celle de la lutte des classes avec la disparition physique de l'ouvrière. En utilisant une écriture cyclographique de la lumière dans l'espace tridimensionnel pour leur carte de vœux, les Gilbreth montrent aussi de larges lignes de points lumineuses si abstraites qu'il s'impose d'évidence délicat de recueillir des informations scientifiques ou de deviner leur teneur.
Conclusion
Souvent reléguée à l'emploi d'aimable épouse du tayloriste Frank Gilbreth, et collaborant largement à cette idée reçue, l'ingénieure en étude du mouvement, la docteure Moller Gilbreth, en plus d'élever ses nombreux enfants, a repensé l'opposition spatiale et politique des sphères publiques et privées que les proto-designers Catherine Beecher, Christine Frederick, Paulette Bernège45, etc. qui l'avaient précédées n'avaient jamais osé écorner. Introduisant les principes de la psychologie au sein de la gestion scientifique du travail et de l'ergonomie, elle fut aussi l'avocate, timide, d'une égalité entre les sexes. Bien plus que le personnage romancé par ses enfants dans Treize à la douzaine, dès 1912, Moller Gilbreth collabora aux premières recherches visuelles sur les mouvements et postures des corps. En révélant par l'image la dimension abstraite des gestes du travail, le couple fut le premier à utiliser les médias pour mener à bien ses recherches. L'année de la mort de Frank coïncide avec la montée en puissance du travail de sa veuve qui n'a d'autres choix que de relever le défi à la tête de l'entreprise Gilbreth, Inc. créée douze ans plus tôt. Dans les faits, on peut noter combien le récit de la discipline du design, intrinsèquement patriarcal, n'en a eu cure, comme en témoigne le vide intersidéral des mentions soulignant sa contribution, à l'instar de celles des autres femmes si clairement oubliées, caricaturées, minimisées, ou simplement absorbées par le prestige de leur époux. En transférant les techniques de prise de vue cinématographique de l'usine à la maison, Moller Gilbreth prend le contrôle de la production des images pour initier une révolution qui questionne le statut de la femme au foyer du début du XXe siècle. Elle est la première designer à inviter ses concitoyennes à construire un regard spécifiquement féminin à partir de leur espace privée, les invitant à sortir des catégories qui leur sont traditionnellement assignées : ouvrière, mère, épouse, ménagère dévouée à son ménage et à la cuisine, etc. et en substituant au regard masculin dominant, un regard féminin faisant même fi de la caméra, trop coûteuse, pour en retirer des bénéfices en la remplaçant par une caméra imaginaire. Longtemps invisibilisée par les récits patriarcaux de l'histoire du design, et notablement par les deux premières histoires de référence, celles de Nikolaus Pevsner avec Pioneers of Modern Movement (1936) et celle de Siegfried Giedion Mechanization Takes Command (1948) qui conjuguèrent l'héroïsme au masculin, Moller Gilbreth est « the most heroic woman in America46 ». Elle publia justement ses premiers textes au cours des mêmes années où s'imposaient ceux de la psychologie expérimentale de Hugo Mürstenberg. Tous deux mesuraient l'importance d'une interrelation entre la psychologie, l'industrialisation et le film. Cependant, tandis que ce dernier délivra une perspective psycho-physiologique sur les techniques de management psychologique et le cinéma47, Gilbreth les croisa surtout dans sa pratique. Dans Le Mystère des Roches de Kador (1912), Léonce Perret filme une patiente alanguie dans un grand fauteuil recouvre ses sens instantanément grâce à une projection cinématographique curative réalisée par un psychanalyste. Considérer le spectacle moderne sur pellicule comme l'occasion d'une exploration inédite de la subjectivité et de l'inconscient, qui une fois associée à la dimension salvatrice du médium filmique, peut conduire à une ultime hypothèse. Cette dernière pourrait postuler que l'identification du sujet avec les images filmées, un processus central au travail de Moller Gilbreth, aurait pu dépasser la question du statut de la ménagère, et des femmes, pour s'étendre jusqu'à l'écriture de l'histoire du design. De la même manière qu'après avoir déposé les archives du couple à l'université de Perdue, Moller Gilbreth a passé l'année suivante à les amender et les corriger armée d'un crayon bleu, on ne peut que se désoler qu'au-delà de son cas spécifique, les inventions des femmes dans le champ du design ont souvent été associées au seul espace forclos de la sphère privé. Loin d'être neutralisée, cette dernière liée à la question du genre, a assujetti la créativité féminine en dépit de la sortie des femmes du carcan domestique auquel elles ont été reléguées. Par conséquent, la majorité des changements qu'elles ont produit, n'ont nullement été répercutés dans les analyses des historiens de la modernité, qui, en outre, ont conservé l'attribution de cet espace au seul gynécée. Longtemps, les historiens modernes [du design]{.mark} n'ont pas intégré à leur juste place, ou ne serait-ce qu'en partie, la contribution des femmes designers. Il a fallu attendre la décennie des années 1980 pour que leur apport soit enfin pris en compte comme l'a démontré notamment Dolores Hayden en 1982 ou Cheryl Buckley dans son premier opus sur la question en 1986. Ces travaux essentiels signés par des historiennes ne peuvent absoudre entièrement les omissions coupables du passé par nombre d'historiens du design, eux qui depuis longtemps auraient du rétablir une histoire de la discipline du design plus équitable et juste dans laquelle figurerait, entre autres, Lillian Moller Gilbreth.
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Moller Gilbreth Lillian, The Psychology of Management: The Function of the Mind in Determining, Teaching and Installing Methods of Least Waste . Library of Alexandria. Kindle, p.3 ↩
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Taylor F.W. , Shop Management, New York, NY: Harper and Row, 1903 ; The Principles of Scientific Management, New York, NY: Harper and Row, 1911. ↩
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Par la suite, les deux époux se rangèrent à l'avis de Lillian qui estimait que l'éradication de la dimension humaine et de l'impact de la psychologie sur les travailleurs-e-x-s était un écueil insurmontable à la viabilité du projet tayloriste dans son ensemble ↩
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Pour ce concept, voir Gilbreth Frank B. et Gilbreth Lillian M., Primer of Scientific Management, New York, Van Nostrand D., « The Effect of Motion Study upon the Workers », Annals of the American Academy of Political and Social Science Mai, p. 1-5, 1916 ; Gilbreth Lillian, The Home-Maker and Her Job, New York & Londres, Appleton D. and Company, 1927, p. 23. ↩
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Très opportunément, Graham rappelle qu' « Every book and virtually every article published under either of their names in the years of the marriage was a joint production. However, due to sexist publishing conventions, Frank's name appeared alone on many of their early writings, and management historians have traditionally given him the credit for their joint work. », Graham Laurel, « Domesticating Efficiency: Lillian Gilbreth's Scientific Management of Homemakers, 1924-1930 », Signs, Vol. 24, No. 3, The University of Chicago Press, Printemps 1999, p. 639. ↩
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Gilbreth F. B., Bricklaying System, New York, New York, The Myron C. Clark Publishing Co., 1909. ↩
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Graham Laurel D., Managing on Her Own: Dr. Lillian Gilbreth and Women's Work in the Interwar Era, Norcross, Georgia, Engineering and Management Press, 1998. ↩
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Pour des jalons d'une analyse féministe de l'histoire du design, voir Hayden Dolores, The Grand Domestic Revolution: A History of Feminist Designs for American Homes, Neighborhoods and Cities, Cambridge, MA, MIT Press, 1982; Buckley Cheryl, "Made in Patriarchy: Toward a Feminist Analysis of Women and Design", Design Issues, 3, n° 2, 1986, p. 3-14; Attfield Judy,"FORM/ female FOLLOWS Function /male:_Feminist Critiques of Design", Walker John A., Design History and the History of Design, Londres, Pluto Press, 1989, p. 199-225; Rothschild Joan, Design and Feminism: Re-visioning Spaces, Places, and Everyday Thing, New Brunswick, NJ, Rutgers University, 1999; Sparke Penny, As Long as It's Pink: The Sexual Politics of Taste, Londres, Pandora, 1995 ; et Kirkham Pat (dir.), Women Designers in the USA, 1900-2000: Diversity and Difference, New Haven et Londres, Presses de l'Université de Yale, 2000; Worden Suzette et Seddon Jill, « Women Designers in Britain in the 1920's and 1930's: Defining the Professional and Redefining Design », Journal of Design History 8, no 3, 1995, p. 177-194; Sparke Penny et Martin Brenda, Women's Places: Architecture and Design 1860 --1960, Londres, Routledge, 2003; Claudia Mareis & Nina Paim, Design Struggles*, Valiz, 2021. ↩
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Buckley Cheryl, Made in Patriarchy II -- Researching ( or Re-searching) Women and Design, op., cit., p. 55. ↩
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« Frank B. Gilbreth is but one link in the great process of mechanization. (...) He detached human movement from its bearer or subject, and achieved its precise visualization in space and time. Gilbreth is an innovator in the field of scientific management. His thinking and his method grow out of the great body of 19th century science», Giedion Siegfried, Mechanization Takes Command, (1948), New York, Londres, Norton & Company, 1969, p. 25. ↩
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« Today is Sunday and I celebrated by staying in bed till 2 P.M. Then I wandered out. I walked over to Unter den Linden. Lost my way as usual, but finally found it -- went to a movie, had supper and lost my way again coming back. Tonight I went to the movie in Nollendorf Platz and they showed some lantern slides of the war. » Gilbreth F. B., lettre à L. M. Gilbreth, 4 Octobre 1914, Gilbreth LOM, SPCOLL, Purdue University Libraries, NF 92/813-5. ↩
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Le nom de Marey est mentionné dans Fatigue Study, dans le tapuscrit Time Study et dans les notes de son journal quand Frank B. Gilbreth relate sa visite à l'Institut Marey à Paris. ↩
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Voir par exemple les nombreuses descriptions données par Frank et Lillian Gilbreth, parmi lesquelles : « Le siège n° 1, conçu pour travailler assis ou debout, est le siège idéal pour évacuer la fatigue. Il permet d'alterner de manière très scientifique travail et repos, tout en fournissant un grand nombre de variations de positions au cours de la période de travail. Le pliage de mouchoirs était le travail pour lequel cette chaise avait été conçue, et ce travail a toujours été accompli par une femme assise. Ce siège découle de mesures précises. Ses dimensions permettent aux coudes de la femme d'être à égale distance de sa table de travail, qu'elle soit assise ou debout. Le dossier, comme tous les dossiers des sièges conçus pour éliminer la fatigue en travaillant, est imaginé pour le travail et non pour le repos. L'assise repose sur un ensemble de roulettes en forme de dôme permettant d'éloigner le fauteuil et de le ramener à sa position initiale, tout en économisant le plus de temps et d'efforts possibles. En outre, le travailleur assis sur ce siège peut utiliser le repose-pied de la table de travail. », « What A Fatigue Museum Is », Fatigue Study, the Elimination of Humanity's Greatest Unnecessary Waste; a First Step in Motion Study, (1916), Londres, George Routledge and Sons, 1919, traduit en français dans Alexandra Midal (ed.), Design, l'Anthologie, Saint-Etienne et Genève, Cité du design, Ecole supérieure d'Art et de design de Saint-Etienne, HEAD - Genève, 2012, p. 69. ↩
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Ibid., n. p. ↩
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Ibid., p. 99-108 ↩
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Voir Peyrière Monique, « Filmer le travail, Filmer contre le cinéma ? » Travailler 2012/1 N° 27), p. 79. ↩
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Les lois d'un travail efficace énoncées par Frederick Winslow Taylor dans Shop Management (1904) et
The Principles of Scientific Management (1911) ont été rapidement adaptées par l'organisation rationnelle. C'est le cas par exemple de la notion de « taylorisme domestique » de Paulette Bernège dans Si les femmes faisaient les maisons (1928) ou de sa réévaluation par Christine Frederick dans Selling Mrs. Consumer (1929). Pour une analyse des expérimentations tayloristes par l'organisation rationnelle, (voir Midal Alexandra, Design by Accident, For a New History of Design, Londres et Berlin, Sternberg Press, 2020). Même si des confusions parfois font se confondre taylorisme et fordisme (voir cf. Fritz Giese, Girlkultur, -- Vergleiche zwischen amerikanischem und europäischem Rhythmus und Lebensgefühl, Munich, Delphin-Verlag, 1925), il existe des différences notables entre le taylorisme et le système d'accroissement de la production/consommation de masse des produits standardisés mis en œuvre par Henry Ford dans ses usines. ↩ -
« among the first to capitalize on the camera's scientific potentialities. », Kracauer Siegfried, Theory of Film: The Redemption of Physical Reality, Oxford University Press, 1960, p. 4. ↩
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Giedion Siegfried, op. cit*., p. 40-41. ↩
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« (Marey) saw objects with the sensibility of a Mallarmé. (He) called his procedure 'time photography (chronophotographie); its object is to render visible movements that the human eye cannot perceive». Ibid., p. 25. ↩
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Gilbreth Frank Bunker, The Primer of Scientific Management, Philadelphie, Easton, Hive Publishing Co., 1973 (1912), p. 50. ↩
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« Now man, not the machine, is the center of activity. » Gilbreth Frank Bunker, Trained Men, vol. 15, n 2, 1935, p. 75-77 et p. 92 cité par Stiegler Bernd, « Frank Bunker Gilbreth. La normalisation comme art de vivre », Transbordeur. Photographie histoire société, No. 1, 2017, note 2, p. 164. ↩
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Voir Golonka K., « Lillian Moller Gilbreth: A Female Pioneer in the Field of Engineering and Scientific Management », Ergonomia IJE&HF 28(1), 2006, p. 6-12 ; L. D. Graham, « Managing on her Own: Dr Lillian Gilbreth and Women\'s Work in the Interwar Era », Norcross, GA: Engineering and Management Press, 1998 ; L. D. Graham, « Domesticating Efficiency: Lillian Gilbreth\'s Scientific Management of Homemakers, 1924-1930 », op. cit. ↩
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« Lacking faith in her ability to complete an installation without Frank, industrial clients canceled or failed to renew their contracts in 1924, and she found it nearly impossible to attract new ones (Gilbreth 1970, 186-89). At least two engineering clubs invited "L. M. Gilbreth" to speak, only to deny her entry when they found out she was a woman (Yost 1949, 356-57), and the prestigious American Society of Mechanical Engineers was reluctant to admit her as a member because she was a woman. » Laurel Graham, « Domesticating Efficiency: Lillian Gilbreth\'s Scientific Management of Homemakers, 1924-1930 », op. cit., p. 642. ↩
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Stiegler Bernd, op. cit., p. 161 ↩
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Elle-même y participa, voir son autobiographie : As I Remember : An Autobiography Norcross, Ga. : Enineering and Management Press, 1998, rédigée trente ans après sa mort et publiée en 1998 dans laquelle elle minimise considérablement son travail. ↩
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« At home, she maintained a household system that enlisted the help of her children and a live-in domestic, and in her career, she adopted homemaking as her subject of study and used her personal story to market her expertise. Her real financial success came when she contracted with companies wishing to sell goods or services to middle-class women. », Graham Laurel D., op. cit., p. 634. ↩
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Pour prendre connaissance de l'ensemble des recommandations du Rapport Gilbreth, consulter op. cit., p. 615-627. ↩
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Voir l'article de Bullough Vern L., « Merchandising the Sanitary Napkin: Lillian Gilbreth's 1927 Survey », Signs 10, No. 3 , The University of Chicago Press, 1985, p.42. ↩
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Guien Jeanne, Une Histoire des produits menstruels, Paris, Divergences, p. 44. ↩
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Mulvey Laura, « The Spectacle is Vulnerable : Miss World, 1970 » (1971)" reproduit dans Visual and Other Pleasures, Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2009 (1989), p. 3-5.
Mulvey Laura, Au-delà du plaisir visuel (Italian Edition) . Éditions Mimésis. Édition du Kindle. ↩ -
Mulvey Laura, "Visual Pleasure and Narrative Cinema", Screen 16 (Autumn 1975). ↩
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Gilbreth Lillian M., The Home-Maker and her Job, D., New York et Londres, Appleton and Cie, 1927, p. vii. ↩
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« If a film were taken, for example, of you washing dishes, you could see yourself doing the work at the actual speed at which you did it and thus notice what rhythm and ease you had developed, or you could see yourself making the same motions very slowly, detect your slightest awkwardness, and find out just why you succeeded or failed at the work. », Gilbreth Lillian, The Home-Maker and her Job, New York: D. Appleton. 1927, p. 114 -116 ↩
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« Gilbreth's fantasy of a domestic time-and-motion cinema placed a woman---already fragmented as woman, wife, and mother---in two subject positions simultaneously: as the producer of the spectacle of her filmed labour and as its spectator. », Sammond Nicholas, « Picture This: Lillian Gilbreth's Industrial Cinema for the Home." Camera Obscura, 63 vol. 21, Number 3, doi 10.1215/02705346-2006-013 © 2006 by Camera Obscura Published by Duke University Press, p. 105 ↩
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En dépit des faits, voir, entre autres, Hallett Hilary A., Go West, Young Women! The Rise of Early Hollywood, Berkeley, University of California Press, 2013. ↩
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« At the same time, Gilbreth's promotion of scientific management in the home consolidated and organized existing regimes of domestic observation within a rubric of industrial cinematic time-and-motion study by encouraging women (as housewives) to conceive of themselves as both camera and subject, seeing and seen, repositioning the maternal gaze within the constraints of an explicitly masculine scientific objectivity. », Sammond Nicholas, ibid., p. 103. ↩
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« For the home without a motion-picture camera, this was as close as one could get to an observational system that would allow the individual to adjust and improve her performance over time. The home that had a camera, of course, was at a distinct advantage: 2 If a film were taken... of you washing dishes, you could see yourself doing the work at the actual speed at which you did it and thus notice what rhythm and ease you had developed, or you could see yourself making the same motions very slowly, detect your slightest awkwardness, and find out just why you succeeded or failed at the work. » Gilbreth Lillian, The Home-Maker and Her Job (1927), op. cit., p. 114-116. ↩
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« These marked a crucial shift in focus for Lillian [...] In her view, when used for the purposes of motion study, the moving image would be able to cast an objective gaze on a set of women's housekeeping practices, that from the perspective of domestic science, was still cloaked in the obscurity and sentimentality of tradition and beholden to pre-industrial forms of knowledge transmission. », Graham Laurel D., op. cit*., p. 113. ↩
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Préciser la page d'origine de cet extrait « (...) changing what she saw as the tradition-bound and reactionary world of the domestic sphere; for her, women's « ways of operating » were woefully behind the progress made by science and industry. In her writing, cinema was figured as a means of bringing the « pre-industrial » realm of the domestic into alignment with the rationalized arena of modern industrial work, and more importantly (...) as a technique whereby women could routine their minds to calibrate their actions to abstract measures of progress and efficiency. »
Liu Linda Ai-Yun, Images between Images: Cinematic Inventions of the Everyday, Dissertation Ph.D., Modern Culture and Media, Brown University, 2011, p. 130. ↩ -
« So many things (that) have been accepted time without end as sex differences have proved to be only type differences that it is necessary to proceed slowly and carefully in any investigation if insufficiently grounded hypotheses are to be avoided. It may be that the findings of the ancients as to sex differences, mental and emotional, were wrong. », Sammond Nicholas, ibid., p. 115-116 ↩
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« All women are particularly fond of being taken in a motion picture as they all believe that... they are undiscovered Mary Pickfords » Frank Gilbreth to George W. Dickerman, 11 July 1916, Gilbreth Papers, N96/ 0712-1 NGRR2 cité par Lindstrom Richard, « They All Believe They Are Undiscovered Mary Pickfords: Workers, Photography, and Scientific Management, Technology and Culture », Oct. 2000, Vol. 41, No. 4 (Oct., 2000), p. 744. ↩
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« Whether in Gilbreth's fantasy of extending industrial efficiency to the home or in child study's narrative of a more standardized motherhood, the scientific gaze was organized in narratives of looking and introspection that feminist apparatus theory might describe as an inherently masochistic identification with the male and the scientific --- in which women were encouraged to imagine themselves as watched and to be found wanting in that gaze. », Sammond Nicholas, op. cit., p. 116. ↩
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« What appealed to me then, and this hasn't changed nearly three decades later, is the combination of the spectral figure of the woman — her boots under the table are the most solid thing about her — and the grids behind her and covering the tabletop (...) », Poynor Rick, « Exposure: Motion Efficiency Study by Frank Gilbreth », Design Observer, 4.12.2016. En ligne: https://www.designobserver.com/feature/exposure-motion-efficiency-study-by-frank-gilbreth/39272 ↩
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Voir Midal Alexandra, Introduction à l'histoire d'une discipline, Paris, Pocket, 2009. ↩
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Déclaration de Herbert Hoover cité sans référence par Lancaster Jane , Making Time, Boston, Northeaster University Press, 2004, p. 1. ↩
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Notamment La Psychologie du management (1912) ; Psychology and Industrial Efficiency (1913) et The Film : A Psychological Study. The Silent Photoplay (1916) ↩