Réveiller et renouveler nos imaginaires avec Blade Runner 2049 pour dépasser l'Anthropocène
Georges-Henry Laffont

Docteur en géographie, aménagement de l’espace et urbanisme, chercheur à EVS UMR5600, Université de Lyon et Maître de conférences à l’ENSA de Saint-Étienne. Ses recherches portent sur les liens entre imaginaires de la production contemporaine de l’espace et pratiques individuelles ou collectives.

Résumé
Blade Runner 2049 propose un univers fascinant, vision du futur, qui d’un point de vue esthétique, politique, philosophique, déploie un monde néolibéral d’après l’apocalypse, postulé en 2022 à la faveur d’un mystérieux black-out. Par une série d’anti-paysages où s’accumulent personnes, objets, déchets, pollutions et nostalgie d’un monde perdu, ce film permet d’aborder les défis que l’humanité doit relever à l’âge de l’Anthropocène. Plus encore, il renouvellerait nos imaginaires en proposant d’autres récits du devenir de l’humanité et ainsi nous permettant de mettre en formes et actes d’autres relations au monde.

Abstract
Blade Runner 2049 proposes a fascinating universe. A vision of the future, which from an aesthetic, political and philosophical point of view, unfolds a neoliberal world after the apocalypse, postulated in 2022. By a series of counter-landscapes where people, objects, waste, pollution and nostalgy of a lost world accumulate, this film allows us to address the issues that humanity, in the age of the Anthropocene, must face. Moreover, it would renew our imaginaries by proposing other narratives of the future of humanity and allowing us to design other relations to the world.

Introduction

Nombre de travaux ont montré que le fait de « penser avec la science-fiction1 » permet de saisir l’essence d’une époque en amplifiant ce qui l’anime. Par exemple, le devenir de l’urbain peut être analysé au regard des formes, organisations, rapports de classes, etc., que la littérature et le cinéma de science-fiction proposent2. Quel que soit le cadre disciplinaire dans lequel la réflexion est conduite, le cinéma apparaît comme un art efficace pour penser les évolutions du monde, saisir et analyser l’ensemble des mutations provoquées par l’activité humaine, rassemblé sous le vocable polysémique d’Anthropocène3 ainsi qu’un médium tout aussi efficace pour que les réflexions liées à ce même Anthropocène soient diffusées au plus grand nombre4.
Tous évoquent une dérive de l’humanité, la surconsommation des ressources, la pollution généralisée du globe par nos activités, le réchauffement climatique et ses conséquences, constats et alertes représentatifs de l’évènement anthropocène5. Toutefois, aucun d’eux n’aborde ce monde que nous avons installé, comme une suite de rapports au vivant (animal, végétal, dimensions pulsive et native) à questionner face à des horizons anxiogènes et limités, pas plus qu’ils ne mobilisent la science-fiction dans sa capacité à reconfigurer « notre perspective du monde actuel en créant un espace qui questionne nos présupposés6 ».
Cette contribution souhaite explorer ces angles morts en proposant une analyse de Blade Runner 20497 qui déploie un univers où la civilisation industrielle à l’agonie vit, soit retranchée dans une Los Angeles qui apparaît comme l’ultime défi lancé à Gaïa8, soit dans ses propres ruines, de l’autre côté d’une digue menaçant de rompre. Cet univers, de prime abord peu engageant, permettrait de venir éclairer les caractéristiques et les limites de cette relation au vivant que l’humain a fait monde ; les horizons, perspectives et questions autour de relations permettant de renouer avec l’habitabilité. En cela, BR2049 offrirait de « nouveaux territoires », autant récits, outils et réflexions que le design, en tant qu’« instauration d’une certaine relation au monde9 », pourrait investir pour dépasser l’Anthropocène.
Au-delà d’être une éco-fiction10 ne relatant que l’histoire tragique d’un homo faber qui, « incapable de promettre le progrès, propage la dévastation et systématise la précarité11 », Blade Runner 2049 permettrait de réveiller et de renouveler nos imaginaires associés à la technique, à l’objet, de dépasser nos structures conceptuelles ou encore de repenser les récits hégémoniques.
En effet, au travers d’une succession « d’anti-paysages12», où s’accumulent personnes, objets, déchets, pollutions et nostalgie d’un monde que l’humain a définitivement perdu et d’un autre qui peine à émerger, ce film proposerait un matériau riche pour aborder quelques-uns des défis qui s’offrent à nous et auxquels le design, en tant que démarche d’observation, d’analyse, de création, et le designer, en tant chercheur, théoricien, créateur, peuvent participer à relever.
Pour dévoiler ce matériau, la réflexion sera structurée autour de trois explorations : comment réfléchir à la manière dont l’héritage de la civilisation industrielle peut s’incarner entre matière et abstraction ; comment repenser les rapports sociaux et humains ; comment aborder la dimension anthropologique de l’habitabilité du monde.

1. Dans les ruines ou les décharges de l’Anthropocène ?

Dans BR2049, en 2022 se produit un mystérieux black-out, une catastrophe13. Agonie du système productif ? Ravage informatique ? Guerre nucléaire ? Peu d’informations sur la ou les causes de cette vision d’une planète dévastée où une sorte de « monde d’avant » survit. Le film fonctionne presque comme un retour du refoulé des errances de l’humanité. Ainsi, l’urbanisation galopante, les famines, pénuries, déforestations, bouleversements environnementaux généralisés, qui sont les principales caractéristiques de l’âge de l’Homme, semblent s’être inexorablement poursuivis. Blade Runner 2049 ne parvient pas seulement à nous faire croire à un monde futur. Il nous livre aussi une image de l’Anthropocène14 quelque peu rongée par l’oubli.
Dans cette suite, le spectateur retrouve quelques-uns de ses repères familiers, que ceux-ci soient associés au premier Blade Runner ou à notre quotidien comme les publicités géantes, les gratte-ciels pyramidaux, l’alternance surréelle d’intérieurs aseptisés et d’espaces en décrépitude, le fétichisme vintage autour des objets du quotidien, des voitures volantes ou encore des bunkers en béton. Le film semble ainsi reproduire et intensifier l’esthétique du cinéma d’anticipation des années 1970 et 1980 en reprenant son idéologie, son matérialisme, son gigantisme et même ses objets. Néanmoins, malgré ces parentés, rien ne laisse prévoir ce que révèlent les plans larges du film. En effet, rien ne prépare le spectateur à être confronté à ces étendues de terres de cultures transgéniques, à ce dépotoir immense fait d’usines clandestines qui s’étend par-delà les murs d’une Los Angeles aux compacité et verticalité impressionnantes, à un Las Vegas irradié, nimbé d’orange, abandonné et repris par le désert. Ces cosmophanies, au sens de manières dont un monde apparaît15, où terreur, stupéfaction et fascination sont les qualificatifs qui accompagnent sa découverte donnent à voir cette minéralisation de l’humanité, de son monde, de son œuvre que l’on promet comme horizon16.

© 2017 Alcon Entertainment, LLC., Warner Bros. Entertainment Inc. And Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved
Figure 1. K arrive à Las Vegas en zone interdite, Blade Runner 2049.

Figures de l’acosmie de Berque17, illustrations du junkspace de Koolhaas18, ces patterns font état d’un questionnement à propos de l’adéquation entre l’être (qu’il soit humain ou répliquant) et son milieu (conditions et éléments qui entourent et déterminent les manières dont un être s’installe). Trois récits semblent se superposer dans les anti-paysages de BR2049. Tout d’abord, qu’il s’agisse de Las Vegas, Los Angeles, du territoire usine-déchèterie et des étendues de fermes transgéniques, l’action majeure qui semble encore animer l’humanité en 2049 est d’élever et de cultiver, que cela soit des souvenirs, des réplicants, des abeilles, de rares plantes, des vers et pour finir, des humains. Ensuite, c’est le récit industriel, construit autour de l’exploitation jusqu’à l’épuisement des ressources ou réactivé par le recyclage et le réemploi de ce qui, un temps, a été qualifié d’obsolète, de désuet, de hors d’usage, de vétuste, d’abandonné, qui est mis en images. Ainsi, extracteur, exploiteur des ressources et pilleur, l’Homo faber a mis l’ensemble du vivant à son service. Dans BR2049, il est même condamné à façonner un désert stérile, sans animaux ni végétation avec la panne sèche comme horizon. Enfin, dernier récit, celui de la foi en un progrès infini qui conduit à la transgression des limites humaines, spécistes et planétaires par la technique. À ce titre, incarnée par l’entrepreneur de génie Niander Wallace, l’hubris technicienne semble réussir à convaincre de l’apport de solutions et de progrès à cette humanité à la dérive. Toutefois, qu’il s’agisse du design des réplicants19 « nouvelle génération », de l’objet de désir qu’est l’hologramme Joi ou encore de la production de protéines à partir de l’élevage de vers, il ne fait que transformer « l’activité de production de savoir en une activité de production d’objets20 ». Par l’articulation de ces trois récits, BR2049 présente une série de motifs paysagers de notre monde où, comme dans Mad Max Fury Road21, on constate un retour à la matière : K ne cesse de traverser des lieux plus bruts les uns que les autres (désert de sable, ville de béton, plateau enneigé) ou de croiser des constructions monumentales (immeubles, digue, machines, usines, statues démantelées). Cependant, de manière paradoxale, le film tire vers l’abstraction, multipliant les formes géométriques et accentuant les contrastes. Dans de nombreuses scènes, Denis Villeneuve – réalisateur – et Syd Mead – designer industriel et artiste – poussent l’expérimentation visuelle pour nous questionner sur les dimensions écologique, technique et symbolique du monde que l’humanité a mis en ordre.
À la lumière de ces quelques éléments, Blade Runner 2049, en réduisant d’une part le monde d’après le black-out à une courte liste de refuges et, d’autre part en mettant en images la mécanique de captation22 qui caractérise notre société, montre bien les ruines et les décharges de l’âge de l’Homme. Une sorte de pessimisme renforcé par une esthétique nihiliste de ferraille et de brouillard trouvant son acmé dans la séquence du cabaret abandonné de Las Vegas, écrasé par les vapeurs radioactives oranges23. Néanmoins, que cela soit dans les décharges, ces mises en spectacle de la fin du monde24 ou dans les ruines, cette naturalisation de l’œuvre humaine25, il y a toujours des signes de vie26. Il ne s’agit pas alors que de porter un intérêt à un paysage27 désolé, aux matières qui s’y accumulent, d’y lire les traces d’un monde irrémédiablement perdu mais aussi d’« apprendre à saisir ce qui, discrètement, s’y trame28 ». Finalement, la Terre dépeinte dans BR2049 est devenue moins habitable mais l’existence humaine est traitée comme si elle parvenait toujours à s’adapter, notamment par le maintien du système social actuel.

2. Pour une lutte des classes et une condition humaine 2.0 ?

Définir, caractériser, dater l’Anthropocène revient à construire un récit et implique, par conséquent, de forger un imaginaire. Pour Jean Baptiste Fressoz et Christophe Bonneuil29, l’Anthropocène est avant tout un récit performatif qui flatte la clairvoyance scientifique actuelle en dépolitisant l’histoire, ses luttes sociales, ses dynamiques, ses errances. Or, l’Anthropocène30 résulte d’un processus – toujours en cours – de mise en relation économique du monde, d’exploitation des Hommes et de la Terre, remontant au XVIe siècle31. Et ce monde semble toujours d’actualité même après le black-out de 2022.
Dans BR2049, alors que le monde a survécu à ce mystérieux black-out, la nature de la charge politique demeure similaire à celle du Blade Runner de 1982 : mise en lumière d’une société de classes, attention portée au développement d’une surveillance généralisée, questions envers une dérive technologique, illustration de la déshumanisation des rapports sociaux et de l’humain lui-même, etc. Quant à l’omniprésence des sigles d’entreprises réelles ou fictives qui ornent les façades des buildings d’une ville transformée en Time Square géant, elle soutient un futurisme que l’on pourrait qualifier de réaliste, résonnant d’une sorte d’ironie grinçante où le capitalisme vorace dévoile pleinement son caractère autoritaire. Toutefois, les anti-paysages de BR2049 jouent de la répartition spatiale classique des classes sociales proposée par la science-fiction32, répartition héritée de Métropolis33 où les riches se retrouvaient dans les derniers étages de tours cyclopéennes et les pauvres dans les bas-fonds de la ville. Dans Blade Runner 2049, nous sommes plutôt dans une sorte de bidonville généralisé qui ne fait que s’étaler horizontalement et verticalement et ce de chaque côté du mur séparant Los Angeles du reste de la Californie. La partition de la population est régulée par l’accès au travail : il y a celles et ceux qui ont un emploi (policier, archiviste, agriculteur, etc.) et celles et ceux qui n’en ont pas et qui sont condamnés au vol et à la prostitution. Cette partition se double d’un rapport de domination entre Hommes et réplicants, hommes et femmes et entre les réplicants eux-mêmes.

© 2017 Alcon Entertainment, LLC., Warner Bros. Entertainment Inc. And Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved
Figure 2. De l’omniprésence de la modernité à Los Angeles en 2049, Blade Runner 2049.

Dans cette architecture sociale, les Blade Runner et les réplicants jouent des rôles clefs. Les premiers, en « retirant » les androïdes qui ne remplissent plus les fonctions qui leur ont été attribuées lors de leur création et qui, par conséquent, menaceraient l’ordre social établi34 ; les seconds, en tant qu’esclaves modernes assignés à être, pour la plupart, soldats, ouvriers, prostitués, permettent à la classe dominante de se maintenir en position supérieure35. Les uns et les autres illustrent sans mal l’aliénation de l’existence dans nos sociétés contemporaines et le déracinement généralisé de toutes et tous. En effet, aujourd’hui, un nombre important et croissant de femmes et d’hommes, anxieux d’un déclassement pouvant se produire à n’importe quel moment, s’activent dans des open spaces sans vie, des usines ou des entrepôts broyeurs d’âmes, des administrations obscures ou encore à télétravailler dans l’anonymat le plus complet, réduits à une adresse IP. K, le blade runner dont la fonction est de traquer ses semblables semble mener une existence similaire. À la manière de ces légions d’étudiants surqualifiés cantonnés aujourd’hui aux petits travaux les plus précaires et les plus avilissants, K est doté de nombreuses compétences qu’il ne peut mobiliser que dans le cadre de sales besognes, de tâches ingrates. Perdu dans une masse grouillante d’individualités atomisées, il est la figure par excellence de cet homme unidimensionnel qu’est tout à chacun. Tout d’abord, K est obligé d’intérioriser les valeurs du système et de s’accoutumer à sa propre exploitation de manière plus ou moins consciente36. Ensuite, son quotidien est organisé en autant de bulles, sphères et autres enclaves ou isolats caractérisés par la force des principes de limitation, de contrôle, de ségrégation37. K, comme Deckard dans le premier film, est un étranger à son propre monde. À cette condition d’étranger et à ce sentiment d’étrangeté au monde s’ajoute celui de l’artificialisation croissante de l’environnement et de la vie quotidienne.
L’officier K vit un amour, mais celle avec qui il partage sa vie, vers qui ses sentiments sont tournés est un hologramme intelligent, Joi, cliché à la fois de la femme au foyer toujours souriante, toujours « aux petits soins » et de l’amante sensuelle, objet sexuel male gaze. Cette relation entre un répliquant et un hologramme, véritable trésor scénaristique et esthétique du film, permet de convoquer les émotions du spectateur et d’évoquer l’objectisation des êtres vivants, des femmes au premier chef, et de questionner sur la matérialité bien contemporaine de tout ce qui permet ou autorise (sex cams, sex calls, sextos, porno 3D, etc.) à vivre dans un monde où le virtuel peut faire exister des relations intimes et même l’amour. Au fil des aventures qu’il vit, K découvre qu’il fait partie d’un univers où le faux et l’ersatz sont généralisés
Dans cette civilisation, K est comme un immigré absolu, un étranger dans un monde d’étrangers : il ne se sent plus réplicant, mais il n’est pas humain pour autant. Finalement, oscillant entre ces deux mondes, il s’en retrouve exclu et marginalisé. À travers la société qu’il dépeint, à travers les existences individuelles et croisées qui en tissent l’intrigue, BR2049 pose la réflexion au cœur de son expérience cinématographique. En renvoyant aux manques, faiblesses, compromissions de l’humain, en somme à l’évolution de l’espèce humaine et à son état actuel, il pose une nouvelle fois, la question récurrente de la science-fiction : « qu’est-ce que moi, humain, je ferais ? »

3. Le cyborg : le dernier Homme sur Terre ?

Quel que soit l’écosystème concerné, le principal critère de survie d’une espèce est sa capacité à se reproduire. Jusqu’à BR2049, les Nexus38, nom générique donné par leurs créateurs aux différents modèles de réplicants, ne pouvaient être considérés comme membres d’une espèce. Or, le miracle induit par la naissance naturelle d’un enfant réplicant, signifie corrélativement l’apparition d’une nouvelle espèce. Non plus façonnée en usine, mais née par procréation, qu’a de plus cette réplicante par rapport aux humains et par rapport aux autres réplicants ? Le fait de naître, est-il la condition pour avoir non seulement une âme mais surtout, par extension, une humanité ? À l’instar du roman de Mary Shelley, Frankenstein ou le Prométhée moderne, les deux films tirés du livre de Philip K. Dick, posent la question de ce qui définit vraiment l’humanité. Toutefois, à la différence du film 1982, Blade Runner 2049 renouvelle cette interrogation en y entrelaçant les dimensions naturelles, artificielles et virtuelles de notre époque. Ce renouvellement est propice à questionner et dépasser les structures philosophiques, esthétiques, sociales et politiques des sociétés contemporaines. Notamment, BR2049 invite à laisser le trouble envahir cette interrogation essentielle de ce qu’est l’humanité, qui plus aujourd’hui.
L’Anthropocène convoque, en même temps qu’il le forge, un imaginaire fait de bouleversements et de troubles. Celui-ci rend compte et observe les tremblements du monde que l’humain a installé39. Toutefois, par une esthétique du sublime, le récit de l’Anthropocène ne semble qu’illustrer une société animée par la volonté de léguer quelque chose de son passage sur Terre, que cela prenne la forme d’un vestige, d’une trace ou d’une empreinte. Blade Runner 2049 peut aisément s’inscrire dans cet imaginaire ainsi que l’alimenter. Ce film montre une humanité animée encore d’une foi dans le progrès et dans sa moralité, qui habitant ses propres ruines, semble n’avoir plus rien à prouver si ce n’est laisser pour la postérité un édifice composé d’artefacts et de signes, et témoigner ainsi d’un règne dramatiquement coupé de tous les substrats constitutifs de la Terre. BR2049 amène à se demander quelle serait l’espèce la plus adaptée à ce monde postindustriel promis à la minéralisation : les humains ou les réplicants ? Laquelle s’accommoderait d’une biosphère non seulement altérée, mais irrémédiablement dégradée ? Laquelle habiterait le plus facilement un monde fabriqué par l’Homme ? Laquelle serait plus à même de « rebooter » le système ?

© 2017 Alcon Entertainment, LLC., Warner Bros. Entertainment Inc. And Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved
Figure 3. K en route pour Las Vegas en territoire interdit, Blade Runner 2049.

Pas plus que les Hommes ne naissent Hommes pour paraphraser Érasme, les réplicants, qu’ils soient créés artificiellement ou « naturellement », n’acquièrent, de manière innée, des caractéristiques, des comportements qu’il serait possible de rattacher au vocable d’humanité. Dans les deux cas, le développement et la préservation de la subjectivité et du libre arbitre sont les clefs pour prétendre à cette même humanité. C’est le parcours de K au cours du film. Mû ni par la conquête, ni par l’expansion, en accueillant l’Autre, il recherche des collaborations possibles. Dans le monde quelque peu absurde où son existence se déroule, plusieurs chemins s’offrent à lui : poursuivre sa mission pour maintenir l’ordre des choses ? Adhérer à la révolution que les réplicants essayent de mener ? « Contaminé » par les rencontres qu’il a faites, lui-même a changé tout comme ses projets et ses mondes culturels. Ainsi, une nouvelle direction a émergé. Il choisit le sacrifice de sa vie pour favoriser les simples retrouvailles entre un père et son enfant. Le sacré pour K, ce qui l’anime, la pulsion qui le fait agir, c’est l’amour, ultime refuge de l’âme humaine, ultime lieu où se réalisent le vrai, le beau, le juste. Pour autant, c’est un amour qu’il n’a jamais trouvé, c’est un amour qu’il ne peut offrir à celui qu’il pensait être son père, pas plus à Joi qui est détruite après l’avoir baptisé Joe et lui avoir ainsi donné une identité. Cependant, dépassant sa condition de répliquant, comprenant qu’il n’est pas l’élu, il réalise une chose essentielle : il a vécu. À quelques secondes du générique de fin, en s’allongeant sur les marches couvertes de neige, ne servant plus à rien, il montre par son acte désespéré ce qui définit la noblesse de l’âme humaine :

Tout au fond de chacun de nous est inscrit un Grund qui est la cause permanente de nos actes, qui est le sol sur lequel croît notre destin. J’essaie de saisir dans chez chacun de mes personnages son Grund […] Ainsi, ce que le romancier s’emploie à faire pour ses personnages, nous avons certainement à le faire dans le cadre de nos analyses sociales : chercher le fondement et non la simple cause de tous actes, de toutes représentations, de tous phénomènes […] Il y a là une piste féconde rejoignant la nature spatiale, ce que j’ai appelé l’enracinement, de l’individu social40.

Pour les deux auteurs ayant forgé ce terme, Clynes et Kline41, cyborg désignait un humain amélioré capable de survivre hors de la Terre parce que résultat d’une relation plus intime entre être humain et machine. Allant au-delà de cette combinaison, tout comme Niander Wallace qui voit dans les anges qu’il crée le devenir de l’espèce humaine, les auteurs voyaient dans le cyborg la possibilité de libérer l’humain des contraintes de son environnement. Ce postulat est devenu une « nouvelle condition humaine42 ». Or, ce qu’illustre le chemin parcouru par K devenu Joe, c’est que le cyborg demeure fondamentalement humain. En retrouvant l’échelle qui le lie à tous ses substrats, qu’ils soient écologiques, techniques ou symboliques, matériels ou immatériels, il prend chair et a ainsi prise43 autant sur son milieu que son existence : il fait paysage. Ainsi, BR2049 ne demande plus uniquement au spectateur, ce que lui humain, ferait en pareille situation, mais, par extension, ce que l’humanité peut faire aujourd’hui pour dépasser l’Anthropocène.

Conclusion

Ce que Blade Runner 2049 montre est que l’Anthropocène demeure un récit trop encombré de promesses et de présupposés sur la modernité que cela soit l’exceptionnalisme humain, l’individualisme possessif, l’obsession pour un futur qui peut surmonter et racheter les erreurs commises. BR2049 semble, à sa manière, mettre chacun devant une alternative : d’un côté, se préparer à vivre en Terrien dans l’Anthropocène, ce monde d’après les perturbations où la poursuite de la modernité est la seule possibilité. De l’autre côté, décider de rester humain dans l’Holocène, c’est-à-dire un (autre) monde, d’après les mêmes perturbations mais où différentes résurgences et différents refuges encore latents sont possibles.
Nombre d’imaginaires s’y entrechoquent, s’y croisent. Tout d’abord, celui de la transgression des limites (humaines, planétaires, spécistes) par la technique qui s’oppose à celui de l’affirmation de celles d’une planète et d’un écosystème face à l’activité humaine. Puis, ceux renvoyant à deux manières d’instaurer des rapports avec tout ce qui compose le monde, occuper et habiter44. Occuper revient à s’installer dans un espace que l’on postule comme vide en se plaçant dans une double posture d’extériorité et de domination où s’exprime une volonté de maîtrise. Par contraste, habiter, implique une participation, un investissement, une inscription et un don qui mettent en valeur l’ensemble des échanges qui se déplient à tous les niveaux (écologiques, techniques, symboliques, etc.), entre l’Humain et son milieu. Enfin, un autre, celui de l’effondrement, synonyme d’anéantissement, de destruction ou de chute brutale45. Ni positif ni négatif par essence, l’imaginaire, en tant qu’arrière-plan46 permet à l’individu et à la société de donner un sens à leurs pratiques. Aujourd’hui, l’enjeu est de se situer face à cette fiction dans laquelle l’Homme s’est installé, à savoir le capitalisme47 et l’horizon qu’il dessine, l’Anthropocène. Cet horizon paraît peu engageant, condamnant l’humanité à vivre dans les ruines du capitalisme ou à se résoudre à quitter la Terre pour fonder un nouveau monde ailleurs48.
Or, les « anti-paysages » de BR2049 ne sont pas si désolés qu’il n’y parait. Au-delà d’une certaine fascination esthétique pour la ruine à contempler et le mythe de Néron admirant Rome incendiée, il est possible de traquer des résurgences, des bifurcations, toutes porteuses d’horizons plus ouverts et plus engageants. C’est ici l’enseignement majeur de Blade Runner 2049. Il est possible de réveiller et renouveler nos imaginaires en cherchant, parmi les nombreux récits des ravages de l’âge des Hommes, d’autres manières de raconter l’histoire et d’écrire le devenir de l’humanité, de saisir d’autres connexions et ramifications permettant de ré-habiter la Terre. Dès lors, au lieu d’être des ruines, ces cosmophanies peuvent faire figure de chantiers de l’Holocène, cette aventure pour « maintenir l’habitabilité du monde dans toutes ses dimensions49 ». C’est par et avec de tels imaginaires « rechargés » qu’il paraît possible de donner forme(s) à une réflexion permettant d’envisager d’autres paradigmes face à un Anthropocène né de l’industrialisation, sensibiliser à une défiance envers l’utopie toujours palpable d’un progrès productiviste, restaurer des rapports humains et sociaux avec le vivant, en se laissant « surprendre par les formes même de sa production50 ». Ainsi, BR2049, est une invitation à :

[…] se risquer à reprendre un pied terrestre , à suivre les fils emmêlés de tout ce qui fait le tissu compliqué du monde – les trames qui attachent les uns aux autres, non seulement les humains, la terre, les autres espèces, les éléments biologiques, mais aussi les artefacts, les technologies et les objets mêlés, et encore les langues, les esprits, les fantômes, bref, tout ce qui, humain et non-humain, « habite » ce monde –, à dire ce qui nous fait être et devenir ce que nous sommes pour le meilleur et pour le pire51.

Bibliographie

• Archibugi, Daniele, « Blade Runner Economics: Will innovation lead economic recovery? », dans Research Policy, n°46, 2016, pp. 535-543.

• Augé, Marc, Le temps des ruines, Paris, Galilée, 2003.

• Bauman, Zigmut, Le coût humain de la mondialisation, Paris, Hachette, coll. Pluriel poche, 2000.

• Berque, Augustin, « Cosmophanie, paysage et haïku », Projets de paysage, n°12, 2015. [en ligne] https://journals.openedition.org/paysage/10442

• Berque, Augustin, Glossaire de Mésologie, Bastia, Éditions éoliennes, 2018.

• Berque, Augustin, « Trouver place humaine dans le cosmos », EchoGéo, n° 5, 2008. [en ligne] https://journals.openedition.org/echogeo/3093

• Bertrand, Gwenaëlle ; Favard, Maxime, « Le design à l’épreuve des déchets manufacturés : un anti-paysage à hériter », dans Sciences du Design, vol. 11, n°1, 2020, pp. 70-78.

• Bonnet, Emmanuel ; Landivar, Diégo ; Monnin, Alexandre ; et al., « Le design, une cosmologie sans monde face à l’Anthropocène », dans Sciences du Design, n°10, 2019/2, pp. 97-104.

• Bonneuil, Christophe ; Fressoz, Jean- Baptiste, L’événement anthropocène. La terre, l’histoire et nous, Paris, Le Seuil, coll. Anthropocène, 2013.

• Breton (Le), David, Anthropologie du corps et modernité, Paris, Presses universitaires de France, coll. Quadrige, 2012.

• Caeymaex, Florence ; Despret, Vincianne ; Pieron, Julien, Habiter le trouble avec Dona Haraway, Bellavaux, Éditions du Dehors, 2019.

• Chelebourg, Christian, Les Ecofictions, mythologies de la fin du monde, Paris, Les Impressions Nouvelles, 2012.

• Cynorhodon (collectif), Dictionnaire critique de l’anthropocène, Paris, Éditions du CNRS, 2020.

• Dardot, Pierre ; Laval, Christian, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009.

• Davis, Mike, Ecology of fear: Los Angeles and the imagination of disaster, New-york, Vintage, 1999.

• Denoual, Fabienne, « Le designer de l’Anthropocène : vers une éthique de l’habitabilité élargie », dans Sciences du Design, n°11, 2020/1, pp. 42-50.

• Duhem, Ludovic, « Devenir cyborg ? Mésologie et transhumanisme », dans Augendre, Marie, Llored, Jean-Pierre ; Nussaume, Yann (dir), La Mésologie, un autre paradigme pour l’Anthropocène ? Autour et en présence d’Augustin Berque, Paris, Hermann, coll. Colloque de Cerisy, 2017, pp. 109-120.

• Fulchignoni, Enrico, La civilisation de l'image, Paris, Payot, 1969.

• Gendron, Corinne ; Pierssens, Michel, « L’entreprise vue par la science-fiction : d’aujourd’hui à demain », Entreprises et histoire, vol. 96, n°3, 2019, pp. 8-13.

• Guenin, Hélène (dir), Sublime : les tremblements du monde, Metz, Centre Pompidou-Metz, 2016.

• Gusdorf, Georges, et al., Civilisation de l'image, Paris, Fayard, Coll. Recherches et débats, 1960.

• Haraway, Donna, Vivre avec le trouble, Paris, Les éditions des mondes à faire, 2020.

• Ingold, Tim, Une brève histoire des lignes, Bruxelles, zones sensibles, 2011.

• Jameson, Fredric, Archéologies du futur II. Penser avec la science-fiction, Paris, Max Milo éditions, coll. L'Inconnu, 2008.

• Jameson, Fredric, « Le marxisme face à la post modernité », entretien par Kouvélakis, Stathis ; Vakaloulis, Michel, Futur antérieur, n°21, 1994.

• Koolhaas, Rem, Junkspace, Paris, Payot, 2011.

• Kundera, Milan, L’immortalité, Paris, Gallimard, 1993.

• Laffont, Georges-Henry, « La figure du réseau au cinéma : coupe(s) mobile(s) pour représenter les dynamiques de l’urbain contemporain », dans Nouvelles perspectives en sciences sociales, 10(2), 2015, pp.123-158.

• Laffont, Georges-Henry, « Rétro…polis : Blade Runner et le cinéma de science-fiction comme révélateurs du caractère mythologique et archétypale de l’urbaphobie », dans Marchand, Bernard ; Salomon-Cavin, Joëlle, Antiurbain origines et conséquences de l’urbaphobie, Lausanne, PPUR, 2010,* pp. 93-109.

• Leroy, Alice, « L’aliénation des saisons. Images de l’anthropocène », dans Cinétrens n°5, Automne 2018.

• Lipschutz. D, Ronnie, « Aliens, Alien Nations, and Alienation in American Economy and Popular Culture », dans Weldes, Jutta (dir.), To Seek Out New Worlds. Exploring Links between Science Fiction and World Politics, New York, Palgrave MacMillan, 2003, pp. 79-98.

• Lussault, Michel, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, coll. Mondes vécus, 2009.

• Monnin, Alexandre ; Allard, Laurence, « Ce que le design a fait à l’anthropocène, ce que l’anthropocène a fait au design », dans Sciences du design, n°11, 2020, pp. 21-31.

• Morris, William, L’âge de l’erzartz et autres textes contre la civilisation moderne, Paris, Éditions des nuisances, 1999.

• Musset, Alain, Station Metropolis direction Coruscant : ville science-fiction et sciences sociales, Saint Mammès, le Bélial’, 2019.

• Neyrat, Frédéric, « Le cinéma éco-apocalyptique. Anthropocène, cosmophagie, anthropophagie », dans Communications, n°96, 2015, pp. 67-79.

• Piron, Stéphane, L’occupation du monde, Bruxelles, Zones sensibles, 2018.

• Rigot, Élise, « Le design pour le(s) vivant(s) : appréhender sans optimiser », dans Sciences du Design, vol. 10, n°2, 2019, pp. 42-50.

• Simmel, Georg, « La ruine : un essai d’esthétique » [1908], dans La parure et autres essais, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme de Paris, coll. « Philia », 1998.

• Stengers, Isabelle, « Préface » dans Tsing, Anna, Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, 2017.

• Taylor, Charles, « Précis de Modern Social Imaginaries », dans Philosophiques, vol. 33, n°2, 2006, pp. 333-554.

• Tsing, Anna, Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La découverte, coll. Les Empêcheurs de penser en rond, 2017.

• Wallenhorst, Nathanaël ; Pierron, Jean-Philippe, Éduquer en Anthropocène, Paris, Le Bord de l’eau, 2019.

Crédits et légendes

• Figure 1. K arrive à Las Vegas en zone interdite, Blade Runner 2049.
© 2017 Alcon Entertainment, LLC., Warner Bros. Entertainment Inc. And Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved.

• Figure 2. De l’omniprésence de la modernité à Los Angeles en 2049, Blade Runner 2049.
© 2017 Alcon Entertainment, LLC., Warner Bros. Entertainment Inc. And Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved.

• Figure 3. K en route pour Las Vegas en territoire interdit, Blade Runner 2049.
© 2017 Alcon Entertainment, LLC., Warner Bros. Entertainment Inc. And Columbia Pictures Industries, Inc. All Rights Reserved.


  1. Jameson, Fredric, Archéologies du futur II. Penser avec la science-fiction, Paris, Max Milo éditions, coll. L'Inconnu, 2008. 

  2. Un certain nombre de ces réflexions sont référencées au fil du texte et/ou rassemblées en bibliographie. 

  3. Wallenhorst, Nathanaël ; Pierron, Jean-Philippe, Éduquer en Anthropocène, Paris, Le Bord de l’eau, 2019. 

  4. À titre indicatif, plusieurs travaux où Anthropocène et cinéma se rencontrent : l’exposition « Sublime les tremblements du monde », (11 Février - 5 septembre 2016) au centre Pompidou-Metz ; « À l’école de l’Anthropocène », manifestation à l’initiative de l’École Urbaine de Lyon, où à travers des séminaires, ateliers, débats, conférences, rencontres et autres projections, l’objectif était de stimuler la réflexion collective autour des questionnements et enjeux de l’Anthropocène (27 janvier - 2 Février 2020) ; l’article de Neyrat, Frédéric, « Le cinéma éco-apocalyptique. Anthropocène, cosmophagie, anthropophagie », dans Communications, n°96. Vivre la catastrophe, 2015, pp. 67-79 ; celui de Leroy, Alice, « L’aliénation des saisons. Images de l’anthropocène », dans Cinétrens, n°5, 2018. 

  5. Bonneuil, Christophe ; Fressoz, Jean- Baptiste, L’événement anthropocène. La terre, l’histoire et nous, Paris, Le Seuil, coll. Anthropocène, 2013. 

  6. Gendron, Corinne, ; Pierssens, Michel, « L’entreprise vue par la science-fiction : d’aujourd’hui à demain », dans Entreprises et histoire, vol. 96, n°3, 2019, p. 9. 

  7. Film de science-fiction réalisé par Denis Villeneuve en 2017. Synopsis du film : En 2049, la société est fragilisée par les nombreuses tensions entre les humains et leurs esclaves créés par bioingénierie. L’officier K est un Blade Runner : il fait partie d’une force d’intervention d’élite chargée de trouver et d’éliminer ceux qui n’obéissent pas aux ordres des humains. Lorsqu’il découvre un secret enfoui depuis longtemps et capable de changer le monde, les plus hautes instances décident que c’est à son tour d’être traqué et éliminé. Son seul espoir est de retrouver Rick Deckard, un ancien Blade Runner qui a disparu depuis des décennies. Dans l’article, seront alternativement utilisés le titre complet du film Blade Runner 2049 ou son acronyme BR2049

  8. Gaïa est ici mobilisée, au-delà de la métaphore d’un personnage quelque peu chafouin face aux conséquences d’une activité humaine risquant la destruction de l’environnement, en tant que philosophie mettant spécifiquement en question les histoires et les mises en scène de l’ère industrielle synonyme de progrès, de prospérité, d’émancipation mais aussi de réduction de l’environnement à une ressource productive.  

  9. Monnin, Alexandre et Allard, Laurence, « Ce que le design a fait à l’anthropocène, ce que l’anthropocène a fait au design », dans Sciences du design, n°11, 2020, p. 25. 

  10. Chelebourg, Christian, Les Ecofictions, mythologies de la fin du monde, Paris, Les Impressions Nouvelles, 2012. 

  11. Haraway, Donna, Vivre avec le trouble, Paris, Les éditions des mondes à faire, 2020, p. 70. 

  12. Bertrand, Gwenaëlle ; Favard, Maxime, « Le design à l’épreuve des déchets manufacturés : un anti-paysage à hériter », dans Sciences du Design, vol. 11, n°1, 2020, p. 70. Dans leur article, les auteurs définissent ainsi des espaces caractérisés par une saturation matérielle. Au sein de ces espaces, le déchet, en tant que rejets matériels des sociétés, prend une place importante et peut être interprété de deux manières, opposées mais aussi complémentaires. Celui-ci peut être le marqueur le plus visible de l’Anthropocène, en tant que résultat et résidu d’un mode de production et de consommation, trace et empreinte d’un système qui ne va pas au bout du cycle de la matière. Le déchet peut encore être une ressource inattendue et inespérée pour de nouvelles relations au monde. 

  13. Signifiant étymologiquement parlant un renversement ou un retournement, la catastrophe peut être abordée comme le degré le plus élevé d’un processus de destruction. Dans le langage courant, la catastrophe a une connotation négative. Or, dans la mythologie, c’est aussi un moment qui ouvre vers une ère nouvelle. L’histoire des catastrophes corroborerait la thèse centrale de l’Anthropocène. Sur ce point, se référer à : Sierra, Alexis, « Catastrophe », dans, Cynorhodon (collectif), Dictionnaire critique de l’anthropocène, Paris, Éditions du CNRS, 2020, p. 147 sq

  14. Depuis 1784, année durant laquelle James Watt déposa le brevet de la machine à vapeur, nous serions entrés dans un nouvel âge dans l’histoire de la planète Terre : l’Anthropocène. Pour le créateur de ce néologisme, le scientifique Paul Crutzen, ce troisième âge, succédant au Pléistocène et à l’Holocène, serait non seulement caractérisé par le façonnement de la Terre pour les besoins de l’Homme mais aussi par un horizon peu engageant, du fait que ces mêmes actions humaines, transformant la planète à un degré géologiquement significatif, auraient irrémédiablement bouleversé les grands équilibres ayant permis à de nombreuses formes de vie, dont la nôtre, de se développer. Le devenir même de l’humanité serait menacé, en tout cas incertain. 

  15. Berque, Augustin, « Cosmophanie, paysage et haïku », dans Projets de paysage, n°12, 2015, mis en ligne le 02 juillet 2015. [En ligne] https://journals.openedition.org/paysage/10442 

  16. Pour approfondir ces éléments, nous renvoyons à : Denoual, Fabienne, « Le designer de l’Anthropocène : vers une éthique de l’habitabilité élargie », dans Sciences du Design, n°11, 2020/1, pp. 42-50. [en ligne] https://www.cairn.info/revue-sciences-du-design-2020-1-page-42.htm 

  17. Berque, Augustin, « Trouver place humaine dans le cosmos », dans EchoGéo, n°5, 2008. Dans cet article, l’auteur définit l’acosmie comme la perte de l’ordre unitaire et axiologique où s’articulaient l’humain et l’universel, privant ainsi d’authenticité les rapports aux lieux. [en ligne] https://journals.openedition.org/echogeo/3093 

  18. Koolhaas, Rem, Junkspace, Paris, Payot, 2011. Dans ce livre, l’architecte définit par le terme de junkspace, « le réceptacle de la modernisation, une sorte de dépotoir, de désordre. Ce paysage évoque un lieu jadis bien ordonné qui aurait été secoué par un ouragan ». Propos extraits de : Chaslin, François, Deux conversations avec Rem Koolhaas et caetera, Paris, Sens & Tonka, 2011, pp. 143-145. 

  19. Replicant est le nom donné aux androïdes dans Blade Runner, adaptation du roman Est-ce que les androïdes rêvent de moutons électriques écrit par Philip K. Dick en 1966. Il peut être définit comme un androïde créé à partir de cultures de chair et de peau, grâce à des transferts énogénétiques spécifiques. Ce cyborg est capable de pensée auto-générée et possède des facultés parapsychologiques.  

  20. Rigot, Élise, « Le design pour le(s) vivant(s) : appréhender sans optimiser », Sciences du Design, vol. 10, n°2, 2019, p. 44. 

  21. Film américain de science-fiction réalisé par Georges Miller en 2015. 

  22. Tsing, Anna, Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, Paris, La découverte, coll. Les Empêcheurs de penser en rond, 2017. Pour Anna Tsing, la captation se définit en tant que capacité qu’a l’économie de marché de transformer toute ressource en marchandise et, par spéculation de savoir en tirer profit. 

  23. Après que K ait retrouvé l’agent Deckard, le blade runner du premier film chassé du paradis pour pouvoir vivre un amour incertain avec une réplicante, les deux hommes se retrouvent à se battre et disserter entre les hologrammes de Sinatra, Marylin ou encore Elvis, qui apparaissent au gré des dysfonctionnements techniques dans des lieux où les crépitements fastueux d’antan sont recouverts de poussière. 

  24. Augé, Marc, Le temps des ruines, Paris, Galilée, 2003. 

  25. Simmel, Georg, « La ruine : un essai d’esthétique » [1908], dans La parure et autres essais, Paris, Éditions de la Maison des Sciences de l’Homme de Paris, coll. Philia, 1998.  

  26. Sur cette thématique de l’espoir, il est possible de faire un parallèle entre Blade Runner 2049 et Wall-E, film américain réalisé par A. Stanton en 2008. Dans le film d'animation des studios Pixar, la découverte d’une fleur abandonnée, alors qu’elle ne devrait pas pouvoir pousser, laissait espérer que la vie pouvait repartir ou que, a minima, la survie demeurait possible même dans un monde dévasté. 

  27. Notion polysémique et polémique, « paysage » est ici convoqué comme révélateur et indicateur des dégradations humaines et marqueur de ce que l’habitabilité n’est plus et de ce qu’elle doit devenir. Voir l’article de : Lefort, Isabelle et Pelletier, Philippe, « Paysage » dans Cynorhodon (collectif), Dictionnaire critique de l’anthropocène, op.cit., pp. 626-630. 

  28. Stengers, Isabelle, « Préface » dans Tsing, Anna, Le champignon de la fin du monde : sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme, op.cit. 

  29. Bonneuil, Christophe ; Fressoz, Jean- Baptiste, op.cit, p. 12. 

  30. Afin de ne pas tomber dans un débat sémantique et de brouiller la lecture, le terme Anthropocène est utilisé ici comme synonyme de Capitalocène qui, pour son auteur, Jason W. Moore, met en avant la responsabilité du capitalisme dans la crise écologique planétaire. Se reporter à : Argounès, Fabrice ; Pelletier, Philippe, « Capitalocène », dans Cynorhodon (collectif), Dictionnaire critique de l’anthropocène, op.cit., pp. 140-143. 

  31. Piron, Stéphane, L’occupation du monde, Bruxelles, Zones sensibles, 2018. 

  32. Musset, Alain, Station Metropolis direction Coruscant : ville science-fiction et sciences sociales, Saint Mammès, le Bélial', 2019. 

  33. Film allemand de Fritz Lang sorti en 1927. 

  34. Lipschutz, D, Ronnie, « Aliens, Alien Nations, and Alienation in American Economy and Popular Culture », dans Weldes, Jutta (dir.), To Seek Out New Worlds. Exploring Links between Science Fiction and World Politics, New York, Palgrave MacMillan, 2003, pp. 79-98. 

  35. Archibugi, Daniele, « Blade Runner Economics: Will innovation lead economic recovery? », dans Research Policy, n°46, 2016, pp. 535-543. 

  36. Dardot, Pierre ; Laval, Christian, La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, Paris, La Découverte, 2009. 

  37. Lussault, Michel, De la lutte des classes à la lutte des places, Paris, Grasset, coll. Mondes vécus, 2009. 

  38. Nexus vient du latin et signifie lien, enchainement, ensemble complexe, combinaison et est usité aujourd’hui pour reformuler les problèmes environnementaux et y apporter des solutions en grande partie technologiques. Pour David Blanchon, « nexus s’inscrit ainsi pleinement dans le courant de pensée qui a conduit à la formation du concept d’anthropocène ») Blanchon, David, « Nexus », dans Cynorhodon (collectif), Dictionnaire critique de l’anthropocène, op.cit., p. 590. 

  39. Guenin, Hélène (dir.), Sublime : les tremblements du monde, Metz, Centre Pompidou-Metz, 2016. 

  40. Kundera, Milan, L’immortalité, Paris, Gallimard, 1993, pp. 350-351. 

  41. En 1960, Manfred E. Clynes et Nathan S. Kline publient un article titré « Cyborgs and Space », dans la revue Astronautics, qui explique qu’altérer les fonctions du corps humain pour qu’il s’adapte aux conditions des environnements extraterrestres serait plus logique que de lui fournir, quelle que soit la situation, les évolutions, un environnement terrestre dans l’espace.  

  42. Duhem, Ludovic, « Devenir cyborg ? Mésologie et transhumanisme », dans Augendre, Marie ; Llored, Jean-Pierre ; Nussaume, Yann (dir.), La Mésologie, un autre paradigme pour l’Anthropocène ? Autour et en présence d’Augustin Berque, Paris, Hermann, coll. Colloque de Cerisy, 2017, p. 113. 

  43. Berque, Augustin, Glossaire de Mésologie, Bastia, Éditions éoliennes, 2018, p. 33. 

  44. Ingold, Tim, Une brève histoire des lignes, Bruxelles, zones sensibles, 2011. 

  45. Jacob-Rousseau, Nicolas, « Effondrement de civilisation », dans Cynorhodon (collectif), Dictionnaire critique de l’anthropocène, op.cit., pp. 337-341. 

  46. Taylor, Charles, « Précis de Modern Social Imaginaries », dans Philosophiques, vol. 33, n°2, 2006, pp. 333-554. 

  47. Jameson, Fredric, Le marxisme face à la post modernité, entretien par Kouvélakis, Stathis ; Vakaloulis, Michel, Futur antérieur, n°21, 1994. 

  48. Cet imaginaire où l’humanité est amenée à quitter sa planète et en coloniser d’autres est fort, autant dans l’univers de la science-fiction (Interstellar, Passengers) que dans des domaines que l’on pourrait qualifier eux de moins « farfelus ». Par exemple, coloniser Mars est l’obsession et de nombreux états, de leurs agences spatiales respectives, de leurs laboratoires de recherches et d’entrepreneurs comme Elon Musk, fondateur de Space X. 

  49. Bonnet, Emmanuel ; Landivar, Diégo ; Monnin, Alexandre ; et al., « Le design, une cosmologie sans monde face à l’Anthropocène », dans Sciences du Design, n°10, 2019/2, p. 97.  

  50. Rigot, Élise, « Le design pour le(s) vivant(s) : appréhender sans optimiser », op.cit., p. 44. 

  51. Cayemaex, Florence, dans Caeymaex, Florence ; Despret, Vincianne ; Pieron, Julien, Habiter le trouble avec Dona Haraway, Bellavaux, Editions du Dehors, 2019, pp. 40-41.